Date: 20250425
Dossiers: 569-02-44236 et 566-02-44599 à 44601,
47483 et 49933
Référence: 2025 CRTESPF 43
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral |
|
de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral |
entre
Alliance de la Fonction publique du Canada,
Charito Humphreys et Christopher Gardiner
fonctionnaires s’estimant lésés
et
Conseil du Trésor
(ministère de l’Emploi et du Développement social)
Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c.
Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)
Affaires concernant un grief de principe et des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
Devant : Joanne Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Andrew Astritis et Kundera Provost‑Yombo
Pour le défendeur : Andrea Baldy
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 décembre 2023, le 26 janvier et le 8 février 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Grief de principe et griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
[1] L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance » ou l’« agent négociateur ») a déposé un grief concernant l’application de l’appendice K de ses conventions collectives pour le groupe Services des programmes et de l’administration avec le Conseil du Trésor (l’« employeur ») qui ont expiré le 20 juin 2018 (la « convention collective de 2018 ») et le 20 juin 2021 (la « convention collective de 2021 »). Comme les textes des deux conventions sont semblables, la « convention collective » est utilisée au singulier dans certaines parties de la présente décision, sauf lorsque les différences entre les deux conventions sont soulignées.
[2] L’Alliance allègue que l’employeur limite à tort le congé payé pour activités syndicales (« congé payé pour activités syndicales ») à un total cumulatif de 3 mois ou 487,50 heures par année financière, contrairement aux dispositions de la convention collective.
[3] L’Alliance a également renvoyé les griefs individuels déposés au nom de Charito Humphreys et Christopher Gardiner, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») aux fins d’arbitrage. Les fonctionnaires sont employés par l’employeur et travaillent pour le ministère de l’Emploi et du Développement social (« EDSC »). Au moment où ils ont déposé leurs griefs, M. Humphreys était le vice-président national suppléant du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (« SEIC »), un élément de l’Alliance, et M. Gardiner était le vice-président national du SEIC pour le Manitoba et la Saskatchewan.
[4] Au moment pertinent, leurs conditions d’emploi étaient partiellement régies par la convention collective. Lorsqu’ils ont présenté des demandes de congé payé pour activités syndicales qui cumulaient plus de 487,50 heures au cours d’un exercice financier, EDSC les a rejetées. Ils ont alors pris des congés non payés approuvés.
[5] L’employeur nie que ses mesures contreviennent à la convention collective et affirme qu’il accorde des congés payés récupérables pour activités syndicales pour de multiples périodes, jusqu’à concurrence de 3 mois ou 487,50 heures par exercice financier, tel qu’il est prévu dans la convention collective.
[6] L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) permet à la Commission de « […] trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience ». J’ai estimé que les renseignements dont je dispose traitent suffisamment des questions en litige et j’ai tranché le présent cas en me fondant sur les arguments écrits des parties.
[7] Pour les raisons qui suivent, tous les griefs sont accueillis.
II. Dispositions de la convention collective
[8] L’article 14 de la convention collective de 2018 traite des congés payés ou non payés pour activités syndicales. Voici le libellé de la clause 14.14 négociée par les parties :
|
|
[9] Les clauses 14.02, 14.09, 14.10, 14.12 et 14.13 traitent des congés pour activités syndicales, liés aux demandes d’accréditation et aux représentations et interventions relatives à ces demandes, aux réunions de négociations contractuelles, aux réunions préparatoires aux négociations contractuelles, aux réunions du conseil d’administration, aux réunions du conseil exécutif et congrès, ainsi qu’aux cours de formation pour les représentants.
[10] La convention collective de 2021 a mis à jour la clause 14.14 (qui est devenue 14.15) de la convention collective de 2018 sans y apporter de modifications substantielles. La clause mise à jour se lit comme suit :
|
|
[11] L’appendice K de la convention collective de 2018, intitulé « Protocole d’entente concernant le congé pour activités syndicales », stipule ce qui suit :
Appendice K
Protocole d’entente concernant le congé pour activités syndicales
Ce protocole vise à rendre exécutoire une entente conclue entre l’employeur et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le syndicat) prévoyant la mise sur pied d’un mécanisme de recouvrement des coûts associés au congé pour activités syndicales.
