Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a présenté une plainte de mauvaise foi contre l’employeur, alléguant que l’employeur avait omis de divulguer qu’il était sur le point de mettre fin à un certain nombre de contrats pour une période déterminée de travailleurs de centres d’appels de manière anticipée et qu’il ne prolongerait pas ceux d’autres travailleurs de centres d’appels qui avaient expiré en mai 2023. Par conséquent, un grand nombre de travailleurs des centres d’appels n’ont pas reçu la prime à la signature de 2 500 $ que l’agent négociateur avait négociée parce que leur emploi avait pris fin avant que l’agent négociateur et l’employeur ne signent une nouvelle convention collective le 27 juin 2023. La première question était de savoir si l’employeur avait négocié de mauvaise foi en ne divulguant pas ces renseignements à l’agent négociateur. La Commission a conclu que l’employeur avait pris sa décision avant de conclure la convention collective et que celle-ci avait eu une incidence suffisamment importante sur la négociation collective pour qu’elle ait été communiquée à l’agent négociateur. La Commission a conclu que les avertissements que l’employeur avait donnés au sujet des pertes d’emploi potentielles étaient trop vagues et contredits par l’augmentation de l’embauche, de sorte que l’agent négociateur n’a pas été averti des pertes d’emploi pendant la période critique où l’admissibilité à la prime à la signature de 2 500 $ était en jeu. La Commission a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son obligation de négocier de bonne foi en ne divulguant pas son intention de mettre fin aux contrats pour une période déterminée plus tôt. La deuxième question était de savoir si la décision de l’agent négociateur de ratifier et de signer une convention collective après avoir été informé de la décision de l’employeur remédiait au manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. La Commission a conclu que non. Le moment où la décision de l’employeur a été prise pendant une grève et sa divulgation après la fin de la grève ont privé l’agent négociateur de la possibilité de négocier des conditions d’emploi différentes à la lumière de cette décision. La troisième question était la réparation. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’accorder des dommages généraux pour manquement à l’obligation de divulgation non sollicitée. La perte alléguée par l’agent négociateur était économique et ne serait pas indemnisée par des dommages généraux. La Commission a décidé de ne pas accorder de dommages pour la perte de l’occasion de négocier parce que la probabilité que l’agent négociateur ait négocié des conditions d’admissibilité différentes pour la prime à la signature de 2 500 $, même s’il y avait eu divulgation en temps opportun, était trop faible. La Commission a émis une déclaration de violation de l’obligation de négocier de bonne foi.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20250619

Dossier: 561-34-47778

 

Référence: 2025 CRTESPF 77

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignante

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Andrew Astritis et Simcha Walfish, avocats

Pour la défenderesse: Richard Fader et Larissa Volinets Schieven, avocats

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

les 20, 21 et 24 janvier 2025.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a déposé une plainte pour négociation de mauvaise foi contre l’Agence du revenu du Canada (ARC). L’AFPC allègue que l’ARC a négocié de mauvaise foi en omettant de divulguer le fait qu’elle était sur le point de mettre fin prématurément à plusieurs contrats à durée déterminée de travailleurs des centres d’appels et qu’elle n’avait pas l’intention de prolonger les contrats à durée déterminée d’autres travailleurs des centres d’appels qui arrivaient à échéance en mai 2023. Cette décision a eu pour effet qu’un grand nombre de travailleurs des centres d’appels n’ont pas reçu la prime à la signature de 2500 $ négociée par l’AFPC, parce que leur emploi a pris avant la signature de la nouvelle convention collective par l’AFPC et l’ARC, le 27 juin 2023.

[2] Trois questions sont soulevées dans la présente plainte.

[3] La première question est de savoir si l’ARC a négocié de mauvaise foi en ne divulguant pas ces renseignements à l’AFPC. Dans une plainte fondée sur l’obligation de divulgation non sollicitée, l’agent négociateur doit démontrer trois éléments : que la décision de l’employeur s’est suffisamment cristallisée pour justifier la divulgation, que cette décision a une incidence importante sur l’unité de négociation, et qu’il n’avait été aucunement prévenu de la décision qui aurait fait naître son obligation de poser des questions. Dans le présent cas, il n’est pas contesté que l’ARC a pris sa décision avant de conclure la convention collective. J’ai également conclu que la décision avait une incidence importante sur l’unité de négociation. La question difficile est de savoir si l’AFPC a été prévenue de la décision. J’ai conclu que les avertissements donnés par l’ARC sur les pertes d’emploi potentielles étaient trop vagues et étaient contredits par l’augmentation de l’embauche, de sorte que l’AFPC n’a pas été informée des pertes d’emploi pendant la période critique où l’admissibilité à la prime à la signature de 2500 $ était en jeu.

[4] La deuxième question est de savoir si la décision de l’AFPC de ratifier et de signer la convention collective après avoir été informée de la décision de l’ARC remédie à la violation de l’obligation de négocier de bonne foi. J’ai conclu que ce n’était pas le cas. Le fait que la décision de l’ARC a été prise pendant une grève et qu’elle a été divulguée après la fin de la grève a privé l’AFPC de la possibilité de négocier des conditions différentes à la lumière de cette décision.

[5] La troisième question porte sur la réparation. J’ai décidé de ne pas accorder de dommages-intérêts dans la présente affaire parce qu’il est peu probable que l’AFPC aurait négocié des conditions d’admissibilité différentes à la prime à la signature de 2500 $, même si la divulgation avait eu lieu en temps opportun. Je rendrai également un jugement déclaratoire de violation de l’obligation de négocier de bonne foi, mais c’est tout.

[6] Voici mes motifs détaillés.

II. Procédure suivie pour instruire la plainte

[7] L’ARC a déposé une requête préliminaire en rejet de la présente plainte au motif que la conclusion d’une convention collective après les faits faisant l’objet de la plainte signifiait que la plainte était théorique ou qu’elle ne soulevait pas une cause défendable. J’ai rejeté cette requête préliminaire dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2024 CRTESPF 57 (la « décision préliminaire »), et j’ai fourni de longs motifs à l’appui.

[8] L’AFPC soutient que les conclusions tirées dans cette affaire ne sont pas contraignantes parce qu’une conclusion tirée dans le cadre d’une décision sur une requête préliminaire en rejet d’une demande n’est pas contraignante à l’étape de l’examen au fond. L’AFPC invoque Ducap c. Canada (Procureur général), 2021 CF 631 à l’appui de cette proposition. Au paragraphe 5 de cette décision, la Cour fédérale a simplement déclaré que la question soulevée dans le cadre de ce contrôle judiciaire (à savoir si une recommandation visant à ce qu’un détenu reçoive un traitement médical pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire) « […] a d’ailleurs été abordée préalablement dans le cadre d’une requête préliminaire pour rejet de la demande; ceci ne lie toutefois pas la Cour […] ».

[9] À l’appui de cette proposition, la Cour fédérale a cité Fournier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 265, au par. 29. Dans ce cas, l’appelant avait eu gain de cause dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais il a tout de même interjeté appel parce qu’il était insatisfait des motifs donnés par la Cour fédérale pour lui donner gain de cause. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel en se fondant sur le principe général selon lequel une partie interjette appel d’ordonnances, et non de motifs. Le procureur général avait déjà tenté de faire radier l’appel pour ce même motif, mais la Cour d’appel avait rejeté cette requête. La Cour d’appel a déclaré ce qui suit :

[29] Lors de l’audition, le procureur de l’appelant a fait valoir que le juge Boivin avait rejeté une requête en radiation fondée sur ce motif qu’avait présentée le Procureur général (ordonnance du Juge Boivin du 25 septembre 2018). Il est cependant bien établi qu’une décision rendue dans le cadre d’une requête préliminaire, surtout lorsqu’elle n’est pas motivée, ne lie pas la Cour lorsqu’elle est saisie du mérite de l’affaire.

[Je mets en évidence]

 

[10] L’observation de l’AFPC est généralement celle présentée par une partie dans la position de l’ARC dans le présent cas, à savoir que le fait que j’ai décidé que la demande de l’AFPC ne devait pas être rejetée parce qu’elle ne révélait aucune cause défendable n’empêche pas l’ARC de présenter à nouveau les mêmes arguments. C’est ce qui s’est passé dans Ducap et Fournier. Le procureur général a vu rejeter ses requêtes préliminaires en radiation des deux cas, mais a eu gain de cause sur le fond en présentant les mêmes arguments que ceux qu’il avait tenté de faire valoir dans les requêtes préliminaires. C’est la limite de la proposition avancée par l’AFPC : la décision préliminaire n’empêche pas l’une ou l’autre partie de présenter à nouveau les mêmes arguments.

[11] Plus loin dans la présente décision, j’aborde les arguments précis avancés par l’AFPC pour expliquer en quoi le raisonnement ayant mené à la décision préliminaire était erroné. Il y a également de nombreuses parties de la décision préliminaire sur lesquelles les parties ne se sont pas mises d’accord. Je me contenterai parfois de faire référence à ces parties au lieu de les reproduire dans la présente décision.

III. L’ARC a-t-elle violé son obligation de divulgation non sollicitée?

[12] J’ai décrit l’historique et le fondement de l’obligation de divulgation non sollicitée dans la décision préliminaire, en particulier aux paragraphes 23 et 36 à 42 de cette décision. Je n’ai pas l’intention d’exposer en détail l’historique et le fondement de cette obligation.

[13] Les parties à la présente plainte ne contestent pas la conception juridique de l’obligation de divulgation non sollicitée. Les parties conviennent que l’obligation de divulgation non sollicitée comporte trois éléments : il doit y avoir eu une décision (au lieu d’une simple idée), la décision doit avoir une incidence importante sur l’unité de négociation, et l’employeur ne doit pas avoir fait la divulgation nécessaire de la décision ou avoir donné suffisamment de renseignements pour permettre au syndicat ou à l’agent négociateur de poser davantage de questions à ce sujet. Ces trois éléments sont bien résumés dans University of Manitoba Faculty Association v. University of Manitoba, 2018 CanLII 5426 (MB LB), aux pages 53, 62 et 63 :

[Traduction]

[…]

L’obligation de divulgation ne se limite pas aux circonstances dans lesquelles une partie demande expressément des renseignements. L’obligation de divulgation non sollicitée a été introduite dans le droit du travail au cours des 40 dernières années et est désormais bien établie dans le présent ressort et dans d’autres ressorts canadiens. Elle a été décrite comme « équivalant à une fausse déclaration » de la part de l’employeur de ne pas révéler, pendant la négociation, une décision ou une décision de facto qu’il a déjà prise et qui aura une incidence importante sur les employés de l’unité de négociation.

[…]

L’obligation de divulgation non sollicitée requiert une discussion complète et franche sur les questions liées à la divulgation. Les allusions, les commentaires vagues et les messages énigmatiques […] ne satisfont pas à l’obligation de divulgation non sollicitée […]

[…]

 

[14] J’aborderai ces trois éléments de l’obligation de divulgation non sollicitée dans l’ordre. Bien que les parties ne contestent pas qu’une décision a été prise avant qu’elles ne concluent une entente de principe, je me pencherai d’abord sur cet élément du critère pour décrire la nature de la décision et le moment où elle a été prise dans le présent cas. J’expliquerai ensuite pourquoi la décision a eu une incidence importante sur l’unité de négociation. Enfin, je traiterai de ma conclusion selon laquelle l’employeur n’a pas fourni suffisamment de renseignements sur la décision pour satisfaire à ses obligations.

A. Aperçu du processus de négociation collective

[15] Étant donné qu’il s’agit d’une plainte pour négociation de mauvaise foi, je ferai d’abord une brève chronologie de la négociation collective avant d’aborder les centres d’appels.

[16] La convention collective la plus récente conclue entre l’AFPC et l’ARC a expiré le 31 octobre 2021. L’AFPC a signifié un avis de négociation collective le 15 octobre 2021. Les parties se sont réunies devant une Commission de l’intérêt public, qui a rendu sa décision le 14 février 2023.

[17] L’AFPC a déclenché une grève le 19 avril 2023 à l’ARC et pour plusieurs unités de négociation au Conseil du Trésor. Elle a conclu une entente de principe avec le Conseil du Trésor, le 30 avril 2023, mettant ainsi fin à cette grève.

[18] L’AFPC et l’ARC sont retournées à la table de négociation le 1er mai 2023, compte tenu de la fin de la grève au Conseil du Trésor. Selon le témoignage du négociateur de l’AFPC, Morgan Gay, l’entente conclue entre le Conseil du Trésor et l’AFPC prévoyait un paiement forfaitaire de 2500 $ versé à toutes les personnes employées à la date de la signature de la convention collective. Il a expliqué qu’au départ, l’AFPC ne voulait pas d’un paiement forfaitaire (elle souhaitait plutôt des augmentations de salaire régulières). Le 2 mai, l’AFPC a changé d’avis et a accepté le paiement forfaitaire, mais elle souhaitait que celui-ci soit supérieur à 2500 $. De plus, elle voulait que le paiement soit effectué à la date de ratification de l’entente par les membres de l’AFPC, plutôt qu’à la date de signature. En fin de compte, l’AFPC et l’ARC ont conclu une entente de principe le 3 mai 2023. Cette entente prévoyait une condition selon laquelle toutes les personnes employées dans l’unité de négociation à la date de la signature de la convention collective recevraient un paiement forfaitaire de 2500 $.

[19] Les employés (y compris les agents des centres d’appels) ont repris le travail le lendemain. Les parties ont signé la convention collective le 27 juin 2023.

B. Décision de licencier les travailleurs des centres d’appels

1. Contexte : la nature du travail dans les centres d’appels à l’ARC avant la pandémie de COVID-19

[20] À un moment ou à un autre dans sa vie, chaque Canadien aura probablement à parler à un employé d’un centre d’appels de l’ARC pour traiter d’une question relative aux impôts ou aux prestations. L’ARC appelle ses centres d’appels [traduction] « centres de contact », mais j’ai décidé d’utiliser l’expression plus courante « centre d’appels » dans la présente décision.

[21] Avant la pandémie de COVID-19, l’ARC disposait de trois lignes téléphoniques principales où les Canadiens pouvaient appeler pour demander des renseignements : une ligne pour aider les particuliers en matière d’impôts sur le revenu, une ligne pour traiter les prestations (par exemple, les crédits de TPS) et une ligne pour traiter les demandes des entreprises (par exemple, l’inscription pour un numéro de TPS). De ces trois lignes, celle consacrée à l’impôt sur le revenu est de loin celle qui enregistrait le volume le plus important : environ 70 % des appels concernaient des déclarations d’impôt sur le revenu. L’ARC a des centres d’appels dans huit endroits : Surrey, en Colombie-Britannique, et Edmonton et Calgary, en Alberta (collectivement, la « région de l’Ouest »); Hamilton et Toronto, en Ontario (collectivement, la « région du Centre »); Montréal, au Québec (la « région du Québec »); et Saint John, au Nouveau-Brunswick, et Saint John’s, à Terre-Neuve (collectivement, la « région de l’Atlantique »). Depuis 2018, les Canadiens qui communiquent avec la ligne d’aide peuvent entrer en contact avec un agent d’un centre d’appel situé dans n’importe lequel de ces huit endroits.

[22] Avant la pandémie, l’ARC comptait entre 2500 et 3500 agents environ dans ses centres d’appels, selon la période de l’année. Elle connaît une hausse d’appels peu avant la date limite de production des déclarations de revenus, le 30 avril. Par conséquent, en décembre ou en janvier de chaque année, elle embauche environ 600 employés nommés pour une période déterminée afin de faire face à cette hausse d’appels. Environ 350 de ces employés nommés pour une période déterminée sont licenciés en mai, après la fin de la période occupée des impôts. En juillet, il y a une autre hausse d’appels, moins importante, pour traiter certaines prestations administrées par l’ARC, de sorte que certains employés nommés pour une période déterminée sont maintenus en poste pendant cette période, et ce jusqu’en septembre, après quoi ils sont licenciés. Le nombre d’employés des centres d’appels de l’ARC touche généralement son creux en décembre, avant d’augmenter pendant la période des impôts.

[23] Les employés nommés pour une période déterminée embauchés en décembre ou janvier de chaque année avaient des contrats qui précisaient la durée de leur emploi. Leurs contrats prenaient fin généralement au mois de mai. Les contrats comportaient tous des clauses stipulant que la durée du contrat pouvait être prolongée ou écourtée, en fonction des exigences opérationnelles.

2. Changements dans les niveaux de dotation pendant la pandémie de COVID-19

[24] En raison de la pandémie, l’ARC a dû adapter son modèle de dotation pour administrer de nouvelles prestations destinées aux Canadiens. Lorsque la pandémie a frappé, en mars 2020, le nombre d’employés des centres d’appels de l’ARC était déjà à son maximum habituel. Plutôt que de licencier des employés en mai 2020, l’ARC a maintenu ses effectifs pour répondre aux appels concernant les prestations liées à la pandémie. Elle a ensuite embauché près de 3000 agents de centre d’appels supplémentaires entre octobre 2020 et mars 2021 pour faire face au volume d’appels.

[25] En 2021, l’ARC a décidé de prolonger la durée des contrats de ses employés nommés pour une durée déterminée jusqu’en mai 2023. L’employeur a déposé des copies de ces prolongations de contrats, qui ont été remises aux employés nommés pour une durée déterminée, en 2022. Les prolongations ont été accordées jusqu’au 5 mai ou au 26 mai 2023.

[26] Au début de l’année 2022, l’ARC a commencé à envisager le retour aux niveaux de dotation d’avant la pandémie. Si elle n’a pas réduit de façon marquée le nombre d’agents des centres d’appels en 2022, elle a commencé par cesser d’embaucher du personnel pour remplacer les agents qui partaient volontairement. Toutefois, à l’automne 2022, le gouvernement fédéral a annoncé deux nouvelles prestations : la prestation dentaire et la prestation relative au logement. Ces deux prestations étaient administrées en partie par l’ARC. L’ARC s’attendait à une augmentation considérable du nombre d’appels concernant la prestation relative au logement sur une période de six à huit semaines. Elle a donc embauché environ 2000 agents de centre d’appels à l’automne 2022 pour répondre à ce besoin. Ces nouveaux employés avaient des contrats à durée déterminée qui expiraient en mai ou en septembre 2023.

[27] La hausse attendue des appels concernant la prestation relative au logement ne s’est pas concrétisée. En janvier 2023, l’ARC savait qu’elle n’avait pas besoin de ces agents de centre d’appels pour traiter les appels liés à la prestation relative au logement. Plutôt que de mettre fin immédiatement à leur contrat, elle leur a demandé de répondre à d’autres appels.

[28] En outre, à un moment donné en 2023, la durée du contrat d’un certain nombre d’employés nommés pour une période déterminée a été prolongée de mai à septembre 2023. La région de l’Ouest a adopté cette mesure pour tous ses employés nommés pour une durée déterminée. La durée des contrats d’un petit nombre d’employés nommés pour une durée déterminée dans d’autres régions a également pu être prolongée jusqu’en septembre également.

[29] À son apogée, en janvier 2023, l’ARC comptait 8548 agents dans ses centres d’appels.

[30] Le bureau de Montréal a également dû composer avec un problème particulier. Avant la pandémie, les agents des centres d’appels de Montréal devaient être bilingues. L’ARC a embauché des agents unilingues dans les centres d’appels en 2021. Le 5 mai 2022, l’ARC a tenu une assemblée générale avec les agents de son centre d’appels de Montréal pour les informer qu’ils avaient jusqu’au 6 mai 2023 pour devenir bilingues. Dans le cas contraire, la durée de leur contrat ne serait pas prolongée au-delà de cette date.

3. Décision de réduire le nombre d’agents dans les centres d’appels

[31] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’ARC avait l’intention de réduire le nombre d’agents dans ses centres d’appels pour se rapprocher des niveaux d’avant la pandémie. Elle a commencé à y travailler en janvier 2023. La haute direction responsable des centres d’appels craignait initialement de devoir réduire le personnel dès janvier 2023, en raison du peu d’appels concernant la prestation relative au logement, mais elle a obtenu un financement supplémentaire qui lui a permis de maintenir en poste ces agents des centres d’appels pendant un certain temps.

[32] Le témoignage de Kira Sherry (actuellement directrice générale de la direction des services aux centres de contact, mais qui était à l’époque conseillère spéciale auprès de cette direction) m’a permis de prendre connaissance des discussions internes menées par la haute direction, entre janvier et avril 2023, sur le moment et la manière de réduire le nombre d’agents des centres d’appels. Il a été décidé de laisser les contrats à durée déterminée d’un certain nombre d’employés expirer comme prévu en mai 2023 et de mettre fin prématurément à d’autres contrats à durée déterminée, également en mai 2023. Le nombre précis d’employés nommés pour une durée déterminée touchés est demeuré incertain jusqu’à la fin du mois d’avril 2023 et variait d’une région à l’autre. Cependant, il n’est pas contesté qu’au 25 avril 2023, une décision ferme de licencier environ 1700 employés des centres d’appels nommés pour une durée déterminée avait été prise.

[33] Plusieurs agents des centres d’appels ont été licenciés après le 3 mai 2023. En tout, 1125 agents de centre d’appels employés le 3 mai 2023 n’ont pas reçu la prime à la signature de 2500 $ parce qu’ils n’étaient pas employés le 27 juin 2023. Je les appellerai les « employés touchés ».

[34] La région de l’Ouest comptait 584 employés touchés. Les contrats de la plupart des employés nommés pour une durée déterminée de cette région ont été prolongés jusqu’en septembre 2023. La région de l’Ouest comptait 528 employés dont le contrat a pris fin prématurément, 14 qui ont démissionné, 40 dont le contrat a pris fin pour d’autres raisons (vraisemblablement en raison de problèmes de rendement ou autres, selon Mme Sherry), et 2 qui n’ont pas reçu la prime pour d’autres raisons. La région de l’Ouest planifiait initialement de mettre fin à ces contrats le 26 mai, mais elle a finalement mis fin à 527 contrats le 9 juin, et à un autre contrat le 10 juin.

[35] La région de l’Ontario a été relativement épargnée par cette situation, et 23 employés seulement ont été touchés. Elle n’a mis fin prématurément à aucun contrat à la suite de cette décision, et elle ne comptait que 10 employés dont le contrat a pris fin pour d’autres raisons. En outre, 11 employés ont démissionné avant d’être admissibles à la prime et 2 ne l’ont pas reçue pour d’autres raisons.

[36] La région du Québec comptait 238 employés touchés. De ce nombre, 73 ont vu leur contrat prendre fin parce qu’ils n’avaient pas atteint le niveau de bilinguisme requis. Le 5 mai, 63 d’entre eux ont été licenciés. Le 26 mai, 10 autres ont aussi été licenciés. Ces derniers étaient sur le point d’atteindre le niveau requis, mais n’y sont pas parvenus, vu la courte période qui leur avait été accordée. Il y a eu 15 démissions, 8 employés dont le mandat a pris fin le 5 mai (les documents ne sont pas cohérents et ne permettent pas de déterminer s’ils ont tous les 5 été licenciés en raison de la question liée au bilinguisme ou si leurs contrats ont expiré naturellement à leur échéance), et 2 autres employés ont été licenciés pour d’autres raisons. Cela signifie que 140 employés ont vu leur contrat prendre fin prématurément, le 26 mai (137 d’entre eux) et le 28 mai (3 d’entre eux) respectivement.

[37] La région de l’Atlantique comptait 280 employés touchés. La région de l’Atlantique a reporté la fin prématurée des contrats à durée déterminée et a prolongé d’autres contrats à durée déterminée jusqu’au 30 juin 2023, de sorte qu’un grand nombre d’employés ont reçu la prime presque immédiatement avant d’être licenciés. Mme Sherry a témoigné qu’il s’agissait de presque 600 employés, mais le document de synthèse déposé par l’employeur indique qu’il s’agissait plutôt de 425 employés. La différence n’est pas pertinente pour ma décision. Aucun contrat des 280 employés touchés n’a pris fin prématurément : 12 employés ont démissionné et 2 n’ont pas reçu leur prime pour d’autres raisons, et les contrats des 266 autres employés ont pris fin naturellement (c.-à-d. à leur date d’échéance ou pour d’autres raisons).

[38] En conclusion, des 1125 employés touchés, 668 ont vu leur emploi prendre fin prématurément.

[39] Par souci d’exhaustivité, je souligne qu’un des documents déposés par l’employeur mentionne 13 autres employés touchés (ce qui porterait le total à 1138 employés n’ayant pas reçu la prime à la signature), mais la possibilité qu’il y ait 13 autres employés touchés ne prête pas à conséquence.

[40] Enfin, si l’on considère l’ARC dans son ensemble, au 4 mai 2023, l’unité de négociation comprenait 42761 employés, et, au 27 juin, elle en comptait 41321. De ces employés, 40477 ont reçu la prime à la signature. De toute évidence, d’autres employés de l’ARC qui ne travaillent pas dans des centres d’appels ont quitté leur emploi. L’ARC a également embauché 581 employés après le 4 mai 2023, qui ont reçu le paiement forfaitaire de 2500 $.

[41] Pour présenter cet exposé jusqu’à la date de l’audition, l’ARC a continué à réduire le nombre d’agents de centre d’appels. Un groupe d’un peu moins de 300 agents de centre d’appels a été licencié en septembre 2023, puis un groupe beaucoup plus important d’un peu moins de 1900 agents de centre d’appels a été licencié en mai 2024. L’ARC a réduit ses effectifs à un peu plus de 4000 agents dans ses centres d’appels, avant d’embaucher un groupe de près de 700 employés, en août ou septembre 2024. Au 1er octobre 2024, l’ARC comptait 4844 agents de centre d’appels. Ce chiffre est toujours supérieur aux niveaux d’avant la pandémie, mais il est nettement inférieur aux sommets atteints en janvier 2023.

4. Nature et date de la décision

[42] Avant de déterminer la date de la « décision », il y a lieu de préciser quelle était la décision.

[43] Selon l’AFPC, la « décision » qui aurait dû être divulguée dans le présent cas est celle de mettre fin à environ 1700 contrats à durée déterminée d’agents de centre d’appels, en mai et juin 2023. En fin de compte, 1125 contrats à durée déterminée ont pris fin au cours de cette période. Toutefois, la question de savoir si l’estimation initiale de l’ARC était exacte n’est pas importante à ce stade, car une décision quelconque touchant la sécurité d’emploi a été prise.

[44] Après avoir examiné en détail le déroulement des faits, j’ai conclu que la décision générale de réduire le nombre d’agents de centre d’appels a été prise, mais qu’il y a lieu de la diviser en trois éléments.

[45] D’abord, il y a eu la décision de mettre fin aux contrats à durée déterminée des agents de centre d’appels du bureau de Montréal qui n’étaient pas bilingues au 6 mai 2023. Cette décision a été prise quelque temps avant le 5 mai 2022, date à laquelle elle a été communiquée aux agents de centre d’appels. En avril ou mai 2023, l’ARC a pris une autre décision, par laquelle elle accordait un délai de grâce d’environ trois semaines à certains agents de centre d’appels qui étaient sur le point de satisfaire à l’exigence de bilinguisme. Toutefois, pour les besoins de la présente affaire, la décision de mettre fin aux contrats à durée déterminée a été prise quelque temps avant le 5 mai 2022, car cette décision a été communiquée aux agents du centre d’appels ce jour-là.

[46] Deuxièmement, il a été décidé de ne pas prolonger la durée d’un certain nombre de contrats qui devaient expirer en mai 2023.

[47] Troisièmement, il a été décidé de mettre fin prématurément aux nominations pour une durée déterminée d’agents de centres d’appels. Ces deux dernières décisions sont liées, car elles ont été prises en même temps et pour les mêmes raisons.

[48] Mme Sherry a témoigné du processus ayant mené à la deuxième et à la troisième décision. Bien que le nombre précis d’employés touchés ait fluctué pendant un certain temps, au 31 mars 2023, la décision avait été prise de procéder aux réductions en mai de la même année. Le 25 avril 2023, les régions ont communiqué à Mme Sherry des estimations plus précises du nombre d’employés touchés. Mme Sherry s’attendait à un chiffre d’environ 1000 personnes cet après-midi-là, mais elle a reçu une mise à jour de la région de l’Ouest plus tard dans la journée, indiquant que le nombre était supérieur à son estimation.

[49] Quelle que soit la date précise à laquelle la décision s’est « cristallisée », elle a certainement été prise à un moment donné entre le 31 mars et le 25 avril 2023. La décision a donc été prise avant que les parties ne concluent une entente de principe. Comme je l’ai déjà mentionné, l’ARC ne conteste pas cet élément de l’obligation de divulgation non sollicitée. J’ai exposé ce fait en grande partie par souci d’exhaustivité.

C. Incidence importante de la décision sur l’unité de négociation

[50] L’obligation de divulgation non sollicitée ne s’applique qu’aux décisions ayant une incidence importante sur l’unité de négociation. Toutefois, la jurisprudence n’explique ni ne définit ce qui constitue une « incidence importante ». En cette matière, la jurisprudence se limite généralement à des généralités pour décrire l’incidence nécessaire, par exemple :

· [Traduction] « L’obligation de divulgation non sollicitée ne s’applique qu’aux décisions qui ont une incidence importante sur les employés de l’unité de négociation » (extrait d’International Association of Fire Fighters, IAFF Local 4794 v. Rocky View County, 2013 CanLII 67124 (AB LRB), au par. 45). Dans ce cas, il avait été décidé de mettre en disponibilité tous les pompiers à temps plein. La Commission des relations de travail de l’Alberta a souligné que rien ne laissait supposer que la décision rendue dans ce cas n’était pas importante.

 

· [Traduction] « Concernant l’obligation de négocier de bonne foi, la jurisprudence canadienne considère qu’au cours des négociations, l’employeur a l’obligation de divulguer, sans qu’il lui soit demandé expressément de le faire, les décisions de la direction qui auront une incidence négative majeure sur l’unité de négociation […] » (extrait de Communications, Energy And Paperworkers Union Of Canada, Local 255G v. Central Web Offset Ltd, 2008 CanLII 46476 (AB LRB), au par. 139). Dans ce cas, il avait été décidé de fermer une usine, ce qui a entraîné le licenciement de la quasi-totalité de l’unité de négociation.

 

· [Traduction] « L’obligation de négocier de bonne foi exige la divulgation en temps opportun des décisions de fait qui auront une incidence importante sur les employés de l’unité » (extrait de University of Manitoba, à la p. 62). Dans ce cas, le mandat qu’avait le gouvernement provincial de geler les salaires a eu une incidence importante sur une unité de négociation de professeurs universitaires.

 

[51] Dans le présent cas, l’AFPC avance deux arguments pour justifier que la décision était importante. Premièrement, elle fait valoir qu’un licenciement collectif est intrinsèquement important et doit être divulgué. Deuxièmement, elle fait valoir que la perte de la prime à la signature de 2500 $ a eu une incidence importante sur les employés touchés, en particulier compte tenu de leurs taux de rémunération relativement modestes. L’ARC fait valoir que le nombre d’employés touchés est relativement faible par rapport à l’ensemble de l’unité de négociation, surtout si l’on tient compte des 581 employés embauchés après le 4 mai 2023 qui ont reçu la prime. L’ARC fait également valoir qu’il y a toujours [traduction] « des gagnants et des perdants » avec n’importe quelle date limite fixée pour une prime à la signature, ce qui atténue l’importance de l’incidence dans le présent cas.

[52] Dans un cas concernant l’obligation de divulgation non sollicitée pendant les négociations collectives, je ne pense pas que l’importance d’une décision puisse être réduite à la seule question de son objet ou du nombre d’employés touchés. L’importance d’une décision doit plutôt être examinée à la lumière de l’objectif qui sous-tend l’obligation de divulgation non sollicitée.

[53] Comme je l’ai mentionné dans la décision préliminaire, l’obligation de divulgation non sollicitée est « […] une conséquence de l’obligation de négocier de bonne foi […] » (paragraphe 36) et « […] l’objectif de l’obligation de divulgation non sollicitée est de veiller à ce que les deux parties aient la possibilité de s’engager dans une négociation rationnelle et éclairée » (paragraphe 42). Je suis donc d’avis que l’importance d’une décision dépend de la relation entre cette décision et la négociation collective.

[54] Cette conclusion n’est ni nouvelle ni particulièrement perspicace. Il existe plusieurs décisions de commissions des relations du travail qui traitent de la mesure de l’importance d’une décision à la lumière de son incidence sur la négociation collective. Exemples :

· Extrait de Moose Jaw Firefighters’ Association No. 553 v. City of Moose Jaw, 2019 CanLII 98484 (SK LRB), au par. 86 :

[Traduction]

Cette obligation [de divulgation non sollicitée] s’applique à la fois aux décisions ayant une incidence sur les négociations en vue de la conclusion d’une convention collective, et aux décisions ayant une incidence majeure sur les conditions d’emploi de certains travailleurs, lesquelles font l’objet d’une négociation en cours ou imminente.

[Je mets en évidence]

· Extrait de Noranda Metal Industries Ltd. (Re), [1974] B.C.L.R.B.D. No. 149, [1975] 1 Can. L.R.B.R. 145 :

[Traduction]

[…]

[…] Il est difficile de prétendre qu’un employeur qui retient délibérément des données factuelles dont un syndicat a besoin pour évaluer intelligemment une proposition à la table de négociation fait « tous les efforts raisonnables pour conclure une convention collective » […]

[Je mets en évidence]

· Extrait de United Electrical, Radio & Machine Workers of America v. Westinghouse Canada Limited, 1980 CanLII 893 (ON LRB), au par. 39 :

[Traduction]

[…] De même, il ne fait aucun doute qu’un employeur est tenu, en vertu de l’article 14, de révéler au syndicat, de sa propre initiative, les décisions déjà prises qui peuvent avoir une incidence majeure sur l’unité de négociation. Sans ces renseignements, le syndicat est effectivement plongé dans l’obscurité. Le syndicat ne peut évaluer de manière réaliste ses priorités ou formuler une réponse valable à la négociation sur des questions d’une importance fondamentale pour les employés qu’il représente […]

[Je mets en évidence]

 

[55] Dans le présent cas, les parties ont négocié un paiement forfaitaire. Elles ont échangé des propositions sur cette somme forfaitaire, négociant à la fois son montant et sa date d’entrée en vigueur. La décision rendue a eu une incidence sur le nombre d’employés pouvant prétendre à ce paiement forfaitaire. Cette décision était suffisamment importante pour que s’applique l’obligation de divulgation non sollicitée, car elle avait une incidence sur la condition même négociée par les parties, à savoir la date de prise d’effet du paiement forfaitaire.

[56] C’est la même conclusion à laquelle est parvenu le négociateur de l’ARC, Marc Bellavance. M. Bellavance a témoigné qu’il travaillait pour l’ARC dans le domaine des relations de travail depuis plus de 25 ans. Il était le négociateur en chef de l’ARC pour la convention collective conclue le 3 mai 2023. Il n’a pas été informé de la décision de réduire le nombre d’agents de centre d’appels à l’ARC. Lorsqu’on lui a demandé, au cours du contre-interrogatoire, ce qu’il aurait fait s’il avait été informé d’une réduction d’environ 1000 employés, il a déclaré sans équivoque qu’il aurait eu le devoir d’informer le négociateur de l’AFPC.

[57] L’ARC a fait valoir qu’elle n’était pas liée par l’avis de son négociateur en chef. C’est peut-être vrai d’un point de vue juridique, à proprement parler. Cependant, le témoignage de M. Bellavance indique clairement l’importance de l’incidence de cette décision. Si le négociateur en chef de l’ARC estime que la décision était suffisamment importante pour être divulguée, c’est une indication claire que c’est le cas.

[58] Sur ce point, je me fonde également sur la décision rendue dans Canadian Union of Public Employees, Local no. 30 c. Edmonton (City), [1995] Alta. L.R.B.R. 102. Il s’agissait d’un autre cas concernant l’obligation de divulgation non sollicitée. Dans ce cas, le négociateur de l’employeur était au courant de la décision à venir (une restructuration) et avait recommandé à l’employeur de la communiquer à l’agent négociateur. Le gestionnaire de la restructuration avait qualifié la décision d’importante. L’employeur n’a pas divulgué la décision. La Commission des relations de travail de l’Alberta s’est appuyée sur les aveux des deux témoins de l’employeur pour conclure que la décision avait une incidence suffisante pour justifier la divulgation, en déclarant, au paragraphe 41 :

[Traduction]

41 La décision prise aurait eu, et a eu, une incidence importante sur les employés de l’unité et sur la négociation collective. M. Shewchuk [le négociateur de l’employeur] a reconnu l’incidence potentielle sur la négociation et a exprimé son point de vue à ce sujet lors de la réunion du 4 janvier. Selon M. Anderson [le gestionnaire], cette restructuration était majeure ou importante d’un point de vue organisationnel […]

 

[59] À l’instar de la Commission des relations de travail de l’Alberta, j’estime que le témoignage du négociateur de l’employeur est convaincant.

[60] Pour ces motifs, je conclus que la décision a eu une incidence suffisamment importante sur la négociation collective pour qu’elle soit divulguée.

D. L’ARC a-t-elle fourni suffisamment de renseignements sur la décision pour que l’AFPC puisse poser des questions à ce sujet?

[61] L’ARC soutient qu’elle a fourni suffisamment de renseignements sur la décision pour que l’AFPC ait pu poser des questions à ce sujet avant de conclure l’entente de principe. L’AFPC n’est pas de cet avis.

[62] En ce qui concerne le cadre juridique applicable à cette question, l’ARC soutient que l’obligation de divulgation non sollicitée est exceptionnelle et limitée à des cas extrêmes. Elle affirme que cela signifie que, plus une question est prévisible, plus l’agent négociateur est tenu de s’informer, au lieu de s’appuyer sur l’obligation de divulgation non sollicitée. L’ARC s’appuie plus précisément sur Elementary Teachers’ Federation of Ontario v. The Crown in Right of Ontario as represented by the Ministry of Education, 2022 CanLII 35068 (ON LRB). Dans ce cas, le syndicat alléguait que l’employeur n’avait pas divulgué ses projets d’abrogation d’un règlement portant sur un mécanisme fondé sur l’ancienneté pour l’embauche d’enseignants occasionnels à des postes à plus long terme, voire permanents. La Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a décrit l’obligation de divulgation non sollicitée au paragraphe 88 comme une obligation qui [traduction] « […] exige que l’employeur communique des renseignements ou une décision qu’il a déjà prise, et qui a une incidence importante sur les conditions d’emploi, et que le syndicat n’avait pas pu anticiper [je mets en évidence] ». Dans cette affaire, la CRTO a conclu, au paragraphe 90, que le syndicat était [traduction] « informé » de l’abrogation du règlement parce que l’employeur avait déclaré que [traduction] « […] le retrait des propositions des parties permettrait à la Couronne d’exercer son pouvoir réglementaire sans contrainte ». Dans cette affaire, la CRTO a été convaincue, parce que la possibilité d’abroger le règlement avait été [traduction] « évoquée ».

[63] L’AFPC n’a pas contesté la proposition générale selon laquelle il n’est pas nécessaire que la divulgation soit exhaustive ou complète en toutes circonstances. Les arguments de l’AFPC portent plutôt sur la qualité de la divulgation. L’AFPC s’appuie en particulier sur la décision University of Manitoba, dans laquelle la Commission du travail du Manitoba a déclaré, à la page 60, que l’obligation de divulgation non sollicitée n’est pas satisfaite par [traduction] « des allusions diverses et des commentaires énigmatiques ».

[64] Le différend entre les parties sur cette question est en grande partie factuel. Je décrirai donc d’abord ce qui a été divulgué à l’AFPC, et à quel moment. Je me pencherai ensuite sur la question de savoir si cette divulgation a satisfait à l’obligation de l’ARC.

1. Divulgation à l’AFPC de renseignements sur la dotation des centres d’appels

[65] Les parties conviennent que les renseignements divulgués à l’AFPC ont été fournis par l’intermédiaire du Comité des centres d’appels. Il s’agit d’un comité bipartite composé de représentants de la direction de l’ARC et de l’AFPC. Il se veut une tribune de consultation entre la direction de l’ARC et l’AFPC sur les conditions de travail dans les centres d’appels de l’ARC. Le comité se réunissait environ une fois par trimestre. Il y avait également des réunions spéciales pour discuter de questions soulevées.

[66] Avant chaque réunion, l’ARC diffusait un ordre du jour et des renseignements sur certains points qui y étaient inscrits. L’ordre du jour diffusé avant les réunions était généralement incomplet. Les réunions commençaient par le mot d’ouverture et des questions qui ne figuraient pas à l’ordre du jour. Les discussions sur les niveaux de dotation avaient lieu dans le cadre du mot d’ouverture et ne figuraient généralement pas à l’ordre du jour officiel de ces réunions.

[67] Une personne de l’ARC y prenait des notes et rédigeait un résumé de la réunion en fonction de ces notes. À partir de 2022, le résumé était soumis à l’AFPC pour examen avant d’être finalisé. Deux des témoins dans la présente affaire étaient membres du Comité des centres d’appels : Mme Sherry pour l’ARC et Eddy Aristil pour l’AFPC. Tous deux faisaient partie des équipes de négociation de l’ARC et de l’AFPC, respectivement. Ils ont tous deux confirmé que les résumés reflétaient fidèlement ce qui s’était passé lors des différentes réunions tenues entre 2021 et 2023.

[68] Lorsque cela s’avérera utile, je présenterai des extraits des procès-verbaux des réunions, car je suis convaincu qu’ils reflétaient fidèlement ces discussions. J’exposerai également les impressions de Mme Sherry et de M. Aristil sur les messages qui ont été communiqués lors de ces réunions.

[69] Tous deux ont témoigné n’avoir rien rapporté des discussions menées lors de ces réunions du comité à leur équipe de négociation respective, non pas parce que les réunions étaient confidentielles, mais simplement parce qu’ils ne pensaient pas qu’il était important de le faire.

[70] J’ai déjà exposé les pratiques de dotation dans les centres d’appels de l’ARC. En gros, il y avait environ 3000 agents de centre d’appels avant la pandémie, avec des fluctuations saisonnières, et le nombre d’agents de centres d’appels est passé à 8000 après la pandémie, puis a diminué à partir de mai 2023.

[71] La première réunion du comité portant sur la dotation a eu lieu le 11 novembre 2021. Le procès-verbal de cette réunion se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

· Perspectives pour les centres d’appels de la Direction générale de cotisation‚ de prestation et de service (DGCPS) et de la Direction générale des recouvrements et de la vérification (DGRV) (nouveaux programmes liés à la COVID, prochaine période de production des déclarations T1, etc.)

La direction confirme que l’Agence reçoit encore un nombre élevé d’appels, plus précisément pour des demandes de renseignements touchant les entreprises, en raison de la reprise économique. Il a fallu transférer des agents chargés des appels liés aux déclarations TI vers des lignes réservées aux entreprises pour donner un coup de main. Les centres d’appels comptent environ 6000 employés, et leur taille a doublé depuis le début de la pandémie, mais le roulement de personnel reste élevé. Sur cette question et pour apporter de la stabilité, la direction confirme qu’elle va prolonger tous les contrats jusqu’en mai 2023.

Le syndicat demande si les activités de recouvrement ont repris le rythme d’avant la pandémie.

La direction confirme que le service des recouvrements par l’intermédiaire du Centre d’appels de la gestion des créances (CAGC) fonctionne à nouveau. Cependant, des ressources humaines supplémentaires sont nécessaires pour traiter le volume d’appels.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[72] Mme Sherry a témoigné au sujet de la décision de l’ARC de prolonger les contrats de ses agents de centre d’appels nommés pour une durée déterminée jusqu’en mai 2023, et elle a expliqué que c’est à cette décision que le procès-verbal renvoie. M. Aristil a également déclaré que les points cités précédemment reflètent exactement ce qu’on lui a dit.

[73] La réunion suivante du comité a été tenue le 22 février 2022. Le procès-verbal de cette réunion se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

La direction ouvre la réunion en mentionnant que les centres d’appels sont mieux préparés qu’auparavant pour la période de production des déclarations de revenus. Les centres d’appels comptent actuellement environ 7000 employés, 7200 en incluant les membres de la direction. La direction fait part de son optimisme quant au programme et à la période de production des déclarations de revenus de cette année.

La direction précise qu’aux prochaines réunions, il conviendrait de discuter de l’avenir. Par exemple, si nous sortons véritablement de la pandémie et que le programme d’aide lié à la Covid-19 n’a plus sa raison d’être, nous commencerons à réduire nos effectifs, et le financement de ces programmes pourrait ne plus être disponible. Elle précise qu’il faut encore attendre pour voir comment la situation évoluera.

Le syndicat demande combien d’employés il y a habituellement au cours d’une période de production des déclarations de revenus normale. La direction répond qu’il y a habituellement 3000 employés pendant une période normale, et que les effectifs sont donc deux fois plus nombreux.

La direction confirme que la réduction des effectifs, actuellement au nombre de 7200, ne se fera pas d’un seul coup, et qu’elle souhaiterait une approche modérée (c’est-à-dire sur quelques années et non sur quelques mois). La direction précise qu’elle aura davantage de renseignements à communiquer à ce sujet ultérieurement.

Du point de vue de la DGRV, la direction mentionne que la situation est inverse dans le cas des employés affectés au service de recouvrement, et qu’il n’y aura pas de réduction d’effectifs. Une fois les avis de cotisation et les avis de dette envoyés, la DGRV se prépare en vue de traiter le volume d’appels qu’elle recevra.

Le syndicat demande si les centres d’appels reviendront aux chiffres initiaux une fois la pandémie terminée. La direction confirme que si les chiffres pris à titre de référence sont ceux de 2019, elle ne prévoit pas y revenir avant au moins trois ans, car il y a beaucoup de choses à régler avant d’y parvenir.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[74] M. Aristil a témoigné qu’il avait posé la question sur le nombre normal d’employés. Il a expliqué avoir posé cette question parce que l’AFPC voulait toujours connaître les perspectives pour les employés des centres d’appels et qu’elle souhaitait savoir si les gens auraient encore un emploi après la pandémie. Le procès-verbal contenait également un point sur le ratio d’employés permanents par rapport aux employés nommés pour une durée déterminée. Il a expliqué que l’objectif principal de l’AFPC était d’obtenir un ratio plus élevé d’employés permanents par rapport aux employés nommés pour une période déterminée, et de veiller à ce que ce ratio soit le même dans les quatre régions. Le procès-verbal indique qu’à l’époque, le ratio d’employés nommés pour une période déterminée par rapport aux employés permanents était d’environ 70/30 et que l’objectif de l’AFPC était d’atteindre 100 % d’employés permanents, mais qu’elle se contenterait d’un taux de 96 %. Le témoignage de Mme Sherry au sujet de cette réunion cadre avec le procès-verbal de la réunion.

[75] La réunion suivante a été tenue le 28 juin 2022. Le point concernant les niveaux de dotation se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

La direction et le Syndicat des employés de l’impôt (SEI) poursuivent la discussion au sujet du manque de financement permanent stabilisé pour la DGCPS, ce qui a une incidence sur le nombre de postes permanents dans les centres d’appels. La direction précise qu’elle ne peut pas augmenter le nombre d’employés permanents avec du financement temporaire. Du côté de la DGRV, la direction mentionne que le taux d’attrition est élevé et qu’il est admis que les stratégies de dotation en personnel doivent être modifiées. Cela dit, le financement reçu repose actuellement sur le recouvrement des coûts et non sur un budget, de sorte qu’il est difficile d’augmenter le nombre d’employés permanents. Le SEI remercie la direction d’avoir communiqué ces renseignements et propose de travailler ensemble pour atteindre l’objectif commun d’un financement permanent accru afin de permettre l’embauche d’un plus grand nombre d’employés permanents. Il rappelle son souhait que les membres aient un emploi permanent au sein de l’Agence et qu’ils y fassent carrière.

La direction conclut en réitérant son engagement à assurer un suivi auprès de SEI au plus tard à la prochaine réunion du comité, en fournissant des données précises sur les ratios et l’intervalle recommandé pour communiquer ces renseignements.

[…]

 

[76] Mme Sherry a déclaré que ce point soulevait le fait que l’ARC ne disposait pas d’un financement permanent permettant des niveaux élevés de dotation dans les centres d’appels. Elle a bien obtenu un financement dans le cadre du budget de 2022, mais ce financement n’a été accordé que pour deux ans, principalement pour la première année (2022-2023), moins pour la deuxième année. M. Aristil a témoigné qu’il retenait de ce point que la question de l’obtention de données sur le ratio du nombre de contrats à durée déterminée par rapport au nombre de contrats à durée indéterminée progressait. Il a également témoigné de manière plus générale qu’il comprenait que lorsque l’ARC disait que quelque chose dépendait du financement, il savait que rien n’était coulé dans le béton, parce que tout dépend du financement.

[77] La réunion suivante a été tenue le 27 septembre 2022. Le procès-verbal de cette réunion se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

La direction (Kira Sherry) ouvre la discussion en précisant que Michael Honcoop lui a demandé d’ajouter un sujet à la réunion, en vue d’informer le comité de deux nouveaux programmes de prestations que l’ARC va administrer : la Prestation dentaire canadienne et le programme d’Allocation canadienne pour le logement. Plus de détails seront fournis ultérieurement, mais les points suivants ont été communiqués :

· Chaque région recrutera 500 nouveaux agents de centre d’appels qui commenceront à travailler dès octobre 2022, en prévision d’une mise en service du service téléphonique à l’intention des contribuables en décembre 2022. Cela représentera environ 2000 nouveaux agents au total, ce qui portera le nombre d’employés à l’échelle nationale à près de 8000, soit le niveau le plus élevé jamais atteint jusqu’à présent.

· Le SEI demande si les nouveaux agents suivront la formation habituelle des agents de centre d’appels, en plus d’une formation particulière sur les deux nouvelles prestations. Quant à la Prestation dentaire canadienne, la direction répond qu’étant donné que les conditions d’admissibilité sont les mêmes que celles de l’allocation canadienne pour enfants, elle cherche à former des personnes pour ces deux programmes en particulier. En outre, les employés recevront une formation polyvalente sur les prestations afin que tout volume d’appels supplémentaire puisse être pris en charge.

· La direction explique que le programme de prestation dentaire s’étend sur trois ans, et que les contribuables doivent avoir pris un rendez-vous chez le dentiste pour y avoir droit, de sorte que, bien qu’il y aura de la demande, il est possible que la hausse ne soit pas aussi spectaculaire comparée à celle de la prestation relative au logement. D’autre part, la prestation relative au logement est versée en un paiement unique aux personnes admissibles, et les demandeurs disposeront de 90 jours pour demander et recevoir la prestation, ce qui devrait entraîner une augmentation massive des appels de contribuables. Par conséquent, en ce qui a trait à la formation, toute personne recrutée de manière anticipée recevra la formation normale de niveau 1. La formation sur la prestation dentaire sera donnée aux employés qui sont déjà formés sur les programmes de prestations. Quant à la prestation relative au logement, la Commission cherche à offrir cette formation au plus grand nombre d’employés possible, bien que la formation n’ait pas encore été mise au point.

· La durée des contrats de ces nouveaux employés s’étendra jusqu’en mai 2023, voire septembre 2023. Par conséquent, même si un employé a seulement suivi la formation sur la prestation relative au logement, il se peut qu’il prenne les appels relatifs à la prestation relative au logement pendant la période de pointe et qu’il reçoive ensuite une formation d’agent de niveau 1.

· On s’attend à ce qu’il y ait un nombre très élevé d’appels pendant une période de six à huit semaines. L’objectif est de veiller à ce que les agents soient bien préparés et qu’il y ait suffisamment de personnel. Les agents des services de renseignements aux entreprises pourraient être appelés à apporter leur aide pendant la période de pointe des appels concernant la prestation relative au logement, mais il reste à peaufiner les détails.

· La direction fournit également des renseignements sur le prochain versement unique supplémentaire du crédit de TPS qui devrait être effectué en novembre. Les agents reçoivent déjà des questions générales sur les délais et l’admissibilité à ce sujet, en plus de la prestation dentaire et la prestation relative au logement.

[…]

 

[78] Mme Sherry a témoigné que ce message visait à faire comprendre que le nouveau pic d’embauches était temporaire. Quant au point concernant la durée des contrats, l’échéance des contrats des employés nommés pour une période déterminée en poste à l’époque était mai 2023. Elle ne voulait pas que les nouveaux contrats à durée déterminée soient plus longs que ceux des employés existants. Toutefois, elle a évoqué septembre 2023 en raison de la nécessité de [traduction] « gérer les risques », dans une certaine mesure.

[79] M. Aristil a témoigné que sa principale préoccupation concernait la formation polyvalente des nouveaux employés sur des programmes autres que la prestation relative au logement. Son objectif était de faire en sorte que les gens continuent à travailler dans le centre d’appels, quoi qu’il arrive. Il a compris de cette réunion que les gens auraient un emploi, quoi qu’il arrive, jusqu’en septembre 2023, au moins. Il n’a pas pu expliquer pourquoi il avait compris que la déclaration « [l]a durée des contrats de ces nouveaux employés s’étendra jusqu’en mai 2023, voire septembre 2023 [je mets en évidence] » signifiait que les employés auraient un emploi jusqu’en septembre 2023, quoi qu’il arrive.

[80] La dernière réunion du comité avant que les parties ne concluent une entente de principe a été tenue le 24 janvier 2023. Le procès-verbal de la réunion contient l’extrait suivant :

[…]

La direction indique que le gouvernement a mis en place ces deux programmes l’automne dernier pour aider à payer les frais de soins dentaires et de location. Les deux programmes ont été lancés en décembre 2022, et ce fut un succès global. Pour la prestation dentaire, la direction a utilisé les agents des centres de contact existants et l’effectif existant dans les centres de contact. En ce qui concerne l’avantage relatif au logement, environ 2000 nouveaux employés ont été embauchés, car un volume élevé d’appels était prévu sur le système téléphonique nouvellement construit. Environ un mois après la mise en œuvre de cette nouvelle structure, la direction indique que les volumes d’appels n’ont pas été aussi élevés que prévu. En fonction de cela, la direction envisage maintenant de réévaluer les ressources pour le logement et les prestations dentaires. En ce qui concerne le programme de logement, la direction prévoit qu’il commencera la période d’élimination progressive en mars 2023 avec seulement peu d’appels résiduels après cette période. Le programme dentaire est d’une durée de trois ans et devrait être élargi au cours des prochaines années.

[…]

La direction confirme qu’elle cherche actuellement à réaffecter les agents chargés des appels relatifs au logement des centres de contact régulier. On examine également la possibilité de former les employés de façon polyvalente et de perfectionner des agents aux compétences multiples. Cette initiative dépendra du financement disponible.

[…]

 

[81] Mme Sherry a déclaré qu’il s’agissait d’une tentative de communiquer que la charge de travail des agents des centres d’appels diminuait, ce qui pourrait entraîner une fin prématurée de leurs contrats à durée déterminée. Cependant, l’ARC a également reconnu qu’il s’agissait d’employés de qualité, qu’elle voulait donc les former sur différents sujets afin qu’ils puissent prêter main forte lors de la période de production des déclarations de revenus, mais que cela dépendait du financement. Elle a admis en contre-interrogatoire qu’elle n’avait pas dit à l’AFPC qu’il pourrait y avoir une fin prématurée des contrats à durée déterminée [traduction] « en termes clairs », mais qu’elle pensait que cela aurait dû être déduit de ce message. À ce moment-là, elle craignait de devoir procéder à des réductions de personnel, mais elle a déclaré qu’elle [traduction] « ne voulait pas tirer la sonnette d’alarme à ce stade-là » et qu’elle ne voulait pas s’engager dans une [traduction] « campagne de peur » parce qu’elle avait bon espoir qu’il y aurait davantage de financement.

[82] M. Aristil a déclaré avoir interprété ce message comme signifiant que la direction ferait tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir les gens en poste. Si le programme de logement prenait fin, elle ferait tout pour leur trouver un autre emploi dans les centres d’appels. Il a déclaré qu’il n’y avait pas eu de discussion lors de cette réunion sur la possibilité de mettre fin prématurément aux contrats à durée déterminée.

[83] Après avoir lu le procès-verbal et écouté le témoignage, j’ai l’impression que Mme Sherry a essayé de sonner l’alarme sans créer la panique. Cela l’a amenée à sonner l’alarme si discrètement que M. Aristil ne l’a pas entendue.

[84] Une autre réunion était prévue pour le 27 avril 2023. L’AFPC étant en grève à ce moment-là, elle a annulé la réunion. L’ARC s’attendait à ce que la réunion soit annulée.

[85] L’ARC a envoyé à l’AFPC l’ordre du jour habituel de cette réunion ainsi que des documents d’information. L’ordre du jour et les documents d’information ne contenaient aucun renseignement sur les niveaux de dotation. Cependant, l’ARC avait l’intention d’informer verbalement l’AFPC de sa décision de licencier un grand nombre d’agents de centre d’appels en mai 2023.

[86] Mme Sherry a expliqué que les niveaux de dotation n’étaient mentionnés ni dans l’ordre du jour de cette réunion ni dans les documents d’information, parce qu’elle n’était pas à l’aise de donner ces renseignements par écrit. J’ai de la difficulté à comprendre sa réticence à le faire. Elle a précisé que l’une des raisons était que l’ARC travaillait encore à déterminer le nombre précis d’employés visés par les réductions de personnel. Elle n’a pas bien expliqué pourquoi un exposé verbal (suivi de l’envoi de notes de réunion écrites) qui était imprécis était préférable à un exposé écrit. Elle a également déclaré qu’elle voulait s’assurer que la haute direction acceptait d’envoyer un mot par écrit avant de le faire.

[87] Mme Sherry a précisé que la situation entourant la négociation collective et en particulier la grève ont été des facteurs importants dans sa décision de ne pas divulguer ces renseignements à l’AFPC. Elle a témoigné qu’elle avait demandé l’approbation de la haute direction parce qu’elle reconnaissait que l’ARC se trouvait dans une situation inhabituelle quant à la négociation collective et qu’elle n’avait pas procédé à des licenciements (mot qu’elle a employé) depuis des années.

[88] Le 25 avril 2023, Mme Sherry a rédigé un courriel à envoyer à l’AFPC. Dans ce courriel, elle aurait dit, en particulier, [traduction] « Nous prévoyons de réduire notre base d’employés nommés pour une durée déterminée d’environ XXX en mai, par une combinaison de fin naturelle et de fin anticipée des contrats à durée déterminée ». Comme elle n’avait pas le nombre exact d’employés visés par les réductions lorsqu’elle a rédigé ce courriel, elle a inscrit « XXX » en attendant.

[89] Plus tard dans la journée, Mme Sherry a envoyé un courriel à d’autres membres de la haute direction, dans lequel elle déclarait : [traduction] « Nous devons informer le syndicat ainsi que [la haute direction], ce qui est délicat en ce moment. »

[90] L’ARC a finalement envoyé un courriel au Comité des centres d’appels (et donc à l’AFPC) le 12 mai 2023, l’informant qu’il y aurait une réduction d’environ 1700 agents de centre d’appels au plus tard à la fin juin 2023.

[91] En ce qui concerne les raisons de ce délai, Mme Sherry a déclaré qu’il n’y avait eu aucune décision précise de retarder la communication de ces renseignements à l’AFPC. Elle a attribué ce retard à la finalisation des chiffres, et à la communication des renseignements aux membres de la haute direction.

[92] Enfin, en contre-interrogatoire, Mme Sherry a confirmé à plusieurs reprises que, jusqu’au 12 mai 2023, l’ARC n’avait jamais parlé à l’AFPC de licenciements anticipés. Elle a admis que l’AFPC n’aurait pu être au courant des licenciements anticipés. Elle a déclaré que l’AFPC comprenait (ou aurait dû comprendre) que les contrats des agents des centres d’appels ne seraient pas renouvelés en mai, mais qu’elle n’avait jamais parlé de licenciements anticipés. Elle reconnaît que son ébauche de courriel du 25 avril aurait été une première communication faite par quelqu’un de l’ARC afin d’informer l’AFPC de la fin anticipée des contrats à durée déterminée. Elle a déclaré que la fin anticipée des contrats à durée déterminée aurait dû être une hypothèse raisonnable dans un scénario où l’ARC ne parvenait pas à obtenir le financement nécessaire pour affecter à d’autres tâches les agents de centre d’appels embauchés pour la prestation relative au logement.

2. L’ARC a-t-elle satisfait à son obligation en fournissant suffisamment de renseignements avant la conclusion de l’entente de principe?

[93] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’ARC estime qu’elle a fourni suffisamment de renseignements sur la décision pour que l’AFPC puisse poser des questions à ce sujet avant de conclure l’entente de principe.

[94] Les deux parties ont plaidé le présent cas comme s’il s’agissait d’une décision unique. Cependant, comme je l’ai dit précédemment, la décision dans le présent cas comporte trois volets : le licenciement des employés de Montréal qui ne satisfaisaient pas à la norme de bilinguisme, le non-renouvellement des contrats à durée déterminée et la résiliation anticipée des contrats à durée déterminée.

a. Question du bilinguisme à Montréal

[95] Je suis convaincu qu’il y a eu une divulgation suffisante de l’aspect de cette décision concernant les agents bilingues des centres d’appels de Montréal. L’ARC a informé chacun de ces employés un an à l’avance et a également organisé une réunion générale au sujet de cette décision.

[96] L’AFPC a fait valoir qu’il s’agissait d’une question connue uniquement des employés individuels et que son équipe de négociation n’était pas au courant. Elle a également soutenu qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle déduise le nombre d’employés touchés ou la probabilité que la question du bilinguisme ait une incidence sur qui que ce soit. Je ne suis pas de cet avis. La décision aurait pu avoir une incidence sur des centaines d’employés, mais elle a finalement touché 78 d’entre eux. Lors d’une réunion générale, des centaines d’agents de centre d’appels ont été informés, individuellement et collectivement, de la nécessité de devenir bilingues au plus tard le 6 mai 2023. Si l’équipe de négociation de l’AFPC n’a jamais été informée de cette décision, franchement, c’est de sa faute. Si elle était au courant, mais qu’elle a eu un oubli, le fait est que l’obligation en est une de divulgation non sollicitée, pas de rappels non sollicités.

b. Non-renouvellement des contrats d’emploi à durée déterminée qui ont pris fin en mai 2023

[97] Le deuxième volet de la décision concernait les non-renouvellements des contrats d’emploi à durée déterminée. Il s’agit d’une question délicate en raison de la nature du non-renouvellement d’un contrat d’emploi à durée déterminée. Le non-renouvellement d’une nomination pour une période déterminée n’est pas un licenciement ou une mise à pied de l’employé nommé pour une période déterminée; voir Shenouda c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2017 CRTEFP 21, au par. 49, parmi de nombreuses autres décisions dans lesquelles la Commission a affirmé la même chose. Ainsi, l’AFPC n’affirme pas que l’employeur a l’obligation de divulguer une décision, mais qu’il est tenu de divulguer l’absence de décision (c.-à-d. l’absence de renouvellement).

[98] L’AFPC fait valoir que je dois examiner ce problème dans son contexte factuel, ce dont je conviens. Le contexte factuel antérieur à la pandémie est le suivant : certains contrats à durée déterminée prenaient fin à leur échéance, immédiatement après la période de production des déclarations de revenus, et d’autres étaient prolongés pour une période relativement courte, afin de permettre le traitement d’autres prestations lorsque le niveau des appels diminuait, au début de l’été. Ce cycle saisonnier de contrats à durée déterminée s’est achevé en 2020 et n’a repris qu’en 2024 (après les faits faisant l’objet de la plainte dans le présent cas). Au lieu de cela, l’ARC a prolongé les contrats à durée déterminée des agents de centre d’appels après le début de la pandémie de COVID-19 en 2020, elle en a embauché encore un grand nombre, puis a pris la décision, au début de 2021, de prolonger tous les contrats à durée déterminée jusqu’en mai 2023.

[99] M. Aristil a témoigné de sa compréhension après la réunion du comité, le 27 septembre 2022. Il a déclaré qu’il savait déjà, avant cette réunion, que les contrats avaient été renouvelés jusqu’en mai 2023. Par conséquent, lorsque l’ARC a déclaré que la durée des contrats des nouveaux employés s’étendrait jusqu’en mai 2023, il était déjà au courant. Il a témoigné que les nouveaux renseignements concernaient la prolongation des contrats jusqu’en septembre 2023. Il a ajouté qu’il avait compris que les employés garderaient leur emploi jusqu’en septembre 2023. Après avoir lu le procès-verbal de cette réunion et entendu le témoignage de Mme Sherry, je conclus que ce n’est pas le message communiqué par l’ARC. Le procès-verbal indique très clairement que la durée des contrats s’étendrait jusqu’en mai 2023, voire jusqu’en septembre 2023. M. Aristil a ensuite confirmé en contre-interrogatoire qu’il savait que de nombreux contrats à durée déterminée prendraient fin naturellement en mai 2023 et qu’il n’avait pas transmis ce renseignement au reste de l’équipe de négociation.

[100] Ce contexte factuel ne suffit pas à me convaincre que l’AFPC pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les contrats à durée déterminée soient renouvelés, ce qui aurait obligé l’employeur à divulguer sa décision de ne pas les renouveler. Même dans ce contexte, la décision de ne pas renouveler les contrats à durée déterminée ne constituait pas une modification du statu quo devant être divulguée. L’AFPC savait que de nombreux contrats à durée déterminée n’avaient été prolongés que jusqu’en mai 2023. Le fait que l’ARC lui ait dit qu’il était possible que certains contrats soient prolongés jusqu’en septembre 2023 n’obligeait pas l’ARC à divulguer que la plupart d’entre eux ne le seraient pas, surtout que M. Aristil a admis qu’il était au courant des contrats qui prenaient fin en mai 2023.

c. Fin anticipée des contrats à durée déterminée

[101] Cependant, je suis parvenu à une conclusion différente relativement à la fin anticipée des contrats à durée déterminée.

[102] Aucun des procès-verbaux des réunions du comité ne mentionne la fin anticipée de contrats à durée déterminée. Mme Sherry a reconnu lors du contre-interrogatoire qu’elle n’avait jamais mentionné la fin anticipée des contrats à durée déterminée lors des réunions du comité.

[103] Essentiellement, l’ARC soutient que l’AFPC aurait dû s’attendre à la fin anticipée des contrats à durée déterminée, à la lumière des avertissements généraux qu’elle a donnés au sujet d’un retour au niveau de dotation d’avant la pandémie. J’en conclus que ces avertissements généraux ne constituaient pas, en soi, un avertissement clair sur la fin anticipée de contrats à durée déterminée.

[104] L’ARC soutient que je devrais me concentrer sur la réunion du comité du 22 février 2022. Lors de cette réunion, il n’a jamais été question de la fin anticipée de contrats à durée déterminée. Au contraire, l’ARC a déclaré : [traduction] « […] il faut encore attendre pour voir comment la situation évoluera », [traduction] « […] la réduction des effectifs, actuellement au nombre de 7200, ne se fera pas d’un seul coup, et [elle] souhaiterait une approche modérée (c’est-à-dire sur quelques années et non sur quelques mois) », et [traduction] « […] elle aura davantage de renseignements à communiquer à ce sujet ultérieurement ». Cela n’a pas suffi pour alerter l’AFPC sur le fait qu’il y aurait, de manière générale, des fins anticipées de contrats à durée déterminée en général, et encore moins pendant la période cruciale de mai et juin 2023.

[105] Les actions de l’ARC après cette réunion ont envoyé des messages contradictoires. Au mieux, l’ARC a dit à l’AFPC, en février 2022, qu’elle réduirait le nombre de ses agents de centre d’appels de 7200 à environ 3000. Puis, 8 à 9 mois plus tard, elle a embauché 1200 nouveaux agents de centre d’appels pour qu’ils traitent les demandes liées à la prestation relative au logement.

[106] L’ARC s’est rendu compte presque immédiatement qu’elle n’avait pas besoin d’autant d’agents de centre d’appels pour traiter ces demandes. Cependant, elle ne l’a pas dit lors de la réunion du 24 janvier 2023. Lors de l’interrogatoire principal, Mme Sherry a déclaré qu’elle avait essayé de faire comprendre que, sans financement supplémentaire, l’ARC devrait se départir d’agents de centre d’appels dès que possible. Or, ce message ne figure nulle part dans le procès-verbal de la réunion. Elle a plutôt dit à l’AFPC qu’elle avait embauché environ 2000 nouveaux employés, que les volumes d’appels n’étaient pas ceux auxquels elle s’attendait et qu’elle réévaluait les ressources en conséquence. Le plus loin qu’elle est allée pour prévenir l’AFPC de la possibilité d’une fin prématurée de contrats à durée déterminée est en déclarant qu’elle [traduction] « […] prévoit qu’il commencera la période d’élimination progressive en mars 2023 avec seulement peu d’appels résiduels après cette période […] ». L’ARC a ensuite dit qu’elle envisageait de réaffecter les agents chargés des appels relatifs à la prestation relative au logement à d’autres appels.

[107] Lors du contre-interrogatoire, Mme Sherry a précisé qu’elle ne voulait pas semer de l’inquiétude ni tirer la sonnette d’alarme dans les messages qu’elle adressait à l’AFPC. L’ARC ne peut pas jouer sur les deux tableaux : elle ne peut pas décider de ne pas lever les drapeaux rouges tout en affirmant que l’AFPC aurait dû savoir qu’il y avait des drapeaux rouges.

[108] Je suis convaincu que l’AFPC savait, ou, à tout le moins, aurait dû savoir, qu’il y aurait une réduction du nombre d’agents de centre d’appels. Je ne suis pas convaincu qu’elle aurait dû savoir, ni même soupçonner, que cette réduction se concrétiserait par la fin anticipée de contrats à durée déterminée en mai et juin 2023. Une réduction générale du nombre d’employés, répartie sur plusieurs années, ne saurait être comparée à la fin anticipée de contrats à durée déterminée concentrée sur une période de deux mois. L’avertissement général avait été donné il y avait plus d’un an au moment où l’ARC a décidé de mettre fin prématurément aux contrats à durée déterminée. L’avertissement général a également été minimisé par le fait que l’ARC avait annoncé à l’AFPC qu’elle avait embauché 2000 employés supplémentaires.

[109] En outre, lorsqu’elle a donné cet avertissement général, le 22 février 2022, l’ARC a déclaré : [traduction] « […] elle aura davantage de renseignements à communiquer à ce sujet ultérieurement ». L’AFPC était en droit de supposer que cela signifiait que l’ARC communiquerait ces renseignements au moment opportun. Compte tenu de cet engagement, l’AFPC n’était pas tenue de demander une mise à jour à chaque séance de négociation avec l’ARC.

[110] L’ARC soutient que le présent cas est semblable au cas H.S.A.A. v. Peace Regional Emergency Medical Services, 1998 CarswellAlta 1401 (ALRB) (« Peace Regional »). Je ne suis pas de cet avis. Dans Peace Regional, le syndicat était nouvellement accrédité pour représenter les employés de l’unité de négociation. Le premier jour des négociations, l’employeur l’avait informé par écrit de son intention de restructurer ses activités. Il lui avait précisé qu’il allait mettre à pied 6 des 24 employés de l’unité de négociation. Le troisième jour des négociations, l’employeur avait de nouveau soulevé la question de la restructuration et déclaré qu’il souhaitait discuter avec le syndicat de son incidence, mais ce dernier avait déclaré qu’il ne souhaitait pas poursuivre la discussion. Plus tard dans la journée, le syndicat avait rompu les négociations. Les mises à pied avaient eu lieu la semaine suivante. La Commission des relations de travail de l’Alberta a constaté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

27 […] Dans le présent cas, l’employeur a fourni au syndicat des renseignements sur la nature du changement organisationnel et son incidence sur les employés. Il a informé le syndicat des options qui seraient présentées aux employés. Ces options pouvaient faire l’objet de discussions. En outre, l’employeur a tenté de communiquer l’urgence de la situation […]

[…]

 

[111] L’ARC n’a rien fait de tout cela. Elle n’a pas divulgué l’incidence sur les employés (c.-à-d. la fin anticipée de contrats à durée déterminée), n’a pas informé l’AFPC des options qui s’offraient aux agents de centre d’appels, n’a pas ouvert le sujet à la discussion et n’a certainement pas communiqué l’urgence de la situation. Au contraire, l’ARC a minimisé l’urgence et la portée de sa décision.

[112] L’ARC s’appuie également sur Nanaimo Daily News (Postmedia Network Inc) v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2013 CanLII 12927 (BC LRB). Dans ce cas, le syndicat avait négocié une prime pour un seul employé qui exerçait des fonctions de supervision. Deux semaines plus tard, l’employeur a cessé de confier à cet employé des tâches de supervision et a embauché un gestionnaire qui ne faisait pas partie de l’unité de négociation pour effectuer ces tâches à sa place. Le syndicat a allégué une violation de l’obligation de divulgation non sollicitée. Toutefois, l’employeur avait expressément informé le syndicat, lors des négociations, que la prime ne constituait pas un obstacle à l’embauche d’un gestionnaire et qu’il était en processus de recrutement à cette fin. La British Columbia Labour Relations Board a conclu que cette déclaration équivalait à un avis donné au syndicat : l’employeur a fait exactement ce qu’il avait annoncé, à savoir, rechercher un gestionnaire pour exercer des fonctions de supervision. Au paragraphe 25, la Commission des relations de travail a conclu que [traduction] « [i]l était raisonnable de s’attendre à ce que l’embauche d’un gestionnaire puisse avoir une incidence sur la nécessité d’avoir un employé qui exerce une fonction de supervision, en particulier si l’employeur évoque cette embauche dans le cadre de discussions sur la prime, comme c’est le cas dans la présente affaire ». Dans le présent cas, le fait d’informer l’AFPC en février 2022 qu’il y aurait une réduction générale du nombre d’agents de centre d’appels sur une période de trois ans ne signifie pas que l’AFPC aurait dû raisonnablement prévoir que l’ARC mettrait fin à des contrats à durée déterminée au début du mois de mai ou de juin 2023.

d. Conclusion sur l’obligation de divulgation non sollicitée

[113] Pour ces motifs, je conclus que l’ARC ne s’est pas acquittée de son obligation de négocier de bonne foi, ayant omis de divulguer son intention de mettre fin de manière anticipée aux contrats à durée déterminée d’un nombre important d’agents de centre d’appels en mai et juin 2023, et ce jusqu’au 12 mai 2023.

IV. Les faits survenus après le 3 mai 2023 ont-ils remédié à la violation de l’obligation de divulgation non sollicitée?

[114] Dans la décision préliminaire, j’ai rejeté une requête de l’ARC en rejet de la présente plainte, au motif que les parties avaient signé une convention collective après que l’ARC a eu divulgué à l’AFPC la fin anticipée des contrats à durée déterminée. J’ai conclu que l’on pouvait au moins soutenir que la période d’environ six semaines comprise entre la divulgation et la signature n’avait pas donné à l’AFPC une possibilité suffisante de négocier collectivement une solution à cette question. En d’autres termes, j’ai conclu qu’il était possible de soutenir que cette période de six semaines ne remédiait pas à la violation de l’obligation de l’ARC de négocier de bonne foi.

[115] Je décrirai d’abord le déroulement des faits qui sont survenus entre le 1er mai et le 27 juin 2023. J’expliquerai ensuite ma conclusion sur les raisons pour lesquelles la divulgation du 12 mai 2023 n’a pas remédié à cette violation.

A. Faits survenus entre le 1er mai et le 27 juin 2023

[116] Comme je l’ai déjà mentionné, l’AFPC a conclu une entente avec le Conseil du Trésor le 30 avril 2023, mettant ainsi fin à la grève de ses membres au Conseil du Trésor. L’AFPC et l’ARC sont retournées à la table de négociation le 1er mai et ont conclu une entente de principe tard le 3 mai. Les employés grévistes de l’ARC ont repris le travail le 4 mai.

[117] Tous les témoins de l’AFPC ont saisi l’occasion de la présente affaire pour revenir sur les raisons de la grève, et plus précisément sur les raisons pour lesquelles la grève a duré trois jours de plus à l’ARC. Chacun de ses témoins a déclaré que rien ne justifiait ces trois jours supplémentaires et que l’ARC était responsable du retard. Tous les trois ont exprimé leur mécontentement face à cette situation. Toutefois, avant que les parties ne retournent à la table de négociation le 1er mai, le négociateur de l’AFPC (M. Gay) a dit clairement à son homologue (M. Bellavance) que l’AFPC n’accepterait pas l’entente avec le Conseil du Trésor et qu’elle souhaitait obtenir mieux pour les employés de l’ARC. Les parties ont inclus les courriels qu’elles avaient échangés au cours de ces trois jours, dans lesquels elles exposaient leurs positions de négociation respectives, en convergeant progressivement vers l’entente conclue avec le Conseil du Trésor sur les questions économiques, là où elles ont finalement abouti.

[118] Dans la présente plainte, il ne m’appartient pas d’attribuer une responsabilité à l’une ou l’autre des parties ou de leur jeter un blâme en ce qui concerne la grève ou le temps qu’il a fallu pour la résoudre.

[119] Au cours de ces échanges d’offres, les parties ont discuté des propositions relatives au paiement forfaitaire, tant en ce qui concernait le montant que la date d’admissibilité. L’AFPC a toujours proposé que le montant soit versé à toute personne employée à la date de la ratification de l’entente de principe par l’AFPC, tandis que l’ARC a insisté pour qu’il soit versé à toute personne employée à la date de signature de la convention collective. L’AFPC a finalement accepté la date d’admissibilité proposée par l’ARC. La date d’admissibilité a été l’un des derniers points sur lesquels les parties se sont mises d’accord.

[120] Dans un autre volet de l’entente de principe, l’AFPC a également accepté que son équipe de négociation recommande publiquement à ses membres de ratifier l’entente de principe.

[121] Le 4 mai 2023, l’AFPC a envoyé à ses membres ce que M. Gay a appelé un résumé succinct de l’entente de principe. Le 12 mai, elle a envoyé sa trousse de ratification à ses membres. Cette trousse de ratification comprenait le texte intégral de l’entente de principe. Puis, le 17 mai, l’AFPC a envoyé à ses membres des instructions sur la manière de voter dans le cadre du processus de ratification. Le vote s’est tenu entre le 17 mai et le 16 juin. Les membres de l’AFPC ont voté pour ratifier l’entente de principe et l’AFPC a comptabilisé les votes immédiatement (la preuve ne permet pas de déterminer clairement si c’était le 16 juin ou le lendemain).

[122] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’ARC a finalement envoyé un courriel au Comité des centres d’appels (et, par conséquent, à l’AFPC) le 12 mai 2023, pour l’informer qu’il y aurait une réduction d’environ 1700 agents de centre d’appels avant la fin du mois de juin 2023.

[123] Les négociateurs de l’AFPC et de l’ARC ne se sont jamais parlé de cette décision.

[124] Toutefois, il y a eu au moins une discussion entre le président du SEI et le commissaire de l’ARC au sujet de cette décision. Ni le président ni le commissaire n’ont témoigné dans la présente instance. Cependant, Adam Jackson, vice-président du SEI et membre du comité de négociation de l’AFPC, et M. Bellavance ont témoigné qu’ils savaient que la discussion avait eu lieu. En outre, des documents déposés par les parties font état de cette discussion, y compris un courriel du président du SEI qui indique la tenue de cette discussion.

[125] Cette discussion a été tenue le 16 mai 2023 ou peu avant, car c’est la date du courriel dans lequel le président confirme la discussion et celle d’un courriel que M. Bellavance dit avoir rédigé après avoir été informé de cette discussion. D’après le courriel du président, ce dernier a demandé au commissaire de reporter les mises à pied jusqu’à ce que l’entente de principe soit ratifiée. M. Jackson a expliqué que la demande visait en réalité à reporter les licenciements jusqu’à ce que l’entente soit signée. Selon M. Bellavance, on lui a demandé de précipiter le moment de la signature de la convention collective après cette discussion.

[126] Pour situer le contexte, l’article 112 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch 22, art. 2; la « Loi ») exige qu’un organisme distinct obtienne l’agrément du gouverneur en conseil pour conclure une convention collective. Il a expliqué que l’ARC doit d’abord obtenir une [traduction] « lettre de non-objection » du Secrétariat du Conseil du Trésor, puis préparer une présentation au Conseil du Trésor lui-même (un sous-comité du Cabinet) en vue de l’approbation de la convention collective, suivie de l’approbation et de la signature du gouverneur général. M. Bellavance a témoigné que le processus peut être long, et que pour l’entente de principe conclue le 3 mai 2023, il s’attendait à ce que l’approbation ne soit obtenue qu’en septembre.

[127] Bien que je ne dispose pas de preuve directe des participants à cette discussion, les témoins et les documents indiquent que le président du SEI a demandé au commissaire de l’ARC de retarder les licenciements. L’ARC n’était pas disposée à retarder les licenciements. Le président du SEI a alors demandé que la date de signature soit devancée. Le commissaire de l’ARC a donné son accord et M. Bellavance a reçu des instructions en ce sens.

[128] Une réunion de consultation patronale-syndicale a également été tenue le 15 juin 2023. Lors de cette réunion, un sous-commissaire de l’ARC a déclaré que la convention collective serait prête à être signée en juillet. M. Jackson a dit avoir été surpris et contrarié d’apprendre que cela prendrait autant de temps, puisque le vote de ratification de l’AFPC devait se tenir sous peu et que les résultats devaient être connus rapidement.

[129] L’ARC a pu obtenir l’approbation requise et a signé la convention collective le 27 juin 2023. Selon M. Bellavance, elle a obtenu la lettre de non-objection du Secrétariat du Conseil du Trésor, le 30 mai, et le décret, le 19 juin.

B. Pourquoi l’AFPC n’a-t-elle pas demandé la réouverture de l’entente de principe?

[130] Deux des témoins de l’AFPC ont expliqué pourquoi l’AFPC n’avait pas tenté de rouvrir les négociations de la convention collective, après avoir appris la fin anticipée de contrats à durée déterminée.

[131] M. Jackson a témoigné qu’il ne connaissait aucun mécanisme permettant de rouvrir la convention collective. Cependant, il a également donné deux autres explications. Premièrement, il a dit que cette démarche ouvrirait un [traduction] « panier de crabes », car, si l’AFPC tentait de rouvrir les négociations sur une question, ses membres voudraient en faire autant pour d’autres questions également. Deuxièmement, il a estimé qu’il serait irréaliste de s’attendre à ce que l’AFPC appelle de nouveau ses membres à la grève pour régler cette question. Il a pensé que tous les membres ne seraient pas disposés à se mettre de nouveau en grève dans le but d’obtenir une prime à la signature pour certains agents de centre d’appels.

[132] M. Gay a donné des explications semblables. Il a témoigné qu’il n’avait jamais rouvert un contrat sur une question de fond après la conclusion d’une entente de principe. Il a toutefois nuancé ses propos en précisant que cela s’expliquait par la taille de l’unité de négociation. Comme M. Jackson, il a également témoigné qu’il y avait d’autres explications. Il a qualifié la réouverture des négociations collectives de [traduction] « boîte de Pandore », soulignant que la réouverture des négociations sur une seule question entraînerait inévitablement l’obligation de les rouvrir pour d’autres questions également (comme le panier de crabes de M. Jackson). Il s’est également appuyé sur le fait que l’AFPC n’avait aucun levier de négociation dans le cadre d’une renégociation, déclarant qu’il ne voyait aucun contexte dans lequel l’ARC aurait rouvert le contrat pour cette question. Selon lui, il était inutile d’ouvrir la boîte de Pandore en sachant que l’ARC aurait refusé.

[133] M. Jackson et M. Gay ont tous deux témoigné que l’équipe de négociation de l’AFPC avait accepté d’appuyer l’entente de principe et qu’ils estimaient que tenter de la rouvrir constituerait une violation de cette entente. Tous deux ont déclaré qu’ils craignaient les conséquences d’une violation de cette entente, notamment une plainte de l’ARC contre l’AFPC pour pratique déloyale de travail.

[134] M. Jackson et M. Gay ont tous deux témoigné de ce qu’ils auraient fait différemment s’ils avaient eu connaissance des licenciements imminents avant de conclure l’entente de principe. M. Jackson a témoigné que l’équipe de négociation se serait réunie en caucus et aurait proposé une solution, peut-être en revendiquant que la date d’admissibilité au paiement forfaitaire soit la date de l’entente de principe plutôt que celle de la signature. M. Gay a tenu des propos semblables, à savoir que l’AFPC aurait pu proposer de modifier la date d’admissibilité pour qu’elle corresponde à la date de l’entente de principe, ou maintenir sa position selon laquelle la date d’admissibilité était la date de la ratification par l’AFPC.

[135] M. Bellavance a témoigné que l’AFPC avait eu l’occasion de renégocier avec lui. Il a dit qu’il avait déjà connu une situation (avec un autre agent négociateur) dans laquelle un problème s’était posé après la conclusion de l’entente de principe, et le négociateur de l’agent négociateur l’avait appelé pour en discuter. M. Bellavance n’a pas donné de détails au sujet de ce problème (hormis le fait qu’il est survenu il y a de nombreuses années), si bien que j’ignore s’il s’agissait d’une question de fond ou d’un enjeu plus mineur et technique.

[136] M. Bellavance a également témoigné que si l’AFPC avait proposé la date de l’entente de principe comme date d’admissibilité à la prime, il lui aurait fallu obtenir l’approbation du Conseil du Trésor avant de l’accepter. Il aurait pu recevoir une réponse rapidement, mais il ne savait pas quelle aurait été la réponse.

C. La possibilité de renégocier était-elle suffisante pour remédier à la violation?

[137] Dans la décision préliminaire, j’ai présenté cette question comme étant celle de savoir si le fait que l’AFPC ait conclu une convention collective après avoir reçu la divulgation des licenciements [traduction] « remédie » à ce qui était à l’époque une violation présumée de l’obligation de divulgation non sollicitée. Les deux parties ont formulé la question en termes semblables, à savoir s’il était possible de remédier à la violation alléguée par une divulgation, après que les parties ont conclu une entente de principe, mais avant que l’entente ne soit ratifiée et signée.

[138] Cette question met en jeu une tension entre deux volets de l’obligation de négocier de bonne foi.

[139] Le premier volet prévoit que l’obligation de négocier de bonne foi s’applique dès qu’une partie transmet un avis de négociation à l’autre, et qu’elle cesse de s’appliquer à la signature de la convention collective. Comme l’a récemment déclaré la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), « […] l’obligation de négocier de bonne foi s’applique jusqu’à la signature définitive de la convention collective […] » (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2024 CRTESPF 120, au par. 59 (« AFPC c. SCRS »); voir aussi N.A.B.E.T. v. CKLW Radio Broadcasting Ltd. (1977), 23 di 51, au par. 82; et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Listuguj Mi’gmaq First Nation Council, 2021 CCRI 975, au par. 110). Ce volet est important dans le présent cas, car il signifie que l’obligation de négocier de bonne foi a continué de s’appliquer après que l’ARC a divulgué les licenciements à l’AFPC, le 12 mai 2023. L’AFPC a ratifié et signé une convention collective après avoir pris connaissance des renseignements que l’ARC aurait dû lui communiquer plus tôt. Elle n’y était pas tenue. Elle aurait pu poursuivre les négociations, auquel cas les deux parties auraient été tenues de négocier de bonne foi.

[140] Le deuxième volet tient au fait que l’obligation de divulgation (qu’elle soit sollicitée ou non) est une obligation de divulgation en temps opportun. Les commissions de relations du travail, y compris la Commission, ont conclu que les employeurs avaient violé leur obligation de négocier de bonne foi en tardant à fournir les renseignements habituels, comme des copies des politiques de l’employeur ou des renseignements de base sur la composition de l’unité de négociation et la rémunération versée aux employés qui en font partie; voir U.F.C.W., Local 401 v. Economic Development Edmonton, [2002] Alta. L.R.B.R. 313, au par. 131; et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 78, au par. 68. Dans ces deux cas, les commissions des relations de travail respectives ont accueilli les plaintes de négociation de mauvaise foi relatives à la divulgation tardive de renseignements, même si ces renseignements avaient déjà été divulgués au moment où les plaintes avaient été entendues. Cela indique qu’une divulgation tardive ne [traduction] « remédie » pas la violation initiale de l’obligation de négocier de bonne foi, en ce sens qu’elle ne prive pas l’agent négociateur d’obtenir, à tout le moins, une déclaration reconnaissant la violation de cette obligation.

[141] À mon avis, la façon de concilier ces deux volets dans le présent cas est d’examiner les faits à des moments précis.

[142] Entre le 25 avril et le 12 mai 2023, l’ARC a violé son obligation de négocier de bonne foi parce qu’elle n’a pas divulgué sa décision de mettre fin prématurément à l’emploi d’un grand nombre d’employés nommés pour une période déterminée. Si elle avait divulgué les renseignements avant de conclure l’entente de principe (par exemple lors de la réunion prévue le 27 avril), cette divulgation tardive aurait permis de remédier à la violation. Au lieu de cela, elle a divulgué les renseignements le 12 mai.

[143] Pour la période postérieure au 12 mai 2023, dans la décision préliminaire, j’ai déclaré que la question était de savoir s’il y a eu une possibilité de négocier collectivement après cette date. Ce faisant, je me suis appuyé sur Campbell River (District) v. Canadian Union of Public Employees, Local 623, 2002 CanLII 53413 (BC LRB) (« Campbell River »). L’AFPC soutient que j’ai exagéré la portée de ce cas.

[144] Campbell River était un cas quelque peu complexe sur le plan procédural. En bref, les parties avaient négocié une entente de principe le 31 janvier 2001, puis elles avaient ratifié l’entente le 13 février. Après la ratification de l’entente de principe, mais avant sa signature, l’employeur avait mis à pied cinq employés. Le syndicat avait déposé une plainte pour négociation de mauvaise foi, dans laquelle il allégeait que l’employeur avait pris cette décision avant de conclure l’entente de principe, et qu’il avait l’obligation de lui divulguer ces mises à pied. Le syndicat avait ensuite déposé une plainte distincte relative aux licenciements (en vertu d’une disposition de la législation du travail de la Colombie-Britannique qui impose à l’employeur d’informer le syndicat de toute mesure ayant une incidence sur un grand nombre d’employés, et de négocier un plan d’adaptation), ainsi que plusieurs griefs. Le 19 avril, le syndicat et l’employeur avaient réglé les griefs et la deuxième plainte, mais non la plainte pour négociation de mauvaise foi. Les parties avaient signé la convention collective le 31 mai.

[145] La British Columbia Labour Relations Board a rejeté la plainte parce qu’elle était sans objet. Ce faisant, elle a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

40 Même si j’accepte que le syndicat ait établi le bien-fondé de sa cause, la réparation habituelle accordée par la Commission pour défaut de divulgation de renseignements consiste à ordonner aux parties de reprendre les négociations en tenant compte des renseignements divulgués. Il n’a pas demandé à la Commission d’ordonner cette réparation dans le présent cas. Le syndicat souhaite plutôt que la Commission annule la décision de faire les mises à pied.

41 Le but de toute réparation est de replacer une partie dans la situation où elle se serait trouvée s’il n’y avait pas eu de violation. Le syndicat affirme qu’il a perdu l’occasion « d’exercer des pressions appropriées sur l’employeur pour obtenir un résultat acceptable ». Le syndicat affirme de manière générale que s’il avait eu connaissance des plans de l’employeur, ses priorités dans la négociation auraient été sensiblement différentes. Il allègue qu’en refusant de lui communiquer les renseignements, l’employeur lui a enlevé l’occasion d’aborder la question dans le cadre des négociations.

42 Le droit que le syndicat a pu perdre n’est qu’une occasion de négocier. Une perte d’occasion ne confère pas nécessairement un droit à la réparation demandée par le syndicat. Il n’y a pas de garantie absolue que le syndicat aurait obtenu l’interdiction des mises à pied si la possibilité d’éliminer des emplois avait été divulguée et s’il y avait eu des négociations à ce sujet.

[…]

48 Outre la nature inhabituelle de la réparation demandée [annuler les mises à pied], un autre facteur dans cette affaire qui joue contre la réparation demandée est que les parties ont négocié postérieurement aux faits. La réticence habituelle de la Commission à s’immiscer dans le processus de négociation collective est d’autant plus grande qu’une entente a été conclue après la divulgation des renseignements.

49 Les discussions qui ont eu lieu après la présentation des plaintes au titre des articles 11 et 54 ont donné au syndicat une possibilité de parler à l’employeur de solutions de rechange aux mises à pied. Le syndicat a donc eu la possibilité d’aborder la question lorsqu’il a conclu l’entente avec l’employeur en avril. Je comprends l’argument du syndicat selon lequel ces discussions n’équivalaient pas à une réouverture complète de la convention collective. Le syndicat affirme qu’il a tenté de rouvrir la convention collective en mars, mais que l’employeur a refusé. L’employeur semble nier cette affirmation. Aux fins de l’examen de l’objection relative au caractère théorique de l’affaire, il importe peu de savoir laquelle des deux affirmations est vraie. Que l’affirmation du syndicat ou la dénégation de l’employeur soit vraie, les parties ont par la suite négocié une entente pour résoudre certaines des questions en litige et ont signé la convention collective sans préjudice. Dans sa plainte au titre de l’article 11, le syndicat ne demande pas à la Commission d’ouvrir la convention collective. Il ne demande pas non plus à la Commission de déclarer que la convention collective n’existe pas en raison d’une fausse déclaration.

[…]

 

[146] L’AFPC avance trois arguments pour démontrer que la décision préliminaire a exagéré la portée de Campbell River.

[147] Premièrement, l’AFPC soutient que l’« entente » mentionnée au paragraphe 49 de Campbell River renvoie à l’entente visant le règlement de l’autre plainte et des griefs, et non à la convention collective. Toutefois, le paragraphe 49 de la décision indique clairement que la British Columbia Labour Relations Board renvoyait aux deux, en déclarant que [traduction] « […] les parties ont par la suite négocié une entente pour résoudre certaines des questions en litige et ont signé la convention collective sans préjudice [je mets en évidence] ».

[148] Deuxièmement, l’AFPC fait valoir que les parties dans Campbell River ont négocié postérieurement aux faits et sont parvenues à une entente. De plus, l’AFPC soutient que le fait qu’une partie n’ait pas sollicité d’occasion de poursuivre les discussions ne l’empêche pas d’alléguer que son homologue a violé son obligation de négocier de bonne foi.

[149] Dans Campbell River, le syndicat avait demandé la réouverture de la convention collective, mais l’employeur avait refusé. Dans ce cas, la Commission des relations de travail n’a pas jugé cet élément important, car la négociation relative aux griefs offrait une occasion suffisante pour traiter toutes les questions soulevées par l’absence de divulgation.

[150] Le présent cas est différent, mais semblable. Il est différent en ce que l’AFPC n’a pas demandé la réouverture de la convention collective. Il est pourtant semblable, car les parties ont discuté de cette question. Si leurs négociateurs n’ont pas discuté ou négocié cette question, leurs mandants, eux, l’ont fait. Comme je l’ai souligné précédemment, le président du SEI a communiqué avec le commissaire de l’ARC. Il a demandé deux choses. Premièrement, il a demandé que les pertes d’emploi soient suspendues. Le commissaire a refusé. Il a ensuite demandé à l’ARC d’accélérer le processus de signature de la convention collective. Le commissaire a accepté, et l’ARC a accéléré le processus de signature, de sorte que l’entente a été signée dans les 11 jours suivant la date à laquelle les membres de l’AFPC l’avaient ratifiée. Je reviendrai plus tard sur la question de savoir s’il s’agit d’une négociation collective, mais je souligne que l’entente conclue dans Campbell River n’était pas non plus le fruit d’une négociation collective.

[151] Troisièmement, l’AFPC fait valoir que Campbell River portait uniquement sur les mises à pied et leurs conséquences, tandis que, dans le présent cas, la question porte sur l’admissibilité à un paiement forfaitaire. Quatrièmement et corrélativement, l’AFPC fait valoir que le syndicat dans Campbell River demandait une ordonnance annulant les mises à pied, tandis que, dans le présent cas, elle ne cherche qu’à rendre les employés admissibles au paiement forfaitaire. Je conviens que ces éléments distinguent le présent cas de celui de Campbell River, mais ils sont importants en matière de réparation et ne remettent pas en cause l’idée qu’une éventuelle divulgation puisse remédier à une violation de l’obligation de divulgation non sollicitée, pour autant que cette divulgation donne encore aux parties la possibilité de négocier collectivement de bonne foi.

[152] Quoi qu’il en soit, l’AFPC reconnaît tout de même dans ses observations qu’il est possible de remédier à une violation de cette obligation en menant des négociations ultérieures de bonne foi. Elle définit le seuil comme une [traduction] « possibilité réelle », et non pas comme une [traduction] « possibilité ». Dans le présent cas, il ne me semble pas utile de chercher à faire la distinction entre une possibilité réelle et une possibilité.

[153] Il s’agit d’un cas limite. Cependant, j’ai conclu que l’AFPC n’avait pas eu une occasion suffisante de négocier de bonne foi après la divulgation du 12 mai 2023.

[154] Je dis qu’il s’agit d’un cas limite parce que de nombreux facteurs montrent qu’il y a eu une possibilité suffisante de négocier. Personne à l’AFPC n’a jamais tenté de négocier avec l’ARC pour obtenir ce qu’elle revendique dans le présent cas, à savoir que les employés soient admissibles à la prime à la signature à compter du 3 mai 2023, plutôt qu’à partir du 27 juin. Les témoins de l’AFPC ont expliqué qu’ils n’avaient pas tenté de rouvrir l’entente, notamment parce qu’une telle démarche risquait d’ouvrir un [traduction] « panier de crabes » ou une [traduction] « boîte de Pandore », car d’autres groupes d’employés exigeraient à leur tour que d’autres modifications soient apportées à la convention collective. Je ne suis franchement pas convaincu qu’il s’agisse d’une raison suffisante pour ne pas avoir tenté de négocier.

[155] Les témoins de l’AFPC ont déclaré qu’ils ne savaient pas comment relancer les négociations après avoir conclu une entente de principe. Cependant, la crédibilité du témoignage de M. Gay a été minée, à tout le moins, lorsqu’il a immédiatement nuancé ces propos en déclarant qu’il ne pouvait pas agir ainsi pour une grande unité de négociation à l’ère des médias sociaux. Il a déclaré que cette unité de négociation n’était [traduction] « pas une unité du syndicat des TUAC dans un restaurant Swiss Chalet sur le bord de l’autoroute ». Je comprends l’argument, mais j’y ai vu une reconnaissance de sa part qu’il savait qu’un agent négociateur pouvait rouvrir une entente de principe, mais qu’il serait très difficile de le faire pour cette unité de négociation.

[156] Les témoins de l’AFPC ont également déclaré qu’ils craignaient que l’ARC dépose une plainte pour pratique déloyale de travail s’ils refusaient d’encourager leurs membres à ratifier la convention collective. Cependant, la divulgation a eu une incidence suffisamment importante sur les négociations pour justifier, à tout le moins, une discussion avec l’employeur, puis une décision sur la marche à suivre en cas de négociations infructueuses.

[157] Bien que ces facteurs indiquent que l’AFPC avait eu suffisamment de possibilités de négocier avec l’ARC, je reviens toujours sur le fait qu’il y a eu une grève.

[158] Le témoignage de M. Gay montre clairement que l’AFPC n’aurait eu aucun moyen de pression si elle avait tenté de rouvrir la convention collective après la fin de la grève. M. Bellavance n’a pas affirmé le contraire.

[159] L’objectif d’une grève est de créer un effet de levier pour un syndicat dans le cadre d’une négociation collective. Les grèves sont essentielles à la négociation collective. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4 :

[…]

[46] […] on reconnaît depuis longtemps que le pouvoir des travailleurs de cesser collectivement le travail aux fins de la négociation de leurs conditions de travail — le droit de grève, en somme — constitue une composante essentielle de la poursuite, par les travailleurs, d’objectifs liés au travail. Comme l’indique le professeur H. D. Woods dans le rapport décisif qu’il a déposé en 1968, « [a]ccepter un régime de négociation collective, c’est implicitement reconnaître le droit de recours aux sanctions économiques » (Les relations du travail au Canada : Rapport de l’Équipe spécialisée en relations de travail (1969), p. 192). La grève fait “partie intégrante du régime canadien de relations du travail” et elle “est devenue partie intégrante de notre régime démocratique” » (p. 142 et 193).

[47] Pour Bob Hepple, [TRADUCTION] « la grève, comme arme de dernier recours, constitue une soupape de sûreté essentielle, une sanction qui vise l’obtention d’une participation véritable » (« The Right to Strike in an International Context » (2009-2010), 15 C.L.E.L.J. 133, p. 139).

[48] Dans l’arrêt S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 156, on résume avec à-propos l’idée que la grève, même si elle constitue un moyen de pression économique redoutable, constitue néanmoins une composante cruciale de la promotion de la paix industrielle et partant, socio-économique :

Les conflits de travail peuvent toucher des secteurs importants de l’économie et avoir des répercussions sur des villes, des régions et, parfois, sur le pays tout entier. Il peut en résulter des coûts importants pour les parties et le public. Néanmoins, notre société en est venue à reconnaître que ces coûts sont justifiés eu égard à l’objectif supérieur de la résolution des conflits de travail et du maintien de la paix économique et sociale. Désormais, elle accepte aussi que l’exercice de pressions économiques, dans les limites autorisées par la loi, et l’infliction d’un préjudice économique lors d’un conflit de travail représentent le prix d’un système qui encourage les parties à résoudre leurs différends d’une manière acceptable pour chacune d’elles (voir, de manière générale, G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. (feuilles mobiles)), p. 1-11 à 1-15). [par. 25]

[…]

[51] Les données historiques qui précèdent révèlent que même si la grève a fait l’objet parfois de protections, parfois d’interdictions, la faculté des salariés de cesser le travail de manière concertée est depuis longtemps essentielle à la négociation collective véritable. Or, la protection offerte par l’al. 2d) ne dépend pas seulement ou principalement du profil historique et juridique du droit de grève. En fait, le droit de grève jouit de la protection constitutionnelle en raison de sa fonction cruciale dans le cadre d’un processus véritable de négociation collective.

[52] Dans ce contexte et à cette fin, la grève constitue une mesure unique et fondamentale. Dans Re Service Employees’ International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home (1983), 1983 CanLII 1928 (ON SC), 4 D.L.R. (4th) 231 (H.C.J. Ont.), le juge Galligan fait ressortir l’importance de la grève dans le processus de négociation collective :

[TRADUCTION] … la liberté d’association se double d’une sanction susceptible de convaincre l’employeur de reconnaître les représentants des travailleurs et de négocier véritablement avec eux. Cette sanction correspond à la liberté de grève. Grâce à celle-ci, les travailleurs disposent, par l’entremise de leur syndicat, du pouvoir de convaincre l’employeur de reconnaître leur syndicat et de négocier avec lui.

… Sans cette sanction, la liberté d’association n’a plus de valeur car les travailleurs n’ont plus de moyen utile de forcer l’employeur à reconnaître leurs représentants et à négocier avec eux. La raison d’être de la formation d’un syndicat par des travailleurs cesse dès lors d’exister. C’est pourquoi j’estime que la suppression de la liberté de grève rend vaine la liberté des travailleurs de se syndiquer. [Italiques ajoutés; p. 249.]

[…]

[55] La grève — le « moteur » de la négociation collective — favorise aussi l’égalité dans le processus de négociation (England, p. 188). La Cour reconnaît depuis longtemps les inégalités marquées qui façonnent les relations entre employeurs et salariés, ainsi que la vulnérabilité des salariés dans ce contexte […]

[…]

Judy Fudge et Eric Tucker relèvent que c’est [TRADUCTION] « l’éventualité de la grève qui permet aux travailleurs de négocier leurs conditions de travail presque sur un pied d’égalité avec l’employeur » (p. 333). Sans le droit de grève, [TRADUCTION] « la négociation risque de n’être qu’un vœu pieux » (Professeur Michael Lynk, opinion d’expert sur les services essentiels, par. 20; d.a., vol. III, p. 145).

[…]

[57] Faire la grève ne garantit pas en soi qu’un conflit de travail sera réglé d’une certaine manière, ni même du tout. Le juge de première instance reconnaît que la grève peut faire pression sur les deux parties au conflit pour qu’elles négocient de bonne foi. Elle permet toutefois aux salariés de négocier davantage sur un pied d’égalité avec l’employeur (voir Williams c. Aristocratic Restaurants (1947) Ltd., 1951 CanLII 24 (SCC), [1951] R.C.S. 762, p. 780; Police montée, par. 70-71).

[…]

 

[160] En l’absence de la menace d’une grève (ou d’un arbitrage de différends contraignant), il n’y a pas de négociation collective, il ne reste alors que de l’imploration collective. C’est précisément la dynamique qui prévalait entre le président du SEI et le commissaire de la CRA à la suite de l’entente de principe. Le président a formulé une demande et le commissaire a répondu « non ». Le président a présenté une deuxième demande, à la baisse, et le commissaire a répondu « oui ». Il ne s’agit pas là d’une négociation collective.

[161] Dans son témoignage, M. Gay a également affirmé clairement qu’il était [traduction] « hors de question » que les membres de l’AFPC se mettent de nouveau en grève afin de protéger la prime à la signature des employés touchés après que l’équipe de négociation a conclu une entente de principe. M. Jackson a également témoigné qu’il ne savait pas [traduction] « comment nous pourrions » nous mettre de nouveau en grève après le 12 mai 2023.

[162] Je suis d’accord avec ces témoins. S’il est théoriquement possible d’appeler de nouveau les membres à la grève après avoir conclu une entente de principe, dans le but d’obtenir un avantage pour moins de 3 % des membres de l’unité de négociation (1125 employés touchés sur une unité de négociation de 42761), cela serait impossible en pratique. Par conséquent, l’AFPC avait perdu tout moyen de pression entre la conclusion de l’entente de principe et la divulgation par l’ARC, ce qui l’a privée d’une possibilité suffisante de négocier collectivement des conditions d’admissibilité différentes à la prime à la signature.

[163] Pour ces motifs, j’ai conclu que la divulgation du 12 mai 2023 et la décision de l’AFPC de ratifier et de signer la convention collective malgré cette divulgation n’ont pas remédié à la violation de l’obligation de négocier de bonne foi. La divulgation des renseignements faite après que l’AFPC a mis fin à la grève a privé cette dernière d’une possibilité suffisante de négocier collectivement.

V. Réparation

[164] L’AFPC demande une ordonnance de versement de 2500 $ à tous les employés touchés par la présente affaire. L’ARC soutient qu’une déclaration est suffisante dans le présent cas.

[165] Plus précisément, l’AFPC demande une ordonnance de versement de dommages-intérêts généraux de 2500 $ aux [traduction] « employés touchés ». Bien que l’exposé écrit ne précise pas qui sont les employés touchés, il s’agit des employés de centre d’appels qui ont quitté leur emploi entre le 4 mai et le 27 juin 2023. Dans sa plaidoirie, elle a précisé que cela incluait les employés des centres d’appels qui ont démissionné au cours de cette période.

A. Principes en matière de réparation – replacer la partie qui n’est pas en défaut dans la situation où elle se serait trouvée si la violation n’avait pas été commise

[166] La Cour suprême du Canada a défini le pouvoir général de réparation conféré aux organismes de relations du travail dans Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369. La réparation imposée par un conseil des relations de travail ne doit pas être de nature punitive, elle ne doit pas porter atteinte à la constitution ou aller à l’encontre des objectifs de sa législation constitutive. En outre, la réparation doit avoir un lien rationnel avec la pratique déloyale de travail. Comme l’a indiqué la Cour suprême au paragraphe 56, la réparation accordée par le conseil des relations de travail « doit avoir un lien rationnel avec la violation et ses conséquences ».

[167] Le principe de réparation suivi par les organismes des relations de travail pour s’assurer que la réparation a un lien rationnel avec la violation est que les parties doivent être replacées dans la situation où elles se seraient trouvées, n’eût été la pratique déloyale de travail. Ce principe a été énoncé dans de nombreuses décisions rendues par les commissions des relations de travail, notamment les décisions suivantes :

· Swift Current (City) v. International Association Of Fire Fighters, Local 131, 2014 CanLII 76050 (SK LRB), au par. 60 :

[Traduction]

[60] Le pouvoir de la Commission en matière de réparation consiste généralement à replacer les parties dans la situation où elles se seraient trouvées, n’eût été la pratique déloyale de travail. Ce faisant, la Commission est consciente que toute réparation doit avoir un objectif en matière de relations du travail, c’est-à-dire, de manière générale, assurer la négociation collective et favoriser de bonnes relations à long terme entre les parties au différend.

[Je mets en évidence]

 

· Moose Jaw Firefighters’ Association No. 553 v. City of Moose Jaw, 2019 CanLII 98484 (SK LRB), au par. 125 :

[Traduction]

[125] La Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer la réparation convenable. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, elle doit chercher à replacer les parties dans la position où elles se seraient trouvées si la pratique déloyale de travail n’avait pas été adoptée. Il doit également exister un lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation ordonnée. En outre, l’objectif de la réparation doit être d’assurer la négociation collective et de favoriser une relation saine entre les parties, sans être de nature punitive.

[Je mets en évidence]

 

· Construction Labour Relations Association of British Columbia v. Bargaining Council of British Columbia Building Trades Unions, 2001 CanLII 33287 (BC LRB), ne portait pas sur une plainte pour négociation de mauvaise foi, elle énonçait néanmoins le principe selon lequel [traduction] « les ordonnances de la Commission visent à placer une partie demanderesse dans la situation où elle se serait trouvée, n’eût été la conduite de l’autre partie [je mets en évidence] ».

 

· Unifor Canada Local 594 c. Consumers’ Co-operative Refineries Limited, 2022 CanLII 95885 (SK LRB), au par. 166 :

[Traduction]

[166] La Commission doit s’attacher à remédier à la violation précise de la Loi et, ce faisant, il doit exister un lien entre la pratique déloyale de travail qui a eu lieu, ses conséquences sur le processus de négociation et la réparation imposée. Elle doit apporter un règlement constructif au litige et remédier efficacement à la violation de la Loi. Le but est de remettre les parties dans la position où elles se seraient trouvées, n’eût été le comportement de l’employeur. Si l’employeur avait informé le syndicat de sa décision de mettre à pied tous les opérateurs principaux, le syndicat aurait eu la possibilité de demander une indemnité compensatoire à la table de négociation. Cette violation a eu pour effet d’amener le syndicat à accepter une convention collective qu’il n’aurait peut-être pas acceptée s’il avait eu connaissance du plan de l’employeur.

[Je mets en évidence]

 

[168] L’élément de la plainte de l’AFPC que j’ai retenu est que l’ARC a violé son obligation de négocier de bonne foi en divulguant tardivement la fin anticipée des contrats à durée déterminée. Dans ce cas, le préjudice subi par l’AFPC s’est traduit par l’incapacité de négocier des règles d’admissibilité différentes pour le paiement forfaitaire de 2500 $. Dans Rocky View County, au paragraphe 59, l’Alberta Labour Relations Board a décrit l’approche suivante pour remédier à un défaut de divulgation :

[Traduction]

[59] Lorsque nous accordons une réparation, notre tâche est de « réparer, dans la mesure du possible, les dommages causés par la violation » : Alberta Projectionists Local 302 of IATSE v. Famous Players Inc., [1995] Alta. L.R.B.R. 162, à la p. 201. Dans le cas qui nous occupe, la véritable perte découlant de la violation de l’obligation de divulgation est la perte de la possibilité de négocier d’autres solutions aux licenciements ou une plus grande protection contre les licenciements, faute de quoi l’Association aurait pu demander au CAB des dispositions différentes en matière de protection de l’emploi.

[Je mets en évidence]

 

B. Dans le présent cas, les dommages-intérêts généraux sont incompatibles avec ce principe de réparation

[169] La demande qu’a présentée l’AFPC afin que soit versé un paiement forfaitaire de 2500 $ à chaque [traduction] « employé touché » à titre de dommages-intérêts généraux est incompatible avec ce principe de réparation, et ce, pour deux raisons.

1. Nature des dommages-intérêts généraux

[170] Premièrement, rien ne justifie l’octroi de dommages-intérêts généraux pour la violation de l’obligation de divulgation non sollicitée dans le présent cas.

[171] À une certaine époque, les dommages-intérêts étaient divisés en dommages-intérêts généraux et spéciaux : les dommages-intérêts généraux étaient ceux que la loi présumait être une conséquence naturelle directe ou probable de la violation, tandis que les dommages-intérêts spéciaux étaient ceux que la loi ne déduisait pas de la nature d’un acte. Par conséquent, les dommages-intérêts spéciaux devaient être expressément allégués et prouvés, ce qui n’était pas le cas des dommages-intérêts généraux; voir Ströms Bruks Akt Bolag v. Hutchison, [1905] A.C. 515 (UK HL).

[172] Cependant, l’expression « dommages-intérêts généraux » a évolué au cours des 120 dernières années, et elle est désormais employée pour désigner les dommages-intérêts liés à des pertes qui ne peuvent être évaluées avec précision. L’expression [traduction] « dommages-intérêts généraux » est désormais employée pour désigner les dommages-intérêts pour atteinte à la dignité dans les plaintes en matière de droits de la personne (voir Arunachalam v. Best Buy Canada, 2010 HRTO 1880, aux par. 44 à 54; et Dominion Forming Inc. v. Universal Workers’ Union (LIUNA, Local 183) (2013), 233 L.A.C. (4th) 315, au par. 123), les dommages-intérêts pour une perte de réputation découlant de la diffamation (voir Hodgson v. Canadian Newspapers Co. Ltd, 2000 CanLII 14715 (ON CA), aux par. 67 à 69), et des dommages-intérêts pour une violation de l’obligation d’agir de bonne foi et d’assurer un traitement équitable dans le mode de congédiement (voir Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, 2015 CSC 10, au par. 22).

[173] L’AFPC n’allègue pas que ses membres ont subi des souffrances morales ou d’autres pertes non pécuniaires du fait que l’ARC n’a pas divulgué les pertes d’emploi imminentes. Elle affirme plutôt, dans son exposé écrit : [traduction] « C’est la somme que l’AFPC croyait avoir obtenue pour ses membres, n’eût été l’omission de l’employeur de divulguer que ces membres n’y auraient pas droit. » Sa demande est fondée sur la perte économique.

[174] Les dommages-intérêts généraux, qu’ils soient définis selon une approche traditionnelle ou contemporaine, conservent leur nature compensatoire. Cela signifie qu’il doit y avoir un lien entre la cause d’action légale et un préjudice pour lequel il y a indemnisation. La cause d’action légale dans le présent cas est la violation de l’obligation de divulgation non sollicitée. L’octroi de dommages-intérêts doit viser à indemniser une personne pour les pertes subies du fait de cette violation. Il ne suffit pas que l’AFPC ait cru qu’elle avait obtenu cet avantage pour ses membres; elle doit démontrer qu’elle a subi des pertes ouvrant droit à une indemnisation en raison de la violation.

[175] La Commission est compétente pour accorder des dommages-intérêts généraux en vertu de l’article 192(1) de la Loi qui lui donne le pouvoir de rendre « toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances ». Toutefois, les dommages-intérêts généraux servent d’indemnisation pour un préjudice non pécuniaire. L’objectif des dommages-intérêts vise à replacer la partie qui n’est pas en défaut dans la situation où elle se serait trouvée, n’eût été la violation. La perte invoquée par l’AFPC est une perte économique. Par conséquent, les dommages-intérêts généraux ne seraient pas une indemnisation pour cette perte économique.

2. Cas invoqués par l’AFPC à l’appui des dommages-intérêts généraux et raisons pour lesquelles ils sont différents

[176] Deuxièmement, il y a une distinction à faire entre les cas invoqués par l’AFPC et le présent cas. L’AFPC invoque plus précisément deux cas : University of Manitoba et AFPC c. SCRS. Le premier cas est différent sur le plan juridique et le second, sur le plan factuel.

[177] University of Manitoba portait sur une plainte pour pratique déloyale de travail, qui comportait plusieurs allégations relatives à la conduite de l’employeur pendant les négociations. La Commission du travail du Manitoba a accueilli la plainte relative à l’obligation de divulgation non sollicitée, mais a rejeté les autres allégations formulées par le syndicat.

[178] University of Manitoba portait sur les négociations collectives qui ont mené à une grève d’environ deux semaines du corps enseignant en 2016. Les différends entre les parties portaient sur des questions pécuniaires et non pécuniaires comme la charge de travail, la titularisation et la promotion, ainsi que la sécurité d’emploi. L’université dépendait largement du gouvernement provincial pour son financement. Bien qu’il s’agisse d’un employeur indépendant négociant sa convention collective sans la participation de la province à la table, cette dernière exerce son influence sur les augmentations salariales en se servant de son financement comme levier à la table de négociation. Des élections provinciales et un changement de gouvernement ont eu lieu pendant les négociations, en 2016. Le nouveau gouvernement a informé l’université de son intention de lui imposer un nouveau mandat, interdisant toute augmentation salariale pendant une période d’au moins un an. L’université avait déjà fait une offre dans le cadre des négociations, dont une augmentation salariale rejetée par le syndicat. Au risque de simplifier à l’excès une situation complexe et en constante évolution, la Commission du travail du Manitoba a conclu que l’université avait l’obligation de divulguer le mandat provincial, et qu’elle avait violé cette obligation en omettant de le divulguer pendant environ un mois. La Commission du travail du Manitoba a également conclu que l’université n’avait pas négocié de mauvaise foi en réduisant son offre salariale antérieure au mandat, en envoyant des négociateurs sans pouvoir de négociation, ou en maintenant une offre inacceptable jusqu’à l’impasse.

[179] La Commission du travail du Manitoba a également conclu que la violation par l’université de l’obligation de divulgation non sollicitée n’était pas à l’origine de la grève, et a refusé d’ordonner une indemnisation pour les pertes subies par le syndicat et ses membres en raison de la grève. Toutefois, elle a accordé 2000 $ à chaque employé de l’unité de négociation lorsqu’une pratique déloyale a été commise [traduction] « […] ayant porté atteinte à leurs droits en vertu de la Loi [du Manitoba] […] » (voir à la p. 84). L’AFPC soutient que la Commission devrait donc adopter une approche semblable dans le cas présent en accordant 2500 $ à chaque employé touché.

[180] La Commission du travail du Manitoba n’a pas motivé sa décision d’accorder 2000 $. Toutefois, elle a cité l’article 31(4) de la Loi sur les relations du travail (c. L10 de la C.P.L.M.) du Manitoba. Cette disposition est libellée ainsi :

31(4) La Commission peut, si elle conclut qu’une partie à une audience prévue au présent article a commis une pratique déloyale de travail, selon ce qu’elle juge raisonnable et indiqué et malgré les dispositions de toute convention collective :

31(4) Where the board finds that a party to a hearing under this section has committed an unfair labour practice it may, as it deems reasonable and appropriate and notwithstanding the provisions of any collective agreement,

[…]

e) ordonner à la partie de payer à une personne une somme maximale de 2000 $ lorsque la pratique déloyale de travail a porté atteinte aux droits conférés à cette personne par la présente loi mais que la personne n’a subi aucune perte, notamment une diminution de revenu ou autres avantages reliés à l’emploi, en raison de la pratique déloyale de travail;

(e) where the unfair labour practice interfered with the rights of any person under this Act but the person has not suffered any diminution of income or other employment benefits or other loss by reason of the unfair labour practice, order the party to pay to the person an amount not exceeding $2,000.; or

f) ordonner à la partie de verser à un syndicat, à un employeur ou à une association d’employeurs une somme maximale de 2000 $ lorsque la pratique déloyale de travail a porté atteinte aux droits conférés au syndicat, à l’employeur ou à l’association d’employeurs par la présente loi, peu importe que le syndicat, l’employeur ou l’association d’employeurs ait ou non subi une perte en raison de la pratique déloyale de travail; […]

(f) where the unfair labour practice interfered with the rights of a union, employer or employers’ organization under this Act, whether or not the union, employer or employers’ organization has suffered any loss by reason of the unfair labour practice, order the party to pay to the union, employer or employers’ organization an amount not exceeding $2,000. ….

 

[181] Il s’agit de [traduction] « dispositions uniques » (extrait de Jeffery M. Andrew, Labour Relations Board Remedies in Canada, 2e éd., chapitre 9.19) que l’on ne retrouve nulle part ailleurs au Canada et qui ne figurent pas dans la Loi applicable dans le présent cas. Bien que l’auteur de Labour Relations Board Remedies in Canada suggère que l’intention sous-jacente des articles 31(4)e) et f) de la loi manitobaine est [traduction] « d’introduire un élément de la nature des dommages-intérêts majorés », ces articles vont plus loin : ils donnent à la Commission du travail du Manitoba un mandat clair pour ordonner des dommages-intérêts même lorsqu’une partie n’a subi aucune [traduction] « […] perte en raison de la pratique déloyale de travail […] ». En d’autres termes, le Manitoba a expressément légiféré pour que sa commission des relations du travail n’applique pas le principe de réparation que j’ai mentionné précédemment, à savoir que les parties devraient être replacées dans la situation où elles se seraient trouvées, n’eût été la pratique déloyale de travail.

[182] Par conséquent, je n’abonde pas dans le sens de University of Manitoba, en raison de cette importante différence législative.

[183] Je reconnais que le gouvernement du Manitoba a ultérieurement été tenu responsable des dommages causés aux employés touchés dans ce cas, en raison de la violation de leur liberté d’association, et que les tribunaux n’ont pas souscrit à la conclusion de la Commission du travail du Manitoba selon laquelle le gel des salaires n’était pas à l’origine de la grève; voir Manitoba Federation of Labour v. The Government of Manitoba, 2023 MBCA 65. Cette décision n’a aucun effet sur l’argument de l’AFPC, ni sur le rejet de cet argument que j’ai exprimé plus haut.

[184] Dans AFPC c. SCRS, la Commission a accueilli une plainte pour pratique déloyale de travail contre le SCRS. Le SCRS compte une petite unité de négociation regroupant environ 74 employés chargés de tâches administratives et de bureau, ainsi que des milliers d’employés non représentés. Le 17 février 2022, les parties ont conclu une entente de principe que l’AFPC a ratifiée le 13 avril. Le 26 avril, le SCRS a annoncé que ses employés non représentés recevraient un paiement forfaitaire équivalent à 2,5 % de leur salaire. Il a refusé de payer cette somme à ses employés représentés. Selon l’entente de principe, le SCRS devait verser les augmentations salariales rétroactives négociées dans les 180 jours suivant la signature, faute de quoi, il verserait à chaque employé la somme de 50 $, ainsi qu’une somme supplémentaire de 50 $ pour chaque période additionnelle de 90 jours de retard. Le SCRS a ensuite retardé la signature de l’entente de principe pendant plus d’un an, et ne l’a signée que le 3 mai 2023.

[185] La Commission a conclu que les actions du SCRS constituaient quatre pratiques déloyales de travail : il a violé son obligation de négocier de bonne foi en ne fournissant aucun renseignement à l’AFPC au sujet du paiement forfaitaire avant qu’il ne soit annoncé, il a violé son obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour conclure une convention collective en ne la signant pas pendant plus d’un an (à l’exception d’un retard de trois mois attribuable au gouverneur en conseil), il a sapé les relations entre l’AFPC et les employés qu’elle représentait au point de constituer une ingérence dans leur représentation par l’AFPC, et il a fait preuve de discrimination à l’égard de ces employés en raison de leur appartenance syndicale. La Commission a conclu que le fait de ne pas avoir informé l’AFPC de la prime forfaitaire accordée aux employés représentés était particulièrement injuste parce que « […] les conditions accordées aux employés non représentés ont été utilisées comme point de référence dans les négociations » (au paragraphe 79).

[186] À titre de réparation, la Commission a ordonné que les employés représentés reçoivent la somme forfaitaire de 2,5 %, ainsi qu’une somme supplémentaire de 100 $ pour le retard injustifié dans la ratification de la convention collective.

[187] L’AFPC soutient que la réparation qu’elle demande dans le présent cas (2500 $ pour chaque employé touché) est la même que celle accordée par la Commission dans AFPC c. SCRS afin que soit versée une prime forfaitaire aux employés représentés. Cependant, il existe deux différences importantes entre AFPC c. SCRS et le présent cas. Premièrement, la Commission a conclu que le paiement forfaitaire de 2,5 % aurait été négocié parce que les paiements aux employés non représentés constituaient le point de référence utilisé par les parties pour conclure leur convention collective. Deuxièmement, la Commission n’a pas rendu cette ordonnance dans le seul but de remédier à la violation, par l’employeur, de l’obligation de divulgation non sollicitée. Elle a plutôt rendu cette ordonnance pour remédier aux pratiques déloyales de travail dans leur ensemble (à l’exception du retard dans la ratification, qui a été corrigé par le versement de 100 $).

[188] Les motifs de la Commission pour accorder cette réparation sont les suivants :

[…]

[81] L’article 192 de la Loi établit que la Commission peut rendre toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances si elle détermine que la plainte visée au paragraphe 190(1) est fondée. Y sont également énumérés des exemples d’ordonnances, sans que la Commission ne soit tenue de s’y limiter. Par exemple, en cas de non-respect de l’alinéa 186(2)a), le sous-alinéa 192(1)b)(ii) prévoit une indemnité ne dépassant pas la rémunération qui aurait été versée n’eût été le manquement en question.

[82] Dans Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 139, l’ancienne Commission a conclu que le paragraphe 192(1) permet d’accorder des dommages pour une perte non pécuniaire et que de tels dommages sont accordés « […] lorsqu’il existe un droit important et intrinsèque à protéger ou à appliquer, ou lorsque la dissuasion est un facteur important » (au par. 38). L’ancienne Commission a ajouté qu’« [i]l est impossible d’établir des relations patronales-syndicales harmonieuses, ce qui est l’un des objets de la LRTFP [aujourd’hui la Loi], lorsque l’une des parties n’hésite pas à faire fi des dispositions de la LRTFP lesquelles visent à assurer la paix dans les relations de travail » (au par. 38). Comme dans ce cas, j’estime que l’octroi de dommages dans les circonstances du présent cas est nécessaire pour souligner que les dispositions de la Loi doivent être respectées et que leur violation entraîne des conséquences.

[83] J’ai conclu que le défendeur n’avait pas respecté l’article 106 de la Loi et qu’il avait commis une pratique déloyale de travail au sens de l’alinéa 186(1)a) et du sous‑alinéa 186(2)a)(i). Deux des principaux facteurs de ces conclusions sont les mesures prises par le défendeur dans le cadre du PFRT [traduction] [paiement forfaitaire de reconnaissance temporaire] et le fait qu’il n’ait pas finalisé la convention collective dans les délais impartis. Les mesures correctives demandées par l’agent négociateur portent sur ces deux points principaux.

[84] J’estime qu’il est nécessaire d’accorder le PFRT aux membres de l’unité de négociation. Encore une fois, les conditions accordées aux employés non représentés ont servi de point de référence lors des négociations. La justification avancée pour accorder le PFRT aux employés non représentés, en reconnaissance de l’augmentation des initiatives de transformation et de l’appui continu des employés aux changements, s’applique également au travail des membres de l’unité de négociation. Comme dans Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral, cette mesure corrective touche à « […] l’essence même de la relation entre les parties, et le défaut de corriger ce manquement de manière significative pourrait engendrer du cynisme à l’égard des relations patronales-syndicales et miner la capacité du syndicat de représenter efficacement ses membres » (au par. 41).

[…]

 

[189] Contrairement à AFPC c. SCRS, il n’existe pas de « point de référence » utilisant la date de l’entente de principe comme date d’admissibilité à une prime à la signature. Au contraire, la preuve dans le présent cas démontre que l’entente conclue par ces parties sur les éléments pécuniaires reflétait celle conclue au Conseil du Trésor, soit une somme forfaitaire à verser à la signature, et non à la ratification. C’est également la date qui a été utilisée lors de tous les cycles de négociation précédents. Dans la mesure où il existait un « point de référence », il a été respecté.

[190] En outre, le paiement de la somme forfaitaire ordonné dans AFPC c. SCRS découlait de multiples pratiques déloyales de travail. La Commission a conclu que le SCRS avait choisi de ne pas verser la prime forfaitaire en raison de « […] la représentation par un agent négociateur » (au paragraphe 75). Le SCRS n’a fourni aucune preuve, ni même aucune explication, pour s’acquitter de son obligation de démontrer l’existence d’un motif non discriminatoire justifiant le refus de payer la prime forfaitaire à ses employés syndiqués. La Commission a également conclu qu’après le suivi fait auprès du SCRS par le négociateur de l’AFPC, le SCRS « […] n’offrait pas de discuter de la question avec l’AFPC […] » (au paragraphe 63) après avoir annoncé la somme forfaitaire.

[191] Dans le présent cas, l’AFPC n’a pas tenté de discuter avec l’ARC par l’intermédiaire de son négociateur, tandis que le commissaire de l’ARC s’est engagé avec le président du SEI en acceptant sa solution de rechange d’accélérer le processus de signature de la convention collective. Il n’y a aucune preuve démontrant que l’ARC a fait preuve de discrimination à l’égard des membres de l’AFPC ou qu’elle a sapé l’AFPC par ses actions, ni aucune allégation relative à ces sujets.

[192] L’ordonnance de la Commission enjoignant au SCRS de verser la prime dans ce cas visait à remédier à trois pratiques déloyales de travail, dont une seule est présente dans le présent cas. La Commission n’a pas précisé quelle partie de l’indemnité correspondait à chacune des pratiques déloyales de travail. Si l’indemnité était liée à la discrimination ou à la perte du respect pour l’agent négociateur, les dommages-intérêts généraux étaient appropriés, car les préjudices découlant de ces actions ne sont pas tangibles ni pécuniaires. Si l’indemnité était liée à l’obligation de divulgation non sollicitée, elle était alors conforme aux principes de la perte de possibilité que j’aborderai sous peu, car la divulgation concernait un point de référence utilisé par les parties pour conclure leur entente. En substance, la Commission a pu conclure que, n’eût été la violation, les parties auraient conclu une convention collective différente. Pour ces motifs, AFPC c. SCRS n’aide pas l’AFPC dans le présent cas.

[193] En conclusion, AFPC c. SCRS se distingue de la présente affaire par les faits.

[194] En outre, j’ai examiné International Alliance of Theatrical Stage Employees, Moving Picture Technicians, Artists and Allied Crafts of the United States, Local 849 v. Egg Films, Inc, 2015 NSLB 213, mais j’ai décidé que cette décision n’aidait pas l’AFPC pour la même raison. Dans ce cas, un employeur avait mis ses employés en lock-out après avoir négocié de mauvaise foi, en refusant de divulguer des renseignements financiers, et en faisant des propositions de négociation qui montraient qu’il n’avait pas l’intention réelle de conclure une convention collective, mais qu’il cherchait plutôt à révoquer l’accréditation du syndicat. Le Nova Scotia Labour Board a conclu que le lock-out était illégal et qu’il constituait une violation du gel prévu par la loi parce qu’il n’avait pas été précédé d’une négociation de bonne foi. Elle a ordonné que les employés en lock-out reçoivent la rémunération qu’ils auraient reçue pendant le lock-out illégal.

[195] Comme la décision AFPC c. SCRS – et contrairement au présent cas - ce cas portait sur de multiples pratiques déloyales de travail visant à nuire à la capacité du syndicat à représenter les employés. Dans ce cas, il était également question de l’existence d’un lien de causalité clair entre la violation et la réparation, et aucuns dommages-intérêts généraux n’ont été accordés, en l’absence de lien avec une perte quantifiable.

[196] Enfin, j’ai examiné la décision Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 139, citée par la Commission dans AFPC c. SCRS. Ce cas concernait la mise en œuvre tardive d’une décision arbitrale. La Commission a accordé 7500 $ à l’agent négociateur en raison d’un retard d’environ quatre mois dans la mise en œuvre de la décision arbitrale. L’agent négociateur demandait des dommages-intérêts de 100 $, payables à chaque employé de l’unité de négociation, qu’il qualifiait de dommages-intérêts « symboliques ». L’ordonnance de la Commission portait sur une somme à peu près identique, mais payable à l’agent négociateur. Contrairement à ce cas, l’AFPC ne qualifie pas un paiement de 2500 $ de dommages-intérêts symboliques.

[197] Pour ces motifs, j’ai conclu que ces autres cas antérieurs n’aident pas l’AFPC dans sa demande de dommages-intérêts généraux dans le présent cas. La décision dans University of Manitoba est différente sur le plan juridique. Les autres cas dans lesquels la Commission ou d’autres commissions du travail ont accordé des dommages-intérêts sont différents au regard des faits.

C. Dommages-intérêts pour la perte d’occasion de négocier

[198] J’en reviens donc au principe des dommages-intérêts que j’ai énoncé plus haut dans la présente partie de la décision. Ce principe veut que la Commission remette les parties dans la situation où elles se seraient trouvées, n’eût été la violation. En l’espèce, l’ARC n’a pas divulgué la fin anticipée des contrats à durée déterminée le 27 avril 2023, ou vers cette date. Ma tâche consiste donc à déterminer ce qui se serait passé si elle avait divulgué ce fait et si cela avait entraîné des pertes.

1. Principes des dommages-intérêts pour perte d’occasion

[199] L’expression courante pour ce type d’analyse est [traduction] « perte d’occasion ». J’ai fait référence à cette notion en citant la décision Rocky View County plus tôt. Dans International Union of Operating Engineers, Local 865 v. Canadian Pacific Forest Products Limited, 1990 CanLII 5820 (ON LRB), la CRTO a décrit de façon beaucoup plus détaillée l’approche adoptée dans les cas de perte d’occasion, comme suit :

[Traduction]

[…]

6. Ce n’est pas la première fois que la Commission rencontre un problème difficile au moment d’établir la réparation appropriée pour une violation de l’obligation de négocier de bonne foi lorsque cette violation porte sur l’omission de divulguer des renseignements pertinents dans le cadre de la négociation collective […] En abordant ces cas, la Commission a reconnu qu’un droit qui n’est pas assorti d’une réparation efficace n’a que peu de valeur. Par conséquent, la perte d’occasion de négocier un avantage est depuis longtemps reconnue par la Commission comme une perte donnant droit à des dommages-intérêts. Toutefois, la Commission a également reconnu que les réparations doivent être adaptées aux circonstances particulières de l’affaire dont elle est saisie et doivent être compensatoires et non punitives. Ces réparations doivent être établies en tenant compte des principes des relations de travail qui sous-tendent la Loi sur les relations de travail. À cet égard, la Commission n’a pas jugé approprié d’imposer ou de modifier des clauses de conventions collectives en guise de compensation […] parce que le droit dont il est question dans ces cas n’est pas le droit à une convention collective particulière, mais plutôt le droit de négocier en vue d’en conclure une.

7. L’objectif d’une réparation dans ce contexte est de replacer la partie lésée (en l’occurrence le syndicat plaignant et les employés de l’unité de négociation touchés) dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée, n’eût été la conduite fautive constatée par la Commission. Dans le présent cas, cette conduite fautive n’est pas la fermeture réelle de la turbine no 1, mais plutôt le fait que la défenderesse n’a pas informé le plaignant en temps opportun de son intention de le faire. La nature de la violation de l’obligation de négocier de bonne foi dont la Commission a déclaré la défenderesse fautive dans cette affaire oblige nécessairement la Commission à envisager des hypothèses quant aux dommages-intérêts réclamés par le plaignant. Ces hypothèses doivent cependant être aussi éclairées que possible.

8. Il est souvent difficile d’évaluer les dommages dans des cas comme celui-ci, mais la personne fautive ne peut pas être dispensée de payer des dommages-intérêts simplement parce qu’ils sont difficiles à évaluer. Par conséquent, bien qu’une partie lésée doive prouver ses dommages selon la balance des probabilités, la nature des affaires de [traduction] « perte d’occasion » impose de lui accorder le bénéfice du doute à cet égard. Cependant, cela ne dégage pas la partie lésée de la responsabilité de présenter des éléments de preuve suffisants pour établir l’occasion qu’elle a perdue et les dommages qu’elle prétend avoir subis de ce fait. Elle doit démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable qu’elle aurait pu obtenir l’avantage pour lequel elle demande une compensation en l’absence de l’inconduite de la défenderesse. Une simple possibilité d’obtenir un avantage ne donne droit à une partie lésée qu’à des dommages-intérêts symboliques, tout au plus. De plus, comme l’ont fait remarquer la Commission et la Cour divisionnaire dans la décision Radio Shack, précitée, les dommages-intérêts seront réduits proportionnellement à l’éventualité liée à l’obtention de l’avantage revendiqué en l’absence d’une inconduite (voir aussi Burlington Northern Air Freight (Canada) Ltd., [1987] OLRB Rep. Aug. 1064).

[…]

[Je mets en évidence]

 

[200] Dans ce cas, l’employeur n’avait pas divulgué qu’il fermait une de ses turbines, ce qui avait entraîné la suppression de certains postes. La CRTO a conclu qu’il était peu probable que le syndicat ait persuadé l’employeur de revenir sur sa décision de fermer la turbine ou d’accepter d’améliorer les avantages ou les compensations pour les employés touchés, et elle a décidé de ne pas accorder de dommages-intérêts en conséquence.

[201] La CRTO s’appuyait sur sa décision source dans United Steelworkers of America v. Radio Shack, 1979 CanLII 817 (ON LRB), confirmée dans Tandy Electronics Ltd. v. United Steelworkers of America, 1980 CanLII 1738 (ON SC). Radio Shack faisait partie d’une série de décisions rendues par la CRTO en réponse à des pratiques déloyales de travail flagrantes commises par l’employeur au cours de la campagne d’accréditation, de la négociation collective et de la grève qui en a découlé. Dans cette décision particulière, la CRTO a conclu que l’employeur s’était livré à une soi-disant [traduction] « négociation de surface », c’est-à-dire qu’il participait aux négociations, mais d’une manière qui montrait clairement qu’il n’avait aucun intérêt à conclure une entente. La CRTO s’est ensuite penchée sur la réparation appropriée dans un tel cas. Elle a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir d’imposer une amende ou de sanctionner l’employeur ni d’imposer une convention collective aux parties. Cependant, elle pouvait tout de même accorder une réparation efficace pour compenser la perte de l’occasion de conclure une convention collective. Elle a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

100 Après avoir examiné ces énoncés de principe, nous avons décidé qu’une certaine nuance s’imposait, compte tenu de notre expérience et de la nécessité de garantir l’efficacité des réparations que nous ordonnons. Bien que nous reconnaissions qu’une réparation pécuniaire fondée sur la convention collective qui aurait été négociée s’il y avait eu des négociations de bonne foi suppose qu’une entente aurait été conclue, le refus d’accorder une réparation pécuniaire revient à supposer qu’aucune entente n’aurait découlé de négociations de bonne foi. Il est manifeste que la réalité se situe généralement entre les deux, en ce sens que chacune des hypothèses peut être valable dans un cas particulier. Ce que perdent les syndicats comme le plaignant ainsi que les employés qu’il représente dans les cas de cette nature, c’est « la perte d’une occasion » de négocier une convention collective ou la perte d’une occasion de conclure une entente plus tôt dans le temps. Les employés adhèrent à un syndicat avec, du moins dans leur esprit, la perspective raisonnable d’obtenir une amélioration de leurs conditions de travail. En réalité, le plaignant pourrait démontrer à l’aide de données statistiques le caractère raisonnable des attentes de ces employés. Lorsqu’un employeur répond par des pratiques de travail déloyales flagrantes, il empêche indûment ses employés de satisfaire leurs attentes ou retarde indûment le traitement de leurs revendications. Par exemple, l’employeur pourrait se soustraire à toute obligation contractuelle si les pratiques de travail déloyales affaiblissent la capacité d’organisation initiale du syndicat au point qu’une grève puisse s’épuiser. En outre, l’employeur bénéficie d’un avantage concurrentiel inéquitable par rapport aux employeurs qui négocient de bonne foi, ce qui rend l’inconduite attrayante pour d’autres employeurs. En matière de relations du travail, ces pertes subies par les employés sont réelles, les gains potentiels pour l’employeur sont injustes et ces deux conséquences découlent de la violation d’une obligation fondamentale imposée par la législation, à savoir la reconnaissance de l’agent négociateur. Le refus d’envisager toute forme de réparation pécuniaire semble favoriser ces conséquences […]

101 On peut, bien entendu, faire valoir que les dommages-intérêts pour la perte d’une telle occasion sont trop hypothétiques pour être évalués, et que, s’ils étaient fixés de manière arbitraire, ils seraient de nature punitive – un résultat qui semblerait aller à l’encontre du premier principe examiné. Cependant, cet argument est incompatible avec le principe bien établi selon lequel une personne dont la conduite fautive empêche la détermination exacte des dommages ne devrait pas pouvoir se soustraire à son obligation de réparer ces dommages en raison d’une incertitude engendrée par sa conduite fautive. Voir Mayne et McGreger on Damages 12ème éd. 1961, au par. 174. Dans les litiges privés portés devant nos tribunaux, une partie n’est pas tenue de respecter une norme d’exactitude impossible à respecter dans l’évaluation des dommages. Les pertes commerciales dans le cadre de poursuites en matière commerciale et les indemnités accordées dans les affaires de dommages corporels à des personnes qui n’auraient peut-être jamais été employées en sont des exemples importants. Voir par exemple : Withers v. General Theatre Corporation, [1933] 2 K.B. 536; Roach v. Yates, [1938] 1 K.B. 256 (C.A.). Les affaires qui traitent explicitement de la perte injustifiée d’une occasion économique sont encore plus directement pertinentes.

[…]

 

[202] La CRTO a ensuite consacré plusieurs paragraphes à résumer des décisions par lesquelles une indemnisation a été accordée aux plaignants pour une perte d’occasion. À la suite de ce résumé, la CRTO a déclaré :

[Traduction]

[…]

111 Si les tribunaux n’ont pas hésité à tenter d’accorder une réparation pécuniaire efficace en cas de violation de droits privés, la Commission des relations du travail de l’Ontario devrait-elle être moins sensible lorsqu’elle est saisie de la violation intentionnelle d’une politique législative? La réponse doit certainement être négative, à moins que cette approche ne soit fondamentalement incompatible avec des principes plus importants, ce qui, à notre avis, n’est pas le cas.

112 L’octroi de dommages-intérêts à tous les employés de l’unité de négociation, du type que nous avons à l’esprit, ne reviendrait pas à dicter les conditions contractuelles. Il s’agit plutôt de reconnaître que le tort que la Commission cherche à réparer n’est pas le refus d’un droit à une convention collective particulière, mais bien le droit de négocier collectivement en vue de conclure une telle convention. Ainsi, ce sont les perspectives des employés d’obtenir des gains salariaux résultant de l’utilisation des capacités du syndicat à négocier qui ont été compromises par les actes fautifs de l’employeur et son refus de s’engager dans des négociations collectives. C’est donc cette « perte », l’espérance de négociation, qui doit être évaluée. N’ayant jamais tenté d’évaluer cette perte, nous ne pouvons ni ne voulons conclure que de telles pertes ne peuvent être établies à partir d’éléments pertinents et statistiquement significatifs dont disposent les parties. Le droit des dommages-intérêts a reconnu la valeur probante de l’expérience d’autres personnes employées dans des conditions semblables et, compte tenu de l’abondance de données sur les négociations collectives mises à la disposition des parties, il ne semblerait pas téméraire de penser que des arguments raisonnés peuvent être avancés sur cette question également. En effet, au moins une loi américaine prévoit expressément une telle approche. Voir California Labor Relations Act of 1975, incorporé comme Partie 3.5 (articles 1.40 à 1166.3) de la Division II du California Labor Code. Voir également Yates, The « Make Whole » Remedy for Employer Refusal to Bargain : Early Experience Under the California Agricultural Labor Relations Act (1978) 29 Lab. L.J. 666.

[…]

 

[203] La CRTO a ensuite cité quelques décisions américaines concernant les dommages-intérêts pour perte d’occasion, puis a conclu :

[Traduction]

[…]

115 Nous sommes conscients qu’une approche trop arbitraire de ce type de perte pécuniaire pourrait avoir pour effet d’imposer un fardeau excessif aux employeurs et, par conséquent, nous abordons cette nouvelle orientation avec prudence. Cependant, si nous ne faisons aucun effort pour tracer cette voie, les employés et les syndicats continueront de supporter systématiquement les pertes. La crainte d’une surindemnisation a, dans de nombreux contextes, a trop souvent conduit à une absence de compensation, avec des résultats inéquitables. Dans une très large mesure, les ordonnances de négociation ne font qu’ordonner à un employeur de faire ce qui était exigé à l’origine, sauf qu’en raison de son inconduite, l’employeur peut avoir affaibli la position de négociation du syndicat et, par conséquent, renforcé sa propre position. Si l’octroi d’une compensation aux employés pour les pertes économiques établies par des éléments de preuve raisonnables a pour effet accessoire de rendre ces inconduites moins attrayantes, il serait indûment restrictif d’écarter cette réparation plus efficace en raison de son effet dissuasif accessoire. Il est clair que le préambule de la Loi impose à la Commission qu’elle élabore une réparation compensatoire dans la mesure du possible. Voir Note, The Need For Creative Orders Under Section 10(c) of the NLRA (1963), 112 U.Pa.L.Rev.69.

[…]

 

[204] La CRTO a ordonné à l’employeur de payer toutes les pertes pécuniaires que le syndicat a pu établir comme découlant de la perte d’occasion de négocier une convention collective, en raison du comportement illégal de l’employeur. La CRTO n’a pas été appelée à se prononcer sur le montant des dommages, car les parties avaient réglé leur conflit de grève; voir U.S.W.A., Local 9011 v. Radio Shack, [1985] O.L.R.B. Rep. December 1789, au par. 5.

[205] Plus récemment, dans Elementary Teachers’ Federation of Ontario v. The Crown in Right of Ontario, 2022 CanLII 15874 (ON LRB), la CRTO a conclu que l’employeur avait violé son obligation de négocier de bonne foi, en disant à un syndicat qu’il devait retirer certains griefs pour obtenir un avantage dans la négociation collective, et que tous les autres syndicats avaient fait de même, alors qu’en réalité, un autre syndicat avait maintenu ses griefs et avait tout de même obtenu l’avantage. Dans Elementary Teachers’ Federation of Ontario v. The Crown in Right of Ontario, 2022 CanLII 51963 (ON LRB), la CRTO s’est penchée sur la question de la réparation. Elle a décidé de ne pas accorder de dommages-intérêts pour la perte d’occasion, pour deux raisons : la preuve n’avait pas révélé que, n’eût été la fausse déclaration, les griefs n’auraient finalement pas été retirés (au paragraphe 36), et le syndicat n’avait pas établi qu’il aurait négocié la question jusqu’à l’impasse ou que les parties auraient convenu de maintenir les griefs (au paragraphe 37).

[206] Cette notion de dommages-intérêts pour perte d’occasion est résumée dans l’ouvrage George W. Adams, Canadian Labour Law, 2e édition, au paragraphe 10.42, de la façon suivante (notes de bas de page omises) :

[Traduction]

Néanmoins, les commissions se sont montrées prudentes lorsqu’elles ont envisagé d’accorder une réparation aux syndicats pour « une perte d’occasion de négocier ». Il peut être difficile d’évaluer ce genre de perte, car elle peut comprendre une part importante d’hypothèses dans toute analyse. Ainsi, il faudra peut-être des circonstances exceptionnelles pour qu’une commission impose une clause particulière dans une convention collective, simplement parce que le syndicat affirme qu’il l’aurait revendiquée si l’employeur lui avait fourni les renseignements appropriés. Cela s’explique par le fait qu’il est difficile de recréer les conditions qui existaient à la table de négociation, afin d’évaluer ce qui se serait passé si la divulgation appropriée avait été faite. Néanmoins, un droit dépourvu de réparation n’est pas susceptible d’inspirer le respect requis au regard de la divulgation ou de la dissuasion. Les commissions sont donc conscientes de la nécessité d’un équilibre et peuvent, le cas échéant, accorder une réparation fondée sur une évaluation probabiliste.

 

[207] Cette jurisprudence établit que ma tâche consiste à déterminer ce qui se serait passé si les renseignements sur les pertes d’emploi avaient été divulgués en temps opportun. J’ai compétence pour ordonner le versement de dommages-intérêts fondés sur ce qui se serait passé si la divulgation avait été faite en temps opportun. Toutefois, je devrais faire preuve de prudence avant d’accorder de tels dommages-intérêts, en raison de la difficulté à reconstituer la négociation collective, et du caractère inopportun d’une ordonnance qui, dans les faits, créerait une nouvelle convention collective entre les parties.

[208] Pour rendre ma décision, je me concentrerai sur deux questions : qu’aurait proposé l’AFPC si elle avait été informée en temps opportun, et à quoi l’ARC aurait consenti?

2. Qu’aurait proposé l’AFPC si elle avait eu connaissance de la décision?

[209] La première question est de savoir ce que l’AFPC aurait proposé dans le cadre de la négociation collective si elle avait été informée des licenciements. J’ai été particulièrement frappé par le témoignage des deux membres de l’équipe de négociation de l’AFPC. Aucun d’entre eux n’a affirmé qu’il aurait insisté pour que la date d’admissibilité établie à la date de signature soit remplacée par la date de l’entente de principe ou qu’il l’aurait proposé.

[210] M. Gay a témoigné qu’il aurait fallu que l’équipe de négociation de l’AFPC discute de la question. Il a dit qu’elle aurait pu s’adresser à l’ARC pour proposer quelque chose, mais il n’a jamais affirmé qu’elle l’aurait fait. Il a dit que la date de l’entente de principe était une option, mais il a également dit qu’il aurait pu continuer à revendiquer la date de la ratification (qui était la proposition de l’AFPC jusqu’à la toute fin). Je souligne que le choix de la date de ratification n’aurait aidé que six employés qui avaient quitté l’employeur entre la date de ratification et la date de signature, dont trois avaient démissionné, et trois ont vu leur contrat expirer naturellement au cours de cette période.

[211] Le témoignage de M. Jackson était encore plus vague. Il a déclaré que l’AFPC aurait fait quelque chose, mais qu’il était injuste pour lui de formuler des hypothèses sur la nature de cette action. Il a mentionné que l’AFPC aurait pu accélérer son processus de ratification en s’appuyant sur un plus grand nombre de réunions virtuelles, mais, même au moment de l’audience, il ne savait pas si cela aurait été possible.

[212] M. Gay a témoigné que, pendant la période cruciale des trois jours de négociations qui ont mis fin à la grève, l’équipe de négociation était fatiguée, frustrée et en colère. C’est tout à fait compréhensible. Cependant, cela rend moins probable que l’AFPC aurait proposé que la date d’admissibilité soit la date de l’entente de principe. Les deux témoins ont eu près de deux ans pour réfléchir à ce qu’ils auraient fait différemment, et n’ont pas pu affirmer qu’ils auraient présenté cette proposition. Il est peu probable qu’ils l’auraient formulée au cours d’une période de négociation de trois jours, alors qu’ils étaient fatigués, frustrés et en colère.

[213] J’ai également été frappé par les discussions qui ont suivi la divulgation. Le président du SEI a demandé à l’ARC de reporter les suppressions d’emplois et d’accélérer le processus de signature de la convention collective, et non de modifier la date d’admissibilité au paiement forfaitaire. Il s’agit de la proposition faite dans le feu de l’action, ce qui donne une indication de ce que l’équipe de négociation aurait pu proposer. Cela concorde également avec le témoignage de M. Jackson et de M. Gay quant à l’intérêt principal de l’AFPC à l’égard de ses employés nommés pour une période déterminée dans les centres d’appels. Ils ont témoigné que la précarité des emplois à durée déterminée était leur principale préoccupation, et que l’objectif principal de l’AFPC était de transformer davantage de contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée. L’entente que l’AFPC aurait conclue (pour modifier la date d’admissibilité) et pour laquelle elle me demande de tirer une conclusion ne résout pas la question plus générale de la précarité de l’emploi à durée déterminée. Il est donc peu probable que l’AFPC aurait formulé cette proposition.

3. Quels sont les éléments sur lesquels les parties se seraient-elles mises d’accord?

[214] La deuxième question est la suivante : si l’AFPC avait proposé de remplacer la date d’admissibilité par la date de l’entente de principe, l’ARC y aurait-elle consenti?

[215] Le seul élément de preuve dont je dispose qui pourrait indiquer une réponse affirmative est que l’ARC a évalué le coût de l’entente de principe en fonction de la main-d’œuvre en poste à la date de cette entente. Le coût s’est avéré inférieur en raison de ces pertes d’emploi. Cependant, cela donne à penser que l’ARC n’aurait pas hésité à accepter les coûts plus élevés liés à la date de l’entente de principe comme date d’admissibilité.

[216] Cependant, l’AFPC a insisté pour que la date de ratification soit la date d’admissibilité jusqu’à ce que l’entente finale soit conclue, et l’ARC a toujours refusé. L’ARC suivait le modèle établi par l’AFPC et le Conseil du Trésor quelques jours plus tôt, ainsi que celui établi par l’AFPC et l’ARC lors des deux cycles de négociation précédents, en 2016 et en 2021. Selon ce modèle, l’admissibilité devait prendre effet à la date de la signature.

[217] M. Bellavance n’a jamais été demandé directement si l’ARC aurait accepté que la date de signature soit la date d’admissibilité. Toutefois, il a témoigné que la date d’admissibilité était toujours la date de signature, car c’est à ce moment-là que les autres modifications de la convention collective entrent en vigueur. M. Gay a témoigné que M. Bellavance tenait fermement à ce que la date de signature reste la date d’admissibilité, et que l’ARC restait inflexible sur cette question.

[218] M. Gay et M. Jackson n’ont pas non plus été interrogés sur la possibilité de pousser cette question jusqu’à une impasse. Ils ont tous deux témoigné que le recours à la grève a posé un défi, notamment parce qu’elle avait duré plus longtemps à l’ARC qu’au Conseil du Trésor.

[219] À la lumière des témoignages, en particulier celui du négociateur et du membre de l’équipe de négociation de l’AFPC, j’ai conclu qu’il est peu probable que l’AFPC aurait proposé de remplacer la date d’admissibilité par la date de signature. Même si elle l’avait fait, il y avait peu de chances que l’ARC ait accepté. Enfin, je ne suis pas convaincu que l’AFPC aurait poussé la question jusqu’à l’impasse. Je ne suis pas convaincu qu’elle aurait été prête à prolonger la grève pour la date d’admissibilité au paiement forfaitaire.

[220] Essentiellement, je suis parvenu au même résultat que la CRTO dans Elementary Teachers’ Federation of Ontario, 2022 CanLII 51963 et Canadian Pacific Forest Products Limited. La probabilité que l’AFPC aurait négocié une date d’admissibilité différente est trop faible pour justifier l’octroi de dommages-intérêts dans le cadre de la présente plainte.

4. Questions relatives à la réparation non examinées

[221] Pour tirer cette conclusion, je n’ai pas pris en compte certaines conséquences découlant de l’hypothèse selon laquelle les parties auraient conclu une convention collective différente. Ces conséquences soulèvent plusieurs questions. Par exemple, la somme de 2500 $ serait-elle payable aux employés extérieurs au centre d’appels qui avaient quitté leur emploi entre le 4 mai et le 27 juin 2023? La Commission devrait-elle ou peut-elle récupérer les 2500 $ versés aux employés qui sont devenus admissibles après le 4 mai? Les deux parties ont présenté des observations réfléchies sur ces questions et sur d’autres questions soulevées par la réparation proposée par l’AFPC. Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire que je réponde à ces questions.

[222] L’AFPC n’a pas demandé de dommages-intérêts symboliques dans le présent cas, même à titre subsidiaire. J’ai décidé de respecter leur choix et de ne pas envisager de dommages-intérêts symboliques.

[223] De même, l’AFPC n’a pas demandé que cette décision soit affichée dans les lieux de travail (comme c’était le cas dans AFPC c. SCRS), je n’ai donc pas envisagé d’accorder une telle ordonnance.

[224] Pour ces motifs, la réparation dans la présente affaire prend la forme d’une déclaration.

[225] Je tiens à remercier les représentants des parties pour leurs observations judicieuses, tant par écrit qu’oralement au cours de l’audience. Les parties ont admis tous les documents dans la présente affaire sur consentement, ce qui a permis de gagner du temps. Les représentants se sont montrés extrêmement assidus, tant lors de l’interrogatoire des témoins que dans leurs plaidoiries. Ils ont contribué à faire de l’audience une expérience positive.

[226] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[227] La plainte est accueillie.

[228] Je déclare que l’Agence du revenu du Canada a violé l’article 106 de la Loi.

Le 19 juin 2025.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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