Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a déposé un grief contestant la décision du défendeur de la mettre en congé administratif non payé pour ne pas s’être conformée à la Politique. Le défendeur a déposé deux objections. Premièrement, il s’est opposé au renvoi à l’arbitrage du grief de la demanderesse en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi, puisque ses allégations de discrimination n’ont pas été soulevées pendant la procédure de règlement des griefs. Le défendeur a soutenu que cela constituait un changement au grief, ce qui n’est pas permis par le principe énoncé dans Burchill. La Commission a examiné le libellé du grief et a conclu qu’il ne faisait aucune référence à la discrimination. Elle a accueilli la première objection. La deuxième objection concernait le respect du délai du grief. Il a été renvoyé à l’arbitrage environ deux ans après l’expiration du délai. La demanderesse a soutenu que le retard était dû à l’erreur de l’agent négociateur. La Commission a appliqué les critères énoncés dans Schenkman et a conclu que la durée du retard, le manque de diligence raisonnable de la demanderesse et l’absence d’une raison claire, logique et convaincante pour le retard étaient tous des facteurs qui avaient pesé contre l’accueil de la demande de prorogation du délai.

Objections accueillies.
Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20250616

Dossier: 568-13-51461

XR: 566-13-50626 et 50631

 

Référence: 2025 CRTESPF 74

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Erin Turnbull

demanderesse

 

et

 

centre de la sÉcuritÉ des tÉlÉcommunications

 

défendeur

Répertorié

Turnbull c. Centre de la sécurité des télécommunications

Affaire concernant une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Brian Russell, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Eve Berthelot, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Kerri Fisher

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 13 septembre 2024, le 17 janvier, le 11 février et le 12 mars 2025.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande de prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage devant la Commission

[1] La présente décision porte sur une demande de prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage. Pour les raisons suivantes, je rejette la demande.

[2] Erin Turnbull (la « demanderesse ») a déposé un grief s’opposant à la décision du Centre de la sécurité des télécommunications (le « défendeur ») de la placer en congé administratif non payé pour ne pas s’être conformée à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 des employés du Centre de la sécurité des télécommunications (la « Politique »).

[3] Le défendeur a déposé des objections auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), alléguant que le grief avait été déposé en dehors du délai prévu dans la convention collective pertinente et que la demanderesse avait changé la nature du grief lorsqu’elle l’avait renvoyé à l’arbitrage en vertu des articles 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[4] La Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) précise que la Commission peut trancher toute question dont elle est saisie sans tenir d’audience. Les renseignements contenus dans les arguments écrits des parties me permettent de trancher la question sans tenir d’audience.

II. Résumé des éléments de preuve

[5] La demanderesse est une analyste des activités, classifiée au groupe et au niveau UNI-07. Elle a été placée en congé administratif non payé pour ne pas s’être conformée à la Politique le 4 avril 2022.

[6] La demanderesse a déposé son grief le 5 avril 2022.

[7] On peut y lire ceci :

[Traduction]

LA « POLITIQUE SUR LA VACCINATION CONTRE LA COVID-19 DES EMPLOYÉS DU CST » EST EXCLUSIVE ET INJUSTE. ELLE VA À L’ENCONTRE DE L’AUTONOMIE CORPORELLE ET LA SANCTION IMPOSÉE PAR LE CST, QUI EST DE RESTREINDRE MA CAPACITÉ D’EXERCER MES FONCTIONS ET DE ME PRIVER DE MON REVENU INDÉFINIMENT, EST GROSSIÈREMENT EXORBITANTE.

 

[8] En ce qui concerne la mesure corrective demandée, on peut lire ceci : [traduction] « RÉTABLISSEMENT COMPLET DES FONCTIONS, DU SALAIRE ET DES AVANTAGES ».

[9] La réponse au grief au dernier palier lui a été envoyée le 10 août 2022. Le lendemain, son représentant local de l’Union des employés de la Défense nationale (UEDN), qui est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur » ou AFPC), a envoyé un courriel à un représentant national de l’UEDN pour lui demander quelles étaient les prochaines étapes du grief.

[10] Le représentant local a envoyé un courriel semblable le 1er septembre 2022. Le représentant national a répondu le même jour, indiquant que le grief serait transmis à l’AFPC et qu’il communiquerait avec elle la semaine suivante.