Le nouveau mécanisme prévoit ce qui suit :
· le congé payé récupérable pour activités syndicales est accordé pour des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois mois consécutifs par année;
· le recouvrement des coûts est calculé en fonction du salaire de l’employé durant le congé, somme à laquelle s’ajoute un pourcentage convenu par les deux parties;
· l’employeur assume les frais administratifs associés à la gestion de ce mécanisme.
Les frais supplémentaires sont calculés selon la moyenne des coûts que l’employeur prévoit engager pour les cotisations sociales, les cotisations de retraite et les avantages supplémentaires offerts pendant la durée du programme susmentionné. Les coûts sont calculés selon les pratiques généralement reconnues.
Nonobstant toute autre disposition de cette entente et à titre de principe directeur, ces coûts excluent les avantages qui seraient autrement payés par l’employeur durant un congé non payé équivalent. La rémunération versée en vertu du paragraphe 14.14 ne doit entraîner ni coût supplémentaire ni gain financier important pour l’employeur.
Un comité mixte regroupant un nombre égal de représentants du syndicat et de l’employeur sera mis sur pied afin de régler les questions de mise en œuvre de ce nouveau programme, y compris mais sans s’y limiter, les factures, la comptabilité et le mode de transaction.
Le comité mixte aura pour principales tâches :
· de déterminer les frais supplémentaires appropriés selon les conditions précisées dans cette entente;
· d’établir les marches à suivre et les exigences de l’employeur en matière de déclaration; et
· de définir toute autre condition associée à la mise en œuvre du programme.
Si les deux parties ne peuvent s’entendre sur le recouvrement des frais à même les cotisations syndicales, le comité mixte envisagera d’autres méthodes.
Le comité mixte sera mis sur pied et se réunira d’ici le 15 février 2017. Il terminera ses travaux au plus tard le 16 octobre 2017 et la mise en œuvre se fera le plus rapidement possible, à une date fixée par le comité.
Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, elles pourront recourir à la médiation. Toute modification conséquente sera apportée à l’article 14 et entrera en vigueur le 1er janvier 2018.
L’échéancier prévu pour les travaux et la mise en œuvre de ce mécanisme peut être prolongé par accord mutuel entre les deux parties.
[12] L’appendice K est repris dans la convention collective de 2021. La référence à la clause 14.14 devient la clause 14.15.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’Alliance et les fonctionnaires
[13] Le grief de principe de l’Alliance se lit comme suit :
[Traduction]
Le présent grief de principe est présenté par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) en vertu de l’article 220 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.
L’AFPC dépose un grief contre la décision de l’employeur de limiter les congés non payés pour les activités de l’Alliance, car elle contrevient à l’article 14, à l’appendice K et à tous les autres articles pertinents de la convention collective, ainsi qu’à la législation et aux politiques connexes.
[14] Les griefs individuels allèguent que l’employeur a contrevenu à l’article 14 et à l’appendice K de la convention collective en limitant leur congé payé pour activités syndicales à 3 mois ou 487,50 heures.
1. L’objet de l’appendice K
[15] L’Alliance fait valoir que l’appendice K a remplacé un mécanisme antérieur qui accordait aux employés un congé non payé pour activités syndicales en leur accordant un congé syndical payé pour certaines activités.
[16] Le congé non payé interrompait la rémunération régulière des employés, pouvait donner lieu à des trop-perçus et entraînait des taux de cotisation différents pour les régimes de retraite et d’assurance collective de la fonction publique fédérale lorsqu’une période de congé individuelle dépassait trois mois. Il posait également des problèmes dans le système de paye Phénix, qui rayait automatiquement les employés de l’effectif lorsque leur congé non payé dépassait cinq jours.
[17] La position de l’Alliance est qu’avec la mise en œuvre de l’appendice K, le congé payé pour activités syndicales n’entraîne plus de changement dans les taux de cotisation, n’interrompt plus la rémunération d’un employé et ne fait plus en sorte que le système de paye Phénix raye un employé de l’effectif. L’employeur est désormais responsable de l’octroi du congé payé pour activités syndicales pour des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois mois de congé continu. L’agent négociateur est chargé de rembourser l’employeur pour ces frais. Il s’agit d’un exercice sans incidence sur les frais pour l’employeur.
2. Le libellé de l’appendice K
a. Congé pour des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois mois
[18] Les mots contenus dans une convention collective devraient se faire attribuer leur sens ordinaire ou normal. Le libellé de l’appendice K prévoit « […] le congé payé récupérable pour activités syndicales pour des périodes pouvant totaliser trois mois consécutifs par année […] ».
[19] L’utilisation du pluriel « périodes » confirme l’intention des parties de permettre à un employé de bénéficier d’un congé payé pour activités syndicales pour des périodes multiples pouvant totaliser jusqu’à trois mois par année, à condition que chaque période ne dépasse pas trois mois ininterrompus et consécutifs. Le libellé de la convention collective reflète cette intention.
b. Congé pour des périodes consécutives
[20] Les parties ont choisi le terme « continuous » [consécutif] plutôt que « cumulative » [cumulatif] pour définir le congé. Cambridge Dictionary, Merriam-Webster Dictionary et Oxford Dictionary définissent uniformément le terme « continuous » [consécutif] comme « uninterrupted » [ininterrompu].
[21] Les termes « continuous » [consécutif] et « cumulative » [cumulatif] apparaissent ailleurs dans la convention collective, une signification distincte étant attribuée à chacun d’eux.
[22] À titre d’exemple, l’Alliance a invoqué la clause 28.05 des conventions collectives de 2018 et de 2021, qui porte sur la rémunération des heures supplémentaires. Sous le titre « Disposition additionnelle (WP) », les deux conventions collectives stipulent ce qui suit : « […] il ou elle doit être rémunéré au tarif double (2) pour toutes les heures de travail continues effectuées en sus de vingt-quatre (24) heures. » Il s’agit d’un travail ininterrompu au cours de la période indiquée.
[23] L’Alliance a fait remarquer que l’appendice A-2 de la convention collective traite de la situation des employé-e-s nommés pour une période déterminée qui reçoivent une augmentation d’échelon de rémunération après avoir accumulé 52 semaines de service cumulatif. L’appendice A-2 stipule que « […] « service cumulatif » s’entend de tout service, continu ou non […] ». L’Alliance soutient que cela démontre qu’aux fins limitées de l’Appendice A-2, les parties ont fourni une définition du terme « cumulatif » qui comprend à la fois le service continu et le service non continu.
[24] Par conséquent, si les parties avaient voulu que les périodes de congé payé pour activités syndicales soient calculées de façon cumulative au cours d’un exercice financier, elles auraient choisi d’utiliser le mot « cumulatif » à l’appendice K. Cependant, elles ont utilisé le mot « consécutifs », et la Commission doit conclure que les parties voulaient utiliser le mot qu’elles ont choisi. Si elles avaient voulu que les employés n’aient droit qu’à un total de trois mois de congé payé pour activités syndicales, elles auraient pu l’exprimer comme un congé disponible pour des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois mois cumulatifs par année, pour trois mois par année, ou pour des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois mois par année. Au lieu de cela, le libellé fait référence à des périodes de congé d’une durée maximale de trois mois et confirme que l’intention n’était pas la même.
[25] L’Alliance a souligné que la version française de la convention collective fait référence à ce qui suit : « […] le congé payé récupérable pour activités syndicales est accordé pour des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois (3) mois consécutifs par année […] ».
[26] L’Alliance a soutenu que « consécutif » doit être traduit par « consecutive ». Selon Cambridge English Dictionary, Merriam-Webster Dictionary, et Oxford Dictionary, « consecutive » [consécutif] signifie qui vient l’un après l’autre, sans interruption, tout comme « continuous » [continu].
[27] Selon l’Alliance, la décision de l’employeur de limiter le congé payé pour activités syndicales à un total cumulatif de trois mois par année est une interprétation erronée du mot « continu » qui signifie « cumulatif », et elle est incompatible avec le sens clair de la convention collective et l’intention des parties.
[28] Le choix d’une limite de trois mois pour les périodes de congé payé continu pour activités syndicales tient compte des répercussions de la Loi sur la pension de la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-36; LPFP), du Régime de soins de santé de la fonction publique, du Régime de soins dentaires de la fonction publique et du Régime d’assurance-invalidité, qui prévoient des taux de cotisation différents pour les employés et l’employeur lorsqu’une période individuelle de congé se prolonge au-delà d’une période de trois mois consécutifs. Par exemple, en vertu de l’article 5.3(1) de la LPFP, lorsque le congé non payé d’un employé dépasse trois mois consécutifs, l’employé devient alors le seul responsable des cotisations de retraite de l’employé et de l’employeur s’il choisit de continuer à cotiser.
[29] L’Alliance conclut ses arguments en déclarant que les parties voulaient que l’appendice K facilite les congés pour activités syndicales, évite les interruptions de salaire et atténue les problèmes de rémunération causés par le système de paye Phénix. Elles voulaient éviter d’autres problèmes administratifs liés à la législation sur les pensions et aux régimes d’avantages sociaux. Cela correspond à l’intention des clauses 14.14 et 14.15 des conventions collectives de 2018 et de 2021, respectivement, d’accorder un congé payé pour activités syndicales, sous réserve que l’Alliance rembourse à l’employeur les coûts salariaux et les avantages sociaux.
[30] La décision de l’employeur d’imposer une limite au congé payé pour activités syndicales à compter du 1er janvier 2018 n’était pas conforme à l’appendice K et à l’intention des parties.
B. Pour l’employeur
1. L’objet de l’appendice K
[31] L’employeur a convenu avec l’Alliance que les parties voulaient que la clause 14.14 (désormais 14.15) et l’appendice K permettent de régler les problèmes liés au système de rémunération et d’assurer la stabilité des employés du gouvernement fédéral qui participent à des activités syndicales pendant de courtes périodes. L’appendice K définit les paramètres des dispositions convenues en matière de recouvrement des coûts liés au congé pour activités syndicales.
[32] L’employeur a fait remarquer que les fonctionnaires sont des employés à temps plein qui travaillent 37,5 heures par semaine. Conformément à l’appendice K et à la convention collective, lue dans son ensemble, l’employeur accorde maintenant des congés récupérables pour de multiples périodes de congé payé pour activités syndicales ne pouvant dépasser un total de 3 mois ou 487,50 heures par exercice financier.
[33] Avant l’adoption de l’appendice K, un employé demandait un congé non payé pour activités syndicales et l’employeur l’approuvait comme tel. L’agent négociateur remboursait directement le fonctionnaire pour la période de congé non payé.
[34] Selon le moment de la demande de congé de l’employé et la durée de la période de congé, un trop-perçu aurait pu être généré, ou l’employé aurait pu être temporairement radié en raison des exigences de la Loi sur l’assurance-emploi (L.C. 1996, ch. 23).
2. Le libellé de l’appendice K
[35] À première vue et dans leur contexte, les dispositions de l’appendice K reflètent l’intention des parties de plafonner le nombre annuel d’heures de congé payé pour activités syndicales. Un employé a droit à un congé payé pour activités syndicales pour des périodes multiples ne dépassant pas 3 mois ou 487,50 heures par exercice financier. L’appendice K définit les paramètres de l’entente convenus en matière de recouvrement des coûts.
[36] L’employeur a fait valoir que les arguments de l’Alliance ne tiennent pas compte du libellé de l’appendice K, qui prévoit « […] des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois mois consécutifs par année […] ». L’expression « jusqu’à » indique une valeur maximale, égale ou inférieure à la valeur déclarée de trois mois. La phrase « […] jusqu’à trois mois consécutifs par année […] » indique que la valeur maximale est limitée à la période spécifiée d’une année.
[37] L’employeur a déclaré que l’utilisation de « consécutif » devrait être considéré dans le contexte de son utilisation dans d’autres parties de la convention collective. Il faut donner à l’expression « congé continu » le sens que lui donne la Directive sur les conditions d’emploi (la « Directive »). Elle définit « emploi continu » comme suit : « […] une ou plusieurs périodes de service dans la fonction publique, tel qu’il est défini dans la Loi sur la pension de la fonction publique, dont les seules interruptions permises sont celles prévues par les conditions d’emploi de la personne visée. »
[38] Par conséquent, les « périodes », telles qu’elles sont utilisées dans l’appendice K, peuvent être prises à un ou plusieurs moments.
[39] Ignorer « par année » conduirait à des résultats aberrants. Par exemple, si un employé prenait un nombre illimité de périodes de congé payé pour activités syndicales, l’employeur pourrait avoir la lourde responsabilité de pourvoir à son poste pendant ses absences.
[40] En ce qui concerne le texte français de la convention collective, l’employeur note l’expression « pouvant totaliser » pour appuyer son interprétation selon laquelle le total des périodes de congé payé pour activités syndicales ne peut excéder 3 mois par année. Dans les versions anglaise et française, l’utilisation de « continuous » ou « consécutifs » clarifie la durée maximale pendant laquelle un employé du gouvernement fédéral peut prendre un congé payé pour activités syndicales, soit 3 mois de congé consécutifs ou 487,50 heures par année.
3. Rectification
[41] Subsidiairement, le pouvoir de la Commission s’étend au recours équitable de la rectification pour corriger une erreur dans la rédaction de l’appendice K. L’utilisation du terme « consécutifs » était incorrecte et ne reflète pas l’intention des parties. Les conventions collectives conclues avec tous les autres agents négociateurs n’ont jamais contenu ce libellé ou ont remplacé « consécutifs » par « cumulatifs », afin de refléter l’intention des parties lorsqu’elles ont introduit le mécanisme de recouvrement des coûts.
[42] Si l’emploi continu comprend les pauses autorisées, alors le terme « consécutifs », tel qu’il apparaît à l’appendice K, pourrait être interprété comme incluant des périodes multiples. Si cela n’est pas clairement énoncé, la Commission a le pouvoir de corriger l’erreur afin de traduire la véritable intention des parties, qui était de remédier aux problèmes de rémunération des employés qui s’absentaient du lieu de travail pendant de courtes périodes de congé pour activités syndicales.
[43] Au cours des rondes de négociation qui ont suivi, le libellé de toutes les conventions collectives qui n’appartiennent pas à l’Alliance a été corrigé. L’Alliance est le seul agent négociateur qui n’accepte pas la correction.
[44] En outre, la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)) limite le nombre de congés non payés ouvrant droit à pension pour les régimes de pension agréés tels que le Régime de pension de retraite de la fonction publique. Lorsque le congé non payé, autre que le congé de maladie non payé, atteint un maximum de cinq ans, il ne peut continuer à être crédité comme service ouvrant droit à pension.
[45] Enfin, le fait de ne pas limiter le congé payé pour activités syndicales à trois mois par année permettrait aux employés en congé payé pour activités syndicales de bénéficier de congés de maladie et de congés annuels auxquels n’ont généralement pas droit les employés en congé non payé. Ces congés seraient à la charge de l’employeur et seraient incompatibles avec l’intention de neutralité des coûts visée à la clause 14.14 (14.15) et à l’appendice K.
IV. Analyse
[46] Cette affaire concerne un grief de principe déposé par l’Alliance, ainsi que des griefs individuels. L’article 220(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») confère à l’Alliance le droit de déposer un grief de principe auprès de la Commission. Il prévoit ce qui suit :
|
|
[47] L’article 209(1)a) de la Loi permet à la Commission d’entendre un grief individuel portant sur l’interprétation d’une disposition de la convention collective, à condition que, comme le prévoit l’article 209(2), l’agent négociateur accepte de représenter le fonctionnaire s’estimant lésé dans la procédure d’arbitrage, comme l’Alliance l’a fait dans la présente affaire pour les fonctionnaires.
[48] Toutes les parties s’appuient sur les mêmes principes bien établis d’interprétation des conventions collectives pour soutenir leurs positions respectives. Dans Cruceru c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2021 CRTESPF 30, au par. 84, la Commission les a résumés comme suit :
[84] Comme le soulignent des sources faisant autorité telles que Brown et Beatty, au paragraphe 4:2100, et comme le reconnaît la jurisprudence de la Commission, des canons d’interprétation tels que les suivants guident cette analyse : 1) les parties sont réputées vouloir dire ce qu’elles ont dit; 2) le sens d’une disposition de la convention collective doit être cherché dans ses dispositions expresses; 3) libellé de la convention collective doit être interprété selon son sens grammatical et ordinaire; 4) le libellé doit être interprété dans son contexte intégral, en conformité avec l’économie de la convention collective; 5) lorsque les mêmes mots réapparaissent, il faut leur donner la même interprétation.
[49] Le fond du litige réside dans l’appendice K. Chaque partie soutient que ses dispositions sont clairement énoncées. La question est de savoir si l’appendice K permet à l’employeur de plafonner le congé payé pour activités syndicales lorsque le total cumulatif pour un fonctionnaire dépasse 3 mois ou 487,50 heures au cours d’un exercice financier, ou si des périodes de congé payé d’une durée pouvant totaliser jusqu’à 3 mois peuvent être prises tout au long d’un exercice financier.
[50] Pour les raisons qui suivent, j’ai déterminé que l’employeur a agi en violation des dispositions de l’appendice K. Le sens ordinaire des mots utilisés dans la convention collective ne justifie pas la décision de l’employeur de plafonner le congé payé pour activités syndicales lorsque l’équivalent de 3 mois ou de 487,5 heures s’accumule pour un employé au cours d’un exercice financier.
1. L’objet de l’appendice K
[51] L’appendice K est intitulé « Protocole d’entente concernant le congé pour activités syndicales ». Le titre n’indique aucunement que le congé pour activités syndicales est restreint. Au contraire, comme l’indique la première phrase de l’appendice K, il vise « […] à rendre exécutoire une entente conclue entre l’employeur et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le syndicat) prévoyant la mise sur pied d’un mécanisme de recouvrement des coûts associés au congé pour activités syndicales ». Il traite du mécanisme de recouvrement des coûts.
[52] L’appendice K fait ensuite référence à « […] des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois (3) mois consécutifs par année ». Comme il est indiqué ci-dessous, je ne considère pas qu’il s’agit de l’imposition d’un plafond de 3 mois pour le congé pour activités syndicales. J’admets plutôt que les parties voulaient que l’appendice K crée un moyen neutre en termes de coûts pour remédier aux difficultés rencontrées lorsque les employés prenaient un congé non payé pour activités syndicales. L’octroi d’un congé non payé a posé des problèmes tels que les contributions aux régimes de retraite et d’avantages sociaux, la radiation des employés de l’effectif et d’éventuels trop-perçus. L’appendice K visait à surmonter ces difficultés.
2. Le libellé de l’appendice K
[53] L’appendice K prévoit ce qui suit : « […] le congé payé récupérable pour activités syndicales est accordé pour des périodes pouvant totaliser trois mois consécutifs par année […] »
[54] Je pars du principe que les parties sont réputées vouloir dire ce qu’elles ont dit.
[55] Pour évaluer le sens de l’appendice K et déterminer s’il impose un plafond au congé payé pour activités syndicales, j’ai déterminé ce qui suit. L’utilisation du pluriel « périodes » indique clairement que le congé payé pour activités syndicales est disponible pour plus d’une période. Cela dit, les périodes individuelles peuvent durer « jusqu’à trois mois ».
[56] Comme nous l’avons vu plus haut, les motifs du congé pour activités syndicales sont nombreux et variés, et certains d’entre eux sont énoncés aux clauses 14.02, 14.09, 14.10, 14.12 et 14.13 de la convention collective. Aucun d’entre eux ne suggère un plafond de 3 mois pour un congé pour activités syndicales. Comme l’Alliance l’indique dans ses arguments, le fait de définir la durée des périodes de congé pour activités syndicales comme étant de 3 mois a permis de régler les questions relatives à l’admissibilité aux prestations qui ont été soulevées dans le cadre du système de rémunération Phénix, de la législation ou autrement, dans des cas antérieurs. Cependant, comme l’appendice K le mentionne, je ne suis pas persuadée que l’intention était de limiter la durée du congé payé pour activités syndicales à 3 mois par année.
[57] La durée de chaque période de congé pour activités syndicales est mesurée pour la période « consécutive » ou ininterrompue entre le début et la fin de la période de congé. Dans le contexte, cela correspond à l’utilisation du terme « consécutif » ailleurs dans la convention collective, par exemple à la clause 28.05 (mentionnée plus haut dans la présente décision). Notamment, l’appendice A-2 définit le terme « cumulatif » comme incluant le service continu et non continu. Cela suggère fortement une définition qui était nécessaire pour donner un sens à l’appendice A-2, mais qui n’a pas d’application générale à l’ensemble de la convention collective. La définition d’« emploi continu » de la Directive n’aide pas à discerner le sens du mot « consécutifs » dans le contexte dans lequel il est utilisé à l’appendice K.
[58] À première vue, rien n’indique que le congé payé pour activités syndicales discontinu doit être accumulé jusqu’à ce qu’il soit égal à 3 mois ou à 487,50 heures. Comme il a été indiqué, dans les dispositions non liées de l’appendice A-2, les parties ont choisi d’utiliser le mot « cumulatif » et ont fourni une définition qui s’étend à la fois au service continu et au service non continu. Si les parties avaient voulu donner un sens particulier au mot « consécutifs » dans l’appendice K, il leur appartenait de le faire.
[59] L’expression « par année » ne modifie pas le sens ordinaire des termes « périodes » ou « consécutifs » pour créer un droit cumulatif maximal par année. En décider autrement m’obligerait à ne pas tenir compte de l’utilisation du pluriel « périodes » et de la description de ces périodes comme étant des mois « consécutifs ».
[60] Les parties se sont référées au texte français de la convention collective. Encore une fois, il fait référence au pluriel en prévoyant « […] des périodes pouvant totaliser jusqu’à trois (3) mois consécutifs par année […] ». La formulation envisage plus d’une période de congé payé pour activités syndicales et indique clairement qu’aucune période individuelle ne peut dépasser trois mois.
[61] L’employeur a également fait référence à la décision de la Commission dans Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, au par. 27, à l’appui de son point de vue selon lequel « […] un avantage qui comporte un coût financier pour l’employeur doit avoir été clairement et expressément stipulé dans la convention collective […] ». Étant donné que l’appendice K prévoit le recouvrement des coûts, je ne trouve aucune preuve d’un coût monétaire non assumé par l’employeur.
[62] En ce qui concerne le congé, les employés continuent de le cumuler pendant le congé payé pour activités syndicales. La convention collective ne prévoit que le remboursement du salaire et n’aborde pas la question des congés. Toutefois, le fait de ne pas l’aborder expressément ne justifie pas l’intervention de la Commission. Les parties à la convention collective sont bien informées et expérimentées. Elles ont vraisemblablement pris en compte les conséquences de l’accumulation des congés lors de la négociation de l’appendice K. C’était prévisible, et considérer le contraire serait purement spéculatif.
[63] En conclusion, si les parties voulaient que le congé payé pour activités syndicales soit plafonné à 3 mois par année, elles étaient tenues de l’énoncer clairement. Elles ne l’ont pas fait. La convention collective est claire en ce qu’elle permet des périodes multiples d’au plus 3 mois de congé payé pour activités syndicales au cours d’une année.
[64] Il s’ensuit que le rejet des congés payés pour activités syndicales des fonctionnaires dépassant 487,50 heures par année, qui semble remonter à 2018, contrevient aux dispositions de l’appendice K de la convention collective.
3. Rectification
[65] L’employeur a fait valoir que le fait d’autoriser plusieurs périodes de 3 mois de congé payé pour activités syndicales au cours d’un exercice financier aboutirait à un résultat aberrant et a suggéré que la Commission rectifie le libellé de la convention collective.
[66] La rectification est une réparation équitable. Elle est décrite comme suit dans la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Fairmont Hotels Inc, 2016 CSC 56, au par. 12 :
[12] Si, par erreur, un instrument juridique ne correspond pas à la véritable entente qu’il était censé consigner – parce qu’une modalité a été omise, qu’une modalité non voulue a été incluse ou qu’une modalité exprime incorrectement l’entente des parties – le tribunal peut exercer sa compétence en équité pour rectifier l’instrument de façon à ce qu’il corresponde à la véritable entente entre les parties. Autrement dit, la rectification permet au tribunal d’assurer la correspondance entre l’entente des parties et le contenu d’un instrument juridique visant à consigner cette entente lorsqu’il y a une divergence entre les deux. Elle a pour but de donner effet aux véritables intentions des parties, plutôt qu’à une transcription erronée de ces véritables intentions (Swan et Adamski, §8 229).
[67] La Commission est un tribunal établi par une loi. Sa compétence est définie par la loi; elle n’a pas de compétence inhérente. Les réparations équitables, telles que la rectification, ne sont pas généralement mises à sa disposition.
[68] Même si la Commission pouvait envisager de rectifier le libellé de la convention collective, des preuves seraient nécessaires pour démontrer que les dispositions contestées de l’appendice K sont incompatibles avec l’entente verbale des parties, qu’elles s’écartent de leur véritable intention et qu’il n’est pas nécessaire que la Commission spécule sur leurs intentions. (Voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. NAV Canada, 2002 CanLII 44896 (ON CA), au par. 44, citant Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd. c. Performance Industries Ltd. 2002 CSC 19).
[69] Ces conditions ne sont pas satisfaites dans le présent cas. Il n’y a aucune preuve que les parties sont parvenues à un accord explicite ou implicite différent de celui reflété dans l’appendice K. Il n’a pas été démontré que les dispositions divergent de l’intention réelle des parties. En outre, rectifier l’appendice K comme il est suggéré reviendrait à faire des conjectures et des spéculations et à remplacer des termes clairement formulés en l’absence de preuve d’une erreur dans la convention collective. Par conséquent, le fondement de la rectification n’est pas établi.
[70] En outre, l’article 229 de la Loi stipule ce qui suit :
|
|
[71] Le changement demandé par l’employeur entraînerait une décision qui nécessite une modification du libellé de la convention collective. Elle imposerait l’obligation d’accumuler des congés payés pour activités syndicales jusqu’à concurrence de 3 mois par année. Cela s’écarterait du sens clair du libellé de l’appendice K.
[72] L’employeur a déclaré que la phrase contestée figurait dans d’autres conventions collectives conclues avec d’autres agents de négociateurs. Ces parties ont par la suite accepté de la changer. Au-delà de la déclaration de l’employeur, aucun antécédent de négociation n’a été présenté. Si je considère comme un fait que d’autres agents négociateurs ont modifié des conventions collectives pour plafonner le congé payé pour activités syndicales à 3 mois par année, j’aurais pu m’attendre à ce que l’employeur présente l’historique des négociations pour ces conventions. Cependant, le fait que l’employeur soit revenu renégocier la disposition relative au congé payé pour activités syndicales avec ces agents négociateurs confirme que la table de négociation est le lieu approprié pour un différend sur le devenir de l’appendice K de cette convention collective.
[73] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[74] Le grief de principe est accueilli. Je déclare que l’employeur a enfreint l’appendice K, la clause 14.14 de la convention collective de 2018 et la clause 14.15 de la convention collective de 2021.
[75] Les griefs individuels sont accueillis.
[76] J’ordonne à l’employeur de recalculer et de payer tout manque à gagner dans le droit des fonctionnaires à un congé payé pour activités syndicales conformément à ces dispositions, avec effet rétroactif au 1er janvier 2018.
[77] Je demeure saisie pour 60 jours à compter de la date de la présente décision pour toute question relative au calcul des sommes dues au titre de la présente ordonnance.
Le 25 avril 2025.
Traduction de la CRTESPF
Joanne Archibald,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral