Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Politique sur la vaccination exigeait que les employés soient vaccinés contre le virus de la COVID-19, sous réserve de mesures d’adaptation pour des raisons de droits de la personne. Dans le présent cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé des mesures d’adaptation en fonction de ses croyances religieuses. L’employeur a rejeté sa demande. La Commission a évalué sa demande conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, comme suit : 1) la personne a une pratique ou une croyance qui est liée à la religion, et 2) elle est sincère dans ses croyances. La Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé rencontrait les deux éléments. Elle a constaté que son refus de se faire vacciner en raison de l’utilisation de lignées cellulaires fœtales dans le développement du vaccin était lié à sa religion, en tant que catholique traditionaliste, et qu’elle n’avait aucune raison de douter de sa sincérité. La Commission a également conclu que l’employeur avait interféré avec les croyances du fonctionnaire s’estimant lésé d’une manière plus que négligeable ou insignifiante en le forçant à choisir entre enfreindre ses croyances religieuses ou être tenu à l’extérieur du lieu de travail. Le grief a été accueilli et a été scindé en ce qui concerne la question de la réparation.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20250612

Dossier: 566-02-46140

 

Référence: 2025 CRTESPF 73

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Marvin Castillo

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de la Défense nationale)

 

employeur

Répertorié

Castillo c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Sogol Naserian, avocat

Pour l’employeur : Alexandre Toso, Lauren Benoit et Norman Chung, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 13
décembre 2024, le 21 février et le 7 mars 2025.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] Le présent grief porte sur la question de savoir si Marvin Castillo, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), avait droit à une exemption de l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19 pour des raisons religieuses. J’ai conclu qu’il avait droit à une exemption parce qu’il a une croyance religieuse sincère selon laquelle il ne devrait pas recevoir le vaccin. J’ai donc accueilli le grief. Puisque les parties ont demandé que je sépare la question du droit de celle de la réparation, j’ordonnerai simplement que j’accueille le grief et que je conserve ma compétence pour régler toute question de réparation que les parties sont incapables de régler elles-mêmes.

II. Contexte général du grief

[2] Le contexte du présent grief concerne la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique sur la vaccination »). Étant donné que le contexte de la Politique sur la vaccination est le même que celui de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») déjà énoncé dans Bedirian c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2024 CRTESPF 58, je vais simplement reproduire les paragraphes 5 à 8 de cette décision :

[5] Le 6 octobre 2021, le Conseil du Trésor a adopté la Politique sur la vaccination contre la COVID19 applicable à ladministration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique sur la vaccination »). La Politique sur la vaccination exigeait que tous les employés de ladministration publique centrale soient entièrement vaccinés contre la COVID19. Les employés qui n’étaient pas entièrement vaccinés ont été divisés en trois catégories : les employés partiellement vaccinés (c.-à-d. les employés qui ont reçu une dose d’un vaccin autorisé, mais qui n’ont pas reçu une série complète de vaccins), les employés qui ne peuvent pas être entièrement vaccinés et les employés qui ne souhaitent pas être entièrement vaccinés. La Politique sur la vaccination définissait un employé qui ne pouvait pas être entièrement vacciné comme un employé qui ne pouvait pas être entièrement vacciné « […] en raison d’une contreindication étayée par un certificat médical, pour un motif religieux ou tout autre motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». Les employés qui ne pouvaient pas être vaccinés se sont vu accorder des mesures d’adaptation au point de subir une contrainte excessive en faisant du télétravail, en se voyant confier d’autres tâches, en se soumettant à des tests obligatoires de dépistage de la COVID19 ou sous forme dune combinaison de ces mesures.

[6] Les employés avaient jusqu’au 29 octobre 2021 pour soit attester qu’ils avaient été vaccinés, soit demander des mesures d’adaptation. Les employés ont reçu un formulaire à remplir pour indiquer s’ils avaient été vaccinés ou s’ils avaient demandé des mesures d’adaptation. Les employés qui demandaient des mesures d’adaptation en raison de leurs croyances religieuses ont reçu un affidavit vierge dans lequel ils pouvaient expliquer la raison pour laquelle leur croyance religieuse leur interdisait de recevoir le vaccin contre la COVID‑19. Il incombait à la direction d’examiner les demandes de mesures d’adaptation et de décider si des mesures d’adaptation devaient être accordées aux demandeurs pour des motifs religieux. La direction pouvait demander aux employés qui demandaient des mesures d’adaptation de fournir des renseignements supplémentaires avant de prendre sa décision.

[7] En fin de compte, si la direction décidait qu’un employé n’avait pas justifié sa demande de mesures d’adaptation, l’employé était mis en congé sans solde s’il persistait à ne pas être vacciné.

[8] L’employeur a suspendu la Politique sur la vaccination le 20 juin 2022.

 

III. Processus suivi pour trancher le présent grief

[3] Les parties au présent grief ont également suivi un processus semblable à celui utilisé dans Bedirian, qui est décrit en détail aux paragraphes 9 à 22 de cette décision. Essentiellement, la Commission a entendu la présente affaire par écrit. Les deux parties ont déposé des affidavits et ont contre-interrogé les déposants par écrit. En outre, les autorités sur lesquelles les parties se sont appuyées sont moins nombreuses que celles énumérées aux paragraphes 19 et 20 de Bedirian. Au lieu de les énumérer, je me réfère aux plus importantes d’entre elles dans le reste de la présente décision.

IV. Demande de mesure d’adaptation du fonctionnaire

[4] La présente affaire se résume à une question de fait. Les parties ne contestent pas les principes juridiques applicables à la présente affaire, qui ont été exposés aux paragraphes 25 à 32 de Bedirian. En résumé, les parties conviennent que je devrais appliquer le critère juridique énoncé au paragraphe 56 de Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47 :

56 […] [L]a personne qui présente un argument fondé sur cette liberté doit démontrer (1) qu’elle possède une pratique ou une croyance qui est liée à la religion et requiert une conduite particulière, soit parce qu’elle est objectivement ou subjectivement obligatoire ou coutumière, soit parce que, subjectivement, elle crée de façon générale un lien personnel avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de sa foi spirituelle, que cette pratique ou croyance soit ou non requise par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieux; (2) que sa croyance est sincère […]

 

[5] L’ingérence dans la pratique ou la croyance religieuse doit également être plus que négligeable ou insignifiante (voir Amselem au paragraphe 59).

[6] Le 26 octobre 2021, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande de mesure d’adaptation en vertu de la Politique sur la vaccination en raison de ses croyances religieuses. Il a envoyé un affidavit à l’employeur attestant de ses croyances religieuses, en utilisant le formulaire requis en vertu de la Politique sur la vaccination. Le texte de cet affidavit est court et décrit sa croyance religieuse comme suit :

[Traduction]

[…]

a. Que Dieu a créé les hommes à sa propre image (Genèse 1:27) et donc je ne peux pas altérer mon corps de quelque manière que ce soit car mon corps est le temple du Saint-Esprit (1 Corinthiens 6:19) et en injectant une thérapie génique (telle que définie par Pfizer) j’introduis du matériel génétique qui modifiera mon propre génome cellulaire pour produire la protéine de pointe.

b. Toutes les injections utilisées par le Canada pour lutter contre la COVID-2 du SRAS ont été mises au point, produites ou testées à l’aide, à tout moment, de cellules, de tissus ou d’ADN provenant de fœtus avortés. Bien que les avortements aient pu avoir lieu dans les années 60 et 70, le péché n’a pas de date d’expiration. Dieu dit que toutes les vies sont précieuses, exprimant une punition sévère pour ceux qui nuisent à une vie, même dans l’utérus. (Genèse 9:6; Psaume 36:9; Exode 21:22, 23) et en recevant le vaccin, je participe et je deviens complice de ce péché.

[…]

 

[7] Le fonctionnaire a également joint une lettre d’accompagnement à cet affidavit. Le fonctionnaire reconnaît que la majeure partie de cette lettre a été rédigée par son conseiller spirituel, qui l’a reçue de l’archidiocèse d’Ottawa. Toutefois, il a écrit lui-même les deux premiers paragraphes de cette lettre, qui se lisaient comme suit :

[Traduction]

J’écris la présente lettre en complément de l’affidavit ci-joint. Permettez-moi d’abord de dire que j’ai servi dans les Forces canadiennes et à titre de fonctionnaire pendant près de 26 ans et que je n’ai jamais pensé que le jour viendrait où je devrai justifier mes convictions afin de pouvoir faire ce que j’aime faire et ce pour quoi j’ai été embauché, et ce moment est arrivé. Tout au long de ma carrière, comme je l’ai appris, je n’ai jamais discuté de mes croyances et de ma religion profondément enracinées avec qui que ce soit au travail, ni essayé d’inculquer mes propres croyances à quiconque pensait ou agissait d’une manière différente de la mienne. Cela doit être clarifié.

Je suis un catholique baptisé, mais je me considère comme un catholique traditionaliste, cherchant à être exempté de l’obligation de me faire vacciner. La présente lettre explique comment les enseignements de l’Église catholique peuvent conduire certains catholiques, dont moi-même, Marvin Castillo, à refuser certains vaccins.

[…]

 

[8] Enfin, dans le courriel utilisé pour envoyer sa demande, il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le fait que je sois prêt à risquer ma façon de vivre, celle d’une famille au Guatemala frappée par le chômage qui dépend uniquement de moi et d’un orphelin en Tanzanie qui compte sur mes contributions mensuelles pour la nourriture et le logement, devrait vous aider à dissiper tout doute que vous pourriez avoir sur la sincérité de ma foi.

[…]

 

[9] Il a inclus un certain nombre de liens vers des sites Web qui, selon lui, appuient sa position; cependant, je ne les ai pas vus, et aucune des parties n’a soutenu qu’il était nécessaire ou utile pour moi de le faire.

[10] Le 28 octobre 2021, le gestionnaire du fonctionnaire lui a écrit pour lui poser un certain nombre de questions au sujet de sa demande de mesure d’adaptation. Le fonctionnaire a répondu quelques heures plus tard ce jour-là. Ces questions et réponses se lisaient comme suit :

[Traduction]

[…]

1) Pouvez-vous expliquer comment la vaccination va modifier votre corps? [m.castillo] Je n’ai jamais dit qu’un vaccin (selon la définition officielle des vaccins) pouvait altérer votre corps. En tant qu’adjum à la retraite des FAC, je connais directement les effets positifs d’une vaccination correctement testée, car j’ai servi mon pays dans des endroits très austères qui nécessitaient beaucoup de vaccins différents.

2) Si le vaccin contre la Covid n’était pas une thérapie génique (comme vous le prétendez) cela changerait-il votre position concernant la vaccination? [m.castillo] Dans mon courriel original, j’ai fourni une abondante documentation indiquant que ce n’est pas ma prétention, je n’ai pas l’expertise pour prendre une telle décision.

3) Pouvez-vous expliquer comment les vaccins utilisés au Canada ont été développés, produits ou testés à l’aide de fœtus? [m.castillo] Encore une fois, je n’ai jamais dit qu’on utilisait des « fœtus », mais qu’on utilisait des tissus, des cellules et des lignées cellulaires de fœtus pour mettre au point, tester et produire les quatre vaccins actuellement utilisés au Canada. J’ai fourni les documents justificatifs dans mon courriel original.

4) En quoi est-ce différent de recevoir d’autres vaccins ou de prendre d’autres médicaments? (Nous croyons savoir que les vaccins fabriqués à partir de lignées cellulaires sont assez courants) [m.castillo] Aucun des vaccins actuels contre la COVID-19 ne répond à la définition de vaccin. Si un médicament est produit de façon éthique et que l’information (production, composition, etc.) est mise à disposition en temps opportun pour nous, l’utilisateur, afin de prendre une décision éclairée, je ne vois pas de problème à utiliser ce médicament.

5) En quoi est-ce différent de contracter un virus? [m.castillo] Je ne comprends pas vraiment la question, mais je suppose le fait de se faire vacciner contre contracter le virus? Dans le premier cas, votre corps reçoit une injection de code génétique généré par ordinateur qui stimule vos cellules à produire une substance étrangère (appelée protéine de pointe), puis votre système immunitaire détruit cette substance étrangère. Dans l’autre cas, le virus pénètre dans votre corps, le système immunitaire détecte le virus et le détruit. Encore une fois, je ne suis pas un expert en la matière, mais j’ai fourni de nombreux documents à l’appui dans mon courriel original. Je ne sais pas d’où vient l’hypothèse que je suis anti-vaccin, mais je ne suis pas anti-vaccination (selon la définition des vaccins), il faut juste que cela cesse.

6) Comment conciliez-vous le fait que le pape Francis ait reçu le vaccin et encourage tout le monde à se faire vacciner, avec vos propres croyances religieuses? [m.castillo] Cet extrait provient des archidiocèses d’Ottawa [il a ensuite cité la lettre qu’il a fournie plus tôt] […]

[…]

 

[11] Le 3 novembre 2021, le fonctionnaire a reçu l’instruction de travailler de la maison en attendant la décision de l’employeur. Le 23 novembre 2021, l’employeur a rejeté la demande de mesure d’adaptation du fonctionnaire.

[12] L’employeur a informé le fonctionnaire qu’il serait mis en congé administratif non payé à compter du 7 décembre 2021. Toutefois, le fonctionnaire avait déjà été autorisé à prendre un congé payé pendant une partie de cette période; par conséquent, il n’a pas été placé en congé administratif. Le 5 janvier 2022, le fonctionnaire a fourni un certificat médical à l’appui d’une demande de congé de maladie. Le fonctionnaire a pris un congé de maladie payé le 10 janvier, puis un congé de maladie non payé le 10 février. Il n’est jamais retourné au travail et a fini par prendre sa retraite. Il attribue le fait de ne pas être retourné au travail à la décision de l’employeur de ne pas appuyer sa décision de ne pas se faire vacciner.

V. Analyse du bien-fondé du grief

[13] Comme il est indiqué dans Amselem, ma tâche comporte deux volets : déterminer si la croyance du fonctionnaire est liée à la religion et s’il est sincère dans cette croyance. J’ai conclu qu’il satisfait aux deux critères. En plus de ce critère en deux parties, le demandeur doit démontrer que la règle contestée nuit à ses croyances religieuses d’une manière qui est plus que négligeable ou insignifiante. J’ai conclu qu’il répond également à cette exigence.

A. La croyance du fonctionnaire est sincère et a un lien avec la religion

[14] Le fonctionnaire affirme qu’il ne peut pas recevoir de vaccins contre la COVID-19 parce qu’ils comportent une thérapie génique et qu’ils ont été mis au point à l’aide de lignées cellulaires fœtales, deux éléments qui sont contraires à ses croyances religieuses. Je vais mettre de côté la thérapie génique pour le moment et me concentrer sur l’utilisation des lignées cellulaires fœtales.

[15] Dans de nombreux autres cas, les arbitres ont reconnu que l’opposition aux vaccins contre la COVID-19 en raison de l’utilisation de lignées cellulaires fœtales dans la mise au point des vaccins est de nature religieuse; voir Canadian Union of Public Employees, Local 129 v. The City of Pickering, en date du 6 juin 2023, au paragraphe 49; Public Health Sudbury & Districts v. Ontario Nurses’ Association, 2022 CanLII 48440 (ON LA), aux paragraphes 48 et 50 (« Sudbury Public Health »); Island Health v. United Food & Commercial Workers Local 1518, 2022 CanLII 127683 (BC LA), au paragraphe 84; Island Health v. United Food & Commercial Workers Local 1518, 2023 CanLII 2827 (BC LA), au paragraphe 84; Wilfrid Laurier University v. United Food and Commercial Workers Union, 2022 CanLII 120371 (ON LA), au paragraphe 82; Canadian Union of Public Employees, Local 79 v. The City of Toronto, en date du 11 avril 2023, au paragraphe 64; et Canadian Union of Public Employees, Local 129 v. The City of Pickering, en date du 23 mai 2023, au paragraphe 49. La Commission est récemment arrivée à la même conclusion dans Harrison et autres c. Conseil national de recherches du Canada, 2025 CRTESPF 57, au paragraphe 49.

[16] Le cas du fonctionnaire est semblable à celui de Sudbury Public Health. Dans ce cas, l’employée était catholique et membre du Rite tridentin – une approche particulièrement orthodoxe et traditionnelle du catholicisme romain. L’employée a également refusé d’être vaccinée en raison de l’utilisation de lignées cellulaires fœtales dans la mise au point du vaccin. L’arbitre a conclu que l’employeur était tenu de tenir compte des croyances religieuses de l’employée et a accueilli le grief.

[17] Dans le cas présent, le fonctionnaire a dit à l’employeur qu’il était un catholique traditionaliste. Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de cette décision, il a expliqué ce que signifie être un catholique traditionaliste (y compris la présence régulière à la messe, la prière, l’utilisation du chapelet et le jeûne régulier). Fait important pour la présente affaire, être un catholique traditionaliste (selon le fonctionnaire) signifie s’opposer à l’avortement. Cela semble presque exactement la même chose que dans le cas de Sudbury Public Health.

[18] En résumé, les préoccupations du fonctionnaire à l’égard des lignées cellulaires fœtales sont liées à sa religion et je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité.

[19] L’employeur fournit trois principaux arguments pour justifier pourquoi je ne devrais pas accueillir le présent grief. Je rejette les trois.

B. La croyance du fonctionnaire est religieuse, et pas seulement consciencieuse

[20] Premièrement, l’employeur soutient que la croyance du fonctionnaire est liée à sa conscience et non à sa religion. Je ne suis pas d’accord. L’employeur s’est accroché à la lettre du fonctionnaire datée du 26 octobre 2021, dans laquelle il a copié une déclaration préparée par l’archidiocèse d’Ottawa. Cette déclaration explique pourquoi certains catholiques ont reçu le vaccin contre la COVID-19 tandis que d’autres ne l’ont pas reçu. Cette déclaration précise ce qui suit : [traduction] « L’Église catholique romaine enseigne qu’une personne peut être tenue de refuser une intervention médicale, y compris une vaccination, si sa conscience éclairée arrive à ce jugement sûr. »

[21] Dans Bedirian et dans d’autres affaires, la Commission et les arbitres ont conclu qu’il y a une différence entre une objection de conscience au vaccin et une objection religieuse. Essentiellement, la Commission et d’autres arbitres ont rejeté un argument qui équivaut à ceci : « […] Je m’oppose au vaccin en fonction de ma conscience (pour des raisons que je n’explique pas) et les catholiques sont censés suivre leur conscience; mon objection est donc d’ordre religieux. » (Voir Bedirian, au paragraphe 70.)

[22] Ce n’est toutefois pas ce que dit le fonctionnaire (ou la déclaration de l’archidiocèse d’Ottawa). L’archidiocèse d’Ottawa donne à chaque catholique la possibilité de décider par lui-même si la vaccination est conforme à sa foi. Je suis d’accord avec l’arbitre dans Sudbury Public Health lorsqu’il a dit ceci :

[Traduction]

[…]

48. Bien que la direction de l’Église catholique romaine exhorte les membres à se faire vacciner et ait conclu que cela ne constituerait pas une tolérance, une coopération ou une participation à l’avortement, comme la Cour l’a déclaré dans Amselem, la question à trancher au départ ne dépend pas de ce que les chefs religieux suggèrent ou si les actes d’une personne sont conformes à la position des autorités religieuses. Ce qu’il faut, c’est un lien avec la religion ou la croyance, une relation avec un système global de croyances de la religion ou de la croyance. C’est présent ici, car le Rite tridentin est opposé à l’avortement et à la contraception. Le fait que la communauté du Rite tridentin considère que chaque membre doit, selon sa propre conscience, déterminer si le fait de se faire vacciner est de tolérer l’avortement, de coopérer avec celui-ci ou d’y participer, ne fait pas de cette décision une simple préférence ou une croyance unique, distincte et détachée de la doctrine générale de la communauté du Rite tridentin. La décision individuelle sur ce que la foi d’un membre exige pour éviter de tolérer l’avortement, de coopérer avec lui ou d’y participer demeure une décision sur la façon dont un membre interprète et applique sa foi, et elle a un lien avec la croyance de la personne.

[…]

 

[23] De même, dans le cas présent, le fait que l’archidiocèse d’Ottawa soit d’avis que chaque membre doit, selon sa conscience, déterminer si le fait de se faire vacciner est contraire à sa foi ne rend pas la décision du fonctionnaire séparée et distincte de sa foi. Par conséquent, la croyance du fonctionnaire est liée à la religion.

C. Le fonctionnaire a fourni suffisamment de renseignements sur ses croyances religieuses

[24] Deuxièmement, l’employeur soutient que le fonctionnaire n’a pas démontré la sincérité de son opposition au vaccin contre la COVID-19 en raison de sa religion lorsqu’il a déposé sa demande initiale. L’employeur affirme que le fonctionnaire ne lui a fourni aucun renseignement au sujet de son système complet de dogmes et de pratiques. Je ne suis pas d’accord. Le fonctionnaire a clairement déclaré ceci : [traduction] « Je me considère comme un catholique traditionaliste », et ceci : [traduction] « Dieu dit que toutes les vies sont précieuses et exprime une punition sévère pour ceux qui nuisent à une vie, même dans l’utérus. (Genèse 9:6; Psaume 36:9; Exode 21:22, 23) et en recevant le vaccin, je participe et je deviens complice de ce péché. »

[25] De même, l’employeur soutient que les renseignements fournis par le fonctionnaire démontrent seulement qu’il est une personne religieuse en général et ne démontrent pas la sincérité des croyances religieuses particulières sur lesquelles il s’est fondé dans sa demande de mesures d’adaptation. Je ne suis pas d’accord. Le fonctionnaire (dans son affidavit déposé dans le cadre de la présente décision) décrit l’une des caractéristiques de sa foi personnelle comme suit : [traduction] « Je participe au Rosaire avant la messe et l’une des principales intentions de ce Rosaire est de mettre fin à l’avortement. » Le lien entre ses pratiques religieuses et la base de sa demande initiale semble évident. Dans sa demande initiale, il a également été clair en déclarant ce qui suit : [traduction] « […] en recevant le vaccin je prends part et deviens complice de ce péché [d’avortement]. » Il est également clair que le fonctionnaire considère l’avortement comme un péché.

[26] Comme l’a dit la Commission dans Lemay c. Conseil du Trésor (ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2024 CRTESPF 175, au paragraphe 23, « [j]e ne remettrai pas en question les croyances d’un fonctionnaire simplement parce qu’elles ne sont pas formulées avec la clarté et la précision d’un professionnel du droit […] ». Le niveau de détail fourni par le fonctionnaire était suffisant pour démontrer à la fois sa sincérité et le lien entre ses croyances et sa religion.

D. Les antécédents de vaccination du fonctionnaire ne nuisent pas à sa sincérité

[27] Troisièmement, l’employeur souligne que le fonctionnaire était membre des Forces armées canadiennes avant de devenir fonctionnaire. Les membres des Forces armées canadiennes doivent recevoir un certain nombre de vaccins, à la fois comme condition de service et lorsqu’ils sont déployés à différents endroits à l’étranger. Le fonctionnaire ne nie pas avoir reçu de nombreux vaccins et ne s’oppose pas à la vaccination en général. Comme je l’ai indiqué plus tôt, après qu’il a fait une demande de mesure d’adaptation, l’employeur lui a demandé pourquoi il croyait que les vaccins allaient changer son corps. Le fonctionnaire a répondu en soulignant qu’il n’avait jamais prétendu que les vaccins changeraient son corps, ajoutant ce qui suit : [traduction] « En tant qu’adjum à la retraite des FAC, je connais directement les effets positifs d’une vaccination correctement testée, car j’ai servi mon pays dans des endroits très austères qui nécessitaient beaucoup de vaccins différents. » L’employeur l’a contre-interrogé sur ce point, comme suit :

[Traduction]

[…]

[Question] 12. En réponse à la question 1) dans le courriel du 28 octobre 2021 à 11 h 55, vous avez déclaré ceci : « En tant qu’adjum à la retraite des FAC, je connais directement les effets positifs d’une vaccination correctement testée, car j’ai servi mon pays dans des endroits très austères qui nécessitaient beaucoup de vaccins différents. » Veuillez fournir une liste de tous les vaccins que vous avez reçus, ainsi que les dates auxquelles vous les avez reçus.

[Réponse] J’ai reçu divers vaccins dans ma vie et je ne me souviens pas des dates auxquelles ils ont été administrés. Encore une fois, je tiens à le dire très clairement, je ne suis pas contre la vaccination!! Mon objection concerne la thérapie génique et les cellules fœtales avortées utilisées pour tester et/ou produire ces vaccins, ce qui enfreint mes croyances religieuses.

[…]

 

[28] L’explication du fonctionnaire est claire et logique : il ne se préoccupe pas des vaccins antérieurs, mais des vaccins contre la COVID-19 en raison de l’utilisation de lignées cellulaires fœtales dans leur développement (entre autres). Contrairement à ce que soutient l’employeur, cela n’indique pas une opposition purement laïque au vaccin contre la COVID-19.

[29] L’employeur soutient que le fonctionnaire n’a pas expliqué en quoi le vaccin contre la COVID-19 est différent des vaccins qu’il a reçus précédemment. L’employeur semble faire valoir que le fonctionnaire devrait passer en revue ses antécédents vaccinaux depuis qu’il était membre des Forces armées canadiennes et expliquer en quoi chaque vaccin était différent du vaccin contre la COVID-19. Cependant, le fonctionnaire a expliqué en contre-interrogatoire qu’il ne se souvient pas de tous les vaccins qu’il a reçus ni des dates auxquelles il a été vacciné. C’est tout à fait compréhensible; je ne crois pas que beaucoup de gens se souviennent de tous les vaccins qu’ils ont reçus au cours de leur vie. J’ai aussi noté que l’employeur avait déposé un affidavit d’Yves Gauthier, qui était aussi un ancien membre des Forces armées canadiennes devenu fonctionnaire. Il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

8. Au moment de leur enrôlement et en prévision de leur déploiement à l’étranger, les membres des Forces armées canadiennes font examiner leur carnet de vaccination et reçoivent des vaccins pour les protéger contre les maladies suivantes, entre autres : l’hépatite A, l’hépatite B, l’influenza, la diphtérie, la poliomyélite, le tétanos, la varicelle, la rougeole, les oreillons, la coqueluche et la méningococcie. J’estime que j’ai reçu plus de dix doses des vaccins ci-dessus au cours de mon enrôlement.

[…]

 

[30] Le témoin de l’employeur semble savoir quels vaccins le fonctionnaire a probablement reçus et aurait pu déterminer lequel d’entre eux (le cas échéant) a utilisé des lignées cellulaires fœtales dans son développement. L’employeur aurait alors pu demander au fonctionnaire pourquoi il avait reçu ces vaccins. Ce ne fut pas le cas.

[31] En conclusion, le fait que le fonctionnaire ait reçu d’autres vaccins ne me porte pas à douter de sa sincérité. Il a expliqué de façon crédible pourquoi il avait reçu d’autres vaccins, mais n’était pas disposé à recevoir celui-ci.

E. L’employeur a interféré avec les croyances du fonctionnaire d’une manière qui est plus que négligeable ou insignifiante

[32] En plus de démontrer que sa croyance est liée à la religion et qu’elle est sincère, le fonctionnaire doit démontrer que la règle contestée porte atteinte à sa croyance religieuse « […] d’une manière plus que négligeable ou insignifiante […] » (voir Amselem, au paragraphe 59). L’employeur soutient également qu’il n’a pas nui aux croyances du fonctionnaire d’une manière plus que négligeable ou insignifiante, car celui-ci a pris un congé de maladie plutôt qu’un congé administratif.

[33] Le fonctionnaire affirme que son état de santé a été causé par la décision de l’employeur de ne pas lui accorder de mesures d’adaptation pour des motifs religieux, ou du moins qu’il y est lié. J’ai décidé qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer cette allégation pour le moment. Je m’appuie plutôt sur la décision de la Commission dans Bedirian, qui se lit comme suit :

[…]

[54] […] Comme l’arbitre de grief l’a déclaré dans BC Rapid Transit, l’entrave peut tout de même être importante parce que [traduction] « [l]a politique de l’employeur exige qu’il viole ses croyances religieuses sincères en se faisant vacciner ou en se faisant licencier et en subissant les conséquences qui en découlent ». Le fait de devoir faire ce choix constitue une entrave non négligeable des croyances religieuses, peu importe le choix fait.

[…]

 

[34] De plus, je me fie à la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans Matos c. Canada (Procureur général), 2025 CAF 109. La Cour d’appel a réitéré le rôle important que joue le travail dans la vie des personnes (aux paragraphes 37 à 43), puis a conclu au paragraphe 49 qu’un « plaignant n’a pas à démontrer qu’il a été licencié, rétrogradé ou qu’il a perdu des revenus » pour démontrer qu’il a été traité de façon défavorable.

[35] Le fait que le fonctionnaire ait eu des problèmes de santé ne signifie pas qu’il n’a subi aucune conséquence défavorable dans le présent cas ou que l’incidence était négligeable ou insignifiante. L’ingérence non négligeable était le fait que le fonctionnaire a été forcé de choisir entre enfreindre ses croyances religieuses ou être tenu à l’extérieur du lieu de travail. Je n’ai pas besoin de décider si le fait d’être soumis à ce choix a causé son état de santé parce que le fait d’être soumis à ce choix a eu un effet néfaste non négligeable.

F. Il n’est pas nécessaire d’envisager la « thérapie génique »

[36] Comme il a été mentionné précédemment, le fonctionnaire avait deux raisons de ne pas se faire vacciner : la thérapie génique et les lignées cellulaires fœtales. J’ai conclu que les lignées cellulaires fœtales sont suffisantes pour trancher le présent cas, peu importe si la croyance en thérapie génique est liée à la religion ou non. Comme la Commission l’a déclaré dans Bedirian au paragraphe 111, « […] [l]es arbitres de grief ont conclu qu’un employé peut avoir plus d’une raison de décider de ne pas se faire vacciner, et le fait qu’il a exprimé une opposition séculaire à la vaccination ne signifiait pas qu’il ne pouvait pas également avoir des raisons religieuses de ne pas se faire vacciner ». Par conséquent, même si je devais conclure que le point de la thérapie génique était laïque plutôt que religieux, le lien entre la croyance de la lignée cellulaire fœtale et la religion est suffisant pour trancher le présent cas. Cela signifie que je n’ai pas besoin de me demander si le point de la thérapie génique a un lien avec la religion, et je laisse cette question à un autre cas.

VI. Conclusion

[37] Pour ces raisons, j’ai conclu que la croyance du fonctionnaire est liée à la religion et qu’elle est sincère. J’ai également conclu que l’employeur s’était ingéré dans ses croyances d’une manière non négligeable. Par conséquent, je vais accueillir le grief. Comme je l’ai mentionné plus tôt, les parties ont demandé de scinder le grief afin que la question de la réparation soit abordée plus tard, et je rendrai une ordonnance à cet effet.

[38] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[39] Le grief est accueilli.

[40] La Commission conserve sa compétence à l’égard du présent grief pour décider de la réparation appropriée.

Le 12 juin 2025.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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