[11] La date limite pour renvoyer le grief à l’arbitrage était le 19 septembre 2022.

[12] La demanderesse a commencé son congé de maternité le 10 juillet 2023.

[13] La demanderesse a envoyé un courriel à l’employeur pour lui demander son accord afin de prolonger le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage le 28 mars 2024. Le 25 juillet 2024, l’employeur a avisé la demanderesse qu’il n’acceptait pas de prolonger le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage.

[14] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 3 septembre 2024. Il a été renvoyé en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi, qui traite de l’interprétation d’une disposition de la convention collective et inscrit sous la rubrique [traduction] « Aucune discrimination (droits de la personne) Formulaire 24 ». Il a également été renvoyé en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi, qui traite des mesures disciplinaires entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire.

[15] La demanderesse est revenue de son congé de maternité le 6 janvier 2025.

III. Résumé de l’argumentation

A. Modification de la nature du grief

[16] Le défendeur soutient que la demanderesse a tenté de modifier la nature du grief par rapport à celle qui a été traitée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Il soutient que cela est contraire aux principes énoncés dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

[17] Le défendeur soutient que le formulaire de grief ne contient aucune allégation de discrimination et qu’il n’y a aucune allégation de violation de la convention collective ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). Il soutient que le grief indique ce qui suit : [traduction] « […] l’autonomie corporelle et la sanction par le CST […] ». Selon le défendeur, il n’y a pas de lien clair entre le grief et une disposition de la convention collective.

[18] La demanderesse soutient que l’inclusion d’un renvoi en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi ne constitue pas un changement de nature par rapport à la façon dont le grief a été présenté aux paliers précédents. Bien que le formulaire de grief ne mentionne pas directement l’article 6 : Élimination de la discrimination et du harcèlement, elle a soulevé sa situation de famille (en ce qui concerne son retour de son premier congé de maternité) dans son exposé de grief avant ce renvoi.

[19] Bien qu’elle ait eu la possibilité de rester en congé de maternité pendant 18 mois, elle est retournée au travail après 12 mois. Sa décision de retourner au travail à la fin de son congé de maternité de 12 mois a été éclairée par l’information disponible concernant la COVID-19 à l’époque, et elle n’a appris qu’elle serait mise en congé non payé (CNP) indéfiniment qu’après son retour au travail. Elle a été placée en CNP seulement deux semaines après son retour de congé de maternité. Elle était également en télétravail à temps plein au moment où elle a été mise en congé non payé, ce qui distingue le présent cas de Rehibi c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 47, puisque son statut vaccinal n’a pas posé de risque immédiat pour ses collègues ou ses clients en raison de son entente de télétravail.

B. Respect des délais

[20] Le défendeur soutient que le grief a été renvoyé à l’arbitrage environ deux ans après l’expiration du délai pour le faire. Il soutient que le grief est hors délai et que la Commission n’a pas compétence pour l’entendre.

[21] La demanderesse reconnaît que le grief a été renvoyé à l’arbitrage en retard. Elle soutient que la demande devrait être accueillie, dans l’intérêt de l’équité.

C. La demande

1. Pour la demanderesse

[22] La demanderesse soutient que le retard était entièrement dû à l’erreur de transmission commise par l’agent négociateur. Elle cite Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, comme autorité pour déterminer si je dois accorder la demande, par souci d’équité. Les cinq critères Schenkman sont les suivants :

· des raisons claires, logiques et convaincantes justifient le retard;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du demandeur;

· l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la demande est accueillie;

· les chances de succès du grief.

 

a. Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard

[23] La demanderesse soutient que le grief a été présenté dans le délai prescrit aux premier et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs et que l’erreur de l’agent négociateur de ne pas le renvoyer à l’arbitrage à temps est une raison claire, logique et convaincante du retard. Elle soutient qu’elle croyait sincèrement que son grief serait renvoyé à l’arbitrage dans le délai prescrit et qu’elle s’est fondée sur cette croyance à son détriment.

[24] Elle soutient que le représentant national de l’agent négociateur a quitté l’UEDN au début de 2023 et qu’il n’a pas été en mesure de remarquer l’erreur dans la transmission du grief dans le délai demandé. Elle soutient également qu’on lui a dit qu’une fois qu’un grief est envoyé à la Commission, le délai est important. Enfin, elle soutient qu’elle avait eu un enfant et qu’elle était en congé. Elle a fait un suivi à son retour de congé.

[25] Elle soutient qu’elle ne devrait pas être pénalisée en raison de l’erreur de l’agent négociateur. À l’appui de son argument, elle cite D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, aux paragraphes 19 à 24; Lessard-Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada), 2022 CRTESPF 40, aux paragraphes 36 à 46; Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, aux paragraphes 48 à 50; et Slusarchuk c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 22, au paragraphe 44.

b. Durée du retard

[26] La demanderesse soutient que le délai de 24 mois est semblable au délai de 20 mois survenu dans Barbe, dans laquelle la demande a été accueillie.

c. Diligence raisonnable de la demanderesse

[27] La demanderesse soutient qu’elle a fait preuve de diligence parce qu’elle a signé son grief et les transmissions dans le délai donné. Elle a fait un suivi auprès de l’agent négociateur en mars 2024, alors qu’elle était en congé de maternité, pour savoir où en était son grief.

[28] La demanderesse soutient également que l’agent négociateur a fait preuve de diligence parce que, lorsqu’il a pris connaissance de l’erreur, il a communiqué avec le défendeur pour demander une prorogation de délai, en mars 2024.

d. Mettre en balance l’injustice envers la demanderesse et le préjudice causé au défendeur si la demande est accueillie

[29] La demanderesse soutient qu’elle subirait un préjudice si la demande n’était pas accueillie parce que le grief porte sur la décision unilatérale du défendeur de la mettre en congé non payé. Elle soutient que la perte de revenu pendant ce congé constitue une pénalité financière importante.

[30] Elle soutient également que le défendeur subirait un préjudice minime si la demande était accueillie parce qu’il y aurait peu de témoignages à l’appui.

e. Chances de succès

[31] La demanderesse soutient que le grief n’est pas frivole ou vexatoire et qu’il n’est pas possible de déterminer les chances de succès du grief à cette étape préliminaire. À l’appui de son argument, elle cite Mazzini c. Agence du revenu du Canada, 2024 CRTESPF 105, au paragraphe 39.

2. Pour le défendeur

[32] Le défendeur soutient que la Commission ne devrait accorder une prorogation de délai que dans des cas exceptionnels, par souci d’équité. À l’appui de son argument, il cite Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39; et Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92.

[33] Le défendeur fait valoir que, dans la demande, la demanderesse n’a relevé aucune circonstance exceptionnelle qui justifie l’octroi d’une prorogation de délai.

a. Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard

[34] Le défendeur soutient que l’erreur de renvoi du grief à l’arbitrage ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante du retard. Il cite Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, qui affirme que les erreurs, les omissions ou la négligence de l’agent négociateur ne sont pas des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant un retard.

[35] Il cite également Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, qui stipule que pour qu’une demande soit accordée, il doit y avoir « […] une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard […] ». Il soutient que la demanderesse n’a pas présenté de motifs suffisants pour justifier le retard dans le renvoi du grief à l’arbitrage, de sorte que la Commission ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour accueillir la demande.

b. Durée du retard

[36] Le défendeur soutient que le grief a été renvoyé à l’arbitrage près de deux ans après l’expiration du délai pour le renvoyer. Près de 24 mois, c’est un retard important.

[37] Le défendeur soutient que le présent cas n’est pas comme Barbe parce qu’il n’y avait pas de confusion au sujet du délai de 40 jours et que la demanderesse aurait pu renvoyer son grief à l’arbitrage sans l’appui de son agent négociateur. Dans Barbe, le fonctionnaire avait besoin de ce soutien.

c. Diligence raisonnable de la demanderesse

[38] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait fait preuve de diligence. Au début de septembre 2022, elle a fait un suivi sur l’état de son grief. L’agent négociateur a indiqué qu’il le transmettrait à l’AFPC la semaine suivante et qu’il la tiendrait au courant.

[39] Le défendeur soutient qu’aucune explication n’a été fournie quant aux raisons pour lesquelles le représentant de l’agent négociateur local n’a pas fait de suivi pour confirmer que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage. Il fait également valoir qu’entre septembre 2022 et mars 2024, il n’y a pas eu de suivi, ce qui démontre un manque de diligence. Aucune explication n’a été fournie quant à ce qui s’était passé pendant cette période.

d. Mettre en balance l’injustice envers la demanderesse et le préjudice causé au défendeur si la demande est accueillie

[40] Le défendeur soutient qu’il est en droit de s’attendre à ce que la présente affaire se soit terminée en septembre 2022, lorsque le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage s’est écoulé. Il soutient qu’il serait injuste et contraire aux principes de bonnes relations de travail d’accueillir la demande près de deux ans après l’expiration du délai. Il fait valoir que ce facteur ne devrait pas avoir beaucoup de poids.

e. Chances de succès

[41] Le défendeur soutient qu’en l’absence de preuves, il est difficile de déterminer les chances de succès de ce grief.

IV. Motifs

A. Modification de la nature du grief

[42] Je conclus que la demanderesse a modifié la nature de son grief lorsqu’elle l’a renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi et que le grief n’est pas dûment présenté à la Commission. Dans Bowden, au paragraphe 37, il est précisé que les griefs sont rarement des documents juridiques bien rédigés et que, pour déterminer la nature d’un grief, il est nécessaire de les examiner dans le contexte des faits, ainsi que le libellé en examinant à la fois la section des détails et la mesure corrective demandée.

[43] Le libellé du grief indique ceci :

[Traduction]

LA « POLITIQUE SUR LA VACCINATION CONTRE LA COVID-19 DES EMPLOYÉS DU CST » EST EXCLUSIVE ET INJUSTE. ELLE VA À L’ENCONTRE DE L’AUTONOMIE CORPORELLE ET LA SANCTION IMPOSÉE PAR LE CST, QUI EST DE RESTREINDRE MA CAPACITÉ D’EXERCER MES FONCTIONS ET DE ME PRIVER DE MON REVENU INDÉFINIMENT, EST GROSSIÈREMENT EXORBITANTE.

 

[44] La mesure corrective demandée indique ceci : [traduction] « RÉTABLISSEMENT COMPLET DES FONCTIONS, DU SALAIRE ET DES AVANTAGES ».

[45] À première vue, le grief ne fait pas référence à la discrimination ou à la convention collective. Il parle d’une politique qui est « exclusive », « injuste », qui porte « atteinte à l’autonomie corporelle » et constitue une « sanction ». La mesure corrective demandée ne fait pas référence à la discrimination ou à la convention collective. Elle parle de rétablir les droits, les salaires et les avantages sociaux.

[46] J’ai également examiné les réponses au grief aux premier et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs. Aucune de ces réponses ne fait référence à des allégations de discrimination ou de violation de la convention collective.

[47] D’après la lecture du grief lui-même et le contexte des faits, je ne peux pas trouver de lien avec la discrimination ou avec la convention collective, ce qui signifie que le grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi n’est pas dûment soumis à la Commission.

B. Respect des délais

[48] Les demandes de prorogation de délai sont présentées en vertu de l’article 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), qui stipule que la Commission peut accorder une prorogation de délai dans l’intérêt de l’équité. Comme dans le présent cas, les parties présentent souvent des arguments au sujet de ces demandes en se fondant sur les critères Schenkman. Les critères ne sont pas censés être une formule ou appliqués de façon mathématique (voir Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 57, au paragraphe 30). Le point de départ de mon analyse est le Règlement et l’intérêt de l’équité (voir Barbe, aux paragraphes 24, 25 et 26).

[49] J’ai lu les arguments des parties. La demanderesse n’a pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard, sa durée est excessive et elle a manqué de diligence. Je conclus que, dans le cas présent, ces facteurs l’emportent sur les autres, et je rejette donc la demande.

C. Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard

[50] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage près de 24 mois après la date limite. J’ai examiné l’échange de courriels entre le représentant local et le représentant national de l’agent négociateur au sujet du grief et des prochaines étapes. Une question a été posée concernant les prochaines étapes, et on a répondu que le grief serait transmis à l’AFPC et que le représentant national de l’agent négociateur communiquerait avec elle la semaine suivante.

[51] La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi le représentant local de l’agent négociateur n’a pas donné suite lorsqu’il n’a pas reçu de réponse du représentant national de l’agent négociateur une semaine plus tard, ni pourquoi la demanderesse ou le représentant local de l’agent négociateur n’ont pas été en mesure de renvoyer le grief à l’arbitrage par eux-mêmes.

[52] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu des articles 209(1)a) et b) de la Loi. La demanderesse n’avait pas besoin de l’appui de son agent négociateur pour renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi, qui concerne les mesures disciplinaires entraînant un congédiement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire.

[53] Cela pèse lourdement en faveur du défendeur.

D. Durée du retard

[54] La durée du retard est d’environ 24 mois au-delà du délai prescrit dans la convention collective. Je suis d’accord avec le raisonnement dans Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 23, au paragraphe 16, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de seuil à partir duquel une date est jugée raisonnable. Compte tenu des faits dans le présent cas, je considère que le délai de 24 mois est déraisonnable.

[55] L’étape de la procédure de règlement des griefs où le retard est survenu est également un facteur à prendre en considération. Dans le présent cas, le retard est survenu dans le renvoi à l’arbitrage et non dans la transmission du grief dans le cadre de la procédure ministérielle de règlement des griefs (voir Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60).

[56] Bien qu’il puisse être dans l’intérêt de l’équité que la Commission proroge le délai prescrit pour présenter un grief dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et renvoyer le grief à l’arbitrage, il est également dans l’intérêt de l’équité que les parties s’attendent à ce qu’un grief soit réglé lorsqu’il n’a pas été présenté dans le délai prescrit, en particulier environ 24 mois après le délai pour le renvoyer à l’arbitrage.

[57] Dans le présent cas, la durée du délai et l’étape de la procédure de règlement des griefs pendant laquelle il est survenu pèsent lourdement en faveur du défendeur.

E. Diligence raisonnable de la demanderesse

[58] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence. Aucune explication n’a été donnée quant aux raisons pour lesquelles le représentant local de l’agent négociateur n’a pas fait de suivi pour confirmer que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage. Il n’y a pas eu de suivi entre septembre 2022 et mars 2024, ce qui démontre également un manque de diligence. Je fais remarquer que la demanderesse avait eu un enfant et était en congé à compter de juillet 2023. Aucune explication n’a été donnée sur ce qui s’est passé entre septembre 2022 et juillet 2023. On n’a pas non plus expliqué pourquoi le représentant local de l’agent négociateur n’a pas assuré le suivi pour la demanderesse pendant la période où elle était en congé de maternité.

[59] Il n’y avait pas non plus d’explication quant à la raison pour laquelle le grief n’avait pas été renvoyé à l’arbitrage lorsque l’employeur a refusé la demande de prorogation de délai de la demanderesse le 25 juillet 2024. Je fais remarquer que le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 3 septembre 2024, soit 27 jours ouvrables ou 40 jours civils plus tard.

[60] Cela pèse lourdement en faveur du défendeur.

F. L’équilibre entre l’injustice envers la demanderesse et le préjudice causé au défendeur si la demande est accueillie

[61] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il était en droit de s’attendre à ce que la présente affaire ait pris fin en septembre 2022, lorsque le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage s’est écoulé. Toutefois, la demanderesse n’a aucun autre recours si la demande est rejetée, et le grief porte sur une perte de salaire.

[62] Cela pèse en faveur de la demanderesse.

G. Chances de succès

[63] Je conviens avec les parties qu’il est prématuré d’évaluer ce facteur à ce stade.

[64] Je ne donne aucun poids à ce facteur.

V. Conclusion

[65] La demanderesse n’a pas fourni de raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard. La durée du retard est importante et la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable.

[66] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[67] L’objection de compétence concernant le grief renvoyé en vertu de l’article 209(1)a) est accueillie.

[68] L’objection fondée sur le respect des délais est accueillie.

[69] La demande de prorogation du délai est rejetée.

[70] Les griefs dans les dossiers 566-13-50626 et 50631 de la Commission sont rejetés.

Le 16 juin 2025.

Traduction de la CRTESPF

Brian Russell,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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