Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé un grief de principe pour contester l’interprétation de l’employeur de la clause 28.10 de la convention collective, laquelle prévoyait le remboursement des frais de transports lorsqu’un employé était appelé à travailler des heures supplémentaires dans des conditions énoncées aux alinéas 28.05b) et c) et à l’alinéa 28.06c) et était obligé d’utiliser des services de transport autres que les services de transport en commun normaux. Les deux parties ont soumis que la clause 28.10 n’était pas ambiguë, mais qu’elles l’interprétaient différemment. La clause 28.04 de la convention collective prévoyait que « l’employeur doit, dans la mesure du possible, donner un préavis d’au moins quatre (4) heures […] » avant d’octroyer des heures supplémentaires. L’employeur interprétait cette clause comme étant une condition pour avoir droit au remboursement des frais de transport, et il a adopté une politique à cette fin. Il a soumis que la phrase « qui est tenu de se présenter au travail et qui s’y présente […] » avait été interprétée par la jurisprudence comme requérant un préavis de moins de 4 heures. Selon l’agent négociateur, cette interprétation constituait une modification unilatérale des conditions de travail car les seules conditions pour avoir droit au remboursement étaient énoncées à la clause 28.10 et aux alinéas auxquels elle faisait référence, ce qui n’incluait pas la clause 28.04. La Commission a déterminé que : (1) la clause 28.10 de la convention collective n’est pas ambiguë; (2) la clause 28.10 ne requiert pas un préavis de moins de 4 heures pour avoir droit au remboursement des frais et transport; et (3) l’interprétation de l’employeur de la clause 28.10 enfreint la convention collective. La Commission a également conclu que l’interprétation de l’employeur constituait un abus du droit de gestion. L’agent négociateur a demandé le remboursement des frais des employés qui se sont présentés au travail selon les modalités de la clause 28.10 de la convention collective, mais la Commission a décidé qu’une telle réparation n’était pas appropriée dans le présent cas.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20250623

Dossier: 569-02-48050

 

Référence: 2025 CRTESPF 78

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Alliance de la fonction publique du Canada

agent négociateur

 

et

 

Conseil du Trésor

 

employeur

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant : Guy Grégoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur : Zeni Andrade, avocat

Pour l’employeur : Noémie Lebel, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 12 et 18 juin et les 8 et 30 août 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief de principe renvoyé à l’arbitrage

[1] La clause 28.10 de la convention collective pour le groupe Services des programmes et de l’administration (PA), signée en 2017 et en 2020, prévoit le remboursement des frais de transport raisonnables lorsqu’un employé est appelé à travailler des heures supplémentaires. Le 18 janvier 2021, l’employeur a émis sa nouvelle interprétation de cette clause pour inclure la notion de court préavis.

[2] Le 9 février 2021, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur » ou AFPC), au nom du Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada (SEIC), a déposé ce grief de principe contre le Conseil du Trésor (l’« employeur »). Le 18 août 2023, le grief a été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[3] L’agent négociateur soumet que l’interprétation de l’employeur de la clause 28.10 de la convention collective va à l’encontre de la convention collective.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le grief est fondé et les mesures correctives accordées sont celles décrites dans la conclusion.

[5] La Commission rend sa décision sur le présent grief de principe sur la base des arguments écrits déposés par les parties les 12 et 18 juin et les 8 et 30 août 2024.

II. Résumé de la preuve

[6] Pour l’analyse du présent grief de principe, j’ai pris connaissance de tous les arguments écrits des parties. Je n’entends pas tous les reproduire. J’estime qu’ils font partie du dossier et je ferai référence aux arguments pertinents qui ont mené à ma conclusion. Les parties ont également déposé un bref énoncé conjoint des faits.

[7] Le grief se lit comme suit :

[…]

Le 18 janvier 2021, la gestion a annoncé par écrit aux employés sa nouvelle interprétation de l’article 28.10 concernant le remboursement des frais de transport lorsque les heures supplémentaires sont planifiées à l’avance ou à court préavis.

Cette décision va à l’encontre de la convention collective incluant l’article 28.10 couvrant les frais de transport.

Les mesures correctives demandées

Que la gestion révise sa décision et rembourse les frais de transport rétroactivement au 18 janvier 2021 à tous les employés qui se sont présentés au travail selon les conditions énoncées aux alinéas 28.05b) et c) et à l’alinéa 28.06c) et qui ont utilisé un service de transport autre que les services de transport en commun normaux.

Toutes autres mesures correctives jugées pertinentes qui pourraient être soulevées au cours de la procédure de traitement de ce grief.

 

[8] L’énoncé conjoint des faits fait état de renseignements pertinents. Au moment des faits, les parties étaient liées par la convention collective applicable au groupe PA, qui arrivait à échéance le 20 juin 2018, et subséquemment, par la convention collective pour le même groupe signée le 23 octobre 2020 et qui expirait le 20 juin 2021. Les clauses visées par le présent grief de principe sont demeurées les mêmes dans les conventions collectives.

[9] L’employeur est le Conseil du Trésor et le service interne impliqué est la Direction des services des versements des prestations (DSVP) au sein d’Emploi et développement social Canada (EDSC).

[10] En 2017, la DSVP a pris connaissance d’une disparité de traitement entre ses différents bureaux nationaux concernant le remboursement des dépenses raisonnables des frais de transport des employés lorsqu’ils étaient appelés à effectuer des heures supplémentaires de travail en vertu de la clause 28.10 de la convention collective. En février 2020, l’agent négociateur a demandé à l’employeur de prendre une position claire sur la question afin de faciliter la compréhension de la situation et des paramètres applicables.

[11] Le 7 janvier 2021, sans qu’une entente ou convention ne soit intervenue entre les parties, la sous-ministre adjointe a avisé, par courriel, la Direction générale des ressources humaines d’une revue des pratiques ministérielles relatives aux heures supplémentaires effectuées pour assurer une constance dans l’application à l’échelle nationale à partir du 18 janvier 2021. Dans ce courriel, la Politique sur le remboursement des frais de transport lorsque les heures supplémentaires sont planifiées à l’avance ou à court préavis (la « politique ») a été communiquée aux gestionnaires pour distribution aux employés.

[12] Le 21 janvier 2021, l’AFPC a été informée de la politique. Au cours de la semaine du 25 janvier 2021, un bulletin des RH (ressources humaines) communiquait les mises à jour concernées. Par cette correspondance, EDSC avait décidé d’aligner l’ensemble de ses pratiques à l’échelle nationale.

[13] Le 22 février 2021, un avis de négocier collectivement a été envoyé pour le groupe PA. En date du 29 mai 2023, pour la région du Québec, aucun grief n’avait été déposé adressant spécifiquement l’enjeu du remboursement des frais de transport relatif aux heures supplémentaires.

[14] Le 3 août 2023, le grief de principe a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. L’employeur considère que, pour avoir droit au remboursement des dépenses raisonnables de frais de transport, il doit avoir besoin des services de l’employé à court préavis et l’employé ne peut pas utiliser les services de transport en commun.

[15] L’énoncé conjoint des faits déposé en preuve comprend les conventions collectives pertinentes expirant respectivement le 20 juin 2018 et le 20 juin 2021; un échange de courriels des 7 et 8 janvier 2021 ayant pour objet « Important : Alignement des pratiques ministérielles : Heures supplémentaires […] »; un document, non daté, intitulé « Remboursement des frais de transport lorsque les heures supplémentaires sont planifiées à l’avance ou à court préavis »; un échange de courriels des 18 et 28 janvier 2021 entre Roger Otis et Sylvain Archambault portant le même objet que cité précédemment; un courriel daté du 21 janvier 2021 portant le même objet et incluant un document intitulé « Indemnité de repas pour les heures supplémentaires »; un bulletin des RH comportant une date de modification du 28 novembre 2023; le document du grief de principe de l’agent négociateur daté du 15 février 2021; la réponse du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

[16] D’entrée de jeu, l’AFPC affirme que l’employeur n’a pas le droit d’agir unilatéralement pour imposer de nouvelles exigences comme il l’a fait pour accepter le remboursement des frais de transport aux employés qui acceptent d’effectuer du temps supplémentaire un jour de fin de semaine et/ou lors d’un jour de repos en vertu d’un horaire variable en vertu de la clause 25.09 de la convention collective.

[17] L’AFPC considère que l’employeur a modifié unilatéralement les conditions de travail en adoptant sa politique. Elle soutient que, malgré les termes utilisés, il ne s’agit pas d’une mise à jour, mais bien de l’adoption d’une nouvelle politique, car elle n’existait pas auparavant. Elle prétend que l’employeur tente de faire indirectement ce qu’elle ne peut faire directement, soit de modifier des dispositions de la convention collective et les conditions de travail de ses employés.

[18] L’AFPC affirme que la clause 28.10 de la convention collective est claire et n’est pas ambiguë. La clause 28.10 renvoie aux clauses 28.05b), 28.05c) et 28.06c). Elle argumente que ces clauses doivent être interprétées selon le sens normal et usuel des mots qui s’y retrouvent.

[19] L’AFPC soutient que l’employé qui doit venir travailler en temps supplémentaire, selon la clause 28.10 de la convention collective, a le droit au remboursement de ses frais de transport uniquement s’il respecte les conditions, critères ou exigences qui y sont expressément prévus. Elle affirme que le préavis de moins de quatre heures n’est pas une condition nommée dans aucune des clauses 28.10, 28.05b), 28.05c) et 28.06c).

[20] L’AFPC soutient que l’employeur veut, par sa politique, restreindre le droit au remboursement en exigeant une nouvelle exigence, soit que le temps supplémentaire soit octroyé avec un préavis de moins de quatre heures. Elle considère qu’il s’agit d’une imposition unilatérale d’une nouvelle condition de travail sans passer par le processus de négociation.

[21] L’AFPC fait valoir qu’à 15 reprises dans la convention collective, les parties se sont entendues sur les obligations ou les droits requérant quatre heures de préavis. Elles auraient pu en faire autant avec la clause 28.10, mais elles ont choisi de ne pas le faire. Elles auraient tout aussi bien pu renvoyer à la clause 28.04 dans la clause 28.10. Or, l’employeur invoque justement le fait que de ne pas respecter la clause 28.04 de la convention collective donne « […] droit au remboursement des frais de transport, ce qui est un argument illogique, irrationnel et superficiel ». L’AFPC poursuit en affirmant que cette nouvelle exigence est incompatible avec le texte même de la convention collective puisque la clause 28.05b) stipule clairement qu’aucun préavis n’est nécessaire.

[22] L’AFPC soutient mal comprendre le raisonnement de l’employeur car le préavis de quatre heures, prévu dans la clause 28.04c) de la convention collective, n’est qu’une obligation que l’employeur doit tenter de respecter, sans conséquence spécifique en cas de non-respect. Cette obligation est toute récente et ne s’appliquait pas dans la région du Québec. D’ailleurs, la pratique en vigueur au Québec, depuis des décennies, était que l’employeur remboursait les frais de transport selon la clause 28.10 sans l’exigence d’un quelconque préavis.

[23] L’AFPC soutient qu’aucune disparité n’existe dans la région du Québec concernant l’application de la clause 28.10 de la convention collective et qu’il y avait une pratique courante et acceptée sans l’exigence d’un préavis de moins de quatre heures.

[24] L’AFPC soutient que l’employeur s’appuie sur la décision Ulmer c. Agence du revenu du Canada, 2004 CRTFP 36. Elle soutient que cette décision ne s’applique pas dans le présent cas puisqu’elle traitait de la rémunération du temps supplémentaire et non sur le remboursement des frais de transport. Elle soutient aussi que l’employeur base son interprétation simplement sur l’expression : « qui est tenu de se présenter au travail et qui s’y présente […] ». Selon elle, cette interprétation est erronée puisqu’elle est interprétée de manière isolée sans prendre en compte le reste de la clause.

[25] L’AFPC soutient que l’objectif de la clause 28.10 de la convention collective est justement de rembourser les frais de transport des employés qui doivent engager des frais de déplacement pour effectuer le temps supplémentaire et que l’on ne retrouve nulle part l’exigence d’un quelconque préavis. Elle ajoute qu’il ne faut pas perdre de vue que les parties ont sûrement négocié la clause 28.10 de la convention collective pour inciter, convaincre et attirer ces employés à effectuer du temps supplémentaire. Elle soutient qu’il ne s’agit pas d’une prime ou d’une allocation, mais d’un remboursement de frais occasionnés par l’employé pour dépanner son employeur qui a besoin de main-d’œuvre, et que celui-ci doit satisfaire à plusieurs exigences pour y avoir droit. La clause 28.10 stipule clairement que, pour avoir droit au remboursement de ses frais de transport, l’employé doit se trouver dans l’une des trois situations prévues dans les clauses 28.05b), 28.05c) et 28.06c).

[26] L’AFPC explique que la clause 28.05b) de la convention collective porte sur la situation où l’employé se fait octroyer du temps supplémentaire pendant sa journée de travail alors que ce quart de travail additionnel en temps supplémentaire n’est pas accolé à son quart de travail régulier. Le cas prévu dans la clause 28.05c) est celui de l’employé qui a terminé sa journée de travail et qui a quitté les lieux de travail et qui se fait rappeler sans préavis pour effectuer du temps supplémentaire. Enfin, le cas prévu dans la clause 28.06c) est celui de l’employé qui accepte de travailler en temps supplémentaire un jour de repos.

[27] L’employé visé par l’une de ces 3 situations devra également démontrer qu’il est obligé de prendre un service de transport autre que le transport en commun pour avoir droit au remboursement.

[28] L’AFPC soutient que cette démonstration confirme que les parties ont pris le soin et le temps de négocier les situations précises et les conditions spécifiques à respecter pour avoir droit au remboursement des frais de transport. Elle affirme qu’en ajoutant la condition d’un préavis de moins de quatre heures, l’employeur ne fait qu’ajouter à la convention collective.

[29] Elle soutient que l’attitude et la décision de l’employeur sont illégales et qu’en adoptant sa politique, l’employeur contrevient à la convention collective et commet un abus de son droit de gestion. Il ne peut être permis à un employeur de changer les conditions de travail négociées de manière unilatérale en ajoutant de nouvelles conditions pour limiter le droit à un remboursement. L’employeur aurait tout aussi bien pu uniformiser le remboursement des frais de transport en l’attribuant à tous, conformément aux dispositions prévues dans la convention collective, mais il a décidé de le retirer.

[30] L’agent négociateur affirme mal comprendre la prétention de l’employeur à l’effet que son argumentation et son interprétation sont logiques et permettent de donner un sens à chacun des mots des dispositions. L’agent négociateur soutient qu’il faille faire une gymnastique intellectuelle incroyable pour arriver à faire un lien entre la position de l’employeur et le texte de la convention collective.

[31] L’agent négociateur soutient que les prétentions de l’employeur sont contredites par la preuve au dossier et que son interprétation est tellement incohérente que même ses gestionnaires ne s’y retrouvent pas. L’agent négociateur prétend que les gestionnaires de la région du Québec ont appliqué son interprétation, qui est plus logique et qui ressort du sens même de la lecture de la clause 28.10 de la convention collective.

[32] L’agent négociateur soutient qu’il ne demande pas une modification de la convention collective, mais simplement le respect de la clause 28.10 de la convention collective telle qu’elle a été rédigée et négociée. Il convient, à l’instar de l’employeur, qu’il faut donner effet au sens courant des mots de la convention collective. Aussi, il faut présumer que tous les mots dans une clause ont été choisis, ainsi il faut aussi interpréter l’omission des parties d’y avoir prévu l’exigence d’un quelconque préavis, court ou long.

[33] L’agent négociateur affirme que, contrairement aux prétentions de l’employeur, il n’a jamais été informé, ni par l’employeur ni par ses membres, que l’interprétation de la clause 28.10 de la convention collective créait « une incohérence et un conflit entre les dispositions sous le titre des heures supplémentaires ».

B. Pour l’employeur

[34] Les arguments de l’employeur font 37 pages, incluant la liste des autorités et 3 documents déposés en preuve. Je les ai tous pris en considération et je ne mentionnerai que les points saillants.

[35] En introduction, l’employeur soumet ce qui suit :

[…]

Considérant le contexte global de la convention collective, l’Employeur soumet qu’un fonctionnaire, doit recevoir un court préavis, c’est-à-dire de moins de quatre (4) heures, de se présenter au travail et s’y présenter afin d’avoir droit au remboursement de ses dépenses raisonnables afférentes à ses frais de transport. De plus, afin d’obtenir le remboursement de ses frais de transport, les conditions décrites aux alinéas 28.05 b), c) et à l’alinéa 28.06 c) doivent être rencontrées. En ajout à ce qui précède, il doit être tenu et avoir été autorisé au préalable par l’Employeur d’utiliser des services de transport autre [sic] que les services de transport public normaux.

[…]

 

[36] L’employeur soumet que l’interprétation dans le bulletin des RH est conforme à une interprétation logique qui permet de donner un sens à chacun des mots et à chacune des dispositions de la convention collective.

[37] L’employeur offre des services aux citoyens, par conséquent, il peut arriver que du temps supplémentaire soit requis et proposé aux employés. La pratique est d’octroyer à l’avance le temps supplémentaire et de manière volontaire. Il a déposé en preuve un courriel du 28 février 2020 ayant pour objet : « Orientations pour le temps supplémentaire À PARTIR DU SAMEDI 29 FÉVRIER 2020 […] ». Il s’agit de prévisions des besoins en temps supplémentaire pour la période à venir pour différentes classifications, niveaux et profiles d’employés.

[38] La DSVP a pris connaissance en 2017 d’une disparité de traitement entre les différents bureaux nationaux concernant le remboursement des frais de transports liés au temps supplémentaire en vertu de la clause 28.10 de la convention collective.

[39] L’employeur a déposé en preuve un courriel du 28 novembre 2019 de Fabienne Jean-François, vice-présidente nationale, SEIC, région du Québec, à Rui Costa, directeur général, DSVP. Mme Jean-François a demandé à l’employeur de confirmer sa position concernant le remboursement des frais de transport bien que, par le passé, certains gestionnaires avaient accepté de les rembourser. Elle y reconnaissait qu’au cours des dernières années la région avait, à plusieurs reprises, choisi de ne pas rembourser ces frais. Elle y affirmait qu’il serait utile d’avoir une position finale sur la question. La même préoccupation a été soulevée par Mme Jean-François dans un second courriel le 4 février 2020.

[40] Le 7 janvier 2021, Darlène De Gravina, sous-ministre adjointe, a avisé la Direction des ressources humaines d’une revue des pratiques ministérielles relatives au paiement des heures supplémentaires par l’émission du bulletin des RH concernant le « Remboursement des frais de transport lorsque les heures supplémentaires sont planifiées à l’avance ou à court préavis » applicable à partir du 18 janvier 2021.

[41] L’employeur stipule dans son argumentation ce qui suit :

[…]

[…] L’approche énoncée dans ce bulletin confirmait qu’un fonctionnaire n’a droit au remboursement de ses frais de transport que si l’une des trois conditions énoncées aux alinéas 28.05b), c) et 28.06 c) est rencontrée et s’il est tenu d’utiliser les services de transport autres que les services de transport public normaux. De plus, ce bulletin venait confirmer la position de l’Employeur que les articles 28.10 a) et 28.06 c) visent des situations où l’Employeur a besoin des services d’un employé avec un court préavis, c’est-à-dire tout ce qui est inférieur à la période de préavis prescrite au paragraphe 28.04 b), soit en deçà de quatre (4) heures.

[…]

 

[42] Il explique que l’employé aurait droit au remboursement de ses frais de transport seulement si les heures de travail supplémentaires n’étaient pas planifiées ou octroyées avec un préavis de moins de quatre heures. Le 21 janvier 2021, le Service des relations de travail a envoyé aux différents syndicats et à l’ensemble des gestionnaires de l’employeur trois bulletins sur le temps supplémentaire qui avaient pour but d’assurer une constance au niveau national quant aux paramètres des conventions collectives.

[43] L’employeur soumet que la pratique au sein des différents bureaux n’était pas constante et cohérente. Il fait valoir que, malgré l’affirmation de l’agent négociateur qu’il y avait une pratique courante au sein de la région du Québec, les différents bureaux des différentes régions avaient chacun leur façon de traiter les demandes de remboursement. Le traitement dépendait de nombreux éléments, notamment de la gestion du budget des heures supplémentaires dans les différentes régions ainsi que des gestionnaires en poste.

[44] L’employeur illustre ce qui précède en donnant l’exemple du bureau de Québec, qui, pour une période spécifique, remboursait les frais de transport seulement lorsque les heures supplémentaires étaient octroyées dans un court préavis alors que le bureau de Laval remboursait ces mêmes frais en tout temps lors d’un jour de repos et que les services de transport en commun n’étaient pas disponibles. Les bureaux de Moncton, d’Halifax et de Toronto, quant à eux, remboursaient ces frais seulement lors d’un jour de repos et que les services de transport public normaux n’étaient pas disponibles. Il soutient que c’est cette disparité de traitement qui a entraîné la révision des pratiques ministérielles à l’échelle nationale et démontre l’absence d’une pratique établie et constante contrairement aux affirmations de l’agent négociateur.

[45] L’employeur fait référence aux dispositions pertinentes de la convention collective en nommant la clause 28.10, qui doit être lue conjointement avec les clauses 28.04, 28.05 et 28.06.

[46] Je reproduis ici les passages soulignés par l’employeur dans chacune des clauses de la convention collective :

[…]

28.10 a. L’employé-e qui est tenu de se présenter au travail et qui s’y présente dans les conditions énoncées aux alinéas 28.05b) et c) et à l’alinéa 28.06c), et qui est obligé d’utiliser des services de transport autres que les services de transport en commun […]

28.10 a. When an employee is required to report for work and reports under the conditions described in paragraphs 28.05(b), (c) and 28.06(c) and is required to use transportation services other than normal public transportation services

[…]

[Convention collective expirant en juin 2018]

 

28.04 c. l’employeur doit, dans la mesure du possible, donner un préavis d’au moins quatre (4) heures à l’employé-e visé lorsqu’il est nécessaire d’effectuer des heures supplémentaires, sauf dans les cas d’urgence, de rappel au travail ou d’accord mutuel avec l’employé-e.

28.04 c. The Employer shall, wherever possible, give at least four (4) hours’ notice of any requirement for overtime work, except in cases of emergency, call-back or mutual agreement with the employee.

[…]

28.05 b. Si l’employé-e reçoit l’instruction, pendant sa journée de travail, d’effectuer des heures supplémentaires ce même jour et qu’il ou elle se présente au travail à un moment qui n’est pas accolé à ses heures de travail à l’horaire, l’employé-e a droit à la plus élevée des deux rémunérations suivantes : un minimum de deux (2) heures au tarif normal ou les heures supplémentaires réellement effectuées au tarif des heures supplémentaires applicable.

28.05 b. If an employee is given instructions during the employee’s workday to work overtime on that day and reports for work at a time which is not contiguous to the employee’s scheduled hours of work, the employee shall be paid a minimum of two (2) hours’ pay at straight-time rate or for actual overtime worked at the applicable overtime rate, whichever is the greater.

 

c. L’employé-e qui est rappelé au travail sans préavis, après avoir terminé son travail de la journée et avoir quitté son lieu de travail, et qui rentre au travail touche la plus élevée des deux (2) rémunérations suivantes :

c. An employee who is called back to work after the employee has completed his or her work for the day and has left his or her place of work, and who returns to work shall be paid the greater of:

[…]

28.06 c. L’employé-e qui est tenu de se présenter au travail un jour de repos et qui s’y présente touche la plus élevée des deux (2) rémunérations suivantes :

28.06 c. When an employee is required to report for work and reports on a day of rest, the employee shall be paid the greater of:

[…]

[Convention collective expirant en juin 2021]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[47] Je citerai l’entièreté des clauses pertinentes dans la partie de l’analyse de la présente décision, toutefois, les passages ci-haut soulignés sont extraits des arguments de l’employeur. Celui-ci affirme qu’à la lecture de l’ensemble de ces dispositions de la convention collective, l’interprétation qu’il avance est la seule interprétation possible qui assure l’harmonisation de l’ensemble des dispositions qui concernent les heures supplémentaires.

[48] L’employeur soumet que l’agent négociateur mentionne que le grief découle du fait que l’employeur a décidé de modifier unilatéralement les conditions de travail des employés en adoptant le bulletin des RH. Il soumet que là n’est pas la question à trancher. Il pose comme question en litige ce qui suit : « Est-ce que l’interprétation énoncée par l’employeur dans le bulletin des relations de travail contrevient à la convention collective, et plus précisément à l’article 28.10 de la convention collective? »

[49] L’employeur soumet ne pas avoir contrevenu à la convention collective et qu’il n’a pas imposé unilatéralement de nouvelles exigences pour accepter de rembourser les frais de transport aux employés en vertu de la clause 28.10 de la convention collective. Le remboursement des frais de transport aura lieu seulement lorsque le temps supplémentaire n’est pas planifié et octroyé avec un préavis de moins de 4 heures. Selon l’employeur, il s’agit de la seule interprétation possible lorsque nous analysons au sens strict les clauses de la convention collective.

[50] L’employeur fait état des principes généraux d’interprétation et soutient que la compétence de la Commission est limitée aux modalités prévues expressément dans la convention collective. Il argue qu’il n’est pas possible de modifier des modalités qui sont claires ou d’en établir de nouvelles, s’appuyant sur Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, au par. 50, et l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF ou la « Loi »).

[51] L’employeur énumère les principes comme suit :

a. Les termes de la convention collective doivent être considérés dans leur sens ordinaire et courant.

b. La convention collective, dans son ensemble, forme le contexte dans lequel les mots utilisés doivent être interprétés. Autrement, le sens ordinaire pourrait devenir contradictoire avec d’autres dispositions.

c. Chaque mot d’une disposition de la convention collective doit être interprété de façon à signifier quelque chose de manière à éviter toute redondance. Dans l’éventualité où une disposition confère un avantage financier, il doit y avoir une expression claire de cette intention.

d. Une disposition spécifique de la convention collective a préséance sur une disposition d’ordre générale.

e. Le fait qu’une disposition semble injuste n’est pas une raison pour ignorer cette disposition lorsque celle-ci est claire.

[…] lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté ou manque de clarté dans le sens des mots de la convention collective, il convient de donner effet au sens courant des mots de la convention collective.

[…]

 

[52] L’employeur élabore davantage sur les principes qui doivent guider l’interprétation des clauses de la convention collective. Bien que je ne les reproduise pas toutes ici, j’en tiendrai compte dans mon analyse du présent grief.

[53] En application des principes d’interprétation que propose l’employeur, celui-ci fait valoir que la clause 28.10 « Frais de transport » de la convention collective doit être interprétée conjointement avec la clause 28.05 « Rémunération des heures supplémentaires un jour de travail », la clause 28.06 « Rémunération des heures supplémentaires un jour de repos » et la clause 28.04 « Attribution des heures supplémentaires ». Il soumet que leur lecture conjointe permet d’harmoniser l’ensemble de ces clauses plutôt que de créer des ambiguïtés et des incohérences. Il soutient qu’il est raisonnable que lorsqu’on fait référence aux conditions pour le remboursement des frais de transport on doive les interpréter conjointement avec les conditions pour l’attribution des heures supplémentaires, soit le préavis concernant l’octroi du temps supplémentaire.

[54] L’employeur réfute les affirmations de l’agent négociateur qu’il aurait fallu ajouter une référence spécifique à la clause 28.04 dans la clause 28.10 de la convention collective et que, si telle avait été l’intention, ces affirmations sont erronées et sans fondement juridique. Il soutient que les principes d’interprétation démontrent qu’une référence spécifique n’était pas nécessaire puisque les dispositions d’une même section obéissent aux mêmes règles.

[55] L’employeur réfute aussi l’argument de l’agent négociateur qu’aucun préavis n’est nécessaire et que cette exigence est incompatible avec le texte de la convention collective, car elle créerait une incohérence et un conflit entre les dispositions sous le titre des heures supplémentaires et mènerait à des résultats absurdes.

[56] L’employeur soutient que son interprétation de la clause 28.10 de la convention collective est l’unique interprétation possible et que cette clause énumère les conditions préalables pour qu’un employé ait droit de se faire rembourser ses frais de transport. Il affirme qu’en effet, la clause mentionne qu’un employé qui est « […] tenu de se présenter au travail et qui s’y présente […] » dans les conditions énoncées dans les clauses 28.05b), 28.05c) et 28.06c), et qui est obligé d’utiliser des services de transport autres que les services de transport en commun normaux, a droit au remboursement de ses frais de transport.

[57] L’employeur s’appuie sur le libellé des clauses 28.05b), 28.05c) et 28.06c) de la convention collective pour faire valoir la détermination de la rémunération à laquelle l’employé a droit. Par conséquent, soutient-il, pour avoir droit au remboursement, l’employé doit être tenu de se présenter au travail et de s’y présenter. Selon l’employeur, il ne fait aucun doute, selon l’interprétation de ces clauses, que l’employé est tenu de se présenter au travail après un court préavis pour effectuer des heures supplémentaires qui n’étaient pas planifiées. L’utilisation des termes « ce même jour » et « un jour de repos » soutiennent clairement cette affirmation.

[58] Dans ses arguments, l’employeur soumet ce qui suit concernant la rémunération afférente mentionnée dans ces clauses : « […] qui est plus avantageux pour les employés, tient compte de l’impact que les heures supplémentaires annoncées dans un court prévis [sic] peuvent avoir sur la vie personnelle des employés ».

[59] L’employeur soumet que pour interpréter l’expression « tenu de se présenter au travail et qui s’y présente » et la notion de court préavis de la clause 28.05c) de la convention collective, il faut analyser les clauses de la convention collective les unes par rapport aux autres de façon à donner à l’ensemble un sens cohérent, notamment à l’article 28, heures supplémentaires.

[60] L’employeur affirme que, puisque la clause 28.04c) de la convention collective stipule que l’employeur doit donner un préavis d’au moins quatre heures aux employés pour effectuer des heures supplémentaires, se fondant sur les principes d’interprétation modernes, l’expression « court préavis » veut nécessairement dire tout préavis de moins de quatre heures. Il soumet que cette interprétation est conforme aux définitions énoncées dans les décisions clés citées dans les prochains paragraphes.

[61] L’employeur reconnaît qu’aucune décision jurisprudentielle n’aborde spécifiquement l’interprétation de la clause 28.10 de la convention collective. Cependant, plusieurs décisions ont interprété l’expression « tenu de se présenter au travail et qui s’y présente », ainsi que les indemnités accessoires comme celles liées au remboursement des frais de transport et des repas aux employés effectuant des heures supplémentaires.

[62] La décision Jefferies c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2003 CRTFP 55, aux paragraphes 35 et 38, soutient que l’expression « […] qui est tenu de se présenter au travail […] et qui s’y présente […] » vise le cas où l’employeur a besoin des services de l’employé à peu de préavis et qu’aucun de services de transport en commun n’est offert.

[63] La décision Graham c. Conseil du Trésor (ministère du Revenu national – Douanes et accise), dossiers de la CRTFP 166-2-2735, 2736 et 2737, (19770119), mentionne que les parties à la convention collective ont voulu donner le même sens à l’expression « tenu de se présenter au travail et qui s’y présente » puisqu’elles ont utilisé les mêmes mots aux clauses 25.08 et 25.05b) de la convention collective.

[64] L’employeur soumet que la Commission a conclu que l’expression « tenu de se présenter au travail » tire sa signification du contexte, qui s’applique au cas de présence au travail non prévu. De plus, il fait référence aux clauses 30.08 et 30.09 de la convention collective pour affirmer qu’il est clair que l’expression vise à désigner les cas où les employés se présentent au travail en dehors de leur poste normal par opposition à l’employé qui travaille en dehors de son poste de travail et que ce travail était prévu. Il soutient encore que cette interprétation est soutenue par le texte de la convention collective, qui utilise les termes : « L’employé-e qui travaille un jour férié […] » comparé à « L’employé-e qui est tenu de se présenter au travail […] [les passages en évidence le sont dans l’original] ».

[65] La décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2023 CRTESPF 55, au par. 44, est très pertinente, selon l’employeur, puisqu’elle confirme les interprétations des décisions Jefferies et Graham à savoir que l’expression « tenu de se présenter au travail et qui s’y présente » vise les cas où l’employeur a besoin d’un employé à court préavis et qu’une prime est payée. L’employeur soumet que les mêmes conclusions doivent être tirées dans le présent grief à l’interprétation de la clause 28.10 de la convention collective puisqu’elle reprend les mêmes termes. De plus, il soumet que la terminologie utilisée dans les différents articles n’est pas ambigüe et donc, que le sens usuel et courant des mots doit être utilisé.

[66] L’employeur insiste qu’il est clair que l’expression « tenu de se présenter au travail et qui s’y présente » des clauses 28.10 et 28.06 de la convention collective visent des situations dans lesquelles l’employeur a besoin des services d’un employé pour qu’il se présente au travail, en dehors de son poste normal pour effectuer des heures supplémentaires non accolées à son poste de travail octroyé à court préavis.

[67] Dans ses arguments, l’employeur analyse les motifs qui ont mené au concept de remboursement des frais de transport de la clause 28.10 de la convention collective. Il reconnaît que le remboursement des frais de transport est prévu afin de dédommager les employés qui sont avisés à court terme qu’ils doivent effectuer des heures supplémentaires. La référence au transport en commun de la clause 28.10 de la convention collective permet de présumer que, si l’employeur accepte de rémunérer les frais de transport, c’est parce que les transports en commun ne sont pas disponibles, et que cela découle assurément du fait que la demande d’effectuer des heures supplémentaires a été faite selon un court préavis. De plus, il ne peut avoir été l’intention des parties de rembourser un employé qui serait venu au travail avec son véhicule et qui ferait des heures supplémentaires le même jour.

[68] L’employeur réitère que la rémunération des heures supplémentaires associée au frais de transport liée à l’application de la clause 28.10 de la convention collective est pour des circonstances spécifiques, celles d’un court préavis de l’employeur et que les services de transport en commun ne sont pas disponibles.

[69] L’employeur soutient que le court préavis doit être défini selon l’expression anglophone, tirée du Black’s Law Dictionnary (11e éd. 2019), Bryan A. Garner, Editor in Chief, de « Reasonable notice » (« Avis raisonnable ») qui signifie : [traduction] « Avis que l’on peut raisonnablement attendre ou exiger dans les circonstances particulières. » Les termes « short notice » (« court préavis »), quant à eux, sont définis comme : [traduction] « Avis inadéquat ou tardif au regard des circonstance. » L’employeur soumet que l’on doit se référer à la clause 28.04 de la convention collective, qui spécifie que le préavis doit être de quatre heures et que, par conséquent, un court préavis est de moins de quatre heures.

[70] L’employeur soutien qu’il lui semble clair que l’intention des parties n’était pas de rembourser aux employés les frais occasionnés par l’utilisation d’autres moyens de transport que les services de transport en commun normaux dès que ceux-ci effectuaient des heures supplémentaires. Plutôt, il ressort du texte de la convention collective que la clause 28.10 exige des conditions bien spécifiques, notamment que l’octroi des heures supplémentaires soit fait dans un court préavis qui ne permet pas l’utilisation des services de transport en commun.

[71] L’employeur conclut, en s’appuyant sur l’interprétation dans le bulletin des RH, que de la clause 28.10 de la convention collective découle la nécessité d’un court préavis pour avoir droit au remboursement des frais de transport qui devient l’unique interprétation qui favorise une interprétation harmonieuse des différentes dispositions concernant les heures supplémentaires.

[72] L’employeur fait une analyse de la preuve extrinsèque invoquée par l’agent négociateur à savoir qu’il y aurait une pratique passée dans la région du Québec de remboursement des frais de transport. Il soumet qu’une telle preuve n’est pas pertinente puisque, pour l’être, il faudrait que le texte de la convention collective comporte à sa face même une ambiguïté, une ambivalence de son vocabulaire, une imprécision dans les termes, et globalement, un caractère équivoque. Or, l’employeur soumet qu’aucune de ces caractéristiques n’est présente à sa face même dans le libellé de la clause 28.10 de la convention collective. L’employeur soumet que l’agent négociateur partage avec lui l’avis que la clause 28.10 de la convention collective ne comporte aucune ambiguïté et que les dispositions de la convention collective sont harmonieuses. Il soutient que la signature d’une nouvelle convention collective, le 23 octobre 2020, sans modification du libellé des modalités en cause, confirme l’absence d’ambiguïté des termes et que, si l’agent négociateur avait jugé le contraire, il lui était loisible d’en faire les représentations à la table des négociations.

[73] L’employeur soumet que l’agent négociateur n’a pas fait la preuve extrinsèque non contredite d’une pratique antérieure constante, régulière et continue selon l’exigence juridique d’une pratique passée. La simple affirmation par l’agent négociateur n’est pas suffisante et concluante pour établir une pratique antérieure suffisamment longue, constante, connue par les parties et tolérée pendant plusieurs conventions collectives et qu’aucun poids ne devrait être accordé à la position de l’agent négociateur. La preuve, soutient-il, démontre plutôt qu’il y avait une problématique entre les différents bureaux régionaux et qu’il n’y avait pas de pratique constante, régulière et continue à l’échelle nationale.

[74] L’employeur appuie son argument sur les courriels du 8 janvier 2021 et le document non daté ayant pour objet « Remboursement des frais de transport lorsque les heures supplémentaires sont planifiées à l’avance […] ». Il s’agit de la mise à jour de l’interprétation de l’application des modalités de remboursement des frais de transport. L’employeur soumet que l’on peut présumer que l’objectif derrière ces communications était qu’il n’y avait pas une pratique constante, régulière et continue du remboursement des frais de transport à l’échelle nationale.

[75] L’employeur soumet que l’agent négociateur pouvait déposer des preuves confirmant une pratique constante, régulière et continue du remboursement des frais de transport à l’échelle nationale, mais il ne l’a pas fait et rien dans son argumentation ne permet de conclure que l’intention de l’employeur était de rembourser les employés en fonction de la clause 28.10 de la convention collective indépendamment de savoir si les heures supplémentaires étaient octroyées à l’avance ou à court préavis.

[76] Il soumet que la preuve est plutôt de démontrer qu’il était nécessaire d’harmoniser l’ensemble de ses pratiques à l’échelle nationale pour que le traitement du remboursement des frais de transport soit uniformisé selon que le temps supplémentaire soit octroyé à l’avance ou à court préavis et payé uniformément par les différentes régions.

[77] L’employeur soumet subsidiairement que si je conclus à l’existence d’une pratique passée, bien qu’il en nie l’existence, cette pratique passée ne peut avoir pour effet de créer un droit alors que la convention collective est silencieuse à cet effet. Il dépose, entre autres, en appui à son argument, les décisions : Durham District School Board v. Canadian Union of Public Employees, Local 218, 2022 CanLII 103597 (ON LA), au par. 68, Eckert c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1985] C.R.T.F.P.C. no 196 (QL) et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4041 c. Transat A. T. inc., 2018 CanLII 41770 (CA SA) (aux paragraphes 131 à 133). Ces décisions font essentiellement référence à des erreurs commises par l’employeur qui ne sauraient être génératrices de droits aux employés.

[78] L’employeur soumet que rien dans la preuve de l’agent négociateur ne permet d’établir, comme l’exige la décision Bertram v. International Association of Machinists, Local 1740, 1967 CarswellOnt 782, [1967] O.L.A.A. No. 2 (QL), 18 L.A.C. 362, que la pratique passée ait été acceptée par des « […] personnes exerçant de véritables responsabilités relatives à la signification de la convention collective […] » qui aurait démontré que le Conseil du Trésor était au courant et acceptait cette pratique. Au contraire, l’employeur a décidé de corriger cette pratique dès qu’il était légalement en position de le faire à la suite de la levée du gel statutaire.

[79] L’employeur soumet, qu’en date de janvier 2021, il était parfaitement justifié d’aligner sa pratique ministérielle relative au remboursement des frais de transport puisque le gel statutaire était levé considérant que la convention collective applicable au présent grief collectif venait à échéance le 20 juin 2018 et que la nouvelle, signée le 23 octobre 2020, expirait le 20 juin 2021. Il était de plus justifié puisque l’envoi d’un avis de négociation ne fut acheminé que le 22 février 2021. Il conclut son argument en affirmant que, si je conclus à une pratique passée, l’employeur n’était pas tenu de faire perdurer cette erreur, qu’il était en droit de la corriger et qu’elle n’est pas génératrice de droit.

[80] L’employeur a aussi fait valoir qu’il lui était possible de mettre fin à une pratique passée en contrepartie d’un préavis et de motifs raisonnables. Il renvoie à son droit de gestion concernant l’attribution du travail. Il s’appuie sur la décision Durham District School Board, qui conclut que l’employeur peut mettre fin à une pratique qui opère à l’extérieur de la convention collective grâce à une notification appropriée à l’agent négociateur.

[81] Dans le présent cas, l’agent négociateur savait que l’employeur désirait uniformiser ses pratiques en regard du remboursement des frais de transport et qu’il n’entendait plus rembourser les frais de transport lorsque le temps supplémentaire était prévu à l’avance. L’agent négociateur a amplement eu le temps d’en être informé et d’apporter cette question à la table de négociation si tel était son désir. L’agent négociateur n’a rien fait pour modifier le libellé des modalités des remboursements de frais de transport et aucun grief individuel n’a été déposé pour contester l’interprétation de l’employeur, sinon que le présent grief de principe.

[82] L’employeur soumet que je ne devrais pas analyser la preuve extrinsèque pour interpréter la convention collective. Toutefois, si je décide de la considérer, l’employeur soumet qu’il était en droit de mettre fin à la pratique passée, et qu’il y a remédié conformément aux exigences jurisprudentielles.

[83] L’employeur soumet que si j’accueillais le présent grief de principe, ma compétence serait limitée par l’article 232 de la LRTSPF. Il fait valoir que l’agent négociateur demande, par le présent grief, que la Commission ordonne à l’employeur des mesures individuelles et qu’il révise sa décision, le remboursement rétroactif au 18 janvier 2018 à tous les employés qui se sont présentés au travail selon les conditions énoncées aux clauses 28.05b), 28.05c) et 28.06c), qui ont utilisé un service de transport autre que les services de transport en commun normaux et toute autre mesure jugée pertinente.

[84] L’employeur soutient que l’ensemble des mesures individuelles demandées aurait pu faire l’objet d’un grief individuel en vertu de l’article 208 de la LRTSPF et que personne n’en a déposé. Par conséquent, il affirme que mes pouvoirs sont strictement limités à une déclaration et à enjoindre l’employeur à interpréter et appliquer la convention collective selon les modalités que je fixerai. Il soumet que les mesures correctives demandées par l’agent négociateur excèdent ma compétence et outrepassent mes pouvoirs juridictionnels concernant un grief de principe. Il soutient de plus que l’émission de mesures correctives individualisées est impossible avec la preuve présentée concernant le grief de principe.

[85] L’employeur s’appuie sur Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 84, et affirme qu’un grief de principe se veut une contestation de l’application ou de l’interprétation de dispositions de la convention collective. L’article 232 de la LRTSPF ne fait aucune mention de redressement individuel. Si tel était le désir de l’agent négociateur, il aurait dû déposer des griefs individuels ou un grief collectif; il ne l’a pas fait. D’autre part, les faits du présent grief de principe ne permettent pas une évaluation individuelle rétroactive à 2018 pour déterminer qui était admissible au remboursement des frais de transport. L’employeur donne l’exemple que, pour avoir droit au remboursement des frais de transport, « […] l’employé doit démontrer qu’il lui était impossible d’avoir recours au service de transport en commun […] ». Cependant, plusieurs années se sont écoulées depuis et il serait impossible qu’un employé puisse faire une preuve rétroactive à cet effet.

[86] L’employeur analyse les motifs qui ont mené au concept de remboursement des frais de transport de la clause 28.10 de la convention collective. Il reconnaît que le remboursement des frais de transport est prévu afin d’indemniser les employés qui sont avisés à court terme qu’ils doivent effectuer des heures supplémentaires. La référence au transport en commun de la clause 28.10 de la convention collective permet de présumer que, si l’employeur accepte de rémunérer les frais de transport, c’est parce que les transports en commun normaux ne sont pas disponibles et que cela découle assurément du fait que la demande d’effectuer des heures supplémentaires a été faite dans un court préavis. De plus, il a soutenu qu’il ne peut pas avoir été l’intention des parties de rembourser un employé qui serait venu au travail avec son véhicule et qui ferait des heures supplémentaires le même jour.

[87] L’employeur a réitéré que le remboursement des frais de transport liés à l’application de la clause 28.10 de la convention collective existe pour des circonstances spécifiques, soit pour un court préavis de l’employeur. Il a affirmé qu’il lui semble clair que, pour obtenir le remboursement, cette disposition exige que des conditions bien spécifiques soient satisfaites, notamment que l’employé ne reçoive qu’un court préavis pour effectuer des heures supplémentaires.

[88] L’employeur a soutenu que l’intention des parties n’était pas de rembourser aux employés les frais occasionnés par l’utilisation d’autres moyens de transport que les services de transport en commun normaux dès que ceux-ci effectuaient des heures supplémentaires.

[89] Plutôt, selon l’employeur, il ressort du texte de la convention collective que la clause 28.10 exige des conditions bien spécifiques, notamment que l’octroi des heures supplémentaires soit fait dans un court préavis qui ne permet pas l’utilisation des services de transport en commun.

[90] En conclusion, l’employeur soumet que l’agent négociateur ne s’est pas déchargé de son fardeau de la preuve et qu’il n’a pas démontré que l’employeur a contrevenu à la convention collective. Il affirme que son interprétation proposée dans le bulletin des RH est appropriée selon les dispositions de la convention collective lorsque celle-ci est analysée dans son sens strict. Il soumet que, si j’accueille le grief, les mesures correctives accordées devraient être limitées uniquement à une déclaration en vertu de l’article 232 de la LRTSFP. Enfin, il demande d’appliquer les principes énoncés dans l’arrêt Office national du film c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.) (QL), 25 A.C.W.S. (2e) 104 C.A.F., à savoir que les mesures correctives devraient être limitées à la période de 25 jours précédant le grief de principe.

[91] Dans Office national du film, la Cour d’appel fédérale a tranché que le grief de l’intimé ne pouvait se rapporter au salaire que l’employeur aurait dû lui payer dans les 20 jours précédents le dépôt du grief.

IV. Motifs

A. L’interprétation de la clause 28.10 de la convention collective

[92] Pour les raisons qui suivent, je détermine que : (1) la clause 28.10 de la convention collective n’est pas ambiguë; (2) la clause 28.10 ne requiert pas un préavis de moins de 4 heures pour avoir droit au remboursement des frais et transport; et (3) l’interprétation de l’employeur de la clause 28.10 viole la convention collective.

[93] En ce qui concerne un grief de principe, le fardeau de la preuve incombe à la partie qui l’invoque en se fondant sur la prépondérance des probabilités. Les décisions Arsenault c. Agence Parcs canada, 2008 CRTFP 17, et Chafe, citées par l’employeur, le précisent à juste titre. L’agent négociateur a donc le fardeau de la preuve dans ce grief de principe. Ces décisions ajoutent également que je n’ai pas compétence pour modifier le libellé de la convention collective (Arsenault, au par. 38; Chafe, au par. 50).

[94] L’employeur a fait état des principes généraux d’interprétation énumérés précédemment. Bien que j’entende tous les appliquer, j’attire l’attention sur le principe que la convention collective se doit d’être lue dans son ensemble et qu’elle forme le contexte dans lequel les mots utilisés doivent être interprétés. De plus, il convient de donner le sens courant aux mots qui y sont utilisés.

[95] Dans le présent cas, les deux parties ont allégué une absence d’ambiguïté de la clause 28.10 de la convention collective mais ne sont pas d’accord sur l’interprétation même de la clause. L’employeur a fait valoir que son interprétation de la clause 28.10 de la convention collective est l’unique interprétation possible. Le fait que l’agent négociateur ait fait une autre interprétation implique que l’interprétation proposée par l’employeur peut ne pas être la seule interprétation possible. La preuve établit d’ailleurs une application inégale de cette clause, qui implique une interprétation différente selon les régions et selon les bureaux de ces régions. Il convient de conclure que la clarté de la clause 28.10 de la convention collective est mise en doute au sein même de l’organisation de l’employeur.

[96] La décision Arsenault (aux paragraphes 38 et 40) énonce aussi que, selon les règles habituelles d’interprétation, si les termes employés sont clairs et non ambigus, il n’est pas nécessaire de tenter de déterminer la véritable intention des parties. Il convient d’attribuer le sens ordinaire aux mots utilisés choisis par les parties. C’est ce que j’entends appliquer dans mon analyse.

[97] L’article 1 de la convention collective s’intitule « objet et portée de la convention ». Les clauses 1.01 et 1.02 de la convention collective stipulent qu’elle a pour objet le maintien de rapports harmonieux et mutuellement avantageux pour les signataires. De plus, les parties ont un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique, de favoriser le bien-être de ses employés et l’accroissement de leur efficacité. C’est dans cet esprit que j’approche la lecture de la convention collective et de l’article 28, particulièrement aux clauses applicables aux frais raisonnables de transport.

[98] L’article 28 porte sur la question du travail effectué en heures supplémentaires. Outre les modalités sur l’attribution des heures supplémentaires, la clause 28.04b) prévoit que, dans la mesure du possible, l’employeur doit donner un préavis de quatre heures aux employés, sauf dans les cas d’urgence, de rappel au travail ou d’accord. Il est à noter que le mot « urgence » n’est pas défini dans la convention collective.

[99] C’est d’ailleurs sur cette clause que se fonde l’interprétation de l’employeur pour établir l’existence de la notion de préavis.

[100] La clause 28.04 de la convention collective, expirant en juin 2021, se lit comme suit :

28.04 Attribution du travail supplémentaire

28.04 Assignment of overtime work

Sous réserve des nécessités du service, l’employeur s’efforce autant que possible :

Subject to operational requirements, the Employer shall make every reasonable effort to:

a. de ne pas prescrire un nombre excessif d’heures supplémentaires et d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles,

a. avoid excessive overtime and to offer overtime work on an equitable basis among readily available qualified employees,

 

et

and

b. d’attribuer les heures supplémentaires aux employés du même groupe et du même niveau que le poste à combler, c’est-à-dire CR-4 à CR-4, PM-2 à PM-2, etc.,

b. endeavor to allocate overtime work to employees at the same group and level as the position to be filled, that is, CR-4 to CR-4, PM-2 to PM-2 etc.,

et

and

c. l’employeur doit, dans la mesure du possible, donner un préavis d’au moins quatre (4) heures à l’employé-e visé lorsqu’il est nécessaire d’effectuer des heures supplémentaires, sauf dans les cas d’urgence, de rappel au travail ou d’accord mutuel avec l’employé-e.

c. The Employer shall, wherever possible, give at least four (4) hours’ notice of any requirement for overtime work, except in cases of emergency, call-back or mutual agreement with the employee.

 

[101] Les principes généraux d’interprétation exigent que l’on tienne compte du contexte dans lequel les mots sont utilisés. Dans le cas de la clause a), on peut lire que « […] l’employeur s’efforce autant que possible », « […] d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable […] » et dans la clause c) « l’employeur doit, dans la mesure du possible […] ». Selon moi, ce choix de mots n’entraîne pas une obligation formelle de la part de l’employeur. Il s’agit plutôt d’expressions de respect et de bonne volonté de l’employeur à l’égard des employés dans le souci du maintien de rapports harmonieux et de favoriser le bien-être de ses employés.

[102] Alors, lorsque les parties à la convention collective ont inclus les mots que « […] l’employeur doit, dans la mesure du possible, donner un préavis d’au moins quatre (4) heures à l’employé-e visé […] sauf dans les cas d’urgence […] », l’argument de l’employeur ne m’a pas convaincu, selon la prépondérance de probabilité, que cela lui créait une obligation. Il s’agit selon moi beaucoup plus d’une marque de courtoisie que d’une démarcation entre ce qui serait un court ou un long préavis.

[103] La clause déterminante dans le présent grief de principe est la clause 28.10 de la convention collective expirant en juin 2021, qui se lit comme suit :

28.10 Frais de transport

28.10 Transportation expenses

a. L’employé-e qui est tenu de se présenter au travail et qui s’y présente dans les conditions énoncées aux alinéas 28.05b) et c) et à l’alinéa 28.06c), et qui est obligé d’utiliser des services de transport autres que les services de transport en commun normaux, se fait rembourser ses dépenses raisonnables de la façon suivante :

a. When an employee is required to report for work and reports under the conditions described in paragraphs 28.05(b), (c) and 28.06(c) and is required to use transportation services other than normal public transportation services, the employee shall be reimbursed for reasonable expenses incurred as follows:

i. le taux par kilomètre normalement accordé à l’employé-e qui est autorisé par l’employeur à utiliser son automobile, si l’employé-e se déplace avec sa propre voiture;

i. the kilometric rate normally paid to an employee when authorized by the Employer to use his or her automobile, when the employee travels by means of his or her own automobile;

ou

or

ii. les dépenses occasionnées par l’utilisation d’autres moyens de transport commerciaux.

ii. out-of-pocket expenses for other means of commercial transportation.

b. À moins que l’employé-e ne soit tenu par l’employeur d’utiliser un véhicule de ce dernier pour se rendre à un lieu de travail autre que son lieu de travail habituel, le temps que l’employé-e met pour se rendre au travail ou pour rentrer chez lui ou elle n’est pas considéré comme du temps de travail.

b. Other than when required by the Employer to use a vehicle of the Employer for transportation to a work location other than the employee’s normal place of work, time spent by the employee reporting to work or returning to the employee’s residence shall not constitute time worked.

 

[104] Cette clause renvoie aux clauses 28.05b) et c) et 28.06c) de la même convention collective.

[105] La clause 28.05b) se lit comme suit :

28.05 b. Si l’employé-e reçoit l’instruction, pendant sa journée de travail, d’effectuer des heures supplémentaires ce même jour et qu’il ou elle se présente au travail à un moment qui n’est pas accolé à ses heures de travail à l’horaire, l’employé-e a droit à la plus élevée des deux rémunérations suivantes : un minimum de deux (2) heures au tarif normal ou les heures supplémentaires réellement effectuées au tarif des heures supplémentaires applicable.

28.05 b. If an employee is given instructions during the employee’s workday to work overtime on that day and reports for work at a time which is not contiguous to the employee’s scheduled hours of work, the employee shall be paid a minimum of two (2) hours’ pay at straight-time rate or for actual overtime worked at the applicable overtime rate, whichever is the greater.

 

[106] Il ressort de l’analyse de cette clause que l’employé doit recevoir l’instruction, pendant sa journée de travail, d’effectuer des heures supplémentaires; qu’il effectue ce travail, mais à un temps qui n’est pas accolé à ses heures de travail à l’horaire.

[107] La clause 28.05c) de la convention collective se lit comme suit :

28.05 c. L’employé-e qui est rappelé au travail sans préavis, après avoir terminé son travail de la journée et avoir quitté son lieu de travail, et qui rentre au travail touche la plus élevée des deux (2) rémunérations suivantes :

28.05 c. An employee who is called back to work after the employee has completed his or her work for the day and has left his or her place of work, and who returns to work shall be paid the greater of:

i. une rémunération équivalant à trois (3) heures de rémunération calculée au tarif des heures supplémentaires applicable pour chaque rappel au travail, jusqu’à concurrence de huit (8) heures de rémunération au cours d’une période de huit (8) heures; ce maximum doit comprendre toute indemnité de rentrée au travail versée en vertu de l’alinéa b) ou sa disposition de dérogation;

i. compensation equivalent to three (3) hours’ pay at the applicable overtime rate of pay for each call-back, to a maximum of eight (8) hours’ compensation in an eight (8) hour period; such maximum shall include any reporting pay pursuant to paragraph (b) or its alternate provision,

ou

or

ii.la rémunération des heures supplémentaires réellement effectuées au tarif des heures supplémentaires applicable […]

ii. compensation at the applicable overtime rate for actual overtime worked ….

 

[108] Ici aussi, il ressort de l’analyse de cette clause que « l’employé-e qui est rappelé au travail sans préavis, après avoir terminé son travail de la journée et avoir quitté son lieu de travail […] » que la notion de préavis dans les circonstances n’est pas définie en termes de durée ou de longueur de préavis. L’employeur soutient que l’on réfère à un « court préavis » alors que la convention collective stipule « sans préavis ». Cependant, on y spécifie que l’employé a quitté le lieu de travail et qu’il doive y revenir.

[109] La clause 28.06c) de la convention collective se lit comme suit :

28.06 c. L’employé-e qui est tenu de se présenter au travail un jour de repos et qui s’y présente touche la plus élevée des deux (2) rémunérations suivantes :

28.06 c. When an employee is required to report for work and reports on a day of rest, the employee shall be paid the greater of:

i. une rémunération équivalant à trois (3) heures de rémunération calculée au tarif des heures supplémentaires applicable pour chaque rentrée au travail, jusqu’à concurrence de huit (8) heures de rémunération au cours d’une période de huit (8) heures;

i. compensation equivalent to three (3) hours’ pay at the applicable overtime rate for each reporting, to a maximum of eight (8) hours’ compensation in an eight (8) hour period;

ou

or

ii. la rémunération calculée au tarif applicable des heures supplémentaires.

ii. compensation at the applicable overtime rate.

 

[110] Cette clause fait référence à l’employé qui est tenu de se présenter au travail un jour de repos et qui s’y présente. Ici non plus, il n’y a aucune référence de temps en regard d’un quelconque préavis.

[111] Les paragraphes qui précèdent sont inclus dans la clause 28.05 de la convention collective (Rémunération des heures supplémentaires un jour de travail) et la clause 28.06 (Rémunération des heures supplémentaire un jour de repos). Leurs applications portent sur la rémunération des heures de travail supplémentaire. Ils ne concernent en rien le remboursement de frais encourus par un employé qui accomplirait ce travail.

[112] La clause 28.10 de la convention collective fait référence à « l’employé qui est tenu de se présenter […] et qui s’y présente ». L’employeur a fait référence à cette locution à maintes reprises dans son argumentation. Il soutient que puisqu’elle est reprise dans la clause 28.06c), elle renvoie nécessairement au concept de court préavis. Je ne partage pas cet avis.

[113] À la lumière des principes généraux d’interprétation, en tenant compte du fait que l’article 28 « heures supplémentaires » englobe les clauses 28.04b), 28.05b) et c) et 28.06c), je considère que la locution « l’employé qui est tenu de se présenter […] et qui s’y présente » décrit l’employé à qui l’on demande d’accomplir du travail en heures supplémentaires et qui l’effectue, en opposition à celui à qui l’on demanderait de le faire, mais ne le ferait pas.

[114] Il ressort de l’analyse de la clause 28.10 de la convention collective, à la lumière des principes généraux d’interprétation, que l’intention des signataires à la convention collective était bien de rembourser les dépenses raisonnables à l’employé qui est obligé d’utiliser des services de transport autres que les services de transport en commun normaux, selon les modalités prévues dans les clauses 28.10 a) i) et ii).

[115] L’interprétation que j’en fais est que les parties ont reconnu que le travail en heures supplémentaires déroge à l’horaire habituel d’un employé et que celui-ci peut devoir prendre des mesures alternatives de transport pour retourner chez lui. Par conséquent, les parties ont voulu assurer le remboursement des dépenses raisonnables de transport.

[116] L’employeur a soumis que la preuve extrinsèque invoquée par l’agent négociateur, à savoir qu’il y aurait une pratique passée dans la région du Québec de remboursement des frais de transport, n’est pas pertinente. Il a soumis que l’agent négociateur n’avait pas fait la preuve extrinsèque non contredite d’une pratique antérieure constante, régulière et continue, selon l’exigence juridique d’une pratique passée.

[117] Cependant, il ressort de la preuve que les gestionnaires en région appliquaient la clause 28.10 de la convention collective selon leur propre compréhension, la disponibilité des budgets de temps supplémentaires et leur discrétion.

[118] En aucun moment l’employeur n’a soumis en preuve que l’un des critères à prendre en considération par les gestionnaires était en relation avec la longueur du préavis donné aux employés. Si l’interprétation de la clause 28.10 de la convention collective a donné lieu à des incohérences d’un bureau à l’autre, ce n’est pas à cause de son libellé, mais de facteurs externes imposés aux gestionnaires, tels les budgets disponibles ou leur discrétion individuelle (c’était d’ailleurs le cas dans Jefferies. Les deux gestionnaires étaient en désaccord sur l’application d’une clause semblable de la convention collective).

[119] L’employeur a mis beaucoup d’accent sur l’absence d’ambiguïté de la clause 28.10 de la convention collective. L’agent négociateur a fait de même, et je partage ce point de vue. Il n’y a pas d’ambiguïté. Il n’y a pas lieu de l’interpréter restrictivement comme l’employeur le suggère ou comme l’ont fait certains gestionnaires. Les gestionnaires de l’employeur qui ont appliqué la clause 28.10 l’ont fait parce que les employés satisfaisaient aux modalités de la clause 28.10 de la convention collective. Ceux qui ne l’ont pas appliquée, l’ont refusée pour des motifs autres que la longueur du préavis proposé par l’employeur.

[120] L’interprétation proposée par l’employeur oblige d’introduire de nouvelles exigences qui ne sont pas prévues dans la convention collective et dont les termes de la convention collective ne rendent pas implicitent ces exigences. Il s’agit selon moi de nouvelles exigences introduites unilatéralement par l’employeur.

[121] Je ne considère pas que le remboursement des frais raisonnables de transport en vertu de la clause 28.10 de la convention collective, accepté par certains gestionnaires systématiquement, a établi une pratique antérieure qui créerait un quelconque droit, mais plutôt comme l’interprétation littérale et appropriée de cette clause.

[122] L’employeur s’est appuyé sur les clauses 28.05b) et 28.06c) de la convention collective pour établir un parallèle entre la rémunération à laquelle a droit un employé qui effectue des heures supplémentaires et le remboursement de ses frais de transport. Il a soutenu que les mêmes conditions s’appliquent à l’employé pour avoir droit au remboursement des frais raisonnables de transport que pour avoir droit à la rémunération.

[123] L’employeur a soumis que ces clauses sont plus avantageuses à l’employé en ce qu’elles prévoient un minimum de deux ou trois heures de rémunération, selon les circonstances. Toutefois, le remboursement des frais raisonnables de transport prévu dans la clause 28.10 de la convention collective ne constitue pas une rémunération, mais un remboursement de frais encourus, notamment, les frais raisonnables de transport.

[124] La rémunération constitue la contrepartie d’un travail accompli alors que le remboursement des frais de transport raisonnable vise à rendre à quelqu’un l’argent déboursé. Le remboursement des frais raisonnables de transport ne constitue pas une rémunération ni un avantage financier concédé à l’employé. Par conséquent, le parallèle offert par l’employeur ne peut pas servir de justificatif pour soutenir son interprétation de la clause 28.10 de la convention collective.

[125] L’employeur a fait valoir que, selon Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, un avantage à l’employé qui comporte un coût financier pour l’employeur doit avoir été clairement et expressément stipulé dans la convention collective. Dans le cas de l’application de la clause 28.10 de la convention collective, il ne fait aucun doute que l’avantage à l’employé y est clairement et expressément énoncé. Cet argument de l’employeur n’a pas d’application dans le présent cas.

[126] L’employeur considère que la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2023 CRTESPF 55, au par. 44, est très pertinente puisqu’elle confirme les interprétations des décisions Jefferies et Graham à savoir que l’expression « tenu de se présenter au travail et qui s’y présente » vise les cas où l’employeur a besoin d’un employé à court préavis et qu’une prime est payée. Le paragraphe cité dans cette dernière décision réfère à l’argument déposé devant l’arbitre par l’employeur dans cette affaire. De plus, je considère que cette décision se différencie du présent grief de principe puisque de nombreux griefs individuels y avaient été déposés dans l’application du traitement du temps supplémentaire, mais demeure silencieuse à l’égard du remboursement des frais raisonnables de transport.

[127] De plus, la décision Jefferies peut aussi être distinguée du fait que l’expression « […] est tenu de se présenter au travail et se présente […] » ne comportait pas d’autre condition, tandis qu’ici, « […] tenu de se présenter au travail […] et qui s’y présente […] » dans les conditions énoncées aux clauses 28.05b) et c) et 28.06c), et qui est obligé « […] d’utiliser des services de transport autres que les services de transport en commun […] ».

[128] Dans le présent cas, la preuve devant moi est à savoir qu’aucun grief individuel n’a été déposé eu égard à l’application de la clause 28.10 de la convention collective, et le grief ne porte pas sur la rémunération des heures de travail supplémentaires.

[129] L’agent négociateur a fait valoir que la décision de l’employeur de modifier unilatéralement les modalités d’application de la clause 28.10 de la convention collective constitue un abus du droit de gestion de ce dernier. L’employeur a renvoyé à son droit de gestion concernant l’attribution du travail, s’appuyant sur Durham District School Board, qui conclut que l’employeur peut mettre fin à une pratique qui opère à l’extérieur de la convention collective grâce à une notification appropriée à l’agent négociateur.

[130] L’article 6 de la convention collective précise d’ailleurs que, sauf dans les limites indiquées, la convention ne restreint aucunement l’autorité de l’employeur.

[131] La décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 99, aux paragraphes 132 à 135, propose une analyse pertinente du concept du droit de gestion de l’employeur. Ce droit découle de l’application de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) et reconnaît à l’employeur un pouvoir en matière de ressources humaines en général.

[132] Au paragraphe 133 de cette décision, la Commission affirme que ces droits sont limités par la convention collective et par son application de bonne foi. Elle renvoie à la décision Bodnar c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 71 (annulée pour d’autres motifs dans Canada (Procureur général) c. Bodnar, 2017 CAF 171), qui stipule ce qui suit :

[133] […]

[…] La direction a le droit, tel qu’il a été indiqué antérieurement, de mettre en œuvre une politique, mais elle est limitée non seulement par ce qui est prévu par la convention collective, mais également par tout ce qui a pour effet de violer les dispositions de celle-ci […]

[…]

 

[133] Dans le présent cas, le libellé de la clause 28.10 de la convention collective est clair et ne comporte pas d’ambiguïté, ce qu’en ont convenu abondamment les parties. La politique introduite par l’employeur dans son bulletin d’information constitue une violation des clauses de la convention collective en ajoutant des conditions restrictives à son application, qui n’ont aucune assise dans le libellé de l’article 28 et sont contraires à l’esprit de la clause 28.10, mais aussi à l’objet de la convention collective cité aux clauses 1.01 et 1.02. Par conséquent, je conclus que l’interprétation de l’employeur constitue un abus du droit de gestion.

[134] Pour tout ce qui précède, je conclus que le grief de principe, tel qu’il a été déposé par l’agent négociateur, est fondé. Je déclare que l’employeur a violé la clause 28.10 en ne remboursant pas les frais des employés qui s’étaient présentés au travail.

B. Mesures correctives

[135] L’agent négociateur demande que l’employeur révise sa décision et rembourse les frais de transport, rétroactivement, à tous les employés qui se sont présentés au travail selon les modalités de la clause 28.10 de la convention collective.

[136] L’employeur s’est appuyé sur la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 84, en affirmant qu’un grief de principe se veut une contestation de l’application ou de l’interprétation de dispositions de la convention collective. L’article 232 de la LRTSPF ne fait aucune mention de redressement individuel. Si tel était le désir de l’agent négociateur, il aurait dû déposer des griefs individuels ou un grief collectif, mais il ne l’a pas fait.

[137] L’article 232 de la Loi précise qu’une décision portant sur un grief de principe, qui a fait ou qui aurait pu faire l’objet d’un grief individuel ou collectif, que je ne peux prendre que les mesures correctives suivantes :

a) donner l’interprétation ou l’application exacte de la convention collective ou de la décision arbitrale;

b) conclure qu’il a été contrevenu à la convention collective ou à la décision arbitrale;

c) enjoindre à l’employeur ou à l’agent négociateur, selon le cas, d’interpréter ou d’appliquer la convention collective ou la décision arbitrale selon les modalités qu’il fixe.

 

[138] Dans les circonstances j’ordonne à l’employeur de réviser son interprétation de la clause 28.10 de la convention collective en application de mes conclusions.

[139] L’agent négociateur demande le remboursement des frais des employés qui se sont présentés au travail selon les modalités de la clause 28.10 de la convention collective.

[140] Les employés qui se seraient conformés aux modalités de la clause 28.10 de la convention collective avaient un droit de grief individuel dont ils auraient pu se prévaloir si l’employeur leur avait refusé leur remboursement.

[141] L’article 232 permet, par la jurisprudence établie (Canada (Procureur général) c. Guilde de la Marine Marchande du Canada, 2009 CF 344, aux paragraphes 19 à 23; Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 22, au par. 193), à la Commission d’accorder le remboursement des frais de transport demandés dans ce grief. Ceci étant dit, dans les circonstances, je ne crois pas qu’il soit approprié de l’ordonner car la pratique inégale établie selon la région, permettait à toutes et tous d’en faire la demande et si celle-ci était refusée, le recours en grief était disponible nonobstant l’interprétation erronée de l’employeur.

[142] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[143] Le grief de principe est accueilli.

[144] La Commission déclare que l’employeur a violé la clause 28.10 en ne remboursant pas les frais des employés qui s’étaient présentés au travail.

Le 23 juin 2025.

Guy Grégoire,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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