Date: 20250626
Dossier: 566‑02‑46506
Référence: 2025 CRTESPF 80
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et |
|
entre
Rebecca Wilkinson
fonctionnaire s’estimant lésée
et
CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Emploi et du Développement social)
Répertorié
Wilkinson c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Emilie Taman, avocate
Pour le défendeur : Philippe Giguère, avocat
Affaire entendue par vidéoconférence
et décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 22 et 26 août 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
[1] Le 9 janvier 2020, Rebecca Wilkinson, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a été embauchée en tant que commis de soutien dont le poste est classifié au groupe et au niveau CR‑03 auprès d’Emploi et Développement social Canada (EDSC ou le « défendeur ») pour une nomination pour une période déterminée d’un an. Le 4 janvier 2021, elle a été nommée à ce poste pour une période indéterminée, et le 7 janvier 2021, elle a été nommée à un poste de commis de soutien par intérim classifié au groupe et au niveau CR‑04.
[2] Le défendeur est chargé d’élaborer, de gérer et d’offrir un éventail de programmes et de services sociaux aux Canadiens et aux Canadiennes. Compte tenu de ce mandat, il est chargé de gérer d’importants répertoires de renseignements privés et confidentiels, y compris des données personnelles de nature délicate, et la population canadienne se fie au défendeur en ce qui concerne son intendance et sa protection efficaces de ces renseignements.
[3] Le 3 mars 2021, le défendeur a reçu une plainte de l’époux séparé de la fonctionnaire, un membre du public, qui soupçonnait qu’elle avait obtenu l’adresse domiciliaire de sa petite‑amie (la « cliente ») en utilisant la base de données du défendeur. Une analyse des faits a révélé qu’elle avait accédé à la base de données et obtenu cette adresse le 5 novembre 2020.
[4] Au cours de l’enquête administrative et de l’audience disciplinaire qui ont suivi, la fonctionnaire a admis l’acte répréhensible. Elle a aussi volontairement admis avoir utilisé les renseignements pour passer deux fois en voiture devant la maison de la cliente et avoir demandé à une collègue d’effectuer un autre accès non autorisé en vue d’obtenir l’adresse domiciliaire des parents de la cliente, ce que sa collègue a refusé de faire. La fonctionnaire a admis être consciente de ses responsabilités en vertu du Code de conduite d’EDSC du défendeur (le « Code de conduite ») et a reconnu que ses actes y contrevenaient. Elle a présenté ses excuses relativement à son inconduite et a offert des assurances que cela ne se reproduirait plus jamais.
[5] La fonctionnaire a été licenciée le 26 novembre 2021 et a déposé un grief contre son licenciement le 8 décembre 2021. Le grief a été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour arbitrage le 23 janvier 2023, en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Lors de l’audience, la fonctionnaire n’a pas contesté que le défendeur avait des motifs d’imposer une mesure disciplinaire. Cependant, elle a soutenu que le licenciement était excessif dans les circonstances.
[6] Pour les motifs expliqués dans la présente décision, je conclus que le licenciement n’était pas excessif.
II. Résumé de la preuve
[7] Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits concernant l’inconduite admise, des renseignements généraux et une chronologie des événements. Pour compléter cet élément de preuve et aborder la question de savoir si le licenciement était excessif dans les circonstances, les parties ont cité à témoigner des témoins et ont présenté des preuves documentaires supplémentaires. Le défendeur a convoqué deux témoins, toutes deux ses employées, Stephanie Sfalcin, directrice par intérim, Prestation de services, région de l’Ontario, et Mary Ann Triggs, sous‑ministre adjointe, région de l’Ontario. La fonctionnaire a témoigné pour son compte.
A. La lettre de licenciement
[8] La lettre de licenciement datée du 26 novembre 2021 et signée par Mme Triggs a fourni les motifs du licenciement de la fonctionnaire. Elle comprenait les passages pertinents suivants :
[Traduction]
[…]
J’ai conclu que votre comportement a endommagé de façon irréparable la relation de confiance qui doit exister entre vous et l’employeur. Pour cette raison, je n’ai d’autre choix que de mettre fin à votre emploi conformément aux pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu de l’article 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), avec effet immédiat.
Pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée, j’ai pris en compte que vous n’avez aucun dossier disciplinaire antérieur; que vous avez pleinement coopéré à l’enquête; que vous avez été franche au sujet de vos problèmes personnels et de santé depuis juillet 2020; que vous avez exprimé des excuses et avez fait preuve de remords, et qu’aucune activité frauduleuse n’a été signalée.
J’ai également tenu compte du fait qu’en demandant à votre collègue d’accéder aux renseignements personnels des parents de la cliente, vous avez démontré que vous étiez consciente de la nature inappropriée de vos gestes, et que vous avez utilisé de manière inappropriée votre courriel gouvernemental pour discuter de vos problèmes personnels avec votre ami.
En outre, vous avez suivi le cours de formation sur la gestion de l’information et comportements en milieu de travail le 16 janvier 2020, qui vous a indiqué que vous n’êtes autorisé qu’à accéder aux renseignements nécessaires à votre travail et que toute tentative d’accès ou de communication de renseignements, à des fins d’utilisation, de gain ou d’avantage financier personnels pour vous, votre famille ou toute autre personne est considérée comme une violation du Code de conduite d’EDSC.
Par conséquent, vous avez compris que votre accès non autorisé au dossier et le fait de demander à une collègue d’effectuer un accès non autorisé à l’égard des parents de cette même personne étaient inappropriés.
[…]
B. L’admission de l’inconduite
[9] Dans l’énoncé conjoint des faits, la fonctionnaire a admis l’inconduite et a reconnu que pendant cette inconduite, elle a fait preuve d’un manque d’intégrité et d’intendance, et qu’elle a violé le Code de conduite et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public du Conseil du Trésor (le « Code de valeurs et d’éthique »), qui faisaient partie de ses conditions d’emploi.
[10] Elle a reconnu que le 5 novembre 2020, elle a effectué un accès non autorisé à une base de données confidentielle d’EDSC, afin d’obtenir des renseignements personnels et confidentiels sur la cliente à son avantage, s’accordant ainsi une forme de traitement préférentiel. En particulier, elle a accédé à des renseignements sur la cliente qui ne faisaient pas partie de la charge de travail qui lui était assignée et les a utilisés à des fins personnelles, car elle souhaitait savoir où la cliente vivait et où tout se passait avec son époux. Elle a admis être passée deux fois en voiture devant la maison de la cliente. La première fois, elle voulait voir où se déroulait la liaison de son époux et où son fils pourrait vivre un jour. La deuxième fois avait pour objet de voir si son époux était chez la cliente, car il ne répondait pas à ses appels ou à ses messages.
[11] Elle a reconnu qu’en décembre 2020, elle a tenté d’obtenir un deuxième accès non autorisé à la base de données en demandant à une collègue d’obtenir des renseignements personnels et confidentiels sur la cliente en son nom et à son avantage personnel. Plus particulièrement, la fonctionnaire a demandé à une collègue d’obtenir l’adresse domiciliaire des parents de la cliente afin qu’elle puisse leur envoyer une lettre pour leur faire savoir comment leur fille, la cliente, avait contribué à la rupture de sa famille. La collègue a refusé.
C. Les renseignements généraux convenus
[12] L’énoncé conjoint des faits comprenait un résumé du cadre en place pour protéger les renseignements personnels et confidentiels des Canadiens et des Canadiennes relevant de la responsabilité du défendeur et de la formation que la fonctionnaire a suivie sur ses responsabilités à cet égard.
[13] Le défendeur est assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels (L.R.C., 1985, ch. P‑21), aux politiques et aux directives du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT) en matière de gestion et de protection des renseignements personnels des Canadiens et des Canadiennes, et à la législation habilitante du défendeur, la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (L.C. 2005, ch. 34) et le Règlement sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (DORS/2005‑311).
[14] En raison des risques inhérents à la gestion de grandes quantités de renseignements personnels, le défendeur a également des politiques et des procédures internes pour la collecte, l’utilisation et la divulgation de ceux‑ci, notamment, sans toutefois s’y limiter, la Politique ministérielle sur la gestion de la protection des renseignements personnels et la Politique ministérielle sur la gestion de la sécurité en technologie de l’information.
[15] Dans le cadre de ses fonctions, la fonctionnaire avait accès aux renseignements personnels et confidentiels des clients du défendeur. En janvier 2020, elle a terminé huit modules de formation ou cours sur le sujet du mandat ministériel, la sécurité des renseignements, l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, les valeurs et les fondements éthiques, la gestion de l’information et la sécurité de la technologie de l’information (TI). Cette formation expliquait ses obligations conformément aux directives, aux politiques, aux procédures et à la législation du défendeur, ainsi qu’en vertu du Code de conduite du défendeur et du Code de valeurs et d’éthique du secteur public du Conseil du Trésor.
[16] Dans une déclaration d’employé concernant la protection des renseignements des clients, elle a reconnu qu’elle avait lu et compris ces instruments et qu’elle les respecterait. De plus, chaque fois qu’elle se connectait à son ordinateur, elle devait cliquer sur une fenêtre contextuelle de connexion qui lui rappelait ces obligations.
D. La chronologie des événements convenue
[17] En juin 2020, après 10 ans de mariage, la fonctionnaire a eu des conflits avec son époux, car elle a découvert qu’il avait une liaison avec l’une de ses collègues de travail. Plus tard, ils ont assisté à une thérapie de couple. Elle a commencé à consulter une infirmière praticienne en juillet 2020 et une travailleuse sociale pour de la thérapie le 20 novembre 2020, pour traiter la détresse mentale associée à la découverte de la liaison.
[18] À la fin de novembre 2020, l’époux de la fonctionnaire l’a informée qu’il souhaitait se séparer. En décembre 2020, il a déménagé, et ils ont vendu leur maison familiale en janvier 2021. Ils ne se sont pas réconciliés.
[19] Le 3 mars 2021, le défendeur a reçu une plainte de l’époux séparé de la fonctionnaire, qui soupçonnait qu’elle avait obtenu l’adresse domiciliaire de la cliente à partir de la base de données du défendeur. La plainte indiquait ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Je suis actuellement marié avec [la fonctionnaire] et je suis en instance de divorce. Elle a menacé et diffamé une de mes amies et a découvert où elle habite. Selon moi, elle a seulement pu obtenir ces renseignements en accédant à un système de travail où elle travaille au sein d’EDSC […]
[…]
[20] Une vérification a révélé que la fonctionnaire avait accédé au compte de la cliente le 5 novembre 2020.
[21] Le 12 avril 2021, Mme Triggs a approuvé une enquête administrative. Le 22 avril 2021, au moyen d’une lettre, Mme Sfalcin a informé la fonctionnaire qu’elle faisait l’objet de cette enquête administrative, en lien avec des allégations de violations du Code de conduite.
[22] La fonctionnaire a été interrogée le 28 avril 2021, et le 18 mai 2021, l’Unité des enquêtes internes du défendeur a publié son rapport d’enquête administrative. Elle a joint des courriels personnels qui avaient été trouvés sur le système de courriel du défendeur. Trois courriels provenaient de la fonctionnaire et étaient adressés à son amie, et un venait de son amie. Tous les courriels portaient sur la situation avec son époux séparé. Le premier courriel de la fonctionnaire était daté du 12 août 2020, et dans celui‑ci, elle a encouragé son amie à tenir à jour un compte Instagram avec la cliente, afin qu’elle puisse surveiller les publications de la cliente.
[23] Dans son deuxième courriel, daté du 12 février 2021, la fonctionnaire a informé son amie qu’elle avait utilisé un faux compte Facebook pour envoyer un message à la mère de la cliente afin de l’informer de la relation entre son époux séparé et la cliente. Le courriel énonçait ce qui suit : [traduction] « Cela signifie que ma vengeance finale est complète. »
[24] Dans son troisième courriel, daté du 26 février 2021, la fonctionnaire a dit à son amie que la police l’avait appelée la veille et l’avait interrogée au sujet d’un message qui avait été publié au sujet de la cliente sur un site Web appelé « The Dirty ». Son courriel énonçait ce qui suit : [traduction] « J’ai expliqué au policier qu’ils avaient une liaison et au début, oui, je n’étais pas gentille, mais maintenant je passe à autre chose et je m’en fiche […] Il a dit qu’il ne poursuivait rien pour l’instant, mais si cette situation se poursuit, il devra le faire. »
[25] Le rapport d’enquête a résumé les déclarations de la fonctionnaire lors de l’entrevue, y compris celle‑ci :
[Traduction]
[…]
[…] elle a expliqué que la police l’avait appelée au sujet d’un message offensant publié sur les médias sociaux. Elle a admis lors de l’entrevue qu’elle n’avait pas publié ce premier message comme l’a souligné le policier, cependant, elle a publié un deuxième message vers le 10 mars 2021, et a ajouté qu’elle n’en est pas fière.
[…]
[26] Le rapport d’enquête a conclu que la fonctionnaire avait effectué un accès non autorisé aux bases de données du défendeur afin d’obtenir des renseignements personnels d’un client à son propre avantage et qu’elle avait utilisé ces renseignements dans le cadre de ses affaires personnelles en cours. De plus, elle avait demandé à une autre employée de commettre un acte qui aurait violé le Code de conduite, à savoir accéder à des renseignements non autorisés sur un client. Sa collègue avait refusé.
[27] Il a conclu que la fonctionnaire avait contrevenu au Code de conduite lorsqu’elle a violé la valeur d’intégrité en accédant aux bases de données d’EDSC sans autorisation, en fournissant et en recevant un traitement préférentiel, et en n’agissant pas de manière à maintenir la confiance du défendeur.
[28] La fonctionnaire a reçu une copie du rapport le 14 juin 2021 et a eu la possibilité de soumettre une réfutation écrite.
[29] Elle l’a fait le 24 juin 2024. Elle a affirmé qu’après avoir découvert la liaison de son époux, elle est tombée dans une profonde dépression, ce qui a eu des répercussions importantes pour sa santé mentale. Elle a expliqué qu’elle ne mangeait ni ne dormait et que son processus mental était flou. Elle a également déclaré qu’elle avait suivi des séances de counseling pendant plusieurs mois et qu’elle prenait des médicaments pour son sommeil, sa dépression et son anxiété. De plus, elle a dit qu’elle savait que ce qu’elle avait fait était mal et qu’elle s’efforçait de ne plus jamais agir de la sorte. Elle s’est excusée pour ce qu’elle a fait et a garanti que cela ne se reproduirait plus jamais.
[30] La fonctionnaire a été invitée à assister à une audience disciplinaire le 16 août 2021 pour présenter toute circonstance atténuante que le défendeur pourrait prendre en considération avant de décider des mesures correctives ou disciplinaires appropriées à prendre. Elle a admis qu’elle était au courant des responsabilités que lui impose le Code de conduite. Elle a reconnu que ses actes y contrevenaient et qu’ils violaient la confidentialité et la vie privée de la cliente. Elle a affirmé qu’elle regrettait ses gestes. Elle s’est excusée et a déclaré que cela ne se reproduirait plus jamais.
[31] La fonctionnaire a également fourni plus de renseignements sur ses circonstances personnelles. Elle a attribué son comportement à son état médical et a déclaré qu’elle prenait depuis des médicaments pour la dépression et l’anxiété et qu’elle consultait un conseiller à ce sujet. Elle a eu l’occasion de fournir des documents médicaux pour étayer ses allégations et elle a accepté.
[32] Le 16 août 2021, la fonctionnaire a fourni une note médicale provenant de son infirmière praticienne qui a déclaré : [traduction] « La présente lettre a pour but de confirmer que [la fonctionnaire] a fait l’objet d’un suivi pour la dépression et l’anxiété depuis juillet 2020 en raison de ses conflits conjugaux et de la rupture de sa relation avec son époux l’année dernière en juin 2020. »
[33] Le 23 août 2021, elle a fourni la note médicale suivante provenant de son thérapeute : [traduction] « […] [la fonctionnaire] a commencé à suivre la thérapie avec moi le 20 novembre 2020. Notre approche de traitement a été axée sur la prise en charge des problèmes émotionnels et psychologiques qui ont surgi en raison des facteurs de stress de la vie actuelle à l’aide d’une modalité de thérapie cognitivo‑comportementale. »
[34] Le 27 août 2021, le défendeur a demandé et obtenu le consentement de la fonctionnaire pour obtenir des éclaircissements de son infirmière praticienne.
[35] Le 31 août 2021, le défendeur a reçu les éclaircissements. L’infirmière praticienne a affirmé que depuis juillet 2020, la fonctionnaire avait subi une anxiété et un stress importants, ce qui lui a causé des difficultés à dormir, dont l’ensemble [traduction] « pourrait avoir » eu une incidence sur sa capacité à penser de façon claire et rationnelle, sa concentration et son jugement. De plus, elle a indiqué que la fonctionnaire avait eu des périodes intermittentes de stress et d’anxiété accrues pendant cette période, ce qui [traduction] « pourrait avoir » touché son jugement différemment à différents moments. Enfin, selon son avis médical, elle a indiqué que le comportement n’était pas susceptible de se reproduire.
E. Le témoignage de Mme Sfalcin
[36] Mme Sfalcin a affirmé que tout accès à l’information dans les bases de données du défendeur est réservé aux personnes qui en ont besoin. Les directives, politiques et procédures du défendeur, ainsi que la formation, sont délibérément répétitives pour faire comprendre que d’importantes bases de données de renseignements sont confiées aux fonctionnaires et qu’il est essentiel que le public continue d’avoir confiance qu’ils sont de bons intendants et les utilisent uniquement aux fins prévues, et non à d’autres fins. Il s’agit de la règle cardinale.
[37] Afin d’assurer la sensibilisation des employés, le défendeur a instauré un programme d’attestation annuel qui exige que les employés déclarent qu’ils ont lu et compris le Code de conduite.
[38] Mme Sfalcin a tenu l’audience disciplinaire de la fonctionnaire. Elle a affirmé qu’elle avait décidé de demander des renseignements médicaux supplémentaires puisque la fonctionnaire avait mentionné que sa situation médicale aurait pu avoir une incidence sur sa conduite. Elle a déclaré que le défendeur avait le devoir de se renseigner sur ces types de cas.
[39] Mme Sfalcin a jugé que les premières notes médicales étaient vagues. Elle a demandé des éclaircissements supplémentaires pour établir s’il y avait un lien entre l’état et la conduite de la fonctionnaire. Les notes supplémentaires indiquaient que la capacité de la fonctionnaire à penser de façon claire et rationnelle [traduction] « pourrait avoir » été touchée. L’utilisation du mot [traduction] « pourrait » était équivoque et ne fournissait pas la clarté requise.
[40] Mme Sfalcin a affirmé que tous les renseignements recueillis avaient été analysés avec ses représentants des relations de travail et qu’ils avaient été fournis à Mme Triggs aux fins de décision.
[41] En contre‑interrogatoire, Mme Sfalcin a convenu que la fonctionnaire n’a jamais nié qu’elle comprenait que ce qu’elle avait fait était mal; elle a très franchement admis l’inconduite et n’a pas essayé de réduire au minimum ce qu’elle avait fait. Mme Sfalcin a convenu que la fonctionnaire n’a divulgué les renseignements à personne et a manifesté un véritable remords. Mme Sfalcin a convenu que la fonctionnaire n’a jamais affirmé que sa conduite était attribuable à un problème de santé mentale ou qu’elle était incapable de juger de ses actes lorsqu’elle a accédé à la base de données. Mme Sfalcin a convenu que les renseignements médicaux n’ont été produits que parce qu’elle les a demandés.
[42] Toujours en contre‑interrogatoire, Mme Sfalcin a convenu que dans l’attestation annuelle étaient utilisés les termes [traduction] « pourrait avoir une incidence sur mon employabilité » [je mets en évidence]; il était donc compris que le licenciement était un résultat possible, mais qu’il n’était pas obligatoire. Elle a convenu qu’une décision de licenciement est fondée sur les faits de chaque cas et que certaines utilisations non autorisées ont été plus graves que d’autres.
F. Mme Triggs
[43] Mme Triggs a témoigné qu’elle a autorisé l’enquête sur l’inconduite de la fonctionnaire. Par la suite, elle a examiné le rapport disciplinaire et a pris la décision de licencier la fonctionnaire.
[44] Elle a affirmé qu’elle avait déterminé que la fonctionnaire avait violé le Code de conduite, une condition d’emploi. L’intégrité est l’une de ses valeurs fondamentales, ainsi que l’intendance. Elle exige que les renseignements ne soient utilisés qu’aux fins prévues.
[45] Les actes de la fonctionnaire ont contrevenu à ces valeurs. Elle a utilisé les renseignements d’une cliente pour ses propres fins et pour harceler cette personne. Elle a également tenté d’inciter une collègue à faire de même. En conséquence, non seulement une action, mais une série d’actions a été préméditée et sciemment commise.
[46] Elle a conclu que les actes de la fonctionnaire étaient prémédités compte tenu du courriel de la fonctionnaire à son amie daté du « 2/12/2021 » dans lequel elle écrivait ceci : [traduction] « […] [époux] vient de m’envoyer un message à ce sujet et je suis tellement heureuse que sa mère ait reçu le message. Cela signifie que ma vengeance finale est complète. »
[47] Mme Triggs a indiqué que cela démontrait que les actes de la fonctionnaire faisaient partie d’un plan de vengeance et d’une année entière d’activités. Ce plan était lié à la deuxième inconduite de la fonctionnaire lorsqu’elle a demandé à sa collègue d’obtenir les coordonnées des parents de la cliente en son nom. Elle a affirmé que la participation de sa collègue faisait partie de ce plan de vengeance plus général.
[48] J’ai remarqué que Mme Triggs avait mal indiqué le courriel daté du « 2/12/2021 » comme étant le 2 décembre 2021. Puisque la fonctionnaire a été licenciée le 26 novembre 2021, il est logique que la date réelle soit le 12 février 2021.
[49] Mme Triggs a affirmé qu’elle avait pris en compte toutes les circonstances atténuantes énumérées dans la lettre de licenciement. Elle a indiqué qu’elle avait pris en considération le fait que la fonctionnaire n’avait aucun dossier disciplinaire antérieur. Cependant, elle a également tenu compte du fait que la fonctionnaire avait fait preuve de remords uniquement [traduction] « dans une certaine mesure », car elle a admis son inconduite seulement après avoir été prise en flagrant délit.
[50] Mme Triggs a tenu compte de la gravité de la situation et du fait qu’il s’agissait d’une inconduite publique puisqu’un membre du public avait déposé la plainte. Par conséquent, son inconduite a ébranlé la confiance du public.
[51] En ce qui concerne l’état mental de la fonctionnaire, Mme Triggs a affirmé que les notes médicales de la fonctionnaire n’étaient pas concluantes. Elle a ajouté que tout le monde est confronté quotidiennement à des problèmes personnels, mais que ces situations personnelles n’offraient pas une excuse pour contrevenir au Code de conduite.
[52] Mme Triggs a conclu que le lien de confiance entre l’employeur et l’employé avait été irrémédiablement rompu. La gravité des actes, l’incidence qu’ils ont eue sur le public, et le fait que l’inconduite a été répétée et faisait partie d’un plan prémédité l’ont tous amenée à conclure qu’elle ne pouvait plus faire confiance à la fonctionnaire.
[53] En contre‑interrogatoire, il a été signalé à Mme Triggs que la référence à la préméditation ne figure dans aucun des rapports. Elle a expliqué qu’il s’agissait simplement du terme qu’elle a utilisé pour indiquer que la fonctionnaire avait posé une série de gestes qui se sont produits sur une période prolongée. Elle a convenu que la période entre les événements s’étendait de novembre 2020 à février 2021.
[54] Mme Triggs a été interrogée au sujet de son commentaire selon lequel la fonctionnaire avait utilisé les renseignements pour harceler la cliente. Elle a été invitée à confirmer si le fait de passer deux fois en voiture devant la maison de la cliente constituait un acte de harcèlement. Mme Triggs a répondu par l’affirmative étant donné que les renseignements avaient été obtenus sans le consentement de la personne.
[55] Mme Triggs a convenu qu’en se fondant sur les règles, une mesure disciplinaire moins sévère que le licenciement aurait pu être imposée. Elle a convenu que les circonstances personnelles d’un employé pouvaient constituer une circonstance atténuante, mais que la question de savoir si le lien de confiance avait été irréparablement rompu dépendrait des circonstances de chaque cas.
[56] Mme Triggs a convenu que la fonctionnaire est demeurée sur le lieu de travail pendant sept mois après que l’accès non autorisé a été révélé. Mme Triggs a ajouté qu’il y avait une surveillance spéciale et une surveillance accrue. Mme Triggs en était au courant puisqu’elle était la personne qui les avait demandées.
G. La fonctionnaire
[57] La fonctionnaire a témoigné qu’en juillet 2020 elle a découvert que son époux avait une liaison. Elle a dit qu’après cela, son monde a commencé à s’effondrer et qu’elle ne pouvait rien faire pour l’arrêter. Elle s’est sentie extrêmement gênée et l’a décrite comme une période très sombre de sa vie. Elle a commencé à consulter son médecin et a commencé à prendre des médicaments pour la dépression. Au début, ils ont tenté de sauver leur relation; cependant, en novembre 2020, il lui a demandé une séparation.
[58] La fonctionnaire a affirmé que, pendant cette période, elle n’a pas pris de congé parce que son travail était sa seule constante et la seule bonne chose qu’elle avait. Elle a dit qu’elle se sentait un peu mieux lorsqu’elle était au travail. Elle estimait qu’elle pouvait le gérer, mais elle regrette depuis d’avoir pris cette décision.
[59] La fonctionnaire a décrit le contexte qui l’a amenée à chercher l’adresse de la cliente le 5 novembre 2020. Elle a affirmé qu’à ce moment‑là, son époux partageait sa position avec elle et lui envoyait un message texte lors de chacune de ses pauses, pour lui faire savoir où il était et avec qui il était. À un moment donné, il a cessé de le faire, et elle a perdu la tête. Elle a cherché l’adresse de la cliente simplement parce qu’elle voulait savoir où vivait la cliente et où son fils de trois ans pourrait aller. Elle a affirmé qu’elle n’y avait pas pensé à l’avance; elle a juste perdu la tête et l’a fait.
[60] Elle a affirmé qu’elle avait utilisé ces renseignements pour passer deux fois en voiture devant la maison de la cliente. Elle n’a pas indiqué la date. La première fois, elle souhaitait voir où vivait la cliente, alors elle est simplement passée en voiture devant la maison. La deuxième fois, elle est passée en voiture parce que son époux ne répondait pas, et elle souhaitait savoir s’il était là.
[61] En contre‑interrogatoire, la fonctionnaire a confirmé que la note médicale du 13 octobre 2020 était datée le plus près de l’inconduite. Elle a convenu que lors de ce rendez‑vous, elle a signalé que les choses continuaient à s’améliorer, lentement, et qu’elle était mieux en mesure de se concentrer au travail.
[62] En réinterrogatoire, on a demandé à la fonctionnaire si quelque chose avait changé entre le 13 octobre et le 5 novembre 2020. Elle a répondu que les choses commençaient à s’améliorer parce que son époux l’informait de l’endroit où il se trouvait et des personnes qui étaient avec lui. Ensuite, il a commencé à l’informer moins fréquemment. Et puis, le 5 novembre, elle lui a envoyé un message pendant sa pause, puis pendant son dîner, et il n’a pas répondu. Elle a affirmé qu’il s’agissait du moment où elle a su qu’il était avec la cliente, et elle a simplement perdu la tête. Elle a affirmé qu’elle avait eu une crise de panique, moment où elle a perdu la tête et a cherché l’adresse de la cliente.
[63] La fonctionnaire a décrit le contexte qui l’a amené à demander à une collègue de chercher l’adresse des parents de la cliente. Elle a dit que cette collègue connaissait les noms des parents. Elle a affirmé qu’elles parlaient un jour au travail et qu’il a été mentionné presque en plaisantant pendant leur conversation qu’elle devrait communiquer avec les parents pour leur faire savoir ce qui se passait, parce que la cliente avait détruit sa vie et sa famille, sans aucune conséquence. Après que la fonctionnaire soit retournée à son bureau, elle a envoyé un message à sa collègue et a demandé si elle pouvait obtenir l’adresse des parents pour elle. Elle a dit que la collègue avait refusé et qu’à ce moment‑là, elle a constaté que ce qu’elle faisait était vraiment mal.
[64] Elle a affirmé qu’à la fin de novembre 2020, elle a constaté que le mariage était terminé. Elle a indiqué qu’il s’agissait d’une période très sombre pour elle. Elle a dû passer la période des Fêtes tout en partageant son fils avec son mari séparé et la cliente. Elle a dû déménager de la nouvelle maison qu’ils venaient de construire et retourner chez ses parents.
[65] La fonctionnaire a affirmé qu’elle avait utilisé son courriel professionnel quelques fois pour communiquer avec son amie, puisque son époux travaillait dans le domaine de la technologie de l’information, et elle craignait qu’il puisse voir ses courriels personnels.
[66] En ce qui concerne l’affirmation dans son courriel selon laquelle sa vengeance était complète, la fonctionnaire a déclaré qu’il ne s’agissait que de mots qu’elle avait dits à ce moment‑là. Elle a indiqué que même la cliente confirmerait qu’elle ne s’était aucunement vengée d’elle et qu’elle a toujours été très polie et gentille envers elle. Elle a dit qu’elle a appelé la cliente et lui a dit qu’elle ne lui souhaitait aucun mal, mais que si jamais elle devait avoir un enfant, elle espérait qu’avec le recul elle aurait des remords. Mais c’était tout.
[67] En contre‑interrogatoire, la fonctionnaire a été interrogée sur la question de savoir si elle avait publié quoi que ce soit au sujet de la cliente sur les médias sociaux. Elle a répondu qu’elle n’avait rien publié directement à son sujet et qu’aucune de ses publications n’utilisait le nom de la cliente. À la question de savoir si elle avait publié quelque chose au sujet de la cliente sur Dirty.com, elle a répondu par la négative. Lorsqu’une copie des notes de l’entrevue indiquant qu’elle avait admis l’avoir fait lui a été montrée, elle a déclaré qu’elle devait l’avoir oublié, mais après qu’on lui a rafraîchi la mémoire, elle en a convenu.
[68] La fonctionnaire a déclaré que le défendeur l’avait approchée en avril 2021 au sujet de l’accès non autorisé à la base de données. Elle a affirmé qu’elle n’avait jamais nié son inconduite. Elle a dit qu’elle savait que ce qu’elle avait fait était mal, mais qu’à ce moment‑là elle ne pensait pas correctement ni à rien d’autre.
[69] Elle a affirmé qu’elle a appris seulement pendant l’enquête que son époux séparé avait présenté la plainte à son sujet. À la question de savoir comment il en est venu à soupçonner qu’elle avait obtenu l’adresse domiciliaire de la cliente, elle a répondu qu’elle n’en avait aucune idée, mais qu’elle estimait qu’il l’avait fait par dépit.
[70] Elle a indiqué qu’elle avait continué à travailler comme d’habitude jusqu’à ce qu’elle soit licenciée le 26 novembre 2021.
[71] La fonctionnaire a dit qu’elle est très désolée de ce qu’elle avait fait et qu’elle veut son emploi plus que toute autre chose. Elle n’utiliserait jamais la base de données à des fins non autorisées si elle était rétablie dans son poste. Elle regrette profondément ce qu’elle a fait.
[72] En contre‑interrogatoire, la fonctionnaire a admis qu’elle n’avait pas dit la vérité à son fournisseur de soins de santé quant à ce qui s’était passé à son travail. Elle a dit qu’elle en avait honte et qu’elle ne voulait pas que son fournisseur de soins de santé ait une moins bonne opinion d’elle. Elle a convenu qu’elle était au courant de son obligation de signaler tout accès non autorisé et qu’elle avait choisi de ne pas le faire. Elle a convenu qu’elle est parajuriste et que, compte tenu de cette formation, elle est particulièrement sensible à l’importance de la confidentialité des clients.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour le défendeur
[73] Le défendeur a soutenu que le licenciement était justifié dans les circonstances. Il a fait valoir que l’inconduite était grave puisque la fonctionnaire a fait preuve de mépris délibéré à l’égard de certaines de ses règles les plus fondamentales concernant l’utilisation des renseignements confidentiels des clients.
[74] La fonctionnaire a accédé à des renseignements sans autorisation, pour gérer ses affaires personnelles. Elle a utilisé les renseignements pour traquer l’une des clientes du défendeur. De toute évidence, elle a accordé la priorité à son intérêt privé plutôt qu’à celui du public. Elle a agi en se fondant sur les renseignements lorsqu’elle s’est rendue à la résidence privée de la cliente, où la cliente devrait se sentir en toute sécurité et protégée. L’adresse domiciliaire d’une personne est un renseignement de nature très délicate. Il s’agissait d’une violation très grave du Code de conduite et une atteinte aux droits à la vie privée de la cliente qui sont protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[75] Pourtant, l’inconduite de la fonctionnaire ne s’est pas arrêtée là. Environ un mois plus tard, elle a tenté d’impliquer une collègue dans son inconduite. Elle a demandé à sa collègue d’accéder à la base de données confidentielle du défendeur en vue d’obtenir l’adresse des parents de la cliente, puis de communiquer avec eux pour leur faire savoir ce que leur fille