Décisions de la CRTESPF

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Date: 20250610

Dossiers: 561-32-44080 et 46440

 

Référence: 2025 CRTESPF 71

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

Stéphanie Lefebvre

plaignante

 

et

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

défendeur

 

Répertorié

Lefebvre c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour le défendeur : Kim Patenaude, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec)

du 14 au 15 février 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plaintes devant la Commission

[1] Le 24 janvier 2022, Stéphanie Lefebvre (la « plaignante ») a déposé auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (par souci de simplicité, dans la présente décision le terme « Commission » désigne tout aussi bien la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral que les commissions qui l’ont précédée) une plainte contre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur ») alléguant que ce dernier s’est livré à une pratique déloyale de travail au sens de l’article 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La plaignante allègue que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable, enfreignant ainsi l’article 187 de la Loi.

[2] Le 12 janvier 2023, elle a déposé une deuxième plainte en vertu des mêmes dispositions de la Loi.

[3] Les dossiers ont été mis au calendrier pour une audience du 4 au 6 octobre 2023, mais cette audience a été ajournée à la demande de la plaignante. Les dossiers ont été remis au calendrier et une audience a eu lieu du 14 au 15 février 2024. Avant l’audience, la Commission a demandé à la plaignante de préciser les allégations pour chacune de ses plaintes. Le 22 décembre 2023, elle a fait parvenir à la Commission ces précisions.

[4] Selon ces précisions, sa première plainte se fonde sur l’allégation que le défendeur n’a pas mené une enquête sérieuse concernant son grief portant sur un conflit d’intérêts. Sa deuxième plainte se fonde sur l’allégation que le défendeur a cessé, en novembre 2022, de la représenter relativement à ce même grief et a refusé de la représenter relativement à un autre grief à l’égard d’un congédiement déguisé.

[5] Pour les motifs énoncés dans la présente décision, les plaintes sont rejetées.

II. Résumé des éléments de preuve pertinents

[6] Avant l’audience, les deux parties ont indiqué que la majorité des échanges entre eux ont été faits par écrit, soit par courriel ou lettre. La preuve ci-dessous résume les points pertinents contenus dans ces documents ainsi que la preuve orale qui a supplémenté la preuve documentaire lors de l’audience.

[7] La plaignante a témoigné en son propre nom. Le défendeur a appelé deux témoins, soit Robert Melone, agent de relations du travail du défendeur, et Nancy Lamarche, directrice, Services des relations du travail régionales.

[8] M. Melone et Mme Lamarche détiennent tous deux un diplôme en droit et possèdent plusieurs années d’expérience en matière de relations de travail.

A. Plainte en date du 24 janvier 2022

[9] La plaignante est titulaire d’un poste de vétérinaire à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) au bureau de district de Lacolle, au Québec. Depuis 2017, elle siège également comme conseillère municipale à la ville de Carignan. En août 2021, alors qu’elle voulait se présenter aux élections municipales pour un deuxième mandat, le Secrétariat des conflits d'intérêts de l’ACIA (le « Secrétariat ») l’a informée qu’une mesure d’atténuation lui était imposée, l’empêchant d’être responsable du dossier d’approvisionnement en eau potable sur la base d’une apparence de conflit d’intérêts.

[10] Le 28 septembre 2021, la plaignante a informé M. Melone par courriel de son désir de déposer un grief. Il lui a répondu le lendemain que, puisqu’il ne s’agissait pas d’une question touchant la convention collective, elle n’avait pas besoin de l’accord ou de l’action du défendeur pour déposer le grief. Cependant, il a offert de préparer une ébauche de grief et de faire l’analyse de son dossier.

[11] Dans les quelques minutes ayant précédé ce courriel, la plaignante a fait parvenir à M. Melone une ébauche du grief. Elle lui a demandé ses commentaires et a ajouté qu’elle souhaitait acheminer son grief à son employeur avant la fin de la semaine.

[12] Le jeudi 30 septembre 2021 était un congé férié.

[13] La plaignante a acheminé son grief à son employeur le lundi 4 octobre 2021, sans attendre de recevoir les commentaires de M. Melone. Comme mesures correctives, elle demandait ce qui suit :

· ne pas subir de représailles suite à cette situation;

· retirer les gestionnaires de l’équipe de Patrique Fréchette du dossier, car ils ne sont pas en mesures d’offrir une analyse fiable;

· offrir une formation aux employés du bureau des conflits d’intérêts et à la gestion sur les fonctions d’élu municipal;

· quatre jours de congé pour compenser le temps que la plaignante a dû investir durant ses vacances et hors des heures de travail pour répondre aux demandes du Secrétariat et pour compenser les inconvénients subis;

· la plaignante demande que la lettre d’autorisation du Secrétariat du 26 août 2021 soit corrigée et que la mesure concernant l’eau potable soit retirée;

· la plaignante demande que tous ses superviseurs […] soient avisés sans délai de ces changements.

 

[14] Entre les 4 et 27 octobre 2021, la plaignante et M. Melone ont échangé à plusieurs reprises sur le dossier, à raison de plusieurs fois par jour. Dans ces échanges, M. Melone a répondu aux questions de la plaignante et a offert des conseils sur des options pour faire avancer son dossier plus rapidement. Il a indiqué également que le défendeur pourrait demander le contrôle judiciaire de la décision de l’employeur, mais qu’il fallait tout d’abord obtenir une décision finale de celui-ci au dernier palier du processus de règlement des griefs. Il l’a informée qu’une décision sur ce point ne serait prise qu’à ce moment-là. En contre-interrogatoire, M. Melone a dit avoir discuté « en large » et à plusieurs reprises avec elle de la question de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») et de l’avoir avisée qu’il fallait d’abord pouvoir démontrer qu’elle avait subi un préjudice.

[15] Le 27 octobre 2021, M. Melone a fait parvenir à la plaignante l’analyse qui est maintenant le sujet de la première plainte de pratique déloyale. Dans cette analyse, il a renvoyé à Duske c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 94, une décision dont le sujet porte également sur une situation d'apparence de conflit d’intérêts à l’ACIA. Il a spécifié que « [b]ien que les faits actuels ne soient pas similaires à ceux contenus dans l’arrêt, le raisonnement de l’arbitre n’en est pas moins pertinent. » Il a renvoyé à l’interprétation large du Code de l’ACIA sur les conflits d’intérêts préconisé dans Duske et aux explications des mesures atténuantes offertes par l’employeur. Il a donné son opinion selon laquelle l’interprétation de l’employeur était conforme aux principes énoncés dans Duske.

[16] Sur cette base, il a indiqué être d’avis que l’employeur serait fondé sur le plan légal de la déclarer en situation d’apparence de conflit d’intérêts. Par contre, il a ajouté être d’avis que les mesures d’atténuation imposées sont excessives et a suggéré de tenter de trouver des solutions plus ciblées pour répondre à leurs inquiétudes. Il a donné des suggestions et a demandé si elle en avait d’autres. Il a offert d’entrer en communication avec l’agent de relations de travail de l’employeur et de voir s’il serait ouvert à considérer des propositions avant qu’une décision sur le grief ne soit rendue. Il a ajouté que si ces démarches étaient infructueuses, il assurerait sa représentation lors de l’audience du grief. Il a également offert de modifier l’énoncé de son grief et les mesures correctives pour refléter tout refus par l’employeur des options qu’elle proposerait.

[17] Finalement, l’analyse du 27 octobre 2021 a renvoyé à Gauthier c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 75, une décision de la Cour d’appel fédérale annulant une décision de conflit d’intérêts dans le contexte d’un fonctionnaire étant aussi un conseiller municipal. L’annulation était fondée sur la base d’erreurs factuelles graves commises par l’employeur en prenant sa décision. L’analyse de M. Melone indiquait qu’il ne pensait pas que Gauthier soit applicable, puisqu’il n’estimait pas qu’il s’agissait d’une telle situation d’erreurs factuelles graves de la part de l’employeur. Il a conclu en disant que « [c]es décisions te donnent selon moi un petit aperçu de comment les tribunaux traitent de ces questions ».

[18] Lorsqu’on lui a demandé si sa recherche avait été assez exhaustive, M. Melone a répondu qu’il y avait beaucoup de jurisprudence et que son rôle était de trouver des décisions pertinentes et que c’est ce qu’il avait fait. Il a dit que les faits dans Duske n’étaient pas identiques à ceux dans le cas de la plaignante, mais qu’il était rare de pouvoir trouver une décision dans laquelle les faits étaient les mêmes. Il a dit avoir tenu compte de toute l’information que la plaignante lui avait fournie en faisant son analyse.

[19] Le 1er novembre 2021, la plaignante s’est prévalue du processus de révision de décisions du défendeur.

[20] Mme Lamarche a témoigné qu’en tant que directrice, elle traite les plaintes des membres à l’égard des services de représentation. Elle a dit que les plaintes peuvent être par rapport à la qualité ou la rapidité du service. Parfois, il peut y avoir un désaccord à l’égard de la stratégie recommandée ou une décision de ne pas déposer de grief. Le processus de révision se fait à l’interne. Si un membre n’est pas en accord avec un agent des relations de travail, il peut faire appel de la décision. Pour ce faire, elle révise le dossier et décide si la recommandation est en lien avec leur devoir de représentation équitable. Parfois, elle est en accord avec le membre et retourne le dossier à l’agent avec des directives. D’autres fois, elle supporte l’agent et informe le membre qu’il y a une autre opportunité de révision au bureau de la présidente, où la révision est faite par le conseiller général aux affaires juridiques du défendeur.

[21] Dans son courriel à Mme Lamarche, la plaignante a demandé « […] la révision de la décision de M. Melone relativement au refus de présenter un grief relativement à la mesure d’atténuation demandée par l’employeur […] ». Elle a fondé sa demande sur son opinion que l’analyse de M. Melone présentait des erreurs factuelles graves et qu’il refusait de réviser sa décision malgré avoir été avisé de ces omissions. Elle a joint à sa demande un document détaillant sa situation.

[22] Mme Lamarche a témoigné qu’après avoir reçu cette demande, elle a regardé les pièces jointes, la recommandation de M. Melone, et le dossier au complet sur la question. Elle a dit qu’il y avait plusieurs correspondances sur le sujet entre la plaignante, son employeur et M. Melone.

[23] Mme Lamarche a témoigné être venue à la même conclusion que M. Melone par rapport au mérite du dossier. Elle a trouvé que la recommandation était raisonnable et qu’il n’y avait pas eu de manquement. Elle était d’avis qu’il avait considéré la jurisprudence pertinente et l’avait appliquée aux faits et qu’il n’y avait pas eu de mauvaise foi ou de discrimination. Elle a donc décidé de maintenir la recommandation de M. Melone et a rappelé à la plaignante qu’elle pouvait poursuive le grief elle-même. En en ce qui concerne le processus, elle l’a informée de son droit de faire appel à la conseillère générale, Mme Roy.

[24] La décision de Mme Lamarche a été communiquée à la plaignante le 8 novembre 2021 et reflète son témoignage. La lettre ajoutait ce qui suit : « Je vous saurais gré de bien vouloir communiquer avec votre représentant M. Melone pour l’informer de la suite que vous souhaitez donner à votre grief. »

[25] La plaignante a témoigné qu’en rendant sa décision, Mme Lamarche a refusé de lui accorder la représentation dont elle avait besoin. Elle a dit qu’elle aurait souhaité voir une analyse plus poussée. Elle a dit avoir déposé une demande de révision le 14 novembre 2021 auprès de Mme Roy et d’avoir demandé une analyse rigoureuse.

[26] La plaignante a dit avoir obtenu la réponse de Mme Roy le 25 novembre 2021, mais que celle-ci manquait aussi l’analyse demandée. Elle a dit que la décision a réitéré que puisque son grief ne concernait pas une violation de la convention collective, elle pouvait procéder par elle-même.

[27] La plaignante a dit ne pas avoir poursuivi de démarche auprès du défendeur après le 25 novembre 2021 puisqu’il disait qu’il ne la représenterait pas.

[28] En contre-interrogatoire, la plaignante a confirmé qu’elle a été réélue à son poste de conseillère municipale en novembre 2021.

[29] Le 7 décembre 2021, la plaignante a déposé une plainte de harcèlement contre son employeur en lien avec l’allégation selon laquelle elle était en conflit d’intérêts. La plaignante n’a pas fait appel au défendeur pour ce faire.

[30] La plaignante a dit avoir pris un congé de maladie en janvier 2022 en lien avec la situation qu’elle éprouvait au travail. La plaignante a témoigné qu’elle n’avait pas été avisé par le défendeur qu’elle devait déposer un grief distinct à l’égard de ce congé de maladie. Elle a dit avoir cru pouvoir simplement modifier son premier grief portant sur le conflit d’intérêts.

[31] M. Melone a dit avoir reçu, le 19 janvier 2022, sept courriels de la plaignante portant sur divers sujets. Dans l’un d’eux, elle lui demandait une représentation pour une session de médiation le 24 janvier 2022 avec son employeur. Elle l’a informé que le but de la rencontre était de discuter de la plainte de harcèlement qu’elle avait fait. Elle l’a informé qu’elle cherchait comme réparation « […] notamment le remboursement de [ses] congés [de] maladie ou l’octroi d’un congé de type 699 ». Le courriel de la plaignante contenait aussi un avis juridique indépendant qui, selon elle, exposait le fait que sa situation ne posait aucun conflit d’intérêts.

[32] M. Melone a envoyé un courriel à la plaignante le 20 janvier 2022 acceptant de se joindre à la médiation. Le courriel spécifiait que son rôle était seulement celui d’un accompagnateur pour faciliter les échanges avec son employeur, mais que la position du défendeur demeurait inchangée.

[33] Le 21 janvier 2022, M. Melone a écrit à la plaignante pour l’informer qu’il avait pris connaissance de l’avis juridique indépendant. Il a expliqué que cet avis n’était pas applicable puisqu’il visait seulement la question de savoir s’il y avait un conflit d’intérêts avec la Ville de Carignan vu son emploi avec l’ACIA et non pas l’inverse. Cependant, il a ajouté que rien ne l’empêchait d’utiliser le contenu de cet avis juridique lors d’une discussion avec son employeur. Pour ce qui est de la plainte d’harcèlement, il a ajouté qu’il se rendrait disponible pour l’accompagner lors du processus de résolution et d’enquête dans le but d’assurer qu’elle reçoive un traitement équitable.

[34] La plaignante a déposé sa plainte contre le défendeur le 23 janvier 2022.

B. Plainte en date du 12 janvier 2023

[35] Entre janvier et novembre 2022, plusieurs événements sont survenus entre la plaignante, son employeur et le défendeur. Il est pertinent de faire le survol de certains événements afin de comprendre les éléments de la deuxième plainte.

[36] M. Melone a témoigné que la rencontre de médiation a eu lieu avec l’employeur le 24 janvier 2022. Il a dit avoir participé de façon active et appuyé plusieurs points présentés par la plaignante. Il a dit que l’employeur a accepté de modifier la lettre d’autorisation avec les mesures atténuantes et de communiquer cette information aux gestionnaires comme le voulait la plaignante. La plaignante a dit avoir reçu le 4 février 2022 une lettre de son employeur disant qu’elle n’était pas en situation de conflit d’intérêts.

[37] La plainte de harcèlement de la plaignante a été modifiée par elle le 28 avril 2022. La plaignante alléguait qu’en lien avec l’allégation de conflit d’intérêts, elle avait fait l’objet de harcèlement psychologique au travail, de violence au travail, d’abus d’autorité et/ou de mesures de représailles de la part de son employeur.

[38] Un rapport d’enquête a été rendu le 30 août 2022, concluant qu’aucune des allégations n’était fondée. Le 29 septembre 2022, le défendeur a intenté auprès de la Cour fédérale du Canada une demande de révision judiciaire de cette décision.

[39] La plaignante a dit que le 9 novembre 2022, M. Melone l’a informée qu’il recommandait que le défendeur ne poursuive plus sa représentation de son grief portant sur le conflit d’intérêts, sur la base qu’il n’y avait aucun élément de preuve. La plaignante a dit que ce dernier ne lui avait jamais demandé pour cette information avant de prendre sa décision.

[40] Le courriel de M. Melone du 9 novembre 2022 indiquait qu’il y avait eu plusieurs avancées dans son dossier. Notamment, la révision de la lettre de conflit d'intérêts de l’employeur avait enlevé toute barrière à l’exercice de ses activités politiques et avait été communiquée à la chaîne de gestion pertinente. Il a indiqué être d’avis que la question des représailles qu’elle soulevait serait mieux traitée dans le cadre du processus de plainte de harcèlement faisant l’objet d'un recours en révision judiciaire. Concernant les quatre jours de congé qu’elle réclamait dans son grief, M. Melone l’a avisée qu’il n’avait aucun élément dans son dossier attestant du temps qu’elle aurait consacré pour répondre aux demandes du Secrétariat et des inconvénients que cela aurait occasionnés.

[41] M. Melone a conclu en disant qu’au vu des avancées dans son dossier, il recommandait que le défendeur ne poursuive plus sa représentation de la plaignante dans le cadre du grief portant sur le conflit d’intérêts. Il a réitéré que, puisque le grief ne portait pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, la plaignante n’avait pas besoin de l’approbation ou de la représentation du défendeur pour poursuivre son grief de la manière qu’elle voulait.

[42] Étant en désaccord avec la position de M. Melone, la plaignante a exercé son droit de révision conformément au processus de révision interne du défendeur et a demandé une révision à Mme Lamarche le 14 novembre 2022.

[43] Mme Lamarche a rendu sa décision le 6 décembre 2022. Dans sa lettre, elle a indiqué que les arguments invoqués par la plaignante à l’appui de sa demande de révision sont contenus dans ses courriels des 10 et 14 novembre 2022 et dans deux courriels en date du 1er décembre 2022. On ne m’a pas fourni une copie de ces documents, mais Mme Lamarche a dit les résumer dans sa lettre.

[44] Selon ce résumé, la plaignante soutenait que, puisque les faits s’étaient avérés que l’employeur avait abusé de son pouvoir, le défendeur se devait de maintenir sa représentation afin qu’elle obtienne réparation. La plaignante l’a informée que l’une de ces réparations était le recouvrement de son congé de maladie. Mme Lamarche a répondu sur ce point qu’il n’y avait aucune réparation en lien avec un congé de maladie demandée dans son grief portant sur le conflit d’intérêts.

[45] La lettre de Mme Lamarche renvoie à Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509, et au large pouvoir discrétionnaire dont bénéficie le défendeur dans l’évaluation du bien-fondé d’un grief et de l’opportunité ou non de poursuivre ce recours.

[46] Pour ce qui est de la mesure corrective demandée par la plaignante portant sur le recouvrement des quatre jours de congé mentionnés dans son grief, Mme Lamarche a indiqué ce qui suit :

[…]

[…] à la lecture de vos arguments et à l’examen des courriels que vous avez joint, qu’il ressort des échanges courriels des 12, 19 et 20 août 2021, que le 12 août, vous avez envoyé un courriel de quelques lignes à 9h38 et que vous avez reçu le courriel de l’employeur, vous demandant de remplir le formulaire d’autorisation, le 19 août à 12h19. Vous avez par la suite répondu à ce message le lendemain 20 août à 8h59, et il y a eu quelques échanges au courant de la journée. Vous avez finalement envoyé votre formulaire rempli à 16h56 le 20 août.

Ainsi, nous avons des preuves documentaires pour justifier au mieux le remboursement d’une (1) journée de vacances, mais je suis d’avis, tout comme votre ART, que nous n’avons pas de preuve justifiant la demande de vous faire rembourser quatre (4) journées de congés.

De plus, contrairement à ce que vous semblez laisser entendre dans votre courriel du 1er décembre à 8h25, l’objet du grief # 22-ICA-QC-STH-39100 ne porte pas sur une demande de [sic] d’annulation de congé qui serait liée à la convention collective. L’objet de ce grief est de contester la prétention de l’employeur de vous déclarer en conflit d’intérêts et de faire annuler la lettre vous déclarant en conflit d’intérêts et établissant une mesure d’atténuation. Vous aviez la possibilité de déposer un grief pour réclamer l’annulation de vos vacances et la substitution de ces heures par du temps de travail conformément à la convention collective, or vous ne l’avez pas fait.

Dans ces circonstances, l’évaluation faite par votre ART des chances de succès de votre grief sur ce sujet ne me semble donc pas arbitraire, discriminatoire, négligente ni hostile et j’estime qu’il n’y a pas lieu de la modifier.

Par ailleurs, je suis d’avis que votre ART pourrait entamer une discussion informelle avec votre employeur, à l’extérieur de la procédure de grief, pour tenter de faire changer votre journée du 20 août 2021 en journée travaillée et de vous créditer une journée de vacances sur la base des courriels fournis. Je vous prie d’aviser votre ART si vous souhaitez qu’il entame cette discussion.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[47] La plaignante a dit que, selon Mme Lamarche, il n’y avait aucun lien entre son grief et les congés de maladie, mais elle a dit n’avoir reçu aucun avis à cet égard. Elle a dit que Mme Lamarche aurait dû suggérer à ce moment-là que ce soit ajouté à son grief étant donné que son grief était toujours actif. Elle a dit que la décision du défendeur de se retirer lui avait causé un préjudice puisqu’elle a perdu la possibilité d’avoir les avis nécessaires pour la supporter.

[48] La plaignante a dit que Mme Lamarche avait conclu qu’il n’y avait pas de preuve pour rembourser ses quatre jours de congé, mais qu’il y en avait pour rembourser une journée. La plaignante a dit que c’était difficile de comprendre comment elle était venue à cette conclusion, puisqu’aucun des représentants du défendeur ne lui avait demandé de fournir cette information.

[49] La plaignante a exercé son droit selon le processus de révision du défendeur et a demandé une révision au nouveau conseiller général du défendeur, M. Ranger. Selon la lettre datée du 19 décembre 2022, la demande de révision a été faite par courriel les 7, 11 et 12 décembre 2022. Seul le courriel du 7 décembre m’a été partagé. Selon l’argument de la plaignante contenu dans ce courriel, tous les événements survenus depuis le dépôt de son grief constituaient des mesures de représailles. Puisque son grief stipulait comme mesure corrective de ne pas subir de mesures de représailles, il en ressortait que tous ces événements étaient couverts par son grief.

[50] Selon la lettre du 19 décembre 2022, M. Ranger rejetait la demande de révision de la plaignante. Il a indiqué que Mme Lamarche avait fait une analyse détaillée et complète des faits et avait élaboré longuement sur les raisons qui ont étayé sa recommandation. Il a abordé divers points soulevés par la plaignante dans sa demande de révision. Il a réitéré la jurisprudence sur le devoir de représentation équitable et le fait que le défendeur n’est pas tenu de procéder avec tous les griefs de ses membres.

[51] La lettre indiquait également ce qui suit :

[…]

Contrairement à vos prétentions, nous constatons que l’Institut vous représente pour les deux griefs qui font l’objet de votre demande de reconsidération et dans le cadre de votre plainte de harcèlement. D’ailleurs une demande de révision judiciaire à été déposée par l’Institut en Cour Fédéral pour contester certains aspects de la plainte de harcèlement.

Le grief sur les conflits d’intérêt a déjà fait l’objet de deux recommandations finales suite à une analyse rigoureuse des mérites. L’une en date du 25 novembre 2021 du bureau de la présidente de l’Institut et l’autre datée du 21 janvier 2021 suite à l’analyse de l’avis juridique que vous nous aviez communiqué. De plus, force est de constater qu’à votre demande, vous avez reçu la représentation de l’Institut à une médiation avec l’employeur portant sur ce même grief. Nous notons que suite à cette médiation, la situation donnant lieu au grief a été réglée et que de plus, plusieurs mesures correctives demandées ont été octroyées. Nous sommes en accord avec l’analyse faite par la Directrice et votre ART, M. Robert Melone, quant au bien fondé et mérite des mesures correctives restantes et concluons qu’elle n’est pas entachée de mauvaise foi, ou de considérations arbitraires ou discriminatoires et que la détermination de ne pas continuer à appuyer cette partie de votre grief est justifiée dans les circonstances.

Pour votre plainte de harcèlement, nous constatons également que vous avez reçu de la représentation de l’Institut de façon continue depuis le début et que vous continuez de vous prévaloir de nos services de représentation à ce jour. Les représailles dont vous mentionnez faire l’objet sont contenues dans la plainte de harcèlement et cette même plainte fait actuellement l’objet d’une demande de révision judiciaire appuyée par l’Institut.

[…]

 

[52] La plaignante a dit que M. Ranger avait prétendu que Mme Lamarche avait fait une analyse, mais elle n’a vu aucun avis ni aucune analyse à l’égard des quatre jours de congé qu’elle avait pris.

[53] Le 9 janvier 2023, la plaignante a réécrit à M. Ranger en invoquant les raisons pour lesquelles elle estimait que ses justifications ne semblaient pas valables.

[54] M. Ranger a répondu à la plaignante le 11 janvier 2023. Il a renvoyé aux courriels de la plaignante du 19 et 29 décembre 2022 et du 10 janvier 2023. Je n’ai pas reçu de copie de ces courriels, mais celui de M. Ranger indiquait que dans ces courriels, la plaignante demandait au défendeur de considérer certains éléments supplémentaires, dont la question du congédiement déguisé.

[55] Le courriel de M. Ranger en date du 11 janvier 2023 indiquait ce qui suit à ce sujet :

[…]

Pour ce qui est de l’aspect portant sur le congédiement déguisé, à la revue de votre dossier nous constatons que dans le grief portant sur la lettre de conflit d’intérêts déposée le 4 octobre 2021, il n’est en aucun moment question de « congédiement déguisé ». D’ailleurs, cela n’apparaît nulle part dans les 5 pages qui constituent votre grief. Dans les faits, c’est en juin 2022 que vous avez mentionné la question du congédiement déguisé pour la première fois. À cette époque, vous aviez proposé à vos ART, M. Robert Melone et Madame Renée Léger de modifier votre grief pour mentionner le congédiement déguisé et souhaitez également faire valoir des dommages portant sur votre réputation. Face à cette suggestion, on vous avait répondu qu’il n’était pas possible de parler de congédiement déguisé dans la mesure où vous êtes toujours à l’emploi de l’Agence et n’aviez jamais fait l’objet de congédiement. Vous n’avez pas contesté la réponse qui vous a été fournie concernant cet aspect. De plus, selon les informations au dossier, vôtre ART, M. Melone vous a clairement communiqué qu’il était d’avis que vous n’aviez pas fait l’objet de mesures disciplinaires et qu’il n’était donc pas possible de déposer un grief pour un préjudice inexistant. Il était également d’avis que bien que vous estimez que les communications avec votre gestionnaire seraient des menaces de congédiement, qu’il était préférable que cet aspect soit traité dans le cadre de votre plainte de harcèlement. Votre employeur a également mentionné que la lettre modifiée portant sur le grief de conflit d’intérêts avait préséance sur tout autre communication sur le sujet. Nous partageons l’avis de vos ART à l’effet que vous n’avez pas et ne faites pas l’objet d’un congédiement déguisé et de mesures disciplinaires.

[…]

 

[56] Le courriel de M. Ranger a réitéré la raison de la position prise par le défendeur à l’égard des quatre jours de congé qu’elle cherchait à récupérer et le fait que les éléments de preuve qu’elle avait fournis ne supportaient pas cette demande. Il a abordé une ébauche de modification de grief qu’elle lui avait transmis et a expliqué pourquoi il était d’avis que la modification suggérée constituait plutôt un grief distinct. Il a réitéré être d’avis que l’analyse de Mme Lamarche était complète et très bien détaillée et que le fait que la plaignante est en désaccord avec son analyse ne justifie pas que le défendeur change sa décision. Finalement, il a réitéré que, puisque son grief ne portait pas sur l’interprétation ou l’application d’une clause de la convention collective, la plaignante pouvait procéder elle-même pour les mesures correctives restantes de son grief.

[57] Aucune autre preuve n’a été produite concernant les échanges mentionnés dans le courriel de M. Ranger en juin 2022 au sujet d’une demande de dépôt d’un grief pour un congédiement déguisé. La plaignante n’a pas non plus présenté de preuve indiquant qu’elle aurait contesté la réponse qui lui avait été donnée à ce moment-là.

[58] À la suite du courriel de M. Ranger du 11 janvier 2023, la plaignante lui a réécrit le même jour ainsi que le lendemain en invoquant les raisons de son désaccord. Elle a joint à son courriel du 11 janvier 2023 des billets médicaux à l’égard de son congé médical pris en janvier 2022. Elle a témoigné que M. Ranger s’était fondé sur le fait qu’il n’y avait pas de preuve médicale et qu’elle lui avait donc présenté les billets médicaux qu’elle avait. En contre-interrogatoire, la plaignante a admis qu’elle a fourni des certificats médicaux au défendeur pour la première fois le 11 janvier 2023.

[59] Le 12 janvier 2023, la plaignante a déposé la deuxième plainte faisant l’objet de la présente décision.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[60] Selon la jurisprudence, le rôle de la Commission est de regarder le processus décisionnel. Dans le présent cas, il y a eu plusieurs lacunes dans le cadre de ce processus.

[61] En ce qui concerne la première plainte, le défendeur a refusé de produire une étude sérieuse sur la question du conflit d’intérêts malgré les multiples demandes de la plaignante d’en avoir une. Il n’a présenté qu’un petit aperçu de la jurisprudence et n’a pas expliqué le choix de la jurisprudence sur laquelle il s’est basé. Il n’a pas fait l’analyse de la Charte ni du Code de valeurs et d’éthique du secteur public tel qu’il le devait.

[62] Les positions prises par le défendeur étaient arbitraires et de mauvaise foi.

[63] La décision Duske sur laquelle le défendeur s’est basé n’avait pas de similitudes à la situation de la plaignante. M. Melone a témoigné être en accord avec ce fait. Il a refusé sans aucune explication d’appliquer Gauthier, dans laquelle il a été conclu que l’employeur avait commis des erreurs factuelles graves. Le défendeur a plutôt pris la position selon laquelle l’employeur avait raison de la déclarer en conflit d’intérêts. Il a adopté la position selon laquelle l’employeur n’avait pas fait d’erreurs factuelles graves sans expliquer comment il était venu à cette conclusion. Ceci démontre qu’il n’y a pas eu une analyse complète.

[64] M. Melone a avoué que les mesures d’atténuations imposées par l’employeur étaient excessives, mais il n’a fourni aucune représentation pour protéger les droits de la plaignante. Il a pris la position que le grief ne relevait pas de la convention collective, même s’il savait qu’elle s’exposait à des mesures disciplinaires. Sur ce point, McRaeJackson c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), 2004 CCRI 290, est claire, le devoir de représentation équitable débute au moment où il y a un potentiel de mesure disciplinaire.

[65] Même lorsqu’on lui a présenté un avis juridique indépendant confirmant qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts, le défendeur a refusé de changer sa position. C’est grâce à cet avis qu’il y a eu conclusion de la question du conflit d’intérêts avec l’employeur. Toutefois, après que la médiation fut terminée, le défendeur n’a pas été prêt à aller au-delà de ce qu’il avait déjà décidé.

[66] Le défendeur a refusé de représenter la plaignante pour le recouvrement de son congé de maladie et de ses quatre jours de vacances, et il a refusé de lui fournir tout conseil pour obtenir des dommages malgré l’engagement qu’il avait pris de la représenter.

[67] Il ressort des faits que M. Melone n’a jamais eu l’intention de la représenter dans le grief portant sur le conflit d’intérêts. Son analyse n’a pas pris compte du désir de la plaignante de se faire rembourser son congé de maladie, malgré qu’il aurait été important pour lui d’en tenir compte.

[68] En s’appuyant sur Guilde de la marine marchande du Canada, il est clair que le défendeur n’a pas rempli son devoir de représentation équitable. S’il avait fait une étude sérieuse du dossier de la plaignante, il aurait convenu des erreurs factuelles graves faites par l’employeur et aurait appliqué Gauthier et la Charte à son égard. Il a plutôt utilisé de la jurisprudence qui ne s’appliquait pas à la plaignante sans même expliquer pourquoi.

[69] La représentation doit être réelle. Le défendeur a plutôt laissé la plaignante à elle-même. Bien qu’il se soit rendu disponible pour la médiation avec son employeur, il a dit avant cette rencontre qu’il ne se prononcerait pas sur le point principal de la rencontre.

[70] La mauvaise foi dans le présent cas a également pris la forme d’une résistance et d’un refus de représentation lorsque la plaignante a demandé de faire réviser la décision de M. Melone. Le défendeur a choisi de supporter celui-ci malgré le fait qu’il n’y ait eu aucune enquête sérieuse pour le supporter. Malgré ce raisonnement inadéquat et le fait que Mme Lamarche et la conseillère générale connaissaient toutes deux la décision Gauthier, elles ont décidé d’en faire abstraction délibérément afin de ne pas représenter la plaignante.

[71] Ce choix de jurisprudence venait plutôt conforter le défendeur dans sa décision de ne pas réellement représenter la plaignante. Le défendeur a pris cette approche afin d’arriver à sa conclusion préétablie, plutôt que de se baser sur les informations réelles qu’il aurait dû utiliser pour venir à sa décision.

[72] Le défendeur a ensuite décidé de ne plus représenter la plaignante en novembre 2022 à l’égard de son grief portant sur le conflit d’intérêts, et plus précisément le recouvrement de ses quatre jours de vacances et de son congé de maladie. Cette décision constitue une mesure de représailles pour avoir fait appel de la décision de M. Melone. Elle démontre également une mauvaise foi puisque le défendeur était au courant qu’à toutes fins pratiques, la plaignante allait perdre ses recours sans sa représentation.

[73] La mauvaise foi s’est également exprimée lorsque le défendeur a refusé de considérer la preuve médicale de la plaignante alors qu’il avait laissé entendre qu’une représentation serait accordée si elle lui donnait cette information. La plaignante s’explique mal le raisonnement du défendeur de ne pas la représenter autre que de la mauvaise foi de sa part.

[74] La mauvaise foi s’est aussi exprimée par le refus de préciser à la plaignante quelle preuve était nécessaire pour soutenir le recouvrement des quatre journées de vacances qu’elle réclamait. Mme Lamarche disait que réclamer une journée serait acceptable, mais sans lui demander d’autres informations à ce sujet pour justifier les quatre jours.

[75] Le défendeur a voulu laisser la plaignante à elle-même, en souhaitant qu’elle abandonnerait tout recours. Le processus décisionnel pour faire la révision des décisions du défendeur étaient déficient. Il y avait des lacunes sévères dans les analyses, qui ne fournissaient aucun raisonnement. Les représentants du défendeur n’ont pas expliqué pourquoi ils se basaient sur Duske bien qu’ils avouaient qu’il n’y avait aucune similarité avec son cas.

[76] Le refus de représentation du défendeur sans donner d’explication consiste en une abdication aveugle de son devoir de représentation équitable, comme ce fut le cas dans Jutras Otto c. Brossard et Kozubal, 2011 CRTFP 107. Ce manquement au devoir de représentation équitable a été illustré par :

· le rejet systématique de tout argument étant favorable à la plaignante;

· le refus d’effectuer une analyse complète et détaillée de son dossier avant de se montrer en accord avec son employeur et de lui signifier de procéder par elle-même avec son grief;

· le fait de cesser, en novembre 2022, de la représenter dans son grief concernant le conflit d’intérêts;

· le fait d’effectuer une analyse arbitraire concernant le congédiement déguisé dont elle estimait faire l’objet.

 

[77] Le défendeur a choisi d’agir ainsi sans égard à son devoir de représentation équitable ou à l’impact de ses actions sur la plaignante. C’est dans ce contexte que la plaignante demande comme mesure corrective d’être représentée par un avocat de son choix aux frais du défendeur et 5000 $ en dommages compte tenu de ce qu’elle a subi.

B. Pour le défendeur

[78] Le litige de la plaignante porte sur l’application de son employeur de sa politique en matière de conflit d’intérêts dans le cadre de l’exécution de ses fonctions en tant que conseillère municipale. L’article 209 de la Loi prévoit que la plaignante a le droit de porter plainte à l’égard de ses conditions d’emploi. Elle n’a donc pas besoin de l’approbation du défendeur. Ce point lui a été confirmé à plusieurs reprises.

[79] La plaignante n’a soumis aucune preuve à l’appui d’une conduite arbitraire ou de mauvaise foi. Au contraire, la preuve démontre que le défendeur a fourni une représentation, a donné des conseils et a accompagné la plaignante lors de la médiation avec son employeur. Le témoignage de M. Melone démontre qu’il était engagé et qu’il connaissait bien le dossier, les enjeux et les intérêts de la plaignante. Il a pris le temps de fournir des conseils et des avis à la plaignante à l’égard du conflit d’intérêts. Dès le départ, il a proposé de rédiger un grief et de faire une analyse de son dossier. Avant qu’il ne puisse procéder, la plaignante a déposé elle-même son grief le 5 octobre 2021.

[80] Dans la période entre le 5 octobre 2021 et le jour de la remise de son analyse le 27 octobre 2021, M. Melone a donné à la plaignante des suggestions pour accélérer le processus de grief, sachant qu’elle était inquiète en raison des élections qui approchaient en novembre.

[81] Pour ce qui est de son analyse du 27 octobre 2021, M. Melone a témoigné avoir révisé le dossier de la plaignante et les nombreux échanges entre elle et son employeur. Il a fait une recherche sur la jurisprudence. Dans son argumentation, la plaignante a fait beaucoup référence à un « petit aperçu », mais cela ne veut pas dire que sa recherche était inadéquate. Il a trouvé la décision Duske, qui était pertinente pour la question de l’interprétation de la politique. Il a essayé d’expliquer pourquoi cette décision était pertinente. Il s’est référé aux explications données par l’employeur pour prendre position, et il a émis l’avis que l’employeur pourrait la considérer être en situation d’apparence de conflit d’intérêts. Cependant, il a dit que la mesure de celui-ci semblait excessive et a fait des suggestions pour trouver une façon plus ciblée pour soulever leurs inquiétudes. Il a dit que si c’était infructueux, il assurerait sa représentation et proposerait une reformulation du grief. Il n’a pas eu la chance de le faire vu la décision de la plaignante.

[82] L’analyse de M. Melone est loin d’être arbitraire ou manifestement négligente. Il a fait une étude sérieuse du dossier. Contrairement à ce qui est allégué par la plaignante, M. Melone a mentionné le sujet des erreurs factuelles graves lorsqu’il les a comparé à Gauthier. Il a dit que dans Gauthier, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait des erreurs factuelles graves, mais qu’il ne jugeait pas que la Cour conclurait pareillement dans ce cas-ci.

[83] Il est clair que la plaignante n’était pas en accord avec son analyse. Toutefois, même si la Commission concluait que M. Melone a fait une erreur dans sa recommandation, ce n’est pas une erreur de représentation.

[84] Mme Lamarche a témoigné de son rôle dans le processus de révision. Elle a fait une révision détaillée du dossier de la plaignante. Elle a abordé les éléments soulevés par la plaignante dans sa demande de révision ainsi que les allégations d’erreurs graves et de mauvaise foi. Elle a conclu son analyse en avisant la plaignante qu’elle pouvait toujours procéder par elle-même et en l’invitant à communiquer avec M. Melone pour faire la suite des choses. Ce n’était aucunement une abdication aveugle comme le soutient la plaignante.

[85] En ce qui concerne la deuxième plainte, M. Melone a été appelé en novembre 2022 à regarder le dossier de la plaignante à la lumière des activités qui avaient depuis eu lieu. Il a fait une analyse et a donné son opinion sur le fait qu’il n’y avait pas de preuve pour supporter le recouvrement des quatre jours de congé réclamés par la plaignante dans son grief. Cette analyse n’est pas superficielle. C’est une étude sérieuse du dossier. Il n’y a eu aucune négligence.

[86] Mme Lamarche a fait la révision de cette analyse. Elle a fait une étude approfondie. Ce n’est certainement pas une abdication aveugle puisqu’elle a renversé en partie la décision de M. Melone, disant qu’il serait possible de demander l’une des quatre journées de vacances. Elle a indiqué dans sa lettre qu’il y avait de la preuve documentaire pour supporter le recouvrement d’une journée. Elle a suggéré que le défendeur entreprenne une discussion informelle avec l’employeur. Elle a pris son rôle de révision au sérieux. Elle a modifié l’opinion de M. Melone et a suggéré une approche différente.

[87] Sur la question des congés de maladie, M. Melone a témoigné qu’il avait demandé à plusieurs reprises de la preuve pour supporter le lien entre le congé de maladie et le conflit d’intérêts. Les certificats médicaux ont seulement été fournis après que la plaignante a déposé la présente plainte, et ceux-ci ne donnaient toujours aucune preuve que le congé était en lien avec le conflit d’intérêts.

[88] La plaignante a allégué que la décision du défendeur était pour la punir, mais il n’y a aucune preuve à cet effet. Il n’y a aucune preuve de malice, d’agressivité ou de malhonnêteté. Au contraire, on peut constater que la plaignante a été supportée dans le cadre de plusieurs contestations dans son milieu de travail.

[89] En conclusion, il n’y a eu aucun manquement au devoir de représentation équitable et le témoignage de M. Melone en témoigne. Il a donné plusieurs conseils et a accompagné la plaignante à une session de médiation avec son employeur, qui a abouti à une modification importante de la lettre qui lui a permis de remplir son rôle de conseillère municipale sans inquiétudes. Cette lettre a été distribuée aux superviseurs. Pour les autres mesures correctives, il n’avait pas les outils nécessaires pour supporter sa demande. Le congé de maladie n’a pas été clairement demandé avant le 9 janvier 2023 et elle n’a fourni ses certificats médicaux au défendeur que le 11 janvier.

[90] Le grief est toujours en suspens. Rien n’empêche la plaignante de continuer avec son grief pour obtenir les mesures correctives qu’elle recherche.

[91] Le défendeur demande le rejet de la plainte.

IV. Analyse et motifs

[92] Il est allégué dans les plaintes présentées en vertu de l’article 190(1)g) de la Loi que le défendeur s’est livré à une pratique déloyale de travail et a manqué à son devoir de représentation équitable. Comme l’affirme Ouellet c. St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, la plaignante a le fardeau de présenter des faits suffisants pour établir que le défendeur a manqué à ce devoir.

[93] La Cour suprême du Canada explique les principes qui régissent le devoir de représentation équitable dans Guilde de la marine marchande du Canada, comme suit :

[…]

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

 

[94] La Commission a appliqué à maintes reprises ces principes dans le contexte de l’article 190(1)g) de la Loi. Il en ressort que ce devoir ne se limite pas qu’à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de déposer un grief et de le porter à l’arbitrage, mais également à la représentation globale d’un membre. Cependant, le rôle de la Commission n’est pas celui d’une Cour d’appel pour réviser les décisions d’un agent négociateur et d’en déterminer le bien-fondé. Le rôle de la Commission se limite à la révision du processus décisionnel et à déterminer si ce processus a été mené de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir Ouellet).

[95] Pour faire cette détermination, il faut regarder les faits.

A. Plainte en date du 24 janvier 2022

[96] À la demande de la Commission, la plaignante a précisé le 22 décembre 2023 sa plainte. Selon cette précision, la plainte se fonde sur l’allégation que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable en omettant de faire une analyse complète de la jurisprudence en matière de conflit d’intérêts et en omettant d’examiner les faits pertinents.

[97] La plaignante pense que l’analyse du défendeur en date du 27 octobre 2021 sur le bien-fondé de son grief en matière de conflit d’intérêts, ainsi que le refus de changer son opinion le 21 janvier 2022 après avoir pris connaissance de l’avis juridique indépendant de la plaignante, sont arbitraires.

[98] La plaignante est manifestement insatisfaite de cette analyse et de la stratégie recommandée par le défendeur pour la suite des choses dans son dossier. Selon elle, si une analyse sérieuse avait été faite, le défendeur se serait fié sur les faits qu’elle lui avait présentés et aurait conclu que l’employeur avait commis des erreurs factuelles graves. Il aurait ensuite appliqué Gauthier et conclu qu’elle n’était pas en situation de conflit d’intérêts réel ou apparent.

[99] Le rôle de la Commission n’est pas de déterminer le bien-fondé de l’analyse du défendeur. La plaignante doit plutôt démontrer des faits suffisants que le processus décisionnel du défendeur était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[100] Après avoir révisé les faits, je ne vois aucune preuve à l’appui. Je trouve plutôt que le défendeur a en tout temps représenté la plaignante avec diligence et sans hostilité envers elle.

[101] Selon la preuve contextuelle, M. Melone a avisé la plaignante dès le départ, comme il se devait de le faire, qu’elle n’avait pas besoin de son approbation pour déposer son grief puisque le sujet ne relevait pas de la convention collective. Malgré cela, il a pris des actions pour la représenter, commençant avec une offre de rédiger le grief. Ce fut le choix de la plaignante de ne pas se prévaloir de cette offre, optant plutôt d’acheminer son grief sans donner un temps raisonnable au défendeur de lui répondre. Après le dépôt de son grief, M. Melone a été en communication continuelle avec elle pour répondre à ses questions et lui offrir des conseils pour faire avancer son dossier. Il a témoigné avoir discuté à plusieurs reprises avec elle pourquoi la Charte ne s’appliquait pas; un point non-réfuté par le témoignage de la plaignante.

[102] Le 27 octobre 2021, M. Melone a donné à la plaignante son analyse du bien-fondé du grief et a offert sa suggestion pour faire avancer son dossier. Puisque cette analyse est le sujet de la plainte de pratique déloyale, je me dois de la regarder de plus près ainsi que le processus de révision qui l’a suivi. Il va sans dire que je m’intéresse aux étapes entreprises par le défendeur et non pas au bien-fondé de ses conclusions.

[103] M. Melone a témoigné avoir d’abord fait la révision complète du dossier et avoir effectué une recherche de la jurisprudence applicable. Dans son analyse du 27 octobre 2021, il a renvoyé à Duske et a expliqué pourquoi il pensait que cette décision était pertinente. Il a renvoyé ensuite aux faits sur lesquels l’employeur s’est basé et a offert son opinion que la position de l’employeur était cohérente avec l’interprétation faite par la Commission dans Duske. Il a renvoyé à Gauthier et a expliqué pourquoi il ne pensait pas que cette décision était applicable. Il a ensuite donné son opinion selon laquelle les mesures atténuantes de l’employeur étaient excessives et a suggéré des solutions de rechange. Il a offert d’entrer en communication avec sa contrepartie chez l’employeur pour voir s’il considérerait une mesure plus ciblée. Il a offert de modifier le grief et les mesures correctives en lien avec ses suggestions. Il a témoigné ne pas avoir inclus dans son analyse la question de la Charte puisqu’il avait déjà discuté de ce point auparavant avec elle.

[104] Cette opinion fut révisée à deux reprises conformément au processus de révision interne du défendeur. Mme Lamarche a témoigné avoir fait l’analyse complète du dossier. Elle a regardé la jurisprudence et les documents et est venue à la même conclusion que M. Melone. Je fais remarquer que la lettre de Mme Lamarche à la plaignante est détaillée et correspond à son témoignage. La lettre de la conseillère générale expliquait également les raisons du refus de révision au deuxième niveau.

[105] La plaignante a choisi de ne pas faire de suivi avec le défendeur jusqu’au 19 janvier 2022. Ce jour-là, elle a envoyé sept courriels à M. Melone sur divers sujets. L’un d’entre eux demandait une représentation pour une session de médiation avec son employeur le 24 janvier 2022. Elle a joint à ce courriel un avis juridique indépendant qu’elle avait obtenu. M. Melone a répondu promptement le lendemain qu’il était disponible pour se joindre à la rencontre en tant qu’accompagnateur, pour faciliter la discussion avec son employeur.

[106] M. Melone a réécrit à la plaignante le surlendemain et a expliqué pourquoi il était d’avis que l’avis juridique indépendant n’était pas applicable. Cette explication fait référence aux faits applicables, soit que l’avis ne visait que la situation d’un conflit d’intérêts avec la Ville de Carignan vu son emploi avec l’ACIA, et non pas l’inverse. Il a toutefois ajouté que rien n’empêchait la plaignante de l’utiliser lors de sa rencontre avec son employeur. Je fais remarquer que dans ce même courriel, M. Melone a également offert d’accompagner la plaignante lors du processus de résolution et d’enquête de la plainte de harcèlement qu’elle avait débuté en décembre 2021.

[107] Ces faits ne démontrent aucunement un comportement arbitraire ou de mauvaise foi. Au contraire, ils démontrent un engagement soutenu de la part du défendeur de représenter la plaignante avec intégrité et compétence. M. Melone a fait une analyse sérieuse de son dossier. Il a identifié la jurisprudence pertinente et l’a appliquée aux faits. Il a fait l’analyse de la situation et a donné son opinion sur le bien-fondé du grief, en appliquant ses connaissances en relations de travail. Il a offert des suggestions pour faire avancer le dossier, en tenant compte des intérêts de la plaignante de pouvoir être impliquée dans le dossier d’approvisionnement en eau.

[108] Le simple fait que le défendeur a décidé de se fier sur une décision plutôt qu’une autre, ou qu’il a accordé plus d’importance à certains faits plutôt que d’autres, ne fait pas en sorte que sa représentation était arbitraire ou de mauvaise foi.

[109] Comme en fait état la jurisprudence de la Commission, l’insatisfaction d’un plaignant n’est pas le critère sur lequel la Commission s’appuie pour déterminer si un agent négociateur a manqué à son devoir de représentation équitable (Boudreault c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 87). Pourvu qu’il analyse la situation avec sérieux et diligence, un agent négociateur n’a pas d’obligation de représenter ses membres dans tous les cas et de la manière dont ils le veulent.

[110] Les reproches de la plaignante ont à leur source un mécontentement profond de ne pas avoir été supportée de la façon dont elle le voulait. Toutefois, le défendeur n’a pas le devoir de suivre toutes ses instructions. Il a le devoir d’analyser la situation avec sérieux et diligence et d’expliquer ses chances de succès. Ceci inclut de souligner les faiblesses d’un dossier telles qu’il les perçoit. C’est exactement ce que le défendeur a fait.

[111] Bien que la plaignante était manifestement en désaccord avec l’analyse faite par le défendeur dans son dossier, il n’en demeure pas moins que la représentation du défendeur n’était aucunement arbitraire, capricieuse, abusive ou hostile envers elle.

[112] En fin de compte, il y a eu un désaccord entre les parties sur le bien-fondé du grief et la stratégie à adopter. Comme il a déjà été mentionné, ce n’est pas le rôle de la Commission de déterminer qui a raison. Puisque les faits ne supportent pas une conclusion selon laquelle le processus décisionnel était arbitraire ou de mauvaise foi, je dois rejeter cette première plainte.

B. Plainte en date du 12 janvier 2023

[113] À la demande de la Commission, la plaignante a précisé le 22 décembre 2023 sa deuxième plainte. Selon cette précision, la plainte se fonde sur 1) le refus du défendeur de continuer de la représenter à l’égard des réparations demandées en lien avec son grief portant sur le conflit d’intérêts; et 2) le refus de la représenter relativement à un grief de congédiement déguisé.

[114] Puisque les faits de chaque cas sont distincts, je vais les traiter séparément.

1. Décision de cesser la représentation en lien avec le grief concernant le conflit d’intérêts

[115] La plaignante est manifestement insatisfaite de la décision du défendeur de ne plus la représenter et de l’analyse faite par celui-ci pour en venir à cette décision. Toutefois, mis à part son désaccord, y a-t-il une preuve de représentation arbitraire ou de mauvaise foi?

[116] Après avoir révisé les faits, j’en conclu que non.

[117] Selon la preuve, la session de médiation tenue avec son employeur le 24 janvier 2022 a été fructueuse. L’employeur a accepté de modifier la lettre d’autorisation pour qu’elle puisse agir comme conseillère municipale et une nouvelle lettre a été émise et communiquée à ses gestionnaires.

[118] Le 9 novembre 2022, M. Melone a communiqué à la plaignante qu’il recommandait que le défendeur cesse de la représenter dans son grief sur le conflit d’intérêts. Cette décision a été révisée à deux reprises selon le processus de révision interne du défendeur. Puisque ces analyses font l’objet de la plainte de pratique déloyale, je me dois de les regarder de plus près. Il va sans dire qu’encore une fois, je m’intéresse aux étapes entreprises par le défendeur et non au bien-fondé de ses conclusions.

[119] Dans son courriel du 9 novembre, M. Melone a informé la plaignante qu’il avait fait la révision de son grief à la lumière des développements survenus au courant de l’année. Il a fait état de chaque mesure corrective identifiée dans son grief et de ce qui avait été obtenu. À l’égard des représailles, il a indiqué être d’avis que ce sujet serait mieux traité dans le cadre de la plainte de harcèlement faisant l’objet d’un recours séparé. Pour ce qui est des quatre jours de congé qu’elle cherchait à recouvrir, il a indiqué qu’il n’y avait rien au dossier pour supporter cette demande. Vu cette information, il a recommandé que le défendeur cesse sa représentation dans ce dossier. Il a réitéré qu’elle était libre de procéder avec le grief par elle-même puisqu’il ne portait pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective.

[120] Mme Lamarche a témoigné avoir fait l’analyse complète du dossier de la plaignante après avoir reçu sa demande de révision. La lettre de Mme Lamarche est détaillée et correspond à son témoignage. Dans sa lettre, elle a pris le temps d’aborder chaque point soulevé par la plaignante. À l’égard de la demande de remboursement pour son congé de maladie en janvier 2021, Mme Lamarche l’a avisée qu’il n’y avait aucune réparation en lien avec un congé de maladie dans son grief portant sur le conflit d’intérêts. Pour ce qui est des quatre jours de congé réclamés dans son grief, Mme Lamarche l’a informée qu’elle était d’avis qu’il serait possible de réclamer une journée et a expliqué en détail comment elle est venue à cette conclusion. Elle a indiqué que le défendeur pourrait entamer des discussions informelles avec son employeur afin de recouvrir cette journée si la plaignante le voulait.

[121] La lettre de révision de M. Ranger en date du 19 décembre 2022 et son courriel du 11 janvier 2023 sont, tout comme la révision de Mme Lamarche, très détaillés et abordent les divers points soulevés par la plaignante. Il a pris le temps dans ces deux communications d’expliquer le raisonnement pour les décisions du défendeur.

[122] Au risque de me répéter, mon rôle n’est pas de déterminer le bien-fondé de la décision du défendeur. Je dois plutôt m’intéresser au processus décisionnel. Selon la preuve, ce processus n’a été ni arbitraire ni de mauvaise foi.

[123] Il n’y a aucune preuve d’une attitude indifférente ou cavalière à l'égard des intérêts de la plaignante. Je fais remarquer que tous les échanges avec la plaignante ont été respectueux et qu’il y a eu un effort concerté des représentants du défendeur d’expliquer à la plaignante le raisonnement pour leur décision.

[124] Il n’a pas été établi non plus que les motifs du défendeur étaient inadéquats ou qu’il avait agi en raison d'une hostilité personnelle.

[125] Sur ce point, la plaignante a allégué que la décision du défendeur de ne plus la représenter dans ce grief était une mesure de représailles pour la punir d’avoir fait la demande de révision. Toutefois, cette croyance subjective doit être appuyée par des faits. La preuve n’appuie pas cette conclusion. Au contraire, la preuve démontre une bonne volonté à son égard.

[126] Tout d’abord, comme le démontrent la lettre de M. Melone du 9 novembre 2022 et les révisions subséquentes de Mme Lamarche et M. Ranger, le défendeur continuait sa représentation de la plaignante dans le cadre d’autres dossiers avec l’employeur.

[127] Je fais remarquer d’autant plus que Mme Lamarche a fait une analyse détaillée du dossier de la plaignante et a révisé la recommandation de M. Melone. Elle lui a offert d’entamer des discussions informelles avec son employeur pour le recouvrement d’une journée de congé.

[128] Ces deux actions démontrent le sérieux avec lequel le défendeur a exercé son devoir de représentation et non pas une collusion pour la punir.

[129] Selon la plaignante, le défendeur avait l’obligation de la représenter et ne pouvait pas se retirer de son grief.

[130] Comme en fait état la jurisprudence constante de la Commission, il revient à l’agent négociateur de décider des griefs qu’il traite et de ceux qu’il ne traite pas. Ce dernier n’a aucune obligation absolue de représenter un membre de l’unité de négociation, pourvu qu’il analyse la situation avec sérieux et diligence. Boudreault résume bien ce point au paragraphe 36 :

[36] L’agent négociateur doit représenter ses membres de façon juste et équitable, réelle, avec intégrité et compétence et sans hostilité envers eux (Guilde de la marine marchande du Canada et Gagnon et autre, [1984] 1 RCS 509, p. 527). Comme l’a souvent affirmé la Commission, cela ne veut pas dire que l’agent négociateur doit suivre les instructions de ses membres relativement au dépôt d’un grief à chaque fois qu’un membre le désire. Les ressources des agents négociateurs sont limitées, et la Commission ne peut certainement pas dicter aux agents négociateurs comment les employer […]

 

[131] Dans McFarlane c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 27, aux paragraphes 40 et 41, la Commission a fait les observations suivantes, que j’estime aussi pertinentes au présent cas.

40 […] Le devoir de représentation d’un agent négociateur n’est pas défini par une acceptation aveugle de représenter tous les employés de l’unité de négociation, sans égard aux circonstances. Lorsqu’un agent négociateur décide, en se fondant sur des considérations légitimes, de ne pas donner suite à un grief comme ceux dont il est question dans la présente décision, il respecte une partie essentielle de son devoir de représentation équitable. Il est entièrement libre de décider du meilleur plan d’action pour tous les employés qu’il représente, dans leur ensemble.

41 J’irais même plus loin en mentionnant qu’un agent négociateur a le droit de prendre la mauvaise décision, à condition qu’il ait mené toutes les enquêtes nécessaires donnant lieu à sa décision et dans la mesure où son processus décisionnel ne soit pas entaché par des actions ou une conduite qui équivalent à une attitude arbitraire, à de la discrimination ou à de la mauvaise foi.

 

[132] En ce qui concerne la preuve dans le présent dossier, je suis convaincue que la décision du défendeur concernant son grief sur le conflit d’intérêts était motivée par des considérations légitimes à l’égard de ses chances de succès et que son analyse était détaillée et complète, tenant compte des faits pertinents. Il a soulevé des préoccupations rationnelles à propos de l’absence de preuve documentaire et a offert à la plaignante par l’entremise du processus de révision l’opportunité de lui fournir cette preuve.

[133] La plaignante a allégué que le défendeur ne lui avait pas demandé de fournir cette preuve, mais il semble assez évident qu’elle aurait dû le faire lorsque M. Melone a conclu qu’il n’y avait rien au dossier pour supporter sa demande. La plaignante accuse le défendeur de ne pas avoir décrit la preuve dont il avait besoin, mais c’était à elle d’expliquer comment elle était venue à la détermination que quatre jours de congé lui étaient dus, et non pas au défendeur de le deviner.

[134] Pour ce qui est du recouvrement du congé de maladie, la preuve démontre que le défendeur a été informé de ce congé le 19 janvier 2022. Ce jour-là, elle a demandé au défendeur de la représenter lors de la médiation d’une plainte de harcèlement portée contre son employeur. Ce message indiquait clairement qu’elle recherchait le remboursement de son congé de maladie en lien avec cette plainte. Il n’est donc pas surprenant que la position du défendeur en janvier 2023 ne faisait que refléter cette position.

[135] La plaignante ne peut pas, un an après les faits, se plaindre de pratique déloyale à l’égard du défendeur pour ne pas l’avoir conseillée ou ne pas avoir déposé un grief pour le recouvrement de ce congé alors qu’elle en n’avait pas fait la demande.

[136] Comme le mentionne Ouellet, au paragraphe 32 :

[…] le devoir de représentation équitable […] suppose que le fonctionnaire prenne les démarches nécessaires pour protéger ses propres intérêts. Il doit informer le syndicat de sa volonté de déposer un grief et agir dans les délais prescrits par la convention collective […]

 

[137] La plaignante a admis qu’elle croyait simplement pouvoir modifier son grief pour inclure le remboursement de son congé de maladie. N’ayant pas validé cette croyance avec le défendeur à ce moment-là, elle ne peut pas l’accuser par la suite d’avoir agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi alors qu’il n’était simplement pas au courant.

[138] Puisque les faits ne supportent pas une conclusion selon laquelle le processus décisionnel était arbitraire ou de mauvaise foi, je dois rejeter cette première portion de la deuxième plainte.

2. Décision du défendeur concernant un grief de congédiement déguisé

[139] La plaignante allègue que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable, enfreignant ainsi l’article 187 de la Loi, lorsqu’il a refusé de la représenter relativement à un grief de congédiement déguisé.

[140] Après avoir révisé les faits, j’en conclu que cette portion de la plainte est hors délai.

[141] L’article 190(2) de la Loi prévoit en ces termes le délai de présentation d’une plainte lorsqu’on allègue une violation à l’article 187 :

190 (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

190 (2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

[Je mets en évidence]

 

 

[142] La plaignante a déposé sa plainte à la Commission le 12 janvier 2023. Ma compétence se limite donc aux actions du défendeur qui sont survenues dans les 90 jours avant cette plainte, soit entre le 14 octobre 2022 et le 12 janvier 2023.

[143] Bien que les parties aient présenté des éléments de preuves à l’extérieur de ces délais, les délais prévus à l’article 190(2) de la Loi doivent être respectés et je ne peux pas conclure si des événements ayant eu lieu à l’extérieur de ces délais contreviennent ou non au devoir de représentation équitable.

[144] La plaignante a allégué que le défendeur avait manqué à son devoir de représentation équitable « en ne déposant pas de grief suite à ce qui s’assimile à un congédiement déguisé ». Selon la preuve, c’est en juin 2022 qu’elle a mentionné la question du congédiement déguisé et a reçu à cette époque l’avis du défendeur qu’il n’était pas possible de parler de congédiement déguisé dans la mesure où elle occupait toujours l’emploi de l’ACIA et n’avait pas fait l’objet d’un congédiement. La lettre de M. Ranger indique qu’elle n’a pas contesté cette réponse.

[145] La plaignante ne peut pas remettre les pendules à l’heure à l’égard de l’article 190(2) par le simple fait qu’elle soulève ce point à nouveau six mois plus tard auprès de M. Ranger, par l’entremise d’un processus de révision qui n’incluait même pas cette question à l’origine.

[146] Étant hors délai, je dois rejeter cette deuxième portion de la deuxième plainte.

[147] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V. Ordonnance

[148] Les plaintes sont rejetées.

Le 10 juin 2025.

Audrey Lizotte,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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