Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contre la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi. En vertu de l’article 11.1 du Règlement, la Commission peut déclencher un examen de l’état d’une instance en invitant les parties à présenter leurs observations quant au dessaisissement présumé. Cependant, la Commission n’a pas pu s’enquérir des observations. La question est donc de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé est présumé s’être « désisté », et non « dessaisi », de son recours de grief. En se fondant sur la documentation au dossier, la Commission a déterminé qu’il y avait des indications suffisantes permettant de conclure un désistement présumé. À la suite du retrait de la représentation par le syndicat, le greffe de la Commission a tenté à plusieurs reprises de joindre le fonctionnaire s’estimant lésé aux informations de contact qui apparaissaient dans le dossier, sans succès. La Commission n’a pas reçu un avis de changement de coordonnées du fonctionnaire s’estimant lésé, et si changement avait eu lieu, ce dernier avait la responsabilité d’en aviser la Commission et de lui fournir les adresses valides. Il ne serait pas dans l’intérêt public et l’administration efficace de la justice de garder le dossier ouvert indéfiniment.
Grief rejeté.
Contenu de la décision
Date: 20250508
Référence: 2025 CRTESPF 55
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral |
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ENTRE
Andover Chavannez
fonctionnaire s’estimant lésé
et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)
défendeur
Répertorié
Chavannez c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Goretti Fukamusenge, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même
Pour le défendeur : Marc Séguin, avocat
MOTIFS DE DÉCISION |
I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
[1] Il s’agit d’une décision rendue sans audience. La Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) autorise la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience (article 22). Le grief est rejeté pour cause d’un désistement présumé. Andover Chavannez, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») est injoignable.
II. Compétence de la Commission et l’interprétation législative de l’article 11.1 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »)
[2] En vertu de l’article 11.1 du Règlement, la Commission peut déclencher un examen de l’état d’une instance, en invitant les parties à présenter leurs observations quant au dessaisissement présumé. Pour une référence rapide, le texte de cette disposition est reproduit ci-après.
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[Je mets en évidence]
[3] Dans le présent cas, la Commission n’a pas pu s’enquérir des observations des parties conformément à cette disposition, puisqu’elle est dans l’impossibilité de joindre le fonctionnaire.
[4] Pour les fins de cette décision, bien que l’article 11.1 du Règlement utilise le terme « dessaisissement », j’utiliserai le terme « désistement », qui est proche du terme « abandon » pour la raison suivante.
[5] Le libellé de la version française de l’article 11.1 est relativement différent de celui de la version anglaise, par l’usage du terme « dessaisissement ». La version anglaise, qui utilise les termes « deemed to be withdrawn », semble suggérer un désistement ou un retrait présumé. À mon avis, le terme « dessaisissement » implique une perte de pouvoir, de compétence. Par exemple, par l’effet du principe de la chose jugée, un décideur ou un tribunal peut être dessaisi d’un pouvoir de traiter une question en litige parce que la question a été déjà tranchée. De même, un tribunal peut être dessaisi d’une affaire au profit d’une autre juridiction. Ainsi, l’effet juridique d’un « dessaisissement » et celui d’un « désistement » pourrait être différent.
[6] La décision de la Cour d’appel fédérale Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, au par. 15, contient une explication concernant l’effet d’un « désistement ». Selon cette décision, il est en théorie possible, qu’après un désistement, une nouvelle procédure portant sur le même objet soit engagée. Cette décision signale également qu’une telle procédure pourrait faire face à une défense fondée sur l’expiration d’un délai de prescription. Un « dessaisissement » quant à lui, par exemple, entraînerait la perte de compétence de trancher une question soulevée dans une affaire. Du fait d’un « dessaisissement », un décideur devient simplement dessaisi de l’affaire.
[7] Toutefois, cela n’est pas la question à laquelle je dois répondre. La question est de savoir si le fonctionnaire est présumé s’être « désisté », et non « dessaisi », de son recours de grief. Pour des raisons exprimées dans les passages suivants, je conclus que le fonctionnaire s’est désisté de son grief.
III. Contexte
[8] Le fonctionnaire a contesté la décision de son ancien employeur, le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), de le congédier. Le 8 mars 2021, quand le grief a été renvoyé à l’arbitrage à la Commission, le fonctionnaire était représenté par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN (UCCO-SACC-CSN; le « syndicat » ou l’« agent négociateur »).
[9] Jusqu’au 8 janvier 2024, le syndicat participait dans les présentations concernant le grief dont celles liées à une objection préliminaire de l’employeur.
[10] Le grief a été mis au rôle des audiences du 13 au 16 février 2024, et la Commission a invité l’employeur et le syndicat à une conférence préparatoire à l’audience, qui était prévue pour le 9 janvier 2024.
[11] Le 8 janvier 2024, le syndicat a informé la Commission et les parties impliquées dans le dossier de ce qui suit : « […] l’agent négociateur a retiré le support pour le grief mentionné en objet ».
[12] Le 9 janvier 2024, l’employeur s’est présenté à la conférence préparatoire à l’audience, mais après une brève comparution, celle-ci a été annulée puisque le fonctionnaire n’était ni présent ni représenté.
[13] À la suite de la conférence préparatoire à l’audience, l’employeur a partagé deux adresses courriel du fonctionnaire qui sont dans ses dossiers. La Commission a également demandé au syndicat de lui fournir une adresse courriel à jour du fonctionnaire.
[14] Le 9 janvier 2024, le syndicat a informé la Commission de ce qui suit : « […] n’a pas d’adresse email valide pour Mr. [sic] Chavannes. Nous avons dû lui partager notre décision par lettre enregistrée. »
[15] Le 9 janvier 2024, le greffe de la Commission a envoyé le message suivant aux deux adresses courriel qu’elle avait reçu de l’employeur, dont l’une apparaît d’ailleurs dans le formulaire du renvoi du grief à l’arbitrage :
[…]
J’accuse réception le 8 janvier 2024 du courriel de […] avisant la Commission que l’agent négociateur (UCCO-SACC-CSN) retire son soutien et la représentation dans le dossier mentionné en rubrique.
Comme vous ne serez plus représenté par votre agent négociateur, veuillez aviser la Commission, au plus tard le 16 janvier 2024, de la manière dont vous voudriez procéder quant à votre renvoi à l’arbitrage de grief. Veuillez noter qu’une audience de cette affaire est prévue du 13 au 16 février 2024, en présentiel à Montréal, QC.
Si vous désirez continuer et que vous entendez être représenté par quelqu’un d’autre, veuillez communiquer à la Commission le nom, l’adresse courriel et le numéro de téléphone de cette personne pour que toute la documentation pertinente puisse être transmise comme il se doit.
Veuillez noter qu’il incombe au fonctionnaire s’estimant lésé d’informer la Commission de tout changement d’adresse résidentielle ou de numéro de téléphone.
VEUILLEZ ÉGALEMENT NOTER qu’à défaut de réponse par vous ou de comparaître à l’audience ou à toute reprise d’audience éventuelle, la formation de la Commission peut statuer sur la question au vu de la preuve et des observations qui lui seront alors présentées sans vous adresser de nouvel avis.
L’absence d’une réponse d’ici la date susmentionnée, peut avoir pour conséquence la fermeture du dossier.
[…]
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[16] Toutefois, il semble que ce message n’a pas été livré aux deux adresses courriel du fonctionnaire. Les courriels ont été retournés avec la mention « undeliverable » (non livrable).
[17] Le 10 janvier 2024, la Commission a envoyé le même message, cette fois par courrier postal prioritaire à l’adresse qui apparaît dans le formulaire de renvoi à l’arbitrage. La Commission n’a pas reçu de réponse de la part du fonctionnaire.
[18] Le 17 janvier 2024, vu que le fonctionnaire n’avait pas répondu aux différentes communications envoyées par la Commission, l’audience qui était prévue du 13 au 16 février 2024 a été ajournée.
[19] Le 4 décembre 2024, n’ayant reçu aucune nouvelle de la part du fonctionnaire, la Commission a encore tenté de joindre ce dernier à l’aide des deux adresses courriel et d’une lettre envoyée par courrier prioritaire, encore une fois à l’adresse postale qui était au dossier.
[20] La lettre indiquait que si la Commission n’avait pas reçu une réponse de la part du fonctionnaire au plus tard le 13 février 2025, la Commission n’aurait d’autre choix que de fermer le dossier.
[21] Le 8 janvier 2025, la Commission a été informée que la lettre avait été retournée. La lettre portait une étiquette « renvoi à l’expéditeur » indiquant « non réclamé ».
IV. Motifs
[22] Je trouve qu’il y a des indications suffisantes qui permettent de conclure un désistement présumé.
[23] À la suite du retrait de la représentation par le syndicat, le greffe de la Commission a tenté à plusieurs reprises de joindre le fonctionnaire aux informations de contact qui apparaissent dans le dossier, sans succès.
[24] En l’absence d’une réponse ou d’une indication du fonctionnaire selon laquelle il souhaite aller de l’avant avec son grief, j’estime que le fonctionnaire est présumé avoir abandonné son grief. Le fonctionnaire n’est plus représenté par le syndicat, et la Commission ne détient aucune autre coordonnée qui permettrait de le joindre.
[25] Selon le paragraphe 89(1) du Règlement, un avis de renvoi d’un grief à l’arbitrage doit comporter entre autres les noms et coordonnées du fonctionnaire s’estimant lésé et de son représentant autorisé, le cas échéant. Le formulaire 21 de renvoi du grief à l’arbitrage, qui a été versé au dossier, contient une adresse postale et une adresse courriel du fonctionnaire. La Commission n’a pas reçu un avis de changement de coordonnées du fonctionnaire, et si changement avait eu lieu, ce dernier avait la responsabilité d’en aviser la Commission et de lui fournir les adresses valides. Voir Meisterhans c. Agence du revenu du Canada, 2024 CRTESPF 156, au par. 21; ou McKinnon c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 32, aux paragraphes 77 et 78.
[26] Les circonstances de la présente affaire ressemblent à celles décrites dans Chabi c. Administrateur général (Services publics et Approvisionnement Canada), 2023 CRTESPF 111. Comme je l’ai noté dans Chabi, je trouve, dans le présent cas, qu’il ne serait pas dans l’intérêt public et une administration de la justice efficace de garder ce dossier ouvert indéfiniment, sans aucune façon de communiquer avec le fonctionnaire.
[27] Il incombait au fonctionnaire d’aviser la Commission de son adresse valide. Il lui revenait également de faire avancer son dossier. La Commission n’a aucune information concernant les défis ou circonstances auxquels le fonctionnaire serait confronté et qui expliqueraient son absence de participer à l’arbitrage du grief qu’il a déposé à la Commission le 8 mars 2021.
[28] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[29] Le grief est rejeté.
Goretti Fukamusenge,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral