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Date: 20250409

Dossier: 566-02-38384

 

Référence: 2025 CRTESPF 34

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Mark Tiglmann

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Conseil du Trésor

(ministère des Pêches et des Océans)

 

défendeur

Répertorié

Tiglmann c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Zachary Rodgers, avocat

Pour le défendeur : Simon Ferrand, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 9, 10, 28 et 29 novembre 2023 et les 3 et 4 janvier 2024

et basée sur des arguments écrits déposés le 16 février et les 5 et 26 avril 2024.)
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Depuis 1911, le phare de Nootka (le « phare ») fournit à la communauté maritime un service continu permettant d’assurer la sécurité de la navigation le long de la côte Ouest de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique. Le phare est situé sur l’île San Rafael (l’« île »), une très petite île reliée à l’île Nootka, plus grande, par une bande de terre qui n’est praticable qu’à marée basse. Lors des faits en cause dans la présente décision, il était gardé toute l’année par un gardien de phare principal (le « GPP ») et un gardien de phare adjoint (le « GPA »).

[2] En janvier 2006, Mark Tiglmann (le « fonctionnaire s’estimant lésé ») est devenu le GPA du phare pour le compte du ministère des Pêches et des Océans (l’« employeur »). Il vivait sur l’île avec son épouse dans ce qui s’appelait alors la « maison du GPA ». La maison est située à environ 30 à 50 pieds de la maison du GPP, qui est la seule autre maison de l’île. Lors du départ à la retraite du GPP en 2009, le fonctionnaire s’estimant lésé a endossé ce rôle et son épouse est devenue la GPA. Comme ils formaient un couple, l’une des deux maisons est devenue vacante. Comme cela sera expliqué dans la présente décision, le fonctionnaire s’estimant lésé pensait avoir un intérêt possessoire sur cette maison vacante.

[3] Le litige à l’origine du grief découle de la décision du défendeur d’utiliser la maison vacante pour héberger le personnel (à savoir les membres d’équipage des embarcations de sauvetage côtier, appelés ci-après les « membres d’équipage d’ESC ») relevant du programme d’embarcations de sauvetage côtier (le « programme d’ESC ») de la Garde côtière canadienne, qui exerce des fonctions de garde-côte pendant la haute saison de navigation, qui s’étend approximativement de juin à août à chaque année.

[4] Le grief, daté du 21 avril 2016, a été déposé devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») le 10 mai 2018. Pour faciliter la lecture, le terme « Commission » dans la présente décision désigne la Commission actuelle et tous ses prédécesseurs.

[5] Dans son grief, le fonctionnaire s’estimant lésé demandait une indemnité de 20 $ par membre d’équipage d’ESC pour chaque nuitée passée à la station de phare pendant les mois d’été de 2010 à 2016, bien que la demande d’indemnisation pour 2016 ait été retirée au cours de l’audience. Il demandait également une indemnisation intégrale.

[6] La convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour le groupe Services de l’exploitation, qui a expiré le 4 août 2018, et la convention collective précédente, qui a expiré le 4 août 2014, (collectivement appelées la « convention collective ») comportent des appendices propres à certains sous-groupes. Celui des gardiens de phare est l’appendice F. Les clauses de la convention collective sur lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé s’est appuyé sont restés inchangées pendant toute la période pertinente.

[7] La convention collective ne prévoyait pas le droit d’être payé 20 $ par nuit pour les visiteurs passant la nuit à une station de phare. Elle stipulait plutôt que les parties admettaient « le principe d’exiger des visiteurs en position de déplacement des frais pour les repas et les locaux de couchage fournis par le gardien de phare » et qu’elles se consulteraient « sur la question des taux à appliquer ».

[8] Le défendeur a rejeté la demande d’indemnisation présentée par le fonctionnaire s’estimant lésé au motif que les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas en déplacement. Il n’a pas contesté la question de savoir s’ils étaient en déplacement. Cependant, selon le grief, le montant de 20 $ par nuitée était fondé sur [traduction] « la pratique habituelle » et sur un document rédigé par le défendeur, intitulé Identifier 028, qui visait à établir les tarifs.

[9] Pendant l’audience et un peu avant, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a présenté plusieurs arguments qui, selon le défendeur, n’avaient jamais été avancés auparavant. Il a invoqué des clauses de la convention collective qui n’avaient pas été mentionnées auparavant et il a soutenu que la pratique antérieure des parties était enchâssée dans la convention collective, que la direction avait exercé ses droits résiduaires de façon déraisonnable, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à une réparation en vertu de la doctrine de l’enrichissement injustifié ou du quantum meruit, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été victime de discrimination fondée sur la situation de famille et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à des dommages-intérêts additionnels qui n’étaient pas indiqués dans son grief.

[10] Le défendeur a soulevé de nombreuses objections préliminaires. S’appuyant sur l’arrêt Burchill c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), il a allégué que les nouveaux arguments du fonctionnaire s’estimant lésé constituaient de nouveaux griefs et qu’ils devaient donc être rejetés. Subsidiairement, il a affirmé que les nouveaux griefs étaient hors délai. Il a également allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité pour déposer le grief et que la Commission n’avait pas compétence pour appliquer indépendamment la doctrine du quantum meruit ou pour examiner l’exercice des droits de la direction par le défendeur.

[11] Le défendeur n’a soulevé aucune objection relativement au non-respect des délais pour le dépôt du grief. Toutefois, il a fait valoir que, puisque le grief était de nature continue, toute réparation devrait se limiter aux 25 jours précédant le dépôt du grief.

[12] Pour les motifs qui suivent, le grief sera rejeté.

II. Résumé des éléments de preuve pertinents

[13] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné pour son propre compte. Le défendeur a fait témoigner Paul Barrett, Nathan Webb et Steve James.

[14] M. Barrett a été superviseur de l’exploitation des phares de 2015 à 2017. Il supervisait 27 GPP répartis dans plusieurs stations de phare et était le superviseur immédiat du fonctionnaire s’estimant lésé lorsque le grief a été déposé. M. Barrett a remplacé Glenna Evans à ce poste. Cette dernière n’a pas été appelée à témoigner, mais elle est mentionnée dans la preuve, car elle était la superviseure du fonctionnaire s’estimant lésé pendant la période pertinente s’étendant de 2010 à 2015.

[15] M. Webb a travaillé au sein des Opérations de la Garde côtière canadienne et a été l’agent responsable du programme d’ESC de 2011 à 2017. Le fonctionnaire s’estimant lésé et lui n’avaient pas de rapports hiérarchiques, mais ils ont communiqué ensemble à quelques reprises en raison de la présence de membres d’équipage d’ESC à la station de phare.

[16] M. James a été gestionnaire de production au sein de la division Infrastructure maritime du défendeur de 2013 à 2019. Il était chargé de superviser les projets de maintenance des infrastructures. Son équipe, composée de manœuvres et de gens de métier, était chargée de l’entretien et de la réparation des aides à la navigation fixes et flottantes. Il a témoigné au sujet des logements mis à leur disposition dans les stations de phare dans le cadre de ces projets.

A. La station de phare

[17] Ce phare est l’un des 26 phares gardés de la côte Ouest du Canada. Cette station de phare comprend un certain nombre de structures, dont deux maisons au sommet de l’île et un quai pour les bateaux au pied de l’île. Ils sont reliés par un chariot de transport de marchandises qui monte et descend la colline et dont le fonctionnement est assuré par les gardiens de phare.

[18] Il s’agit également d’un site historique national, d’une réserve autochtone et d’un belvédère sur un sentier de randonnée. Chaque été, l’île accueille des centaines de visiteurs, qui arrivent par bateau ou par voie terrestre.

B. Les antécédents professionnels du fonctionnaire s’estimant lésé et ses responsabilités en tant que gardien de phare

[19] Le fonctionnaire s’estimant lésé a commencé à travailler comme gardien de phare de relève en 2003. En janvier 2006, il est devenu le GPA de ce phare. Il vivait toute l’année sur l’île avec son épouse, qui était gardienne de phare de relève dans la région. Ils résidaient dans l’une des deux maisons disponibles. Le GPP a occupé l’autre maison jusqu’à sa retraite en janvier 2009. Le fonctionnaire s’estimant lésé est alors devenu le GPP et son épouse est devenue la GPA. En conséquence, l’une des deux maisons est devenue vacante.

[20] Il a témoigné que, lorsque le GPP a pris sa retraite, ils étaient censés emménager dans sa maison, mais que cela n’était pas logique, alors la maison du GPP est devenue celle du GPA.

[21] Il a déclaré avoir acheté les meubles du GPP à son départ et avoir meublé le reste de la maison avec des lits, afin de s’assurer que les gardiens de phare de relève disposent d’un endroit où loger. Un acte de vente a été produit comme preuve à l’appui. Cependant, MM. James et Barrett ont tous deux témoigné qu’ils n’étaient pas au courant.

[22] M. Barrett a déclaré qu’il incombait au défendeur, et non au GPP, de meubler la maison de réserve. Lors du contre-interrogatoire, il a souscrit à l’affirmation de l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle si le fonctionnaire s’estimant lésé avait meublé la maison, cela aurait probablement été plus cohérent avec le fait qu’il s’agissait de la maison du GPA. Toutefois, lors du réinterrogatoire, il a déclaré qu’il ne pensait pas que le fait de placer des meubles dans l’habitation de réserve en faisait une habitation de GPA.

[23] Les témoins ont reconnu que les habitations des stations de phare ne sont pas formellement désignées comme des logements de GPP ou de GPA et qu’il y a parfois une troisième habitation, appelée la maison « des membres d’équipage » ou « de réserve ». M. Barrett a témoigné que l’une des stations de phare ne comportait qu’une seule maison, que le GPP et le GPA devaient partager.

[24] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il travaillait de manière indépendante et qu’il s’occupait lui-même de ses affaires. Il communiquait avec ses supérieurs surtout par courriel ou par téléphone. Il voyait son superviseur environ une fois par année, ou plus souvent s’il avait besoin de prendre un congé. M. Barrett a confirmé que les gardiens de phare travaillaient de manière indépendante.

[25] En ce qui concerne ses fonctions, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il était chargé d’émettre des bulletins météorologiques pour les navigateurs à toutes les trois heures et de communiquer d’autres observations et rapports scientifiques. Il était également chargé de l’entretien général des lieux, notamment de la peinture et du lavage des bâtiments, du jardinage, de la tonte du gazon, du déneigement, de la vidange d’huile des génératrices et du bon fonctionnement du chariot.

[26] Il a déclaré que son épouse et lui travaillaient par rotation de quarts de travail de 12 heures et qu’ils étaient les yeux et les oreilles de la station de phare. Ils surveillaient la radio 24 heures par jour, sept jours par semaine, et ils répondaient parfois à des appels de détresse. Il a affirmé qu’ils ont fait preuve d’un dévouement exemplaire. Il ressort clairement de son témoignage qu’il était très fier de son travail et qu’il traitait la station de phare comme si elle lui appartenait.

C. Le programme d’embarcations de sauvetage côtier

[27] M. Webb a témoigné qu’il était responsable du programme d’ESC, qui consistait en quatre stations temporaires de la Garde côtière mises en place pour gérer l’augmentation de la circulation de bateaux pendant les mois d’été. Chaque station temporaire servait à loger deux équipages de trois personnes en rotation, composés d’un patron d’embarcation et de deux étudiants d’été. Les patrons d’embarcation relevaient directement de lui. Ces équipages d’ESC se succédaient en rotation à toutes les deux semaines. Les membres d’équipage d’ESC de Nootka étaient les seuls à cohabiter dans une station de phare. Tous les autres membres d’équipage d’ESC étaient hébergés dans des logements loués, appartenant à des particuliers.

[28] Il a affirmé que les membres d’équipage d’ESC étaient assujettis à l’appendice G de la convention collective, qui visait les équipages de navires. Lorsqu’ils étaient hébergés à la station de phare, les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas considérés comme en déplacement.

[29] Les membres d’équipage d’ESC étaient responsables du nettoyage de leur logement. À la fin de la saison, le dernier équipage d’ESC était chargé de laisser les lieux dans le même état qu’ils avaient été trouvés. Il incombait au capitaine d’embarcation de veiller à ce que cela soit fait. Plusieurs documents confirmant les responsabilités des membres d’équipage d’ESC en matière de nettoyage ont été déposés en preuve. Chaque membre d’équipage d’ESC a reçu une copie de ces consignes lors de sa formation, et une liste de vérification devait être remplie à la fin de chaque rotation de deux semaines pour confirmer que cela avait été fait.

D. La présence de membres d’équipage d’ESC au phare avant 2010

[30] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que les membres d’équipage d’ESC avaient été hébergés à la station de phare pendant deux saisons estivales avant son arrivée en 2006. Ces étés-là, le GPA avait déménagé dans une station de phare située à proximité, à la pointe Estevan. Il a déclaré avoir obtenu l’assurance, avant d’accepter le poste de GPA, que son épouse et lui n’auraient pas à déménager de l’île pendant la saison estivale pour répondre aux besoins du programme d’ESC.

E. La présence de membres d’équipage d’ESC de 2010 à 2015

[31] En 2010, le défendeur a décidé d’utiliser la maison vacante de la station de phare pour loger les membres d’équipage d’ESC pendant les mois d’été. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que John Palliser, alors gestionnaire responsable du programme d’ESC et prédécesseur de M. Webb, était allé au phare pour l’informer de cette décision. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il était d’accord avec cette décision parce qu’il était un homme d’affaires et qu’elle lui paraissait logique. Il a déclaré que M. Palliser avait remarqué que le quai n’était pas adéquat pour l’équipage d’ESC et qu’il avait promis de le remplacer et de réaménager la deuxième maison avec de nouveaux meubles. Cependant, le quai n’a pas été réparé et il est devenu un sujet de mécontentement à partir de ce moment-là. Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé qu’il n’avait été réparé qu’après son départ en 2016.

[32] M. Webb a déclaré que le défendeur avait meublé la maison avec des lits et des commodes et l’avait équipée avec du linge de maison, des casseroles et des poêles avant l’arrivée des membres d’équipage d’ESC en 2010. De plus, il avait remplacé les canapés qui étaient usés. Il a ensuite remplacé la laveuse, la sécheuse et le réfrigérateur. À la fin de chaque saison, les membres d’équipage d’ESC laissaient tout le linge de maison, toute la vaisselle et tous les meubles pour que les entrepreneurs ou les gens de métier puissent les utiliser pendant la saison morte du programme d’ESC.

[33] En ce qui concerne les consignes ou les directives sur la façon de traiter l’équipage d’ESC, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il n’en avait reçu aucune, si ce n’est qu’on lui avait dit qu’il n’avait rien à voir avec le programme d’ESC.

[34] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que, après la retraite de M. Palliser en 2011 ou 2012, il voyait M. Webb une fois par année, au début de la saison, pour une inspection du site. Il a déclaré que M. Webb faisait l’inventaire du mobilier et vérifiait si l’Internet et les ordinateurs fonctionnaient. Le fonctionnaire s’estimant lésé partageait ses services d’Internet et de télévision par câble avec les membres d’équipage d’ESC pendant les saisons estivales, et le défendeur lui remboursait la moitié des frais. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il n’était pas tenu de partager ces services, mais qu’il avait choisi de le faire.

[35] De nombreux éléments de preuve ont été présentés au sujet de la vie quotidienne et des relations de travail entre le fonctionnaire s’estimant lésé, son épouse et les membres d’équipage d’ESC. Je ne les ai pas reproduits, car ils ne sont pas pertinents aux fins de ma décision dans le présent cas. Il suffit de dire que le fonctionnaire s’estimant lésé a parlé d’une relation généralement positive, mais qui s’est détériorée à la fin de la saison 2015, lorsque les membres d’équipage d’ESC ont laissé la maison dans un état de malpropreté qu’il considérait comme inacceptable.

[36] Il a également parlé des tâches supplémentaires qui lui étaient demandées, comme le fait de devoir consacrer une journée à toutes les deux semaines pour monter et descendre la colline avec les affaires des membres d’équipage d’ESC dans le chariot lors des changements d’équipage, ce que M. Barrett a contesté. Il a affirmé que cela n’aurait probablement pris qu’une heure au fonctionnaire s’estimant lésé. Toutefois, il a également reconnu qu’il n’en avait pas une connaissance directe et qu’il s’était exprimé seulement d’après son expérience générale. Il a affirmé que les tâches liées au chariot étaient les seules tâches supplémentaires demandées aux gardiens de phare en raison du programme d’ESC.

[37] Toutefois, M. Barrett a ajouté que la présence des membres d’équipage d’ESC entraînait une perte d’intimité pour les gardiens de phare dans le présent cas, étant donné que l’île est petite. Si un équipage d’ESC avait été chargé d’une mission en pleine nuit, il aurait sans nul doute dérangé les gardiens de phare en raison du bruit.

[38] M. Webb a également témoigné que la relation avait toujours été cordiale et qu’il n’avait pas eu connaissance d’un problème avant la fin de l’année 2015.

F. Identifier 028

[39] L’Identifier 028 a été déposé en preuve. Le document est daté du 3 mai 2016. Cependant, les témoins ont reconnu qu’il devait exister avant cette date. Les surintendants du Programme des aides maritimes et de l’Infrastructure maritime et civile l’ont signé. Personne n’a pu dire quelles modifications avaient été apportées à ce document, le cas échéant, le 3 mai 2016 ou avant.

[40] Il renvoyait à la clause 5.05 de l’appendice F de la convention collective et prévoyait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

4. Conformément à la clause 5.05 de l’appendice F de la convention collective des Services de l’exploitation, « L’Employeur et l’Alliance admettent le principe d’exiger des visiteurs en position de déplacement des frais pour les repas et les locaux de couchage fournis par le gardien de phare. » Les deux (2) parties se consulteront sur la question des taux à appliquer. »

Après consultation, les tarifs à payer au personnel du phare pour l’entretien et la maintenance des logements de réserve lorsque des invités y passent la nuit ont été fixés à :

•10,00 $ par nuit, par personne, dans le logement de réserve;

•20,00 $ par nuit dans le logement des gardiens de phare.

a. Le paiement est versé aux gardiens de phare avant que le visiteur ne quitte le phare.

5. Toutes les personnes qui utilisent la maison de réserve sont tenues de payer les 10,00 $ par nuit, à l’exception des gardiens de phare de relève. Les gardiens de phare de relève sont responsables de l’entretien et de la maintenance du logement de réserve pendant qu’ils l’occupent.

6. Le personnel du phare devra assurer la maintenance de la façon suivante dans les logements de réserve :

a. Le logement sera inspecté avant l’arrivée des visiteurs et préparé pour l’occupation – il sera propre et aéré.

b. De la literie fraîche sera fournie pour les lits au début du séjour, puis à tous les 5 jours pendant l’occupation.

c. Les planchers seront balayés et lavés (tous les deux jours).

d. La salle de bain sera nettoyée (tous les deux jours);

e. Le four sera nettoyé à la fin de chaque séjour.

f. Le réfrigérateur sera nettoyé à la fin du séjour.

i. Si les équipes des STI retournent au phare pour terminer un travail, les produits congelés, les produits secs et les condiments peuvent être laissés sur place et ne seront pas jetés.

g. Les fenêtres seront lavées à la fin de chaque séjour.

h. Le matelas sera retourné à la fin de chaque séjour.

7. On attend des personnes qui utilisent le logement qu’elles respectent les règles suivantes :

a. Veiller à ce que les SNM soient informés de la date de leur arrivée afin que les gardiens de phare puissent préparer le logement.

b. Chaque personne est responsable de laver sa vaisselle.

c. Chaque personne est responsable de laver ses propres vêtements.

d. Les lits seront défaits et la literie sera prête à être lavée par le gardien de phare. De la literie propre sera fournie pour que les personnes puissent refaire leur propre lit.

e. Les ordures et les matières recyclables seront séparées et mises en sac pour que le gardien de phare puisse les mettre au rebut.

f. Le logement doit être maintenu en bon état de propreté pendant le séjour et laissé en bon état de propreté avant le départ.

i. Si des objets sont laissés sur le sol le jour où le gardien de phare vient faire le ménage, ils ne seront pas ramassés; le gardien de phare balaiera ou passera l’aspirateur autour des objets personnels de la personne.

g. Conformément à la politique du gouvernement fédéral sur l’« interdiction de fumer », les logements de réserve seront non-fumeurs; de plus, il n’y aura pas d’animaux dans la résidence.

8. Il est prévu que tout manquement concernant l’état des logements ou le respect des responsabilités individuelles mentionnées dans la présente procédure soit discuté à la station et résolu à la satisfaction des deux parties d’une manière professionnelle. Si toutefois une mesure corrective appropriée ne peut être déterminée, les problèmes seront transmis aux superviseurs respectifs pour suivi et résolution rapide.

[…]

 

G. La demande de paiement initiale du fonctionnaire s’estimant lésé

[41] Le 28 mai 2015, le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé un courriel à Mme Evans, la prédécesseure de M. Barrett. Il l’a informée qu’il avait appris qu’il devait facturer les membres d’équipage d’ESC pendant leur séjour à la station de phare [traduction] « conformément à l’Identifier 028 du manuel des politiques », qui prévoyait que [traduction] « [t]outes les personnes » devaient payer la nuitée. Il a témoigné que son agent négociateur et plusieurs autres gardiens de phare avaient porté ce fait à son attention.

[42] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il avait tenté d’obtenir une indemnisation avant le 28 mai 2015, mais que Mme Evans n’avait rien pu faire. Il a également affirmé que personne, pas même son agent négociateur, ne lui avait dit qu’il devrait déposer un grief.

[43] Le 4 juin 2015, Mme Evans lui a répondu par courriel. Elle a rejeté sa demande. Elle a déclaré : [traduction] « Les habitations des stations de phare sont des logements fournis par l’État et, par conséquent, la direction se réserve le droit d’attribuer les logements à cette fin. » Elle a ajouté : [traduction] « Il ne s’agit pas de frais de location; ces frais sont plutôt considérés comme une allocation qui est destinée à dédommager les gardiens de phare en contrepartie de l’obligation d’effectuer tout le nettoyage du logement conformément à la procédure relative à la station de phare ci-jointe. » Elle a affirmé que, étant donné qu’il n’était pas responsable du nettoyage, il ne pouvait pas facturer le tarif quotidien par personne.

[44] Bien que le courriel renvoie à une pièce jointe (à savoir la procédure relative à la station de phare), celle-ci n’a pas été déposée en preuve. Cependant, il est raisonnable de supposer qu’elle faisait référence à l’Identifier 028, puisqu’il était intitulé « Lightstation Procedures Manual » (manuel des procédures relatives aux stations de phare), et qu’il décrivait les tâches de nettoyage attendues d’un gardien de phare en contrepartie des frais de nuitée.

[45] Le fonctionnaire s’estimant lésé a exprimé son désaccord dans sa réponse du 7 juin 2015. Il a déclaré que, à son avis, l’habitation de réserve était celle de son épouse, en tant que GPA, et qu’une maison de GPA était nécessaire au cas où il devrait s’absenter et qu’un gardien de relève soit envoyé sur l’île. Il a déclaré que son épouse et lui ne faisaient pas le ménage quotidiennement pour les membres d’équipage d’ESC, mais qu’ils effectuaient un nettoyage en profondeur avant l’arrivée d’un équipage d’ESC et après son départ. En ce qui concerne le temps passé à nettoyer la deuxième maison, il a témoigné que cela dépendait de différentes choses et que, parfois, cela pouvait durer plusieurs jours si les membres d’équipage d’ESC avaient laissé un désordre épouvantable. Cependant, il a déclaré qu’il fallait généralement une journée pour bien nettoyer l’endroit.

[46] S’appuyant sur sa description de poste, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que le travail requis pour s’occuper des membres d’équipage d’ESC ne faisait pas partie des tâches d’un gardien de phare et qu’il était le seul gardien de phare à devoir s’en occuper.

[47] Dans son courriel du 7 juin 2015, le fonctionnaire s’estimant lésé a également déclaré que, puisque l’habitation n’était plus considérée comme la maison du GPA, son épouse et lui enlèveraient tous leurs meubles et ne fourniraient plus de services d’Internet et de télévision par câble aux membres d’équipage d’ESC. Il a témoigné qu’il avait débranché le service d’Internet et que le défendeur l’avait remplacé dès le lendemain.

[48] Le 19 novembre 2015, l’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé un courriel à Mme Evans pour l’informer qu’elle retournerait vivre dans la maison du GPA après leurs vacances. Toutefois, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que, par la suite, ils ont décidé de ne pas le faire, car cela aurait aggravé la situation.

[49] Le 28 novembre 2015, le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé un courriel à Mme Evans, afin de donner des renseignements supplémentaires que le défendeur pourrait prendre en compte lors d’une rencontre prévue la semaine suivante entre Mme Evans, M. Webb et d’autres représentants patronaux. Le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit qu’on lui avait dit à plusieurs reprises qu’il n’avait rien à faire pour les membres d’équipage d’ESC, car il s’agissait d’une entité distincte. Cependant, son épouse et lui effectuaient un nettoyage en profondeur avant l’arrivée et le départ de chaque équipage d’ESC à chaque saison estivale. Il a répété qu’il demandait [traduction] « […] les 10 $ par nuit, par personne, qui sont accordés à tous les autres gardiens de phare qui ont des visiteurs à la station ».

[50] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il se souvenait vaguement de ce courriel. Il a déclaré qu’il pensait que cela avait rapport avec la fois en 2015 où des membres d’équipage d’ESC avaient laissé la maison dans un désordre absolu. Lors du contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il avait alors appelé son superviseur, qui lui avait répondu que le défendeur enverrait une équipe de nettoyage pour nettoyer les lieux. Il a affirmé qu’il trouvait que cela n’avait aucun sens, car l’envoi de cette équipe de nettoyage aurait coûté 20 000 $. Il a déclaré que son épouse et lui avaient décidé de nettoyer les lieux. Il a ajouté qu’ils avaient dû le faire parce qu’un gardien de phare de relève arrivait le lendemain. Lorsqu’on lui a demandé s’il s’agissait du même désordre qui, selon lui, avait nécessité trois jours de nettoyage, il a répondu qu’il avait commencé à nettoyer les lieux le soir précédent et que son épouse et lui avaient terminé le nettoyage ensemble le lendemain.

[51] M. Webb a déclaré qu’il n’avait pas été informé du désordre à ce moment-là, mais qu’il aurait renvoyé l’équipage d’ESC pour nettoyer les lieux s’il l’avait su. Il a affirmé ne l’avoir appris que le 29 septembre 2016, lorsqu’il a été mis en copie conforme d’un courriel de l’agent négociateur du fonctionnaire s’estimant lésé qui en parlait. Il a déclaré que, faute d’avoir été informé, l’équipage d’ESC n’avait pas eu la possibilité de rectifier le tir.

H. La décision du fonctionnaire s’estimant lésé de déposer un grief

[52] Le 21 avril 2016, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief. Il a témoigné qu’il l’avait fait après que M. Barrett eut visité le phare. Il a affirmé avoir dit à M. Barrett qu’il s’excusait, mais qu’il avait une tonne de problèmes à régler. Il lui a ensuite fait faire le tour de l’île et lui a montré tous les problèmes. Il a déclaré que M. Barrett lui avait répondu qu’il devrait déposer un grief.

[53] M. Barrett a confirmé être allé au phare. Il a déclaré que M. Webb, l’un des patrons d’embarcation pour cette saison, et un représentant de l’agent négociateur étaient également présents. Il a déclaré qu’ils avaient tous rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé et que celui-ci leur avait fait visiter l’île et leur avait fait part de toutes ses préoccupations. M. Barrett a indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé était visiblement bouleversé, fumait beaucoup, parlait fort et semblait stressé. Il a déclaré que la principale préoccupation du fonctionnaire s’estimant lésé était la perte d’intimité puisque son épouse et lui étaient habitués au calme et devaient se lever à 3 heures du matin; il voulait donc s’assurer que les membres d’équipage d’ESC en tiennent compte et réduisent le niveau de bruit. M. Barrett a affirmé être d’avis qu’il s’agissait d’une préoccupation légitime.

[54] M. Barrett a été renvoyé à un rapport rédigé par un enquêteur le 18 septembre 2017, qui portait sur les questions soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé. Il indique que la rencontre a eu lieu le 17 avril 2016 et que le fonctionnaire s’estimant lésé a informé M. Barrett de son mauvais état de santé et du fait qu’il se mettrait probablement en congé de maladie si les équipages d’ESC retournaient au phare pour la saison estivale 2016. M. Barrett a confirmé que le rapport reflétait fidèlement les faits tels qu’il s’en souvenait.

[55] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé en preuve une chronologie des faits rédigée par son épouse. Elle est datée du 25 mai 2016 et fournit un compte rendu de certains des faits qui se sont produits à l’époque. Elle indique qu’il a décidé de déposer le grief à son retour de vacances, car il avait conclu qu’il s’agissait du seul moyen de remédier à la situation. Elle indique également que M. Barrett a visité le phare le 17 avril 2016.

[56] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que, selon la norme acceptée qui est évoquée dans son grief, si quelqu’un séjournait dans la maison d’un GPA, il payait 10 $ par nuit, et s’il séjournait dans la maison d’un GPP, il payait 20 $ par nuit. Lorsqu’on lui a demandé comment il avait eu connaissance de ces montants, il a répondu que c’était en lisant l’Identifier 028 et parce que son agent négociateur le lui avait dit.

[57] En contre-interrogatoire, M. Barrett a confirmé que le contenu du grief reflétait les points soulevés par le fonctionnaire s’estimant lésé lors de sa visite.

I. La pratique antérieure

[58] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il avait facturé 20 $ par nuit à plusieurs reprises au fil des ans lorsque d’autres visiteurs, qui n’étaient pas des membres d’équipage d’ESC, étaient hébergés à la station de phare. Il a déclaré ne pas avoir demandé la permission; il l’a tout simplement fait. Il a affirmé qu’il ne faisait pas le ménage quotidiennement, car la plupart d’entre eux ne voulaient pas qu’il fouille dans leurs affaires, et qu’il le faisait donc généralement à la fin de leur séjour.

[59] À titre d’exemple, il a indiqué qu’une équipe de maintenance composée d’entrepreneurs était restée quatre mois en 2014 ou 2015 dans le cadre d’un vaste projet de désamiantage du phare. Il a affirmé qu’il leur avait fourni du linge de maison frais à chaque semaine et qu’il leur avait offert de balayer le plancher à tous les jours, mais qu’ils n’avaient pas voulu.

[60] Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il avait fait pour vérifier si cette équipe était en déplacement, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’il n’avait jamais entendu parler de cette exigence auparavant. Il a affirmé que la Garde côtière avait imaginé cette exigence après coup. À sa connaissance, toutes les personnes qui se rendaient à son phare étaient en déplacement.

[61] M. James a confirmé que les membres de ses équipes de maintenance séjournaient aux stations de phare lorsqu’ils travaillaient sur des projets d’infrastructure. Il a témoigné que, selon la Directive sur les voyages du Conseil national mixte, ils étaient considérés en déplacement lorsqu’ils travaillaient sur ces projets, étant donné qu’ils se trouvaient à plus de 16 km de leur lieu de travail.

[62] Il a déclaré qu’ils payaient 10 $ par nuit s’ils étaient hébergés dans une habitation de réserve, ou 20 $ par nuit s’ils devaient partager un logement avec un gardien de phare et dormir dans une chambre de réserve. Il a également décrit d’autres occasions où le GPA s’installait dans la maison du GPP pour libérer la deuxième maison; ils payaient également 20 $ par nuit. Il a déclaré que le paiement était versé au GPP, mais qu’il ne savait pas s’il était ensuite partagé avec le GPA.

[63] M. James a indiqué que, parfois, un gardien de phare pouvait être envoyé dans un hôtel voisin, afin de libérer de l’espace pour une équipe de maintenance.

[64] M. Barrett a témoigné que, en 2015, 11 des phares avaient des couples GPP-GPA similaires, ce qui avait créé la même situation où les équipes de maintenance pouvaient utiliser des logements de réserve, plutôt que de devoir rester avec un gardien de phare.

[65] M. James a témoigné que le séjour d’une équipe d’entretien dans une maison durait généralement au maximum deux semaines, mais qu’il pouvait exceptionnellement durer trois semaines. Il a affirmé que plusieurs petits projets étaient regroupés afin de rendre les déplacements plus efficaces. M. Barrett a confirmé que les équipes de maintenance ne restaient généralement que pour de courtes périodes. Leur présence aux phares était assez courante. Parfois, des équipes spécialisées étaient nécessaires, de sorte que des entrepreneurs étaient également hébergés dans les stations de phare. Ils payaient 10 $ par nuit. Il n’était pas au courant s’ils étaient en déplacement, mais il a dit que c’était probablement indiqué dans leurs contrats. Aucun contrat à cet effet n’a été déposé en preuve.

[66] M. James a témoigné que les membres de ses équipes de maintenance logeaient dans l’habitation de réserve de la station de phare pendant la saison morte du programme d’ESC et qu’ils payaient le fonctionnaire s’estimant lésé. Il a affirmé qu’ils auraient dû payer 10 $ par nuit et que s’ils avaient été facturés 20 $ par nuit, ce n’était pas correct.

[67] MM. James et Barrett ont témoigné que les équipes de maintenance ont effectué des paiements conformément à la clause 5.05 et aux tarifs établis dans l’Identifier 028. Ils ont tous deux reconnu que cette règle ne s’appliquait pas aux membres d’équipage d’ESC, car ils n’étaient pas en déplacement lorsqu’ils se trouvaient au phare et qu’ils étaient censés s’occuper eux-mêmes du nettoyage.

J. Les faits postérieurs au grief

[68] Le 3 mai 2016, MM. Barrett et Webb ont conclu un protocole d’entente (le « protocole ») afin de clarifier les responsabilités du fonctionnaire s’estimant lésé et des membres d’équipage d’ESC à la station de phare. Leurs surintendants respectifs l’ont signé. Le protocole visait à répondre aux préoccupations que le fonctionnaire s’estimant lésé avait soulevées dans son courriel du 28 novembre 2015 qui était adressé à Mme Evans. En termes d’indemnisation, il prévoyait que chaque membre d’équipage d’ESC paierait des frais de 10 $ par nuit, par personne (140 $ par déploiement, par personne), pour l’hébergement et le nettoyage, payables à la fin de chaque rotation d’équipage d’ESC. Il a précisé que les tâches de nettoyage et d’entretien de la deuxième habitation étaient celles énumérées dans l’Identifier 028.

[69] Lors de son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas indiqué clairement s’il avait reçu une copie du protocole; toutefois, M. Barrett a témoigné qu’il avait fourni une copie au fonctionnaire s’estimant lésé après la signature du protocole.

[70] Au cours de son contre-interrogatoire, il a été demandé au fonctionnaire s’estimant lésé s’il se souvenait que son agent négociateur n’était pas d’accord avec lui à ce sujet. Il a répondu qu’il n’en avait pas eu connaissance, mais que son agent négociateur lui avait dit que son épouse et lui s’étaient transformés en domestiques.

[71] MM. Barrett et Webb ont tous deux témoigné que le protocole visait à répondre aux préoccupations soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé. Toutefois, par la suite, leurs directions respectives les ont informés qu’ils avaient outrepassé leurs pouvoirs et qu’ils n’étaient pas autorisés à signer le protocole, car il contrevenait à la convention collective. Par conséquent, il n’a jamais été appliqué. C’est également ce qui ressortait du rapport d’enquête daté du 18 septembre 2017.

[72] M. Barrett a déclaré que le protocole a été rédigé en même temps que l’Identifier 028. Il a déclaré que les auteurs s’y référaient dans leur protocole puisque la direction avait approuvé l’Identifier 028. Il a affirmé que la raison pour laquelle ils avaient inclus le paiement de 10 $ par jour dans le protocole était pour être gentils et pour régler les problèmes soulevés. Il a déclaré que l’autre grand changement consistait à rendre les gardiens de phare responsables du nettoyage, car autrement ce rôle incombait aux membres d’équipage d’ESC.

[73] En contre-interrogatoire, M. Barrett a reconnu que l’Identifier 028 existait probablement avant avril 2016. Il a affirmé qu’il n’était pas au courant des modifications qui y avaient été apportées le 3 mai 2016, ni de la raison pour laquelle les modifications dataient du même jour que le protocole. Il a déclaré qu’il n’avait pas participé à la modification de l’Identifier 028 puisqu’il s’agissait d’une politique relative aux stations de phare et qu’il ne faisait pas partie de cette organisation.

[74] M. Barrett a déclaré que, par naïveté, il n’avait pas inclus l’agent négociateur dans la préparation du protocole et que, à l’époque, il n’avait pas pris en compte l’incidence que cela aurait sur toutes les autres stations à travers le pays. Il a affirmé que leur unique préoccupation était la satisfaction de tout le monde au phare.

[75] M. Barrett a affirmé qu’il ne se souvenait pas du moment où on lui avait dit que le protocole ne serait pas appliqué. Il a supposé que c’était à un moment donné avant le début de la saison du programme d’ESC. Il a déclaré que, comme il n’avait jamais été mis en application, il n’existait pas non plus de document le révoquant.

[76] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que le défendeur croyait qu’il était opposé à ce que les membres d’équipage d’ESC soient hébergés à la station de phare. M. Barrett a confirmé que c’était ce qu’il avait compris en 2016. Cependant, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que ce n’était pas le cas. Il a dit que c’était à ce moment-là que toutes les médisances avaient commencé et que le milieu de travail était devenu toxique pour son épouse et lui. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il avait envisagé de déposer une plainte en vertu de la politique du défendeur en matière de harcèlement, il a répondu qu’il ne voulait même pas déposer le grief, mais que rien n’avait été résolu et que M. Barrett lui avait dit qu’il devrait en déposer un.

[77] Le 20 mai 2016, le fonctionnaire s’estimant lésé et son épouse ont pris un congé de maladie. Il a témoigné que le stress et l’anxiété étaient devenus insupportables, alors ils sont partis.

[78] Une copie expurgée d’un rapport d’examen administratif a été déposée en preuve avec le consentement des parties. D’après celui-ci, à la fin du mois de juin 2016, le directeur de la Direction générale des programmes de la Garde côtière a décidé qu’un examen administratif était nécessaire afin de se pencher sur les préoccupations que le fonctionnaire s’estimant lésé et son agent négociateur avaient soulevées au sujet des problèmes présents à la station de phare.

[79] Le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé qu’il était au courant. Lorsqu’on lui a demandé quelle avait été sa participation, il a répondu ceci : [traduction] « Zéro. J’ai eu un entretien d’une demi-heure. C’est tout. »

[80] Le fonctionnaire s’estimant lésé et son épouse ne sont jamais retournés au phare et, depuis, ont pris leur retraite.

K. La défense à l’encontre du grief

[81] Dans une réplique au deuxième palier non datée, le grief a été rejeté au motif que la convention collective prévoyait une indemnisation seulement lorsque les visiteurs étaient en déplacement. La réplique indiquait que, étant donné que les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas en déplacement, aucune indemnité n’était justifiée. Elle ajoutait ceci :

[Traduction]

[…]

[…] Cependant, je reconnais que la clarté est nécessaire pour gérer la coexistence entre les membres d’équipage d’ESC et vous-même pendant leur déploiement à la station de phare. Je recommande que la direction vous fournisse, ainsi qu’aux membres d’équipage d’ESC, des instructions claires et explicites relativement aux services et à l’environnement de travail en général. Les instructions fournies et les mécanismes permettant de les mettre en application doivent être utilisés sans enfreindre ou modifier le libellé de la convention collective existante ou les politiques applicables.

[…]

 

[82] Une audience au troisième palier a eu lieu le 27 octobre 2017. Dans sa réplique au dernier palier datée du 3 avril 2018, le défendeur a réitéré sa position selon laquelle aucune indemnité n’était due, car les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas en déplacement. Il a ajouté ce qui suit : [traduction] « Lorsque les [membres d’équipage] d’ESC sont déployés au phare de Nootka, ils n’ont pas droit au remboursement de leurs dépenses au titre de la Directive sur les voyages et ne le réclament pas non plus. Leur hébergement, dans un bâtiment appartenant au Ministère, et leurs repas sont pris en charge par [le défendeur]. »

III. Résumé de l’argumentation

A. Les observations du fonctionnaire s’estimant lésé

[83] Le fonctionnaire s’estimant lésé demande une indemnité de 20 $ par jour, par personne, pour chaque jour où les membres d’équipage d’ESC ont été hébergés à la station de phare de 2010 à 2015. En outre, il demande une indemnisation au titre des articles 53(2)e) et 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; la « LCDP ») d’un montant de 10 000 $ pour préjudice moral et de 10 000 $ pour un acte discriminatoire délibéré et inconsidéré. Un certain nombre d’arguments ont été avancés à l’appui de ces allégations. Ces arguments sont résumés ci-dessous.

1. Allégation de contravention à l’appendice F et à une pratique antérieure

[84] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le défendeur avait enfreint l’appendice F. Il a allégué qu’il existait une pratique antérieure qui exigeait que les nuitées passées dans les stations de phare soient payées aux gardiens de phare par tous les visiteurs sauf les gardiens de phare de relève. Il a allégué que cette pratique était enchâssée dans la convention collective et que j’avais compétence pour la faire appliquer.

[85] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fondé son argument sur les principes selon lesquels les conventions collectives doivent être interprétées « […] dans l’ensemble de leur contexte, dans leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie avec l’économie générale de l’accord, son objet et l’intention des parties » (voir Communication, Energy and Paperworkers Union, Local 777 v. Imperial Oil Strathcona Refinery, [2004] A.G.A.A. No. 44 (QL), cité dans Genest c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 31, au par. 51). Lors de la recherche de l’intention des parties, la règle cardinale est que les parties sont présumées avoir voulu dire ce qu’elles ont dit.

[86] Si les mots sont susceptibles de donner lieu à deux interprétations, la plus raisonnable, celle qui assure un résultat équitable, doit prévaloir; et un arbitre ne peut pas ajouter ou supprimer des mots dans une convention collective (voir Allen c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 76).

[87] Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est appuyé sur la clause 5.05 et l’annexe C de l’appendice F. Il a reconnu que la clause 5.05 mentionnait des « visiteurs en position de déplacement »; toutefois, il a souligné que l’annexe C garantissait le maintien des pratiques antérieures en matière de logement et de services. Il a allégué qu’il était nécessaire de prendre en compte l’Identifier 028, qui exigeait un paiement de la part de tous les visiteurs, pour interpréter la clause 5.05 et l’annexe C.

[88] Il a fait valoir que le logement des gardiens de phare fait partie intégrante de leur rémunération. Cette situation est illustrée par le traitement réservé aux gardiens de phare en rotation, qui reçoivent environ 90 % du salaire annuel d’un gardien de phare travaillant toute l’année, alors qu’ils ne travaillent que 50 % du temps et qu’ils ne bénéficient pas d’un logement permanent. Il a fait valoir que cela permettait de penser que le fait de disposer d’un logement constituait un avantage d’indemnisation considérable.

[89] À la lumière de cette interprétation, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que la clause 5.05 et l’annexe C étayaient la thèse selon laquelle les gardiens de phare avaient un intérêt possessoire sur leur habitation et avaient le droit de faire payer les visiteurs pour son utilisation. En outre, le défendeur avait un droit de propriété sur l’habitation, en tant que propriétaire. La clause 5.05 prévoyait un processus de consultation pour déterminer les tarifs à facturer aux visiteurs en déplacement, afin de trouver un équilibre entre le droit des gardiens de phare de contrôler l’utilisation de leur habitation et l’intérêt du défendeur à limiter les coûts y afférents lorsqu’il logeait d’autres employés dans cette habitation (c’est-à-dire des visiteurs en déplacement).

[90] Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que le libellé de l’appendice F le confirmait par l’utilisation d’un langage possessif, comme « le logement du gardien de phare ».

[91] L’Identifier 028 a enchâssé la pratique antérieure. Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que toute incertitude quant à son contenu avant le 3 mai 2016 ne devrait pas être considérée comme bénéficiant au défendeur, car ce dernier n’a pas contesté son existence ni son application avant cette date.

[92] Le fonctionnaire s’estimant lésé a évoqué l’emploi des termes « logement de réserve » ou « logement des gardiens de phare » aux paragraphes 4 et 5 de l’Identifier 028. Il a fait valoir que, lorsqu’on interprète un document, il est préférable de lire les deux dispositions en harmonie et de donner un sens à tous les mots qu’elles contiennent plutôt que d’appliquer une interprétation qui les place en contradiction (voir Clough c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 48, au par. 59). Ces dispositions sont en harmonie si l’on admet qu’un logement peut être à la fois un logement de réserve et un logement de gardien de phare dans la situation qu’il a décrite où deux gardiens de phare vivraient ensemble. Dans de telles circonstances, un logement pourrait à la fois appartenir à un gardien de phare dans le cadre de sa rémunération globale et être un logement de réserve (c’est-à-dire être vacant), ce qui permettrait à des visiteurs de l’utiliser.

[93] Cette interprétation est également cohérente avec le témoignage selon lequel les habitations des phares n’étaient pas désignées comme des logements de GPP, de GPA ou de réserve. Une interprétation permettant à une habitation d’être à la fois un logement de gardien de phare et un logement de réserve était plus conforme à la pratique réelle des parties.

[94] Le fonctionnaire s’estimant lésé a souligné le libellé du paragraphe 5 de l’Identifier 028, qui prévoyait que [traduction] « [t]outes les personnes qui utilisent la maison de réserve sont tenues de payer les 10,00 $ par nuit », sous réserve d’une seule exception, à savoir les gardiens de phare de relève. Il ne visait pas « toutes les personnes en déplacement ». Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que rien dans le paragraphe 4 ne limitait l’application du paragraphe 5.

[95] Il s’est appuyé sur le témoignage selon lequel des entrepreneurs, qui n’étaient pas des employés, payaient pour l’utilisation du logement de réserve, afin de démontrer que le fait d’être en déplacement n’était pas une condition préalable au droit des gardiens de phare d’exiger des frais d’hébergement. Par conséquent, compte tenu du sens ordinaire de la convention collective et de l’Identifier 028 ainsi que de la pratique antérieure bien établie, la question de savoir si les membres d’équipage d’ESC étaient en déplacement n’est pas déterminante ni même pertinente pour le litige.

[96] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la fourniture des services de nettoyage énumérés dans l’Identifier 028 n’était pas une condition préalable au paiement. Il a fait valoir que les paragraphes 6 et 7 énonçaient les attentes du défendeur. Le non-respect de ces attentes a été corrigé par l’imposition de mesures disciplinaires, et non par la suspension unilatérale des paiements.

[97] En outre, cette interprétation des paragraphes 6 et 7 était davantage compatible avec la preuve de la pratique antérieure des parties, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que la plupart des visiteurs ne s’attendaient pas à ce que son épouse et lui fassent le ménage quotidiennement.

[98] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que l’Identifier 028, interprété en corrélation avec les témoignages entendus dans le présent cas, étayait une pratique antérieure constante selon laquelle tous les visiteurs, à l’exception des gardiens de phare de relève, payaient les gardiens de phare pour leur hébergement dans un logement de réserve. Cette pratique antérieure a été intégrée à la convention collective par l’intermédiaire de l’annexe C, qui constituait le mécanisme d’application fourre-tout pour toutes les questions liées à l’octroi d’un logement aux gardiens de phare.

[99] L’annexe C pourrait également être assimilée à la codification d’une forte préclusion à l’encontre du défendeur en matière d’indemnisation. Cette condition essentielle protégeait l’un des principaux avantages reliés à l’emploi des gardiens de phare. Dans le présent cas, hormis ce phare, aucun autre exemple n’a été donné d’une situation où les gardiens de phare n’ont pas été payés pour l’utilisation d’un logement d’une station de phare. Le défendeur était tenu de continuer sa pratique. Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que l’injustice de changer cette pratique sans en aviser l’agent négociateur était manifeste du fait que l’agent négociateur avait toujours négocié l’annexe C dans la convention collective sans être avisé que l’employeur affirmait que l’Identifier 028 ne s’appliquait que lorsque d’autres employés étaient en déplacement.

[100] Certaines décisions ont confirmé les pratiques antérieures, par exemple : Lévesque c. le Conseil du Trésor (Pêches et Océans : Garde côtière canadienne), dossier de la Commission no 166-2-27426 (1997-07-18); et Ontario Power Generation Inc. v. Society of United Professionals, 2018 CanLII 90219 (ON LA), au par. 21.

[101] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il traitait la seconde habitation de la station de phare comme s’il détenait un intérêt possessoire sur celle-ci, la meublant et la dotant d’un accès à Internet et à la télévision par câble. Lorsque d’autres membres d’équipage y séjournaient, il leur facturait le tarif de 20 $ prévu dans l’Identifier 028. Seuls les membres d’équipage d’ESC étaient hébergés sans verser d’indemnité, en raison de son entente conclue avec M. Palliser à l’égard des améliorations à apporter à la station de phare.

2. Allégation selon laquelle une approche axée sur la mise en balance des intérêts devrait être appliquée à l’octroi d’une indemnisation

[102] Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’approche axée sur la mise en balance des intérêts favorise son interprétation de l’Identifier 028.

[103] À cet égard, il s’est appuyé sur l’arrêt Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55 (« AJJ »), dans lequel la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a confirmé l’application d’une démarche axée sur la mise en balance des intérêts pour évaluer les politiques unilatérales de l’employeur. Au paragraphe 24, la CSC s’est exprimée ainsi :

24 […]

[TRADUCTION] Pour évaluer le caractère raisonnable, les arbitres en droit du travail sont appelés à mettre à profit leur expertise dans ce domaine, à tenir compte de toutes les circonstances et à décider si la politique de l’employeur établit un équilibre raisonnable. Pour ce faire, ils peuvent tenir compte notamment de la nature des intérêts de l’employeur, de l’existence de tout autre moyen moins attentatoire de répondre aux préoccupations de l’employeur ainsi que de l’incidence de la politique sur les employés.

 

[104] Dans le présent cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a expliqué que la présence des membres d’équipage d’ESC avait eu une incidence grave sur la vie privée de sa famille. Comme dans l’arrêt AJJ, l’employeur a obtenu l’avantage de ne pas avoir à louer de logement dans le cadre de la gestion de son programme d’ESC au phare, alors qu’il y a eu une incidence négative sur les conditions de travail et de vie du fonctionnaire s’estimant lésé. Il n’a reçu aucun avantage supplémentaire de la part du défendeur en contrepartie du surcroît de travail et de l’intrusion dans sa vie privée. Il a fait valoir que le défendeur disposait d’options moins intrusives, mais qu’après avoir choisi d’envoyer les membres d’équipage d’ESC à la station de phare, il lui devait une indemnisation pour cette intrusion.

[105] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que l’approche axée sur la mise en balance des intérêts pouvait être appliquée pour invalider la politique du défendeur qui l’empêchait de demander une indemnisation pour l’utilisation du logement de réserve par les membres d’équipage d’ESC. Cela signifie que même si la convention collective ne conférait pas le droit d’exiger une indemnisation, il était déraisonnable d’apporter ce changement à ses conditions de travail, sans indemnisation correspondante.

3. L’allégation d’enrichissement injustifié à titre de motif subsidiaire d’indemnisation

[106] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que le défendeur n’aurait pas dû être en mesure de réaliser des économies en appliquant une politique qui lui imposait du travail supplémentaire et qui portait atteinte à sa vie privée. Il a soutenu que l’enrichissement injustifié ouvre droit à une réclamation fondée sur l’equity en vertu de la common law. Elle offre une réparation à une personne aux dépens de laquelle une autre personne s’est enrichie, sans qu’il y ait de fondement juridique pour le faire.

[107] Il a fait valoir que, dans le domaine du travail, l’enrichissement injustifié a été utilisé de manière interchangeable avec la notion de quantum meruit. Il a été invoqué pour dédommager des employés qui avaient fourni des services à leur employeur au-delà de ce qui était attendu d’eux en vertu de leur convention collective, mais qui ne s’inscrivaient pas clairement dans une autre catégorie de rémunération prévue par la convention collective. Le fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué, à titre d’exemple, la sentence arbitrale Ontario Hydro v. Canadian Union of Public Employees, Local 1000, 1983 CanLII 4832.

[108] L’exigence imposée par le défendeur au fonctionnaire s’estimant lésé d’accueillir les membres d’équipage d’ESC à chaque été portait atteinte à sa vie privée et l’obligeait à faire du travail supplémentaire pour soutenir les opérations du programme d’ESC, ce qui allait au-delà de ses tâches habituelles. Le défendeur a réalisé des économies en n’ayant pas à louer d’autres logements ou à payer quelqu’un pour les entretenir. Il ne pouvait pas refuser d’accueillir le personnel relevant du programme d’ESC, de sorte que le défendeur devrait être tenu de payer pour le travail supplémentaire qu’il a effectué et pour son dérangement.

[109] Le fonctionnaire s’estimant lésé a également invoqué, à titre d’exemples, les sentences arbitrales Dene West Limited Partnership v. Unite Here Local 47, 2018 CanLII 81947, et Insurance Corporation of British Columbia v. Canadian Office and Professional Employees’ Union, Local 378, 2012 CanLII 48971.

[110] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la doctrine du quantum meruit permet à un arbitre d’élaborer une réparation convenable, même en l’absence d’une entente préalable sur le tarif à payer en contrepartie du travail effectué. La doctrine constitue un fondement distinct pour lui accorder une indemnisation pour le travail supplémentaire qu’il a dû effectuer pour soutenir les membres d’équipage d’ESC à la station de phare.

4. Allégation de discrimination fondée sur la situation de famille

[111] Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’affirmation du défendeur selon laquelle il pouvait utiliser sans aucune restriction les logements des stations de phare gardé par un couple marié ou en cohabitation constituait une discrimination fondée sur la situation de famille. Il a reçu une rémunération moindre, a travaillé davantage et a vécu dans des conditions inférieures, en partie parce qu’il était marié à une autre gardienne de phare qui travaillait au phare avec lui.

[112] Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est appuyé sur l’arrêt B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66, au paragraphe 58, dans laquelle la CSC a statué que la discrimination fondée sur la situation de famille peut être établie lorsqu’un employeur a traité un employé différemment en raison de la personne avec laquelle il était marié.

[113] Dans le présent cas, le défendeur a reconnu que lorsque deux gardiens de phare étaient dans une relation conjugale, il traitait la deuxième habitation comme un logement de réserve. Étant donné que la mise à disposition d’un logement dans une station de phare faisait partie intégrante de la rémunération d’un gardien de phare, la mise à disposition d’un seul logement à deux gardiens de phare mariés constituait une rémunération moindre fondée sur la situation de famille ou l’état matrimonial du fonctionnaire s’estimant lésé.

[114] Le fonctionnaire s’estimant lésé a évoqué le témoignage du défendeur selon lequel les gardiens de phare qui ne cohabitaient pas devaient [traduction] « s’entasser » afin de libérer un logement de réserve pour certains visiteurs. Dans ces cas-là, les gardiens de phare étaient payés 20 $ par nuit, par personne. Dans le cas des gardiens de phare mariés, comme le fonctionnaire s’estimant lésé et son épouse, puisqu’ils vivaient déjà ensemble, ils n’étaient payés que 10 $ par nuit, par personne.

[115] Si le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas vécu avec la GPA à la station de phare, le défendeur n’y aurait pas installé les membres d’équipage d’ESC ou aurait payé davantage le fonctionnaire s’estimant lésé pour ce faire. Appliquant le test de discrimination énoncé dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33, le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé qu’il répondait aux trois critères suivants :

il possédait une caractéristique protégée contre la discrimination : il était marié, et son épouse était également gardienne de phare à la station de phare;

il a subi un effet préjudiciable : il a été obligé d’héberger les membres d’équipage d’ESC, sans recevoir d’indemnité en contrepartie;

la caractéristique protégée avait constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable : la deuxième habitation était disponible pour les membres d’équipage d’ESC parce qu’il cohabitait avec son épouse.

 

[116] Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé qu’il était conscient de cette injustice, bien qu’il ne l’ait pas qualifiée de discrimination, lors de ses discussions avec le défendeur. Il a indiqué qu’il avait toujours supposé, à son détriment, que la seconde habitation appartenait à son épouse. Lorsqu’il s’est rendu compte que le défendeur s’était arrogé le droit de faire ce qu’il voulait de la seconde habitation, alors que deux gardiens de phare y résidaient en permanence, il est devenu de plus en plus désemparé.

[117] Devant le refus d’indemnisation, il a commencé à se sentir abandonné par le défendeur; il trouvait que son milieu de travail était devenu toxique, et la situation avait des répercussions négatives sur sa santé, au point qu’il a fait une crise de panique et a passé trois jours à l’hôpital. Dans son grief, il a demandé une indemnisation pour le stress et les préjudices à sa santé mentale qu’il a subis en raison du refus du défendeur de collaborer avec lui pour régler les conflits entre les gardiens de phare et les membres d’équipage d’ESC.

[118] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il avait démontré que le refus du défendeur d’envisager de l’indemniser s’expliquait en partie par le fait qu’il traitait les gardiens de phare mariés à d’autres gardiens de phare de façon défavorable par rapport aux gardiens de phare qui n’étaient pas mariés à leurs collègues.

[119] Le fonctionnaire s’estimant lésé réclame 10 000 $ pour préjudice moral au titre de l’article 53(2)e) de la LCDP. Il a déclaré qu’il avait subi de graves répercussions sur sa santé et que, en fin de compte, sa carrière au sein du défendeur s’était terminée peu de temps après le dépôt de son grief. Il réclame également 10 000 $ au titre de l’article 53(3) pour un acte discriminatoire délibéré et inconsidéré commis par le défendeur. Il a fait valoir qu’il était inconsidéré puisqu’il n’a pas réalisé que le fait d’accorder une rémunération moindre à certains gardiens de phare en raison de la personne avec laquelle ils sont mariés est discriminatoire.

B. Les observations du défendeur

1. Les objections relatives à la compétence

[120] Le défendeur a soutenu que la seule question à trancher dont la Commission est valablement saisie est celle de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à une indemnité de 20 $ par nuit pour chaque membre d’équipage d’ESC qui a séjourné à la station de phare pendant les saisons d’activités estivales de 2010 à 2016. Le défendeur a fait valoir que cette demande d’indemnisation reposait sur le paragraphe 4 de l’Identifier 028 et la clause 5.05. Il a affirmé qu’il s’agissait de l’essence du grief qui a été présenté et traité jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[121] S’appuyant sur l’arrêt Burchill, le défendeur a fait valoir que la Commission n’a pas compétence pour examiner les arguments du fonctionnaire s’estimant lésé selon lesquels l’annexe C lui conférait un intérêt possessoire, une démarche axée sur la mise en balance des intérêts devrait être appliquée pour lui accorder une indemnisation, il avait droit à une réparation en equity en vertu de la doctrine de l’enrichissement injustifié ou du quantum meruit, et sa pratique relative à l’octroi d’un logement aux gardiens de phare qui sont mariés à d’autres gardiens de phare est discriminatoire.

[122] Il a allégué que ces questions ne sont pas mentionnées dans le grief, qu’elles n’ont aucun rapport avec celui-ci, qu’elles n’ont pas été soulevées ou examinées dans le cadre de la procédure de présentation du grief et qu’elles n’ont pas été mentionnées lors du renvoi à l’arbitrage.

[123] Le défendeur a fait valoir que le différend soumis à l’arbitrage doit être inextricablement lié au grief initial. Il a invoqué les affaires Reynolds c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 47; Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868; Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192; et Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115.

[124] Le défendeur a allégué que les nouveaux arguments du fonctionnaire s’estimant lésé équivalaient à de nouveaux griefs. Il a déclaré qu’il avait été privé de la possibilité d’aborder ces nouveaux griefs au cours de la procédure de présentation des griefs et qu’il avait subi un préjudice en n’étant pas en mesure de se préparer, car lors de l’arbitrage, il a dû se défendre lui-même relativement à une qualification substantiellement différente du grief.

[125] Le défendeur a fait valoir que, s’agissant de nouveaux griefs, ils étaient hors délai et devaient donc être rejetés pour ce motif.

[126] Le défendeur a également invoqué les décisions Shenouda c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2017 CRTEFP 21; Scheuneman c. Conseil du Trésor (Ressources naturelles Canada), dossier de la Commission no 166-2-27847 (1998-10-20); Cameron c. Administrateur général (Bureau du directeur des poursuites pénales), 2015 CRTEFP 98; et Garcia Marin c. Canada (Conseil du Trésor), 2007 CF 1250.

[127] Le défendeur a également contesté la compétence de la Commission au motif que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité pour agir. Il s’est appuyé sur l’article 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTSPF »), qui prévoit que seuls les griefs qui touchent le fonctionnaire s’estimant lésé peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Dans le présent cas, il demande une indemnisation pour les nuitées passées par les membres d’équipage d’ESC dans le logement de réserve. Toutefois, il a soutenu que le logement de réserve était celui de son épouse et non le sien. Or, l’article 209(1)a) lui interdisait de déposer un grief au nom de son épouse.

[128] Le défendeur a fait valoir que la Commission, en tant que tribunal établi par une loi, doit trouver sa compétence dans la LRTSPF ou dans les conventions collectives applicables. La LRTSPF n’autorise le dépôt de griefs que pour certaines questions, et seulement une partie d’entre elles peuvent être renvoyées à l’arbitrage. La Commission ne possède pas de compétence inhérente. Les arguments du fonctionnaire s’estimant lésé relatifs à l’octroi d’une réparation distincte ne relevaient pas de l’article 209(1)a) de la LRTSPF.

[129] En outre, le défendeur a fait valoir que la Commission n’a pas compétence à l’égard d’un grief qui conteste le droit du défendeur d’organiser et de diriger son effectif. Il a soutenu que l’article 7 de la LRTSPF empêche la Commission de se déclarer compétente pour examiner et trancher un grief portant sur sa décision d’installer le personnel relevant du programme d’ESC à la station de phare ou qui vise à obtenir une indemnisation pour ce que le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué être des changements importants à ses conditions de travail. À l’appui de cet argument, il a invoqué les affaires Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28; Chamberlain; Cameron; et Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236.

2. Le bien-fondé des allégations de contravention à l’appendice F et à la pratique antérieure

[130] Le défendeur a affirmé que, au moment d’interpréter les clauses d’une convention collective, l’objectif fondamental consiste à découvrir l’intention des parties. Le rôle de la Commission consiste à déterminer ce qu’entendaient les parties par les mots qu’elles ont employés. Lorsqu’on détermine l’intention des parties, il existe une présomption cruciale selon laquelle l’intention des parties concorde avec ce qu’elles ont dit, et que le sens d’une clause de la convention collective doit être établi en fonction de son libellé. Le libellé doit être considéré dans son sens normal ou ordinaire, à moins que cela n’entraîne une absurdité ou une incohérence avec le reste de la convention collective ou que le contexte ne révèle que les mots ont été utilisés dans un autre sens (voir les paragraphes 4:20 et 4:21 de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e éd.; et Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 30 v. Irving Pulp & Paper Limited, 2002 NBCA 30 (« Irving Pulp & Paper »)).

[131] Le défendeur a affirmé que lorsqu’un avantage pécuniaire est revendiqué, comme dans le présent cas, il incombe au fonctionnaire s’estimant lésé de prouver clairement et sans équivoque que cet avantage pécuniaire était le résultat escompté. Une telle intention n’est normalement pas imposée par inférence, par déduction ou par inclusion implicite (voir Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, au par. 28).

[132] Le défendeur a allégué que, selon le sens ordinaire et courant des termes employés dans la clause 5.05, les gardiens de phare n’ont droit à une indemnisation que pour les visiteurs « en position de déplacement » qui passent une nuitée dans une station de phare.

[133] En ce qui concerne les tarifs, l’Identifier 028 renvoyait expressément à la clause 5.05 et indiquait que les tarifs à payer au personnel du phare pour l’entretien et la maintenance des logements de réserve s’élevaient à 10 $ par nuit, par personne, dans le logement de réserve et à 20 $ par nuit dans le logement du gardien de phare.

[134] L’annexe C était totalement muette quant au droit des gardiens de phare à une indemnisation et aux tarifs applicables aux visiteurs passant la nuit dans les stations de phare. Elle soulignait plutôt l’engagement du défendeur à continuer à fournir aux gardiens de phare un logement et des services (par exemple, la livraison de produits d’épicerie). Il s’agit d’une question tout à fait distincte et indépendante de leur droit à une indemnisation pour les nuitées des visiteurs.

[135] En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’Identifier 028, le défendeur a soutenu qu’il ne créait pas de droit à une indemnisation. Il prévoyait que toutes les personnes qui utilisaient la maison de réserve devaient payer, à l’exception des gardiens de phare de relève. Il a fait valoir que les parties ont convenu à la table de négociation que, en vertu de la clause 5.05, seuls les visiteurs en déplacement se verraient facturer le tarif pour leurs nuitées dans une station de phare. Dans le présent cas, MM. Barrett et Webb ont tous deux témoigné que les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas en déplacement lorsqu’ils se trouvaient au phare, étant donné qu’il s’agissait de leur lieu de travail désigné.

[136] Le défendeur a déclaré que le fait que les membres d’équipage d’ESC ne soient pas en déplacement était conforme aux clauses de la convention collective et à la Directive sur les voyages du CNM. En comparaison, le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé selon lequel ils n’étaient pas en déplacement reposait sur son opinion. Il a toutefois reconnu qu’il connaissait mal ces documents.

[137] Le défendeur a fait valoir que, étant donné que les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas en déplacement, il n’est pas nécessaire, pour le règlement de ce grief, de déterminer s’ils ont passé la nuit dans le [traduction] « logement de réserve » ou dans le [traduction] « logement des gardiens de phare », conformément à l’Identifier 028.

[138] Enfin, le défendeur a fait valoir que les tarifs à payer en vertu du paragraphe 4 de l’Identifier 028 étaient pour « l’entretien et la maintenance » du logement et que ces services étaient décrits au paragraphe 6 de ce document.

[139] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il n’assurait pas lui-même (ni son épouse) l’entretien et la maintenance du logement de réserve. MM. Webb et Barrett ont tous deux témoigné que les membres d’équipage d’ESC en cause assuraient eux-mêmes l’entretien et la maintenance. Le défendeur a fait valoir que le fonctionnaire s’estimant lésé demandait d’être payé 20 $ par nuit, par membre d’équipage d’ESC, bien qu’il n’ait pas fourni les services prévus dans l’Identifier 028.

[140] Le défendeur s’est appuyé sur l’arrêt Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, dans lequel la CSC a statué que l’intention des parties contractantes doit être déterminée en fonction des mots employés lorsque le document en cause a été rédigé, lesquels sont interprétés à la lumière des circonstances du moment. Cependant, l’intention subjective d’une partie n’occupe aucune place indépendante dans cette décision (voir le paragraphe 54). En outre, dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, la CSC a statué que le contexte et les circonstances ne peuvent jamais supplanter les termes d’une convention collective (voir le paragraphe 57).

[141] Le défendeur a soutenu que l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé selon lequel l’annexe C garantissait une indemnisation pour toutes les nuitées reposait uniquement sur son interprétation subjective et personnelle de l’intention des parties sous-tendant l’annexe C. Aucun élément de preuve n’a été produit à l’appui de cet argument et le libellé ne l’étayait pas non plus. En outre, son argument selon lequel l’annexe C créait un intérêt possessoire pourrait conduire à une absurdité, car cela signifierait que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait louer ou vendre l’habitation.

[142] Le défendeur a fait valoir qu’il est préférable de lire deux dispositions d’un document en harmonie et de donner un sens à tous les mots qu’elles contiennent plutôt que d’appliquer une interprétation qui les met en conflit. L’interprétation du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle le paragraphe 5 de l’Identifier 028 signifiait que tous les visiteurs, qu’ils soient ou non en déplacement, étaient tenus de payer pour les nuitées, viderait les mots employés à la clause 5.05 de leur sens, puisqu’elle exigeait que les visiteurs soient en déplacement.

[143] L’interprétation du fonctionnaire s’estimant lésé demande en fait la suppression des mots « en position de déplacement » de la clause 5.05 en ne leur reconnaissant aucune signification, ainsi que l’ajout de mots à l’annexe C faisant référence à la pratique d’indemniser les gardiens de phare pour les nuitées des visiteurs. L’article 229 de la LRTSPF empêche la Commission de rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification de la convention collective.

[144] Selon le sens ordinaire et courant des termes du paragraphe 5, ils doivent être interprétés comme signifiant que tous les visiteurs « en position de déplacement », conformément à la clause 5.05 à laquelle renvoie le paragraphe 4 de l’Identifier 028, doivent payer aux gardiens de phare 10 $ par nuit pour les nuitées dans les [traduction] « logements de réserve ».

[145] Le défendeur a soutenu que le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé selon lequel les entrepreneurs le payaient pour leurs nuitées passées à la station de phare ne permettait pas d’établir une pratique antérieure. L’obtention d’une réparation fondée sur une pratique nécessite un comportement de la part d’une partie à la convention collective qui permet une interprétation claire reposant sur une signification précise à laquelle l’autre partie a sciemment acquiescé. Ce comportement doit avoir été dépourvu d’ambiguïté et répété pendant une longue période, sans objection. Il doit également être prouvé que les membres de l’une des parties, qui avaient une responsabilité réelle à l’égard de la signification de l’entente, ont acquiescé à la pratique. Lorsqu’une partie n’est pas au courant de la pratique, elle ne peut être invoquée (voir le paragraphe 3:79 de Brown et Beatty).

[146] Dans le présent cas, le défendeur a fait valoir que les membres d’équipage d’ESC avaient toujours séjourné à la station de phare sans verser d’indemnité, au motif qu’elles n’étaient pas en déplacement. Le fonctionnaire s’estimant lésé était au courant de cette situation depuis 2010, mais aucune objection n’a été formulée avant 2015. Il n’existe aucune preuve de l’existence d’une pratique antérieure consistant à payer les gardiens de phare pour les visiteurs qui n’étaient pas en déplacement. Le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé relatant la facturation à un moment donné pour les nuitées d’entrepreneurs visiteurs ne constituait pas une « pratique ».

[147] Pour ces motifs, le défendeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas droit à l’indemnisation demandée et que le grief doit être rejeté.

3. L’approche axée sur la mise en balance des intérêts

[148] Le défendeur a fait valoir que le refus d’accorder une indemnisation pour les séjours des membres d’équipage d’ESC à la station de phare ne constituait pas une modification des conditions de travail du fonctionnaire s’estimant lésé.

4. La doctrine de l’enrichissement sans cause ou quantum meruit

[149] Sur le fond, le défendeur a déclaré que, dans l’arrêt Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, au paragraphe 30, la CSC a articulé le critère applicable en matière d’enrichissement sans cause en trois volets : 1) l’enrichissement du défendeur; 2) l’appauvrissement correspondant du demandeur; et 3) l’absence de motif juridique de refuser le recouvrement. Dans l’arrêt Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980, la CSC a statué que l’enrichissement et l’appauvrissement correspondant doivent pouvoir se traduire en termes économiques. Dans le présent cas, il n’y a pas eu d’enrichissement du défendeur correspondant à un appauvrissement du fonctionnaire s’estimant lésé, et certainement pas à un appauvrissement pouvant se traduire en termes économiques.

[150] Dans l’arrêt Peter (à la page 1018), la CSC a décrit ainsi le critère permettant de déterminer s’il y avait absence de motif juridique : « Si une personne n’a aucune obligation contractuelle, légale ou autre d’exécuter un travail et de fournir des services à une autre, il y aura absence de motif juridique à l’enrichissement. » De même, dans la décision Seward v. Seward, 1996 CanLII 19961, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a indiqué qu’elle devait déterminer si les parties avaient des obligations contractuelles ou légales qui justifieraient l’enrichissement. Si les parties se sont engagées contractuellement à exercer certaines activités, le fait que l’une d’entre elles tire un grand profit de l’accord contractuel ne permettra pas d’obtenir gain de cause dans une action pour enrichissement injustifié.

[151] Dans le présent cas, la convention collective était l’accord contractuel en place qui vouait à l’échec une revendication fondée sur l’enrichissement injustifié. L’utilisation par le défendeur de son logement pour héberger les membres d’équipage d’ESC ne constituait pas un enrichissement. Par ailleurs, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas subi d’appauvrissement du fait qu’il a fourni des services allant au-delà de ce qui était attendu de lui dans le cadre de la convention collective. L’utilisation du chariot faisait partie de ses conditions d’emploi. En outre, les répercussions psychologiques et émotionnelles mentionnées étaient liées au poste de gardien de phare, et le fonctionnaire s’estimant lésé les a acceptées lorsqu’il a accepté son poste. Si des tâches supplémentaires étaient exigées, le recours approprié aurait été de déposer un grief relativement à la nature du travail ou à la classification de l’emploi.

[152] Le défendeur a également invoqué les arrêts Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38, et KPMG (Trustee in Bankruptcy of Ellingsen) v. Hallmark Ford Sales Ltd., 2000 BCCA 458.

5. Discrimination fondée sur la situation de famille

[153] Le défendeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été traité de manière discriminatoire et qu’il n’a pas subi d’effets préjudiciables au regard d’un motif ouvrant droit à la protection de la loi. Les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas en déplacement; par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé, comme tout autre gardien de phare, n’avait pas droit à une indemnité pour leurs nuitées.

[154] En fait, il en bénéficiait. En effet, puisque leurs conditions de vie commune créaient un logement de réserve dans lequel les visiteurs en déplacement pouvaient être hébergés, ce qui lui procurait un revenu pour l’utilisation du [traduction] « logement de réserve » visé par le paragraphe 4 de l’Identifier 028.

[155] À titre subsidiaire, s’il a reçu une indemnisation moindre, c’est le résultat de son choix puisque sa décision de vivre avec son épouse était volontaire. De plus, la décision du défendeur n’a pas entraîné la vacance d’un logement; c’est la retraite de l’ancien GPP qui en est la cause.

[156] En outre, l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé était sans fondement puisqu’il reposait sur l’allégation que les gardiens de phare bénéficiaient d’un intérêt possessoire sur leur logement, ce qui n’était pas le cas.

[157] Enfin, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fourni les services d’entretien et de maintenance énumérés dans l’Identifier 028. Il ne peut donc pas prétendre avoir subi une perte étant donné qu’il n’a pas fourni ces services.

C. La réponse du fonctionnaire s’estimant lésé

1. Les objections relatives à la compétence

[158] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que le grief était resté le même tout au long de la procédure y afférente. Il contestait la décision d’installer les membres d’équipage d’ESC à la station de phare sans indemnisation correspondante conformément à la pratique antérieure décrite dans l’Identifier 028. Aucun des arguments qu’il a avancés n’a vraiment modifié cette revendication. Il s’agissait simplement d’arguments juridiques plus sophistiqués.

[159] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que la Commission a conclu à plusieurs reprises que les fonctionnaires s’estimant lésés sont autorisés à avancer de nouveaux arguments tant que l’[traduction] « objet du grief » n’a pas été modifié. Il a cité en exemple la décision Delage c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2008 CRTFP 56.

[160] Il a invoqué l’arrêt Shneidman, qui précise que la Commission peut s’appuyer sur les interactions entre les parties lors de la procédure de grief pour obtenir des éclaircissements sur les questions soulevées dans le cadre de cette procédure. Il a soutenu que le défendeur n’avait pas fourni une telle preuve, alors que lui incombait le fardeau d’établir que son objection était fondée. Il a fait valoir que, bien qu’il ait inclus des documents relatifs à la procédure de règlement des griefs dans son recueil de documents, ceux-ci n’ont pas été déposés en preuve et qu’il faut donc en faire abstraction.

[161] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le grief fait référence à l’Identifier 028 et à une pratique antérieure; cependant, il n’a pas invoqué de clause précise dans la convention collective. Les documents relatifs à la procédure de règlement des griefs qui ont été produits en preuve montraient que c’était le défendeur, et non le fonctionnaire s’estimant lésé, qui invoquait constamment la clause 5.05. Le seul document relatif à la procédure de règlement des griefs rédigé par l’agent négociateur qui évoquait la clause 5.05 était le renvoi à l’arbitrage, qui s’intitulait [traduction] « Appendice F – Gardiens de phare – 5.05 ». Cela n’était pas suffisant pour démontrer un changement dans la nature du grief ou pour empêcher la Commission d’examiner l’appendice F dans son ensemble.

[162] En ce qui a trait à l’objection du défendeur concernant l’annexe C, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est appuyé sur les principes d’interprétation des conventions collectives résumés dans la décision Genest, au paragraphe 51. Il a fait valoir que l’appendice F doit être lue dans son ensemble, y compris l’annexe C, qui soutenait l’argument selon lequel les logements constituent une part importante de la rémunération des gardiens de phare. Il a déclaré que ce contexte est nécessaire pour statuer sur sa demande d’indemnisation dans le cadre du grief, étant donné que la clause 5.05, prise isolément, est une simple entente prévoyant une consultation. Le grief invoque l’Identifier 028 comme preuve d’une pratique antérieure mais ne limite pas son renvoi seulement au paragraphe 4 de ce document.

[163] En ce qui concerne son allégation de discrimination, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que la LCDP étant une loi quasi constitutionnelle, elle a prépondérance sur la LRTSPF et lie toutes les parties. Par conséquent, la Commission ne peut pas souscrire à une interprétation discriminatoire de la convention collective.

[164] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il existe également une jurisprudence considérable de la Commission et des tribunaux qui indique qu’elle a compétence pour accorder des réparations qui n’ont pas été demandées auparavant, en particulier lorsque la nouvelle question qui est soulevée en matière de réparation concerne des dommages-intérêts fondés sur la LCDP, par exemple dans les affaires Madame Unetelle c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 183; Leclaire c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 82, aux par. 25 et 26; et Perron c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 109.

[165] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que l’affirmation du défendeur selon laquelle il a été pris par surprise est sans fondement, car il a eu la possibilité de présenter divers éléments de preuve pour réfuter ces arguments.

[166] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que l’objection du défendeur relativement au non-respect des délais n’était qu’une autre formulation de son objection fondée sur l’arrêt Burchill. Par conséquent, il est inutile que je me penche sur cette question.

[167] Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’objection formulée par le défendeur relativement à sa qualité pour agir constituait une tentative pour faire primer la forme sur le fond. Il a affirmé que tous les témoins ont reconnu que le défendeur n’attribuait pas les logements des gardiens de phare à des employés précis; il ne désignait pas non plus les logements comme étant destinés au GPP ou au GPA, ou comme étant des logements de réserve. L’attribution des logements a été laissée au GPP qui, dans le présent cas, était le fonctionnaire s’estimant lésé. Ainsi, son épouse et lui jouissaient d’un droit égal à l’un ou l’autre logement. Le fait que le défendeur ait fourni un seul logement pour tous les deux a entraîné une diminution équivalente de leur rémunération globale prévue par la convention collective.

[168] Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé qu’il n’avait pas allégué que l’habitation utilisée par les membres d’équipage d’ESC était celle de son épouse. Il a fait valoir qu’il s’agissait d’un logement de gardien de phare au sens de la convention collective et de l’Identifier 028. Autrement dit, si un phare compte deux gardiens de phare et deux logements, les deux logements doivent être des logements de gardiens de phare.

[169] À titre subsidiaire, la question de la revendication par le fonctionnaire s’estimant lésé du logement que les membres d’équipage d’ESC ont utilisé dépend de ce qui constitue la réparation appropriée. Si la Commission détermine que le logement était un logement de réserve, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait droit au tarif de 10 $ par nuit, par personne, prévu dans l’Identifier 028.

[170] En ce qui concerne l’objection du défendeur relativement à la compétence de la Commission pour examiner les décisions unilatérales de la direction qui touchent aux conditions de travail établies dans la convention collective, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est appuyé sur l’arrêt AJJ, au paragraphe 20, dans lequel la CSC a statué que le droit résiduel de la direction d’imposer unilatéralement des règles en milieu de travail n’est pas illimité. Les droits de la direction doivent être exercés raisonnablement et conformément à la convention collective.

[171] Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que le défendeur était libre de placer les stations des équipages d’ESC où il le souhaitait. Le grief indique simplement que lorsqu’il en a installé un à la station de phare et modifié ainsi les conditions de travail et de vie des gardiens de phare qui y vivaient, il était tenu d’offrir une indemnisation conforme à sa pratique antérieure établie par l’appendice F, comme le reflétait l’Identifier 028.

[172] En ce qui concerne l’argument du défendeur selon lequel le quantum meruit ne peut être appliqué de manière indépendante, le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que son argument était ancré dans l’interprétation et l’application de la convention collective, en particulier les clauses de l’appendice F relatives à la rémunération. À la base, l’argument était qu’il était injuste (c’est-à-dire inéquitable) et déraisonnable pour le défendeur d’invoquer les droits de la direction pour transformer la nature de son travail chaque été sans indemnisation correspondante, comme cela avait toujours été le cas dans tous les autres cas d’hébergement de visiteurs.

2. Le bien-fondé du grief

[173] Le fonctionnaire s’estimant lésé a réitéré de nombreux points qui avaient été soulevés dans ses observations initiales. Il a résumé son argumentation comme suit. L’annexe C garantit un logement à chaque gardien de phare. Cette garantie contient un ensemble de droits, y compris un droit restreint de louer le logement, comme le précisaient la clause 5.05 et l’Identifier 028. Cet ensemble de droits trouve son origine dans la convention collective et peut être limité par des règles raisonnables de l’employeur. Par exemple, il est manifestement raisonnable pour le défendeur d’interdire au gardien de phare de vendre le logement; à l’inverse, il serait déraisonnable pour le défendeur d’interdire aux gardiens de phare d’accueillir des visiteurs tout au long de l’année.

[174] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le raisonnement du défendeur était erroné. Dans l’ensemble, cette interprétation ne permettait pas de répondre de façon satisfaisante à son argument, puisqu’elle nécessitait de continuer à voir dans la convention collective des restrictions qui n’y figuraient pas.

[175] Le fonctionnaire s’estimant lésé a répété qu’il ne contestait pas le fait que les membres d’équipage d’ESC n’étaient pas en déplacement. Il a admis que la désignation de leur lieu de travail relevait du pouvoir discrétionnaire du défendeur. Il a fait valoir que cela mettait encore plus en évidence l’absurdité de sa position, si l’emploi des mots « en position de déplacement » dans la clause 5.05 pouvait unilatéralement priver les gardiens de phare de leur droit à une indemnisation en raison d’une décision qui n’avait rien à voir avec eux.

D. La réplique du défendeur à l’encontre des objections relatives à la compétence

[176] Les observations du défendeur réitéraient plusieurs points qu’il avait déjà soulevés. En ce qui concerne l’affirmation du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle il ne pouvait pas s’appuyer sur les documents dans son recueil de documents qui n’avaient pas été déposés en preuve, il a demandé à la Commission de rouvrir l’affaire, afin de permettre à un témoin de témoigner au sujet de ces documents. Il a fait valoir que l’objectif visé par la comparution de ce témoin était d’attester le fait que l’annexe C n’a jamais été invoquée au cours de la procédure de règlement du grief; l’argument selon lequel l’appendice F devrait être lu dans son ensemble n’a pas non plus été avancé. Le défendeur a allégué qu’il n’avait été informé de l’intention du fonctionnaire s’estimant lésé d’invoquer ces arguments que lors de ses observations finales et qu’il avait donc été privé de la possibilité de faire comparaître ce témoin plus tôt.

[177] Le défendeur a fait valoir que l’arrêt Madame Unetelle se distingue du présent cas et qu’il ne s’y applique pas. Dans l’arrêt Madame Unetelle, l’arbitre avait conclu que l’employeur connaissait la preuve à réfuter. L’allégation était clairement énoncée dans le grief, et il s’agissait de la même question que celle qui avait été présentée et débattue en arbitrage. Il n’y a eu ni changement ni surprise. Dans le présent cas, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a formulé une allégation de discrimination en matière de droits de la personne que le 1er novembre 2023, et ne l’a présentée et plaidée que le 16 février 2024. Il était trop tard pour que le défendeur trouve des témoins potentiels et prenne les dispositions nécessaires pour qu’ils puissent témoigner.

[178] Le défendeur a reconnu que la Commission ne pouvait pas approuver une interprétation discriminatoire de la convention collective. Cependant, il a soutenu que, dans le présent cas, compte tenu des circonstances, l’arrêt Burchill s’appliquait et empêchait le fonctionnaire s’estimant lésé d’alléguer que ses pratiques étaient discriminatoires.

IV. Motifs

A. Les objections du défendeur relatives à la compétence à l’égard de l’annexe C

[179] L’objection du défendeur à l’égard de l’annexe C reposait sur le fait qu’elle n’avait pas été mentionnée dans le grief ou au cours de la procédure de règlement du grief.

[180] Si l’on examine le libellé du grief, on constate qu’il mentionne expressément l’Identifier 028 et qu’il allègue que, selon la norme établie et la pratique antérieure, les personnes hébergées dans les stations de phare payaient 20 $ par personne, par nuit, peu importe si elles étaient en déplacement ou s’il ne s’agissait pas d’entrepreneurs ou d’autres travailleurs. Comme mesure corrective, le fonctionnaire s’estimant lésé demande, dans le grief, que les gardiens de phare reçoivent l’indemnité de 20 $ par nuit, par personne, conformément à cette pratique habituelle. J’estime que le grief est clair et qu’il repose sur une pratique antérieure alléguée.

[181] Dans sa défense contre le grief, le défendeur l’a nié au motif que la clause 5.05 ne prévoyait une indemnisation que lorsque les visiteurs étaient en déplacement. Aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de ce qui a été discuté au cours de la procédure de règlement du grief.

[182] Le renvoi du grief indiquait qu’il était fondé sur l’[traduction] « Appendice F – Gardiens de phare – 5.05 ». Aucune autre clause n’a été mentionnée. Cependant, le renvoi comprenait le grief, qui se fondait sur la pratique antérieure alléguée et l’Identifier 028.

[183] Dans ses observations finales, le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué pour la première fois que la pratique antérieure alléguée était ancrée dans l’annexe C. Le défendeur s’est opposé à ce qu’il puisse invoquer l’annexe C, faisant valoir qu’il s’agissait essentiellement d’un nouveau grief, étant donné qu’elle n’avait pas été invoquée auparavant.

[184] Dans sa réplique écrite aux observations du fonctionnaire s’estimant lésé, le défendeur a demandé la reprise de l’audience et l’autorisation de présenter des éléments de preuve au sujet de ce qui avait été discuté au cours de la procédure de règlement du grief. J’estime qu’il était trop tard, car le défendeur savait avant l’audience que la portée du grief était en cause. Il a eu la possibilité de présenter des éléments de preuve au cours de l’audience, mais il a choisi de ne pas le faire.

[185] Plus important encore, cette question est théorique, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas contesté le fait que l’annexe C n’avait pas été mentionnée expressément au cours de la procédure de présentation du grief. Il a souligné qu’il n’avait pas non plus invoqué la clause 5.05. Il a plutôt allégué que son grief était demeuré inchangé tout au long de la procédure. Il s’agissait toujours d’obtenir une indemnisation pour l’hébergement des membres d’équipage d’ESC à la station de phare compte tenu de la pratique antérieure décrite dans l’Identifier 028. Il a soutenu que le renvoi à l’annexe C ne changeait rien à cette revendication. Je suis d’accord.

[186] J’estime que le caractère essentiel du grief réside dans le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé s’appuie sur la pratique antérieure alléguée consistant à autoriser les gardiens de phare à facturer les nuitées à tous les visiteurs, et pas seulement à ceux qui sont en déplacement. Il a allégué que cette pratique était décrite dans l’Identifier 028 et il a fondé sa demande d’indemnisation sur cette pratique. Il s’agit de l’essence même du grief.

[187] Le renvoi par le fonctionnaire s’estimant lésé à l’annexe C (et à la clause 5.05) dans ses observations finales n’a pas modifié le grief. En fait, l’annexe C était la seule partie de l’appendice F qui faisait référence à une pratique. Elle stipulait : « L’employeur désire confirmer son intention de continuer à suivre la pratique actuelle […] en ce qui concerne le logement et les services, qui sont maintenant fournis aux gardiens de phare [je mets en évidence]. » Bien que l’annexe C n’ait pas été nommément invoquée, j’estime que le fonctionnaire s’estimant lésé y a néanmoins fait référence lorsqu’il a indiqué que son grief reposait sur une pratique antérieure.

[188] En outre, les règles d’interprétation exigent que les clauses de la convention collective soient lues dans leur ensemble. Dans le présent cas, j’estime qu’il était nécessaire d’inclure l’annexe C dans cette analyse, car elle permettait de comprendre ce que les parties entendaient par une pratique consistant à facturer les visiteurs pour leur hébergement dans les stations de phare. En faire abstraction reviendrait à ne pas considérer la convention collective dans son ensemble et pourrait conduire à une interprétation absurde ou incohérente.

[189] Dans le présent cas, le grief reposait essentiellement sur une pratique alléguée, et la seule partie de l’appendice F qui faisait référence à une pratique était l’annexe C. Interdire au fonctionnaire s’estimant lésé de l’invoquer du seul fait qu’il ne l’a pas nommément mentionnée dans son grief constituerait une interprétation trop formaliste du grief, ce qui est précisément ce contre quoi la CSC a mis en garde dans l’arrêt Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157.

[190] Par conséquent, l’objection relative à la compétence formulée par le défendeur contre toute prise en considération de l’annexe C doit être rejetée.

B. Les objections du défendeur relatives à la compétence qui sont fondées sur l’absence de qualité pour agir du fonctionnaire s’estimant lésé

[191] Le défendeur a contesté la compétence de la Commission au motif que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité pour agir. Il a fait valoir qu’il demandait une indemnisation pour l’utilisation de ce qu’il prétendait être le logement de son épouse (la GPA); toutefois, l’article 209(1)a) de la LRTSPF lui interdisait de déposer un grief au nom de son épouse.

[192] En réponse, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que, comme tous les témoins ont convenu qu’il n’y avait pas de désignation officielle des logements, son épouse et lui bénéficiaient d’un droit égal sur l’un ou l’autre logement. Il a affirmé que si un phare compte deux gardiens de phare et deux logements, alors les deux logements sont des logements de gardiens de phare. À titre subsidiaire, il a fait valoir que la question portait sur la réparation et qu’il avait au moins droit à 10 $ par nuit pour l’utilisation du logement de réserve aux termes de l’Identifier 028.

[193] Après examen du grief, il est évident que le fonctionnaire s’estimant lésé voulait déposer un grief en son nom et en celui de son épouse. Il est formulé au pluriel et mentionne les gardiens de phare. En outre, tout au long de son témoignage et dans ses courriels avec le défendeur, il a constamment indiqué qu’il pensait que le logement de réserve était celui de son épouse.

[194] L’article 209(1)a) de la LRTSPF prévoit qu’un employé peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur « […] soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […] [je mets en évidence] ». Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas demander une indemnisation au nom de son épouse; il ne pouvait le faire que pour son propre compte.

[195] Dans le présent cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’il avait droit à une indemnisation soit parce qu’il détenait un intérêt possessoire égal sur le deuxième logement, soit parce qu’il s’agissait d’un logement de réserve au titre de l’Identifier 028. Dans la mesure où ces deux éléments le concernent, j’estime que l’objection du défendeur n’est pas fondée.

C. Le bien-fondé du grief fondé sur l’appendice F et une pratique antérieure

[196] Le grief soulève un ensemble de faits très particuliers. Il repose sur une prétendue pratique antérieure. Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que cette pratique consistait à autoriser les gardiens de phare à facturer les nuitées à tous les visiteurs, qu’ils soient ou non en déplacement. Il a affirmé que la clause 5.05, qui était la seule clause de la convention collective qui mentionnait expressément cette question, visait uniquement à protéger l’intérêt du défendeur à contrôler les tarifs à facturer aux visiteurs en déplacement. Il a affirmé qu’il n’avait jamais été question de déroger au droit prépondérant des gardiens de phare de faire payer tous les visiteurs. Il s’est appuyé sur l’Identifier 028 pour étayer son interprétation de cette clause, car il a allégué que cela confirmait cette pratique. Il a fait valoir que la pratique elle-même était garantie par l’annexe C, puisque cette partie de la convention collective conférait aux gardiens de phare un intérêt possessoire sur leur logement.

[197] Le défendeur a réfuté cette interprétation. Selon lui, la clause 5.05 était claire et limitait expressément la facturation des nuitées uniquement aux visiteurs en déplacement. Il a affirmé que l’annexe C et l’Identifier 028 n’étayaient pas la pratique alléguée par le fonctionnaire s’estimant lésé consistant à faire payer tous les visiteurs.

[198] Comme cette affaire concernait l’interprétation de la clause 5.05, l’article 209(1)a) de la LRTSPF me conférait la compétence pour connaître de cette affaire et pour statuer sur l’interprétation correcte de cette clause. En outre, étant donné que le grief repose sur une pratique antérieure alléguée et que la seule partie de l’appendice F qui faisait référence à une pratique était l’annexe C, j’étais également investie de la compétence pour déterminer ce que les parties voulaient que soit cette pratique et s’il y avait eu contravention à celle-ci.

[199] Après avoir examiné attentivement le libellé de la convention collective, l’Identifier 028, ainsi que la preuve présentée au sujet de la pratique alléguée, je ne puis souscrire à l’interprétation du fonctionnaire s’estimant lésé. Les motifs de ma décision sont exposés ci-dessous.

[200] J’ai commencé mon analyse par la clause 5.05, car c’était la seule clause de la convention collective qui abordait expressément la question de la facturation de l’utilisation des logements de la station de phare. La clause 5.05 était libellée ainsi : « L’Employeur et l’Alliance [l’agent négociateur] admettent le principe d’exiger des visiteurs en position de déplacement des frais pour les repas et les locaux de couchage fournis par le gardien de phare. Les deux (2) parties se consulteront sur la question des taux à appliquer [je mets en évidence]. »

[201] Le libellé est clair et non équivoque. Elle précise clairement quels visiteurs étaient assujettis à l’obligation de payer la nuitée : ceux qui étaient en déplacement. Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la clause 5.05 ne limitait en rien sa capacité à facturer les visiteurs qui n’étaient pas en déplacement. Il a allégué que cette clause ne s’appliquait qu’aux personnes qui étaient en déplacement.

[202] Lorsque j’interprète la convention collective, je dois présumer que les parties ont voulu dire ce qu’elles ont dit. Je dois donner aux mots leur sens courant et ordinaire (voir Irving Pulp & Paper). Dans le présent cas, si les parties avaient voulu que la clause 5.05 limite simplement ce qui pouvait être facturé aux visiteurs en déplacement, mais qu’elle ne l’emporte pas sur le droit général de facturer les nuitées à tous les visiteurs, elles auraient pu le dire. Elles auraient pu dire quelque chose comme ceci : [traduction] « L’Employeur et l’Alliance admettent le principe d’exiger des visiteurs des frais pour les repas et les locaux de couchage fournis par le gardien de phare. Les deux (2) parties se consulteront sur la question des taux à appliquer pour les visiteurs en déplacement. » C’est cette reformulation que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir, mais ce n’était pas ce que disait le libellé de la convention collective. J’ai donc conclu que la clause 5.05 n’étayait pas, à elle seule, l’interprétation du fonctionnaire s’estimant lésé.

[203] Cependant, mon analyse ne s’est pas arrêtée là puisque l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé reposait sur l’existence d’un droit prépondérant de faire payer tous les visiteurs, malgré la clause 5.05. Par conséquent, l’étape suivante de l’analyse consistait à déterminer si une autre clause de la convention collective lui conférait ce droit.

[204] Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que c’était justement ce que faisait l’annexe C. Il a fait valoir que la pratique consistant à fournir un logement au titre de l’annexe C créait un intérêt possessoire sur son logement et que cet intérêt possessoire faisait partie intégrante de la rémunération d’un gardien de phare. Il a soutenu que l’intérêt possessoire faisait en sorte que les gardiens de phare étaient libres de louer leur logement tout au long de l’année à leur guise, sous réserve uniquement des restrictions de la clause 5.05. Il a fait valoir que sa position était étayée par le libellé de la convention collective et de l’Identifier 028, dont le caractère possessif se reflétait dans les termes employés : le [traduction] « logement des gardiens de phare » et les locaux de couchage [traduction] « fournis par » le gardien de phare.

[205] Il a soutenu que le paragraphe 5 de l’Identifier 028 étayait davantage sa thèse, car il prévoyait expressément que [traduction] « [t]outes les personnes » étaient tenues de payer, à la seule exception des gardiens de phare de relève. Il a fait valoir qu’il s’agissait d’une description claire de la pratique des parties.

[206] Autrement dit, le fonctionnaire s’estimant lésé a reconnu que l’annexe C n’indiquait pas expressément qu’il pouvait facturer à tous les visiteurs leur hébergement à la station de phare. Cependant, il a fait valoir que la pratique dont il était question était celle qui était décrite dans l’Identifier 028.

[207] Par conséquent, un examen approfondi de l’Identifier 028 était nécessaire.

[208] L’Identifier 028 faisait apparemment partie du Lightstation Procedures Manual (le manuel des procédures relatives aux stations de phare). Bien qu’il soit daté du 3 mai 2016, tous ont convenu qu’il s’appliquait pendant la période visée par le grief. En effet, le fonctionnaire s’estimant lésé y a fait référence dans son courriel à Mme Evans un an plus tôt, soit le 28 mai 2015. Malheureusement, personne n’a pu dire si des modifications avaient été apportées avant le 3 mai 2016. Compte tenu de l’importance que le fonctionnaire s’estimant lésé lui a accordé dans son grief, et du fait que le grief visait la période allant de 2010 à 2016, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, lorsque le grief a été déposé, l’une des parties aurait soulevé toute modification importante du grief ayant une incidence sur son issue. N’ayant entendu aucun témoignage à cet égard, j’estime que les paragraphes de l’Identifier 028 sur lesquels les parties ont cherché à s’appuyer sont restés inchangés pendant la période visée par le grief (c’est-à-dire de 2010 à 2016). Cette conclusion est cohérente avec la preuve présentée.

[209] En ce qui concerne les dispositions de l’Identifier 028, le paragraphe 4 visait à décrire en détail les tarifs convenus lors de la consultation des parties prévue à la clause 5.05. Il citait la clause 5.05 et indiquait que les tarifs à payer au personnel du phare [traduction] « pour l’entretien et la maintenance des logements de réserve lorsque des invités y passent la nuit » étaient fixés à [traduction] « 10,00 $ par nuit, par personne, dans le logement de réserve » et à [traduction] « 20,00 $ par nuit dans le logement des gardiens de phare ».

[210] Quant au paragraphe 5, il prévoit que toutes les personnes qui utilisent la maison de réserve sont tenues de payer 10 $ par nuit, à l’exception des gardiens de phare de relève, qui sont toutefois responsables de faire eux-mêmes l’entretien et la maintenance pendant qu’ils occupent le logement de réserve.

[211] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que les termes [traduction] « logement de réserve » et [traduction] « logement des gardiens de phare » au paragraphe 4 ne signifiaient pas que le logement de réserve n’était pas le logement du gardien de phare. Il a plutôt allégué que l’expression [traduction] « logement de réserve » a été utilisée simplement pour indiquer qu’il était vacant au moment de son utilisation; cependant, les deux logements continuaient d’appartenir aux gardiens de phare.

[212] Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que les témoignages étayaient sa thèse. Il a fait valoir que la pratique antérieure consistant à facturer l’utilisation du logement de réserve aux entrepreneurs, qui n’étaient pas des employés, démontrait que le fait d’être en déplacement n’était pas une condition préalable à la facturation de frais d’hébergement.

[213] Après avoir examiné attentivement les arguments du fonctionnaire s’estimant lésé, je ne puis y souscrire.

[214] Tel qu’indiqué dans la décision Allen et l’arrêt Irving Pulp & Paper, un arbitre ne peut pas ajouter ou supprimer des mots dans une convention collective. En outre, tel qu’établi dans la décision Wamboldt, pour que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse revendiquer un intérêt pécuniaire, il doit y avoir un libellé clair à cet effet. Dans le présent cas, rien dans le libellé de la convention collective n’étayait l’interprétation du fonctionnaire s’estimant lésé. Il a tenté d’interpréter l’énoncé à l’annexe C selon lequel le défendeur a accepté de continuer à suivre « […] la pratique actuelle […] en ce qui concerne le logement […] » qui est fourni comme conférant aux gardiens de phare un intérêt possessoire indépendant leur permettant de louer leur logement à leur guise, sous réserve uniquement des restrictions de la clause 5.05. Il s’agit d’un avantage pécuniaire important que le libellé, à lui seul, ne permet pas d’obtenir.

[215] Cependant, malgré l’absence de tels mots, il aurait quand même été possible de donner raison au fonctionnaire s’estimant lésé puisque l’annexe C faisait référence à une pratique, ce qui ouvrait donc la porte à une décision fondée uniquement sur la pratique. Malheureusement pour lui, les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure à l’existence de la pratique antérieure qu’il évoquait.

[216] Comme l’ont indiqué les auteurs Brown et Beatty, pour qu’une pratique antérieure puisse être invoquée, il faut qu’elle soit claire, qu’elle soit appliquée de manière cohérente et qu’elle soit connue des deux parties, en particulier des personnes en position d’autorité. Le fardeau de la preuve incombait au fonctionnaire s’estimant lésé. Les éléments de preuve présentés ne confirmaient pas l’existence d’une pratique connue, claire et cohérente qui s’est maintenue dans le temps.

[217] Au vu de ces éléments de preuve, tous ont convenu que les membres d’équipage d’ESC ont été hébergés à la station de phare de 2010 à 2016, période pendant laquelle ils n’ont pas payé pour l’utilisation de ces logements. Le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas demandé d’indemnisation avant 2015 semble à lui seul confirmer que la pratique dont il voulait se prévaloir n’existait pas.

[218] Dans ses observations finales, le fonctionnaire s’estimant lésé a tenté de faire valoir que la raison pour laquelle les membres d’équipage d’ESC ont été hébergés si longtemps sans indemnisation résidait dans une entente conclue avec M. Palliser au sujet des améliorations à apporter à la station de phare. Toutefois, j’ai constaté qu’il n’a pas témoigné en ce sens. Dans son témoignage, il s’est contenté de dire qu’il était d’accord, au début, avec la décision parce qu’elle était judicieuse et assurait une saine gestion financière, et qu’il était heureux que M. Palliser se soit engagé à apporter certaines améliorations à l’île. Il n’a pas dit que la question de l’indemnisation ou de la renonciation à celle-ci en contrepartie des améliorations avait déjà été discutée.

[219] En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que les membres d’équipage d’ESC avaient été hébergés à la station de phare à deux reprises avant son arrivée en 2006. N’ayant entendu aucun témoignage contraire, j’en ai déduit qu’ils n’avaient pas non plus payé pour cet hébergement. Cela confirmait encore une fois que, selon la pratique antérieure, les membres d’équipage d’ESC ne payaient pas pour leur hébergement à la station de phare.

[220] La seule preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé a présentée pour étayer son allégation de pratique antérieure était le fait qu’il avait facturé par le passé aux entrepreneurs leur hébergement à la station de phare. Il a toutefois admis qu’il n’avait pas demandé d’autorisation avant de le faire et qu’il ne s’était pas non plus renseigné pour savoir s’ils étaient en déplacement.

[221] En ce qui concerne la preuve du défendeur, MM. Barrett et Webb ont tous deux reconnu que les entrepreneurs payaient pour leur hébergement dans les stations de phare. Cependant, aucun des deux n’a été en mesure de dire si les entrepreneurs étaient en déplacement. M. Barrett a témoigné que ces conditions étaient incluses dans leurs contrats, mais aucun contrat à cet effet n’a été déposé en preuve.

[222] Les deux parties ont convenu que la Directive sur les voyages du CNM dictait quand les personnes devaient être considérées en déplacement. Toutefois, je constate que son application ne se limitait pas aux employés. La version en vigueur au moment des faits stipulait qu’elle s’appliquait aux « […] fonctionnaires de la fonction publique, au personnel exonéré et à d’autres personnes voyageant en service commandé, y compris à des fins de formation [je mets en évidence] ». Cela confirmait que les entrepreneurs pouvaient en fait être en déplacement lorsqu’ils étaient hébergés dans les stations de phare.

[223] À la lumière de tous ces éléments de preuve, je n’ai pas été en mesure de conclure que les entrepreneurs n’étaient pas en déplacement lorsqu’ils étaient hébergés dans les stations de phare. Autrement dit, je n’ai pas trouvé de pratique consistant à faire payer tous les visiteurs, qu’ils soient ou non en déplacement, comme l’a allégué le fonctionnaire s’estimant lésé.

[224] Mon examen de l’Identifier 028 ne m’a pas non plus convaincue de l’existence de cette pratique.

[225] Tout d’abord, il prévoyait au paragraphe 4 que les paiements pour les nuitées étaient [traduction] « […] pour l’entretien et la maintenance des logements de réserve […] ». Cela était contraire à l’affirmation du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle les paiements découlaient d’un intérêt possessoire prépondérant sur le logement.

[226] Deuxièmement, le paragraphe 5 stipulait expressément que les gardiens de phare de relève n’étaient pas censés payer les 10 $ par nuit. Cela allait également à l’encontre de l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé selon lequel il avait un intérêt possessoire puisque les gardiens de phare de relève pouvaient être hébergés gratuitement.

[227] Troisièmement, le paragraphe 5 prévoyait que les gardiens de phare de relève étaient responsables de l’entretien et de la maintenance du logement de réserve pendant qu’ils l’occupaient. En conjonction avec le libellé du paragraphe 4 qui fondait également les paiements sur [traduction] « l’entretien et la maintenance des logements de réserve », cela permettait de déduire que l’intention était de facturer l’hébergement lorsque des services d’entretien étaient nécessaires, mais de ne pas le facturer lorsqu’ils ne l’étaient pas. Dans le cas des membres d’équipage d’ESC, il était incontesté qu’ils étaient responsables de l’entretien et de la maintenance de leur logement, et le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé à plusieurs reprises qu’il n’était pas responsable des membres d’équipage d’ESC ou de leur logement.

[228] Quatrièmement, le libellé du paragraphe 5 laissait entendre qu’il ne s’agissait pas d’une disposition indépendante, mais qu’il devait être lu conjointement avec le paragraphe 4, lequel mentionnait expressément la clause 5.05, qui limitait explicitement les paiements aux visiteurs en déplacement. Le paragraphe 5 prévoyait ensuite que [traduction] « [t]outes les personnes » qui utilisaient la maison de réserve étaient tenues de payer [traduction] « les 10,00 $ par nuit », à l’exception des gardiens de phare de relève. La mention du mot [traduction] « les » 10 $ laisse entendre qu’il doit être lu avec le paragraphe 4, car c’est le seul autre paragraphe qui mentionne ce paiement. On peut donc en déduire que la mention au paragraphe 5 de [traduction] « [t]outes les personnes » visait les personnes identifiées au paragraphe 4, c’est-à-dire les visiteurs en déplacement. Il convient également de souligner qu’aucune preuve n’a été présentée quant à la situation des gardiens de phare de relève et à la question de savoir s’ils étaient considérés comme étant en déplacement lorsqu’ils étaient hébergés dans une station de phare.

[229] Enfin, pour étayer l’interprétation du fonctionnaire s’estimant lésé, il aurait fallu un libellé clair, comme « nonobstant la clause 5.05, toutes les personnes […] sont tenues de payer 10,00 $ […] ». Dans le présent cas, le libellé de la convention collective et les éléments de preuve présentés n’étayent pas cette interprétation.

[230] Par conséquent, j’estime que le libellé de la convention collective et de l’Identifier 028 ainsi que la preuve produite par les parties n’étayent pas l’allégation du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle il existait une pratique permettant d’exiger des frais à tous les visiteurs qui séjournaient à une station de phare, peu importe s’ils étaient en déplacement ou non. N’ayant pas constaté l’existence de cette pratique, je conclus qu’il n’y a eu aucune contravention à l’annexe C ou à la clause 5.05.

D. La demande d’indemnisation du fonctionnaire s’estimant lésé sur la base de l’approche axée sur la mise en balance des intérêts et de la doctrine de l’enrichissement injustifié, ainsi que l’objection relative à la compétence formulée par le défendeur à l’encontre de ces arguments

[231] Dans ses observations finales, le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que l’approche axée sur la mise en balance des intérêts ou la doctrine de l’enrichissement injustifié pouvaient être utilisées pour lui accorder une indemnisation, même si la convention collective était par ailleurs muette sur son droit à une telle indemnisation.

[232] Dans ses observations, il a fait valoir que, dans le présent cas, la démarche axée sur la mise en balance des intérêts suivie par la CSC dans l’arrêt AJJ pouvait être invoquée pour invalider la [traduction] « […] politique [du défendeur] consistant à empêcher les gardiens de phare de demander une indemnisation pour l’utilisation du logement de réserve par les membres d’équipage des embarcations de sauvetage côtier ». Il a fait valoir que cela signifiait que même si la convention collective ne lui conférait pas le droit d’exiger une indemnisation, il était déraisonnable pour le défendeur de modifier ses conditions de travail et de porter atteinte à sa vie privée sans indemnisation correspondante.

[233] En ce qui concerne la doctrine de l’enrichissement injustifié, il a affirmé que le défendeur n’aurait pas dû être autorisé à réaliser des économies en appliquant une politique qui lui demandait du travail supplémentaire et qui portait atteinte à sa vie privée. Il a fait valoir que cette doctrine en equity avait servi à indemniser les employés qui fournissaient des services à leur employeur au-delà de ce qui était attendu d’eux en vertu des conventions collectives, mais qui ne s’inscrivaient pas directement dans une autre catégorie d’indemnisation prévue par les conventions collectives. Il a soutenu que la doctrine constituait un fondement distinct pour l’indemniser pour le travail supplémentaire qu’il avait dû effectuer pour assurer l’hébergement des membres d’équipage d’ESC à la station de phare.

[234] Le défendeur a contesté ces arguments pour plusieurs motifs. Il a invoqué l’arrêt Burchill, car ces arguments n’ont pas été avancés dans le grief ou au cours de la procédure de grief. Il a allégué que l’article 209(1)a) de la LRTSPF empêche la Commission d’examiner tout argument distinct indépendamment de la convention collective ou de la législation. Enfin, il a allégué que l’article 7 de la LRTSPF empêche la Commission de se déclarer compétente pour examiner et trancher un grief qui a trait à la décision du défendeur d’installer le personnel relevant du programme d’ESC à la station de phare ou qui vise à obtenir une indemnisation pour ce que le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu être des changements importants à ses conditions de travail.

[235] En réponse aux objections du défendeur, le fonctionnaire s’estimant lésé a clarifié sa position. Il a déclaré qu’il est reconnu en droit que la Commission est compétente pour examiner les décisions unilatérales de la direction qui touchent aux conditions de travail établies dans une convention collective. Il a cité l’arrêt AJJ, dans lequel la CSC a statué que le droit résiduel de la direction n’est pas illimité et que les droits de la direction doivent être exercés « raisonnablement et conformément à la convention collective ».

[236] Il a fait valoir que ses arguments étaient ancrés dans l’interprétation et l’application des clauses de la convention collective relatives à la rémunération, à l’annexe F. Il a déclaré que, à la base, son argument était qu’il était injuste (selon les règles d’equity) et déraisonnable (au regard des droits de la direction et selon l’arrêt AJJ) pour le défendeur de transformer la nature de son travail à chaque été sans indemnisation correspondante, [traduction] « comme cela a toujours été prévu dans tous les autres cas d’hébergement de visiteurs [je mets en évidence] ». Il a affirmé que le grief était demeuré inchangé et que ses nouveaux arguments n’étaient que des façons plus sophistiquées de le formuler.

[237] En y regardant de plus près, les deux ont été présentés comme des arguments subsidiaires. L’idée était que si je concluais que la convention collective ne prévoyait pas le droit de facturer à tous les visiteurs l’hébergement à une station de phare, je pourrais utiliser ces arguments pour accorder une indemnisation au fonctionnaire s’estimant lésé, comme cela avait été fait, selon ses dires, dans d’[traduction] « autres » cas d’hébergement de visiteurs.

[238] Puisque j’ai déjà conclu que la convention collective n’étayait pas l’interprétation du fonctionnaire s’estimant lésé, il est difficile d’expliquer comment l’approche axée sur la mise en balance des intérêts ou la doctrine de l’enrichissement injustifié pourraient justifier une interprétation différente. En tant qu’arbitre de grief, je ne peux pas modifier les clauses de la convention collective au motif qu’elles sont injustes ou déraisonnables. Cela reviendrait à insérer dans la convention collective des mots qui n’y figurent pas. Non seulement cela serait contraire aux règles d’interprétation bien établies, mais l’article 229 de la LRTSPF m’interdit de le faire.

[239] Par conséquent, je n’ai pas compétence pour utiliser ces arguments afin d’interpréter et d’appliquer les clauses de la convention collective, comme le préconisait le fonctionnaire s’estimant lésé. En outre, je n’ai pas compétence pour utiliser ces arguments indépendamment des clauses de la convention collective, comme il le préconisait également.

[240] Le grief ne fait référence ni directement ni indirectement à une clause de la convention collective qui étayerait l’approche axée sur la mise en balance des intérêts ou les arguments relatifs à l’enrichissement injustifié; le fonctionnaire s’estimant lésé n’en a d’ailleurs mentionné aucune dans ses observations. Au contraire, il a soutenu que ces arguments créaient un droit à l’indemnisation malgré l’absence d’un tel droit dans la convention collective.

[241] Par conséquent, les arguments du fonctionnaire s’estimant lésé ne satisfont pas aux exigences de l’article 209(1)a) de la LRTSPF puisqu’ils ne portent pas sur « soit l’interprétation ou l’application […] de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ». Par conséquent, je n’ai pas compétence pour les entendre.

[242] Compte tenu de mes conclusions à cet égard, je n’ai pas besoin d’examiner les autres arguments du défendeur en matière de compétence.

E. L’allégation du fonctionnaire s’estimant lésé en matière de discrimination fondée sur la situation de famille ou l’état matrimonial, ainsi que l’objection du défendeur relativement à la compétence à cet égard

[243] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que la pratique du défendeur consistant à considérer un second logement comme un logement de réserve dans une station de phare où sont hébergés des gardiens de phare dans une relation conjugale constituait une discrimination fondée sur la situation de famille. Il a fait valoir que la fourniture d’un logement faisait partie intégrante de la rémunération d’un gardien de phare, et que le fait de fournir un seul logement à deux gardiens de phare mariés constituait une rémunération moindre en raison de la situation de famille ou de l’état matrimonial.

[244] Dans ses observations finales, le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé qu’il était conscient de cette injustice lors de ses discussions avec le défendeur, bien qu’il ne l’ait pas qualifiée de discrimination. Il a demandé 10 000 $ pour préjudice moral au titre de l’article 53(2)e) de la LCDP et 10 000 $ au titre de l’article 53(3) pour un acte discriminatoire délibéré et inconsidéré de la part du défendeur.

[245] Invoquant l’arrêt Burchill, le défendeur a contesté cet argument, car il n’a pas été avancé ou examiné au cours de la procédure de grief.

[246] Compte tenu des arguments des parties, j’estime que je n’ai pas compétence pour examiner l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé. Pour tirer cette conclusion, j’ai été principalement influencée par les déclarations faites dans la décision Boudreau et l’arrêt Shneidman.

[247] Dans la décision Boudreau, au paragraphe 19, la Cour fédérale a souligné que les règles d’équité procédurale prévoient que le défendeur ne devrait pas être tenu de se défendre à l’arbitrage contre ce qui suit :

[19] […] des questions dont la caractérisation est très différente de celle en litige au cours de la procédure de règlement de grief. Il ne s’agit pas d’une simple formalité, mais d’un aspect fondamental au bon fonctionnement du système de règlement des différends en matière de conflits de travail au sein de l’administration publique fédérale […]

 

[248] La Cour d’appel fédérale a également abordé cette question dans l’arrêt Shneidman, au paragraphe 27 :

[27] Lorsque le grief est suffisamment détaillé à première vue, l’employeur sera au courant de la nature de celui‑ci à tous les paliers. Par contre, lorsque, comme en l’espèce, le grief n’indique pas clairement à première vue les motifs d’illégalité sur lesquels elle s’appuiera, l’employée doit préciser, à chaque étape de la procédure interne de grief, la nature exacte de sa plainte si elle entend renvoyer l’affaire à l’arbitrage.

 

[249] En résumé, le fonctionnaire s’estimant lésé était libre de soulever de nouveaux arguments lors de l’arbitrage, mais ceux-ci devaient tout de même se rapporter à l’essence du grief. Si le libellé d’un grief n’est pas clair, il doit être clarifié au cours de la procédure de grief.

[250] Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas nié que son argument fondé sur la discrimination était nouveau et qu’il n’avait pas été soulevé auparavant. Le fait qu’il ait donné son avis à la Commission canadienne des droits de la personne quelques jours seulement avant l’audience (au moyen du formulaire 24 de la Commission) corrobore ce point.

[251] Par conséquent, il s’agit de savoir si son argument a modifié l’essence du grief.

[252] J’ai déjà déterminé que le grief reposait essentiellement sur la revendication du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle il avait droit à une indemnisation compte tenu de la pratique consistant à autoriser les gardiens de phare à facturer tous les séjours à la station de phare.

[253] Le libellé du grief ne fait aucune mention des points soulevés dans l’argument fondé sur la discrimination qui a été avancé par le fonctionnaire s’estimant lésé. Il n’invoque pas la discrimination ou la LCDP, que ce soit directement ou indirectement. Il ne mentionne pas son état matrimonial ou sa situation de famille. Il ne demande aucune réparation au titre de la LCDP. Il ne s’agit pas d’une indemnisation moindre du fait d’une relation conjugale. Il ne mentionne aucun problème lié au fait de considérer la deuxième habitation comme une habitation de réserve. Il ne mentionne aucune politique de refus d’indemnisation adoptée par le défendeur. Au contraire, il renvoie à l’Identifier 028, qui, selon lui, conférait ces droits.

[254] Comme il a été jugé dans l’arrêt Shneidman, si le libellé du grief manque de clarté, il incombe au fonctionnaire s’estimant lésé d’apporter des éclaircissements pendant la procédure de grief. Aucun éclaircissement n’a été apporté à cet égard.

[255] Par conséquent, j’estime que l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé concernant la discrimination ne s’inscrit pas dans le cadre du grief. Il n’y avait tout simplement aucune raison laissant croire ou supposer au défendeur que le grief comportait une plainte pour discrimination fondée sur la situation de famille ou l’état matrimonial.

[256] Cela dit, le fonctionnaire s’estimant lésé a également affirmé que la LCDP étant une loi quasi constitutionnelle, elle a préséance sur la LRTSPF, et que la Commission ne peut souscrire à une interprétation discriminatoire de la convention collective. Le défendeur n’a pas contesté cet argument; je ne le rejette pas non plus.

[257] Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que la pratique du défendeur consistant à fournir un seul logement à deux gardiens de phare mariés était discriminatoire, car elle représentait une rémunération moindre en raison de la situation de famille ou de l’état matrimonial du fonctionnaire s’estimant lésé. Il n’a pas précisé quelle clause de la convention collective serait discriminatoire. Toutefois, étant donné que l’annexe C était la seule partie de la convention collective qui mentionnait l’octroi de logements, je présume que c’était ce dont il parlait.

[258] L’annexe C entérinait la pratique consistant à fournir un logement aux gardiens de phare. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que son employeur lui en avait fourni un et que son épouse vivait avec lui. Il n’a pas été prouvé qu’elle avait demandé son propre logement ou qu’elle avait été contrainte de le partager avec lui. Tout porte à croire que sa décision de vivre avec son épouse était volontaire. Ayant fait ce choix volontairement, il ne pouvait pas prétendre à l’audience qu’il était discriminatoire.

[259] En outre, il n’avait pas droit à une indemnité pour les nuitées des membres d’équipage d’ESC, car ils n’étaient pas en déplacement. S’ils l’avaient été, il aurait été indemnisé. Il n’y a aucun lien entre sa situation de famille ou son état matrimonial et le fait qu’un visiteur du phare soit en déplacement ou non.

[260] Enfin, je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles les conditions de vie du fonctionnaire s’estimant lésé lui étaient favorables, puisqu’elles avaient eu pour effet de créer un logement de réserve. Rien dans la preuve n’indique qu’il aurait été dans une meilleure situation si son épouse et lui avaient occupé les deux maisons séparément. Au contraire, selon son témoignage, lors des séjours des membres d’équipage d’ESC à la station de phare avant 2006, le GPA déménageait dans une autre station de phare à proximité pour l’été. Selon ce scénario, le GPP aurait continué à avoir droit à une indemnité si les visiteurs étaient en déplacement.

[261] Pour les motifs indiqués ci-dessus, je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas démontré que l’application de la convention collective par le défendeur était discriminatoire.

[262] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[263] Le grief est rejeté.

Le 9 avril 2025.

Traduction de la CRTESPF

Audrey Lizotte,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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