Date : 20250529
Dossier : 771-02-45469
Référence : 2025 CRTESPF 65
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la |
|
Entre
Tracy Coates
plaignante
et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Gendarmerie royale du Canada)
intimé
Répertorié
Coates c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada)
Devant : Guy Grégoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Janelle Bucci, Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice
Pour l’intimé : Rebecca Ro, avocate
Pour la Commission de la fonction publique : Marc-Olivier Payant, analyste principal
Affaire entendue à Toronto (Ontario),
le 27 août 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Plainte devant la Commission
[1] Le 25 août 2022, la Gendarmerie royale du Canada (l’« intimée » ou la GRC) a affiché un « Avis de nomination intérimaire » (ANI) d’une personne nommée (la « personne nommée ») à un poste de superviseur de l’administration classifié au groupe et au niveau CR-05 et situé dans sa Division O, Détachement de Toronto-Nord, Section transnationale Crimes graves et Crime organisé (STCGCO), à Toronto (Ontario). Cette nomination intérimaire allait du 6 septembre 2022 au 18 mars 2024. Elle est le résultat d’un processus de nomination non annoncé portant le numéro 22-RCM-ACIN-O-LON-GTSOC-NEW-110111.
[2] Tracy Coates (la « plaignante ») a déposé sa plainte le 29 août 2022 en vertu des articles 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »), dans laquelle elle allègue que l’intimée a abusé de son pouvoir en n’évaluant pas les qualifications essentielles du candidat reçu, en ne considérant pas la plaignante pour la nomination et en choisissant un processus de nomination non annoncé.
[3] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience, mais a plutôt présenté des arguments écrits portant sur ses politiques et lignes directrices pertinentes. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la plaignante n’a pas démontré que l’intimée a abusé de son pouvoir. Par conséquent, la plainte est rejetée.
II. Les circonstances de la nomination intérimaire
[5] L’inspecteur Timothy Dell’Anna a témoigné au nom de l’intimée. À toutes les périodes pertinentes dans la présente affaire, il était l’officier responsable de la STCGCO. La STCGCO résulte de la fusion qui a eu lieu en février 2021 des unités du crime organisé grave (COG) et du crime financier de l’intimée.
[6] Avant la fusion, chaque unité était dirigée par un sergent d’état-major, qui était un membre régulier de la GRC, et était composée de deux commis au soutien opérationnel et administratif classifiés au groupe et au niveau CR-04. De plus, l’unité du COG avait un poste de supervision classifié au groupe et au niveau CR-05 qui a fini par demeurer au sein de la STCGCO. Lorsque la titulaire du poste CR-05 a pris son premier congé de maternité, des affectations intérimaires par rotation ont été accordées à tous les CR-04. La plaignante a occupé le poste par intérim deux fois.
[7] À la création de la STCGCO, il a été décidé que certaines des fonctions financières du sergent d’état-major seraient déléguées au poste CR-05. Lorsque la titulaire est revenue de son congé, et après que la STCGCO a été établie, elle est partie pour un autre congé de maternité. L’inspecteur Dell’Anna a témoigné qu’après avoir consulté le sergent d’état-major et la titulaire, avant qu’elle ne parte pour son deuxième congé de maternité, il avait déterminé qu’avec l’ajout des nouvelles fonctions financières au poste CR-05, les personnes qui occupaient les postes CR-04 au sein de la STCGCO ne possédaient pas les exigences pour remplir toutes les fonctions du poste CR-05.
[8] L’inspecteur Dell’Anna a également témoigné qu’après avoir consulté une organisation appelée [traduction] « Dotation de la FP », il a déterminé que, pour des raisons opérationnelles et de rapidité, l’intimée procéderait à une nomination effectuée au moyen d’un processus de nomination non annoncé. Il a témoigné que le nom de la personne nommée est issu d’une mesure de dotation antérieure qui ne s’est pas concrétisée. La personne nommée faisait partie d’une organisation distincte au sein de l’intimée, était classifiée au groupe et au niveau CR-04 et possédait les qualifications essentielles du poste CR-05. Il a déclaré qu’il la connaissait, mais qu’il n’avait aucun lien avec elle, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel.
[9] La personne nommée est restée en poste pendant deux mois avant d’accepter un autre poste au gouvernement fédéral. L’inspecteur Dell’Anna a déclaré que son départ a coïncidé avec le retour au travail d’un membre régulier de la GRC envers qui il y avait une obligation de prendre des mesures d’adaptation et que cette personne devait assumer les fonctions du poste CR-05 jusqu’au retour de la titulaire.
III. La plainte et les allégations
[10] Dans son formulaire de plainte, la plaignante a déclaré ce qui suit :
[Traduction]
[...] on m’a promis que cette nomination intérimaire du poste de superviseur de l’administration CR-5 commencerait en novembre 2022. Le ministère n’a pas respecté cela. J’ai été exclu de ce processus de nomination. Le ministère ne m’a pas bien évalué. Le ministère a fait preuve de favoritisme envers le candidat choisi. Le ministère a utilisé une nomination non annoncée.
[11] Elle a également fait les allégations suivantes :
[Traduction]
1. Le ministère a abusé de son pouvoir en n’évaluant pas correctement les critères essentiels des candidats reçus.
2. Le ministère a abusé de son pouvoir en ne considérant pas la plaignante, car elle répondait à tous les critères et atouts essentiels que l’employeur recherchait.
3. Le ministère a abusé de son pouvoir en choisissant le processus de sélection non annoncé. Le ministère a choisi le processus de sélection pour éliminer la plaignante, le ministère savait qu’elle répondait à tous les critères essentiels et atouts, et il ne voulait pas l’embaucher.
IV. Résumé des éléments de preuve
A. Pour la plaignante
[12] La plaignante a bien témoigné en son propre nom. Elle et sa représentante ont soumis un recueil de documents bien préparé à l’appui de sa plainte.
[13] La plaignante a commencé son témoignage en déclarant qu’elle avait travaillé dans le secteur public pendant plus de 27 ans comme CR-04 dans ce qui est devenu la STCGCO. Elle a déclaré qu’au cours de cette période, elle avait occupé des postes intérimaires. Elle a affirmé qu’elle se sentait harcelée et victime de discrimination parce qu’elle s’exprimait ouvertement sur le lieu de travail. Elle a parlé d’un incident où un sergent a demandé à utiliser son code d’accès pour accéder à un système d’information, mais elle a refusé. Elle a également parlé d’une décharge accidentelle d’une arme à feu à l’intérieur des locaux. Personne n’a été blessé, mais elle a quand même été si bouleversée qu’elle a dû quitter le bureau pour le reste de la journée. Elle a déclaré que, grâce à son implication syndicale, elle avait pu avoir une salle dédiée aux agents de la GRC où ils pouvaient nettoyer leurs armes à feu.
[14] Elle a ensuite témoigné de sa longue expérience en comptabilité et en systèmes de gestion de l’information et a déclaré qu’elle était la personne-ressource qui fournissait des réponses à ses collègues et aux enseignants lors des séances de formation. Elle a déposé son curriculum vitae en preuve et a parlé de son expérience de travail et des cours qu’elle avait suivis au fil des ans. Elle a témoigné qu’elle avait occupé le poste CR-05 à titre intérimaire à deux reprises, avant et au moment où les deux organisations ont été réunies. Elle a également offert une comparaison de ses qualifications avec celles de la personne nommée, afin de démontrer qu’elle était également qualifiée pour le poste.
[15] La plaignante a présenté en preuve son « Rapport d’évaluation du rendement » pour 2022. Elle a témoigné de la façon dont elle s’est débrouillée pendant la pandémie de COVID-19 et de la difficulté de cette période, et elle a déclaré qu’elle était fière d’avoir obtenu une cote de rendement « Réussi + ».
[16] Elle a témoigné que, pour ce qui est de la possibilité de nomination intérimaire, on savait que la titulaire devait prendre un congé de maternité, et la plaignante était enthousiaste à l’idée d’une nomination intérimaire de 18 mois. Cependant, le personnel a été convoqué à une réunion en juillet 2022 pour discuter de la dotation du poste de CR-05. On leur a dit que quelqu’un de nouveau, de l’extérieur de l’organisation, allait le doter. Elle a déclaré qu’elle était contrariée et qu’elle avait pris congé le reste de la journée.
[17] La plaignante a témoigné qu’il n’y avait pas eu d’annonce concernant la possibilité d’occuper le poste CR-05 par intérim, seulement l’ANI. Elle a affirmé qu’elle possédait toutes les qualifications essentielles et les capacités requises pour répondre aux critères du poste. Elle a discuté longuement de ses qualifications, afin de préciser comment elle répondait aux exigences du poste.
[18] Elle a fait référence à la réponse de l’intimée à la plainte, qui dit ceci :
[Traduction]
[...] En se fondant sur ses connaissances personnelles, le gestionnaire a jugé que la plaignante ne répondait pas aux deux critères d’expérience en matière d’actifs financiers, soit l’expérience de l’utilisation d’une base de données financières, par exemple SAP (Systèmes, Applications et Produits) ou TEAM, et l’expérience du travail avec des renseignements financiers [...]
[...]
[19] Elle a affirmé qu’elle ne connaissait pas le gestionnaire qui avait fait cette évaluation et ne savait pas comment cette personne aurait connu son expérience et ses qualifications.
[20] La plaignante a témoigné au sujet d’une rencontre qu’elle a eue avec l’inspecteur Dell’Anna à son retour d’une conférence sur l’équité à laquelle elle a assisté à Winnipeg, au Manitoba. Elle a déclaré qu’elle était fière d’avoir été appelée à partager avec d’autres ce qu’elle avait appris à la conférence. Cependant, lors de sa rencontre avec l’inspecteur, ils ont discuté de sa plainte en matière de dotation, et il a demandé : [traduction] « Qu’est-ce qui la rendrait heureuse? », laissant entendre que la personne nommée était un CR-05 qualifié, alors que ce n’était pas le cas. Elle a prétendu qu’il cherchait un règlement alors que ce qui était en cause pour elle, c’était le revenu ouvrant droit à pension qui aurait une incidence sur sa pension et le reste de sa vie.
[21] La plaignante a témoigné que, durant cette même période, elle avait obtenu un poste AS-01 à un autre endroit et que, pour des raisons personnelles, elle l’avait refusé.
[22] Elle a affirmé que le fait de ne pas avoir eu l’occasion d’exprimer correctement son intérêt ou d’être évaluée équitablement lui avait causé un préjudice. Elle estimait que son activité syndicale avait nui à sa carrière et qu’elle était gênée de ne pas avoir été nommée.
[23] Elle a témoigné que le poste n’avait été doté que pour deux mois et qu’il n’avait pas été pourvu après le départ de la personne nommée. Elle a déclaré qu’elle était contrariée par le fait que 16 mois de service ouvrant droit à pension n’aient pas été attribués à quelqu’un, ce qui constituait une mesure d’économie des coûts pour l’intimée. Elle s’est sentie très offensée que la direction préfère laisser le poste vacant pour cette période plutôt que de la nommer.
[24] Lors de son contre-interrogatoire, la plaignante a confirmé qu’elle n’avait pas participé au processus de dotation et qu’elle n’avait pas participé à l’affichage de l’ANI ou à l’évaluation de la personne nommée. À son avis, elle satisfaisait à l’exigence d’expérience financière du poste.
B. Pour l’intimée
[25] Comme il a été mentionné plus tôt dans la présente décision, l’intimée a appelé l’inspecteur Dell’Anna à témoigner. Il a présenté l’historique de ce processus de nomination.
[26] Il a témoigné qu’il avait examiné et approuvé l’évaluation de la personne nommée. Il a examiné tous les éléments de l’énoncé des critères de mérite et a déclaré que la personne nommée satisfaisait aux critères de mérite essentiels et à toutes les [traduction] « autres qualifications », qui, selon lui, étaient les qualifications constituant des atouts. Il a ajouté qu’il savait que la personne nommée était titulaire d’un baccalauréat ès arts en finance et d’un diplôme d’études secondaires. Il a déclaré que, dans l’ensemble, la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles et celles constituant un atout du poste.
[27] Au cours du contre-interrogatoire, l’inspecteur Dell’Anna a déclaré que lorsqu’il s’est préparé pour le processus de dotation, il avait envisagé la possibilité d’offrir une affectation intérimaire par rotation, comme il l’avait fait auparavant. Il a consulté son sergent d’état-major et la titulaire. Il a témoigné que son sergent d’état-major opérationnel partait également et que le nouveau CR-05 ne pourrait pas compter sur elle, ce qui explique pourquoi une affectation par rotation n’aurait pas fonctionné. Il a réitéré que, pour des raisons opérationnelles et de rapidité, l’intimée a procédé à une nomination au moyen d’un processus de nomination non annoncé.
[28] Il a confirmé que la personne nommée est effectivement demeurée en poste pendant deux mois et qu’un membre régulier de la GRC nécessitant des mesures d’adaptation a assumé les fonctions de CR-05 pour le reste de la période. C’est pourquoi le poste CR-05 est demeuré vacant jusqu’au retour de la titulaire. Il a déclaré que c’est une façon normale de fonctionner pour un membre qui nécessite des mesures d’adaptation d’assumer des tâches administratives.
V. Résumé de l’argumentation
A. Pour la plaignante
[29] La représentante de la plaignante s’est fondée sur Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21, au paragraphe 143, pour déclarer que l’intimée a omis de « [...] rédiger une justification écrite complète expliquant en quoi un processus de nomination non annoncé satisfait aux critères établis et aux quatre valeurs de dotation que sont l’équité, la transparence, l’accessibilité et la représentativité ». Elle a fait valoir, d’après Ayotte, que « [l]es administrateurs généraux doivent se conformer à cette ligne directrice en vertu de l’article 16 de la LEFP ».
[30] Elle a ensuite fait référence à Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83, au paragraphe 62, pour faire valoir que le choix du processus de sélection devrait être étayé par une justification écrite.
[31] Elle a renvoyé à l’argument de la CFP qui faisait référence à l’article 36 de la Loi et qui précisait que l’intimée peut utiliser la méthode d’évaluation qu’il juge appropriée. Toutefois, elle a soutenu que la connaissance personnelle de la personne nommée ne constitue pas une méthode d’évaluation appropriée. Elle a soutenu que la plaignante s’était vu refuser une évaluation complète et que son expérience de l’application de l’article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) était toujours valide, bien qu’elle puisse dater. Elle a déclaré que le fait de laisser le poste CR-05 vacant constituait une mesure d’économie. Elle a conclu en déclarant que le processus n’était pas transparent et que, par conséquent, la nomination constituait un abus de pouvoir de la part de l’intimée.
B. Pour l’intimée
[32] L’intimée a fait référence aux articles 30(1) et (2) de la Loi. Elle a également fait référence à Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux paragraphes 39 à 41, et Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, au paragraphe 46, à l’appui de l’argument selon lequel il n’y avait aucune preuve d’abus de pouvoir de quelque façon que ce soit ou de mauvaise foi et que la personne nommée convenait parfaitement au poste.
[33] L’intimée a fait valoir qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer les qualifications et la méthode d’évaluation, conformément aux articles 31 et 36(1) de la Loi. À l’appui de cet argument, elle a renvoyé à Abi-Mansour c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2021 CRTESPF 3, au paragraphe 46, et Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, au paragraphe 25.
[34] L’intimée a déclaré que la preuve a établi que la personne nommée satisfaisait à toutes les qualifications et que son « évaluation narrative » a clairement établi comment elle satisfaisait à tous les critères essentiels des qualifications. Elle a également déclaré que la personne nommée était la bonne personne pour occuper le poste.
[35] L’intimée a soutenu que la plaignante a prétendu qu’elle n’avait pas été évaluée correctement et a déclaré qu’en vertu de l’article 30(4) de la Loi, il n’est pas nécessaire de considérer plus d’une personne pour qu’une nomination soit faite en fonction du mérite. Elle a également soutenu qu’il n’existe pas de droit garanti à un poste, s’appuyant sur Jack c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 26, au paragraphe 18.
[36] L’intimée a soutenu qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire de décider du processus de nomination en vertu de l’article 33 de la Loi. Elle a prétendu qu’elle devait agir rapidement pour doter le poste, que la personne nommée était la bonne personne et que la personne nommée pouvait être libérée de son poste actuel.
[37] L’intimée a soutenu que la plaignante n’a pas établi qu’il y a eu abus de pouvoir. Elle a également soutenu qu’il y avait une exigence opérationnelle d’embaucher une nouvelle personne au poste CR-05 parce que les besoins avaient changé. Elle a soutenu qu’il n’était pas nécessaire de considérer plus d’une personne pour le poste. L’intimée a déclaré que l’inspecteur Dell’Anna connaissait la personne nommée, mais qu’il n’avait aucune relation personnelle avec elle.
[38] L’intimée s’est fondée sur Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, aux paragraphes 53, 55 à 57, 60 à 62 et 86, Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 20, au paragraphe 54, et Portree.
VI. Motifs
[39] Je commencerai mon analyse par l’allégation formulée en vertu de l’article 77(1)b) de la Loi, selon laquelle l’intimée a abusé de son pouvoir en choisissant entre un processus de nomination annoncé et un processus de nomination non annoncé. Je passerai ensuite à l’analyse des allégations formulées en vertu de l’article 77(1)a), selon lesquelles l’intimée a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite en vertu de l’article 30(2).
A. Allégations en vertu de l’article 77(1)b) de la Loi – choix du processus
[40] La plaignante a allégué que l’intimée avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé pour l’exclure du processus de nomination. Elle a prétendu qu’on lui avait promis la nomination intérimaire, mais que l’intimée n’avait pas tenu sa promesse, qu’elle n’avait pas évalué correctement sa candidature et qu’elle avait choisi le processus de nomination pour l’éliminer, et que l’intimée savait qu’elle répondait à tous les critères et qualifications essentiels et ne voulait pas l’embaucher.
[41] La plaignante avait le fardeau de prouver que l’intimée abusait de son pouvoir, comme il est indiqué dans Tibbs c. Canada (Défense nationale), 2006 TDFP 8, au paragraphe 55. Pour réussir, la plaignante devait démontrer, selon la prépondérance des probabilités ou selon la preuve, que l’intimée a effectivement abusé de son pouvoir dans la façon dont elle a évalué la personne nommée ou dans son choix du processus.
[42] L’article 33 de la Loi prévoit que « [l]a Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé ». Cela signifie que le simple fait de choisir un processus non annoncé ne constitue pas en soi un abus de pouvoir de la part de l’intimée.
[43] Le fait que l’intimée ait choisi un processus de nomination non annoncé ne constituait pas un abus de pouvoir. Les circonstances entourant le choix du processus ou la nomination elle-même détermineront s’il y a eu abus de pouvoir. Le choix d’un processus de nomination non annoncé n’est pas un abus de pouvoir.
1. La promesse
[44] La plaignante a déclaré dans son formulaire de plainte qu’on lui avait promis le poste intérimaire. Toutefois, elle n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation. La simple déclaration de la plaignante selon laquelle une promesse a été faite ne suffit pas à établir la création d’une obligation de la part de l’intimée. L’intimée a fait référence à Jack, qui affirme qu’« il n’y a pas de droit d’accès garanti à toutes les possibilités d’emploi ». Cette affaire renvoyait à son tour à Jarvo c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, au paragraphe 32, qui stipule ce qui suit : « Ni la LEFP, ni les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP ne garantissent à un employé le droit d’accès à toutes les possibilités d’emploi. » Je conclus que la plaignante a eu la fausse impression que le processus antérieur de nomination par rotation serait répété, d’où la croyance d’une promesse; dans ces circonstances, la preuve a établi que ce n’était pas le cas.
[45] Étant donné qu’il n’y a aucune preuve qu’une promesse de nomination intérimaire a été faite à la plaignante ou qu’une telle promesse aurait établi une obligation pour l’intimée, cette allégation n’est pas prouvée.
2. Exclusion du processus de nomination
[46] La plaignante a allégué qu’elle a été exclue du processus de nomination, qu’elle n’a pas été prise en considération pour le poste intérimaire et que le choix d’un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir. Elle a affirmé avoir été harcelée et avoir été victime de discrimination en raison de son franc-parler et de son activité syndicale.
[47] La plaignante a fait valoir qu’elle avait occupé le poste CR-05 à titre intérimaire auparavant et qu’elle aurait dû avoir la possibilité d’être prise en considération pour la nomination. Elle s’est appuyée sur Ayotte et Hunter pour affirmer qu’une justification écrite était nécessaire pour appuyer le choix d’un processus de nomination non annoncé.
[48] Elle a fait référence à l’argument de la CFP qui reconnaissait qu’en vertu de l’article 36 de la Loi, la CFP peut utiliser la méthode d’évaluation qu’elle juge la plus appropriée pour évaluer les candidats et candidates. Elle a toutefois soutenu que l’intimée s’est servie de la connaissance personnelle que quelqu’un avait de la plaignante pour l’évaluer, ce qui n’était pas une évaluation adéquate et complète de ses qualifications.
[49] L’inspecteur Dell’Anna a témoigné qu’après avoir consulté la titulaire et le sergent d’état-major, ils ont considéré les commis au sein de l’unité et n’ont pas estimé que les commis étaient en mesure de prendre en charge les responsabilités du poste CR-05. Il a également témoigné que les besoins opérationnels avaient changé et qu’il avait dû procéder rapidement à la dotation du poste. L’inspecteur Dell’Anna a confirmé qu’il connaissait la personne nommée à la suite d’un précédent processus de nomination, qu’elle pouvait être libérée de son organisation et qu’elle était prête à commencer.
[50] L’article 30(4) de la Loi stipule que l’intimée n’est pas tenue de considérer plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Par conséquent, l’intimée n’était pas tenue de considérer quelqu’un d’autre que la personne nommée.
[51] L’inspecteur a témoigné qu’après avoir consulté son sergent d’état-major et la titulaire, il a conclu qu’il devait nommer quelqu’un de l’extérieur de l’organisation dont les qualifications répondraient aux critères de l’énoncé des critères de mérite. Les justifications de la décision relative au processus de sélection et du choix de la personne nommée ont été bien étayées dans le formulaire [traduction] « Demande d’action en dotation de la fonction publique ». Avec ce formulaire, l’intimée a présenté en preuve l’évaluation narrative de la personne nommée.
[52] S’appuyant sur Ayotte, la plaignante a soutenu que l’intimée n’avait pas pris de mesures pour s’assurer que sa décision était appuyée par une justification écrite et que plusieurs erreurs avaient été commises tout au long du processus de nomination. Les erreurs qu’elle invoque sont liées à sa propre évaluation. Toutefois, sa propre évaluation n’était pas requise dans le cas d’un processus de nomination non annoncé. Elle n’a pas non plus réussi à démontrer que ces erreurs constituaient un abus de pouvoir.
[53] Dans Lavigne, la Cour fédérale a analysé en profondeur la notion d’abus de pouvoir, ainsi que sa définition et celle des critères de mérite. Il est dit au paragraphe 61 que « [...] une plainte d’abus de pouvoir sera jugée fondée lorsque la mauvaise foi ou le favoritisme personnel a été établi. Le principe de la mauvaise foi exige un élément d’intention ».
[54] Dans le présent cas, je conclus que la preuve de la justification du choix du processus de nomination, comme l’a présentée l’inspecteur Dell’Anna lors de l’audience et tel qu’elle a été présentée comme preuve documentaire, appuie cette décision. La plaignante a déclaré qu’elle aurait dû être nommée ou du moins qu’on aurait dû envisager de la nommer, mais elle n’a présenté aucune preuve à l’appui de ses allégations. Par conséquent, elle n’a pas démontré qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du processus.
3. L’évaluation de la plaignante
[55] La plaignante a soutenu que l’évaluation de ses qualifications était injuste et incomplète parce qu’elle ne sait pas qui l’a effectuée. Deux éléments doivent être tranchés dans le cadre de cet argument, à savoir son évaluation et l’exigence qu’elle soit évaluée.
[56] S’appuyant sur Jack, l’intimée a soutenu que l’article 30(4) de la Loi prévoit qu’elle n’était pas tenue d’évaluer plus d’un candidat pour la nomination. Comme il a été mentionné ci-dessus, l’employeur n’était pas tenu de tenir compte de la plaignante.
[57] Le témoignage de l’inspecteur a révélé que le sergent d’état-major et la titulaire ont considéré les CR-04 de l’équipe. Toutefois, en raison des fonctions financières supplémentaires, ils ne croyaient pas que les commis étaient en mesure d’assumer les responsabilités du poste CR-05. Bien que la plaignante et les autres CR-04 puissent être en désaccord avec la décision de procéder à une nomination non annoncée, la plaignante n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que cela constituait un abus de pouvoir.
[58] La plaignante a également allégué que le choix du processus de nomination non annoncé visait à l’exclure en raison de son franc-parler et de ses activités syndicales. À l’appui de son allégation, elle a témoigné qu’à la suite de la décharge accidentelle d’une arme à feu, elle a préconisé, à titre de représentante syndicale, la désignation d’une salle réservée au nettoyage des armes à feu.
[59] Bien que cela démontre qu’elle a agi à titre de représentante syndicale, elle n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer l’allégation selon laquelle l’intimée voulait l’exclure de la nomination en raison de son franc-parler ou de ses activités syndicales. Par conséquent, elle n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que l’intimée a abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé.
B. L’intimée n’a pas abusé de son pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi – application du principe du mérite
[60] La plaignante a allégué que l’intimée avait abusé de son pouvoir en n’évaluant pas correctement les critères essentiels de la personne nommée.
[61] La preuve présentée a clairement démontré qu’un énoncé des critères de mérite a été élaboré pour le poste en question. L’évaluation narrative de la personne nommée par rapport à chaque élément de l’énoncé des critères de mérite était également en preuve. Il s’agit d’une évaluation très approfondie. Chaque critère est accompagné d’une justification narrative expliquant comment la personne nommée satisfait à toutes les exigences définies. L’argument de la plaignante était qu’elle aussi possédait les qualifications requises et que, même si une partie de son expérience était peut-être dépassée, elle était toujours valide.
[62] Comme je l’ai mentionné, je ne peux pas substituer mon évaluation des qualifications de la personne nommée à celle de l’évaluateur. La plaignante avait le fardeau de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation des qualifications de la personne nommée. Elle ne l’a pas fait.
C. Allégations de favoritisme envers la personne nommée
[63] Enfin, la plaignante a allégué que l’intimée avait fait preuve de favoritisme envers la personne nommée. Cependant, elle n’a pas présenté de preuve à l’appui. Cette allégation repose principalement sur le fait que la nomination découle d’un processus de nomination non annoncé, et non d’un favoritisme personnel.
[64] L’inspecteur Dell’Anna a témoigné qu’il connaissait la personne nommée, qui venait d’une autre organisation, d’un processus de nomination antérieur qui n’a mené à aucune nomination. Il a témoigné qu’il n’avait aucune relation personnelle avec elle. La représentante de la plaignante l’a contre-interrogé, mais il n’en est ressorti aucun indice de favoritisme à l’égard de la personne nommée.
[65] Le critère permettant de déterminer la présence de favoritisme, connu sous le nom de crainte raisonnable de partialité, est bien établi. Dans le cadre d’un processus de nomination, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si un témoin relativement bien informé pourrait raisonnablement percevoir une partialité de la part d’une ou de plusieurs des personnes responsables de l’évaluation; dans l’affirmative, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») peut conclure qu’il y a eu abus de pouvoir (voir Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTEFP 3, et Hansen c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2022 CRTESPF 9.
[66] La preuve indique que l’inspecteur connaissait la personne nommée à la suite d’un processus de nomination antérieur et qu’il n’avait aucune relation personnelle avec elle. Je conclus que la plaignante n’a pas établi que, selon la prépondérance des probabilités, un observateur relativement bien informé pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part de l’intimée. Je conclus qu’il n’y a pas non plus de preuve à l’appui d’une allégation de crainte raisonnable de partialité en faveur de la personne nommée.
[67] La plaignante a fait remarquer que la personne nommée n’a occupé le poste que pendant deux mois avant d’accepter un autre poste. Elle a également fait remarquer que le poste est demeuré vacant pendant 16 mois, ce qui a empêché d’autres personnes classifiées au groupe et au niveau CR-04 de bénéficier de 16 mois de service ouvrant droit à pension. Elle a prétendu que le fait d’autoriser cette vacance n’était rien d’autre qu’une mesure d’économie de la part de l’intimée.
[68] Ces considérations, bien qu’importantes pour la plaignante, ne sont pas pertinentes pour déterminer si la nomination respectait les critères de mérite. Je suis chargé de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination, et ces considérations n’éclairent en rien cette détermination.
[69] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VII. Ordonnance
[70] La plainte est rejetée.
Le 29 mai 2025.
Traduction de la CRTESPF
Guy Grégoire,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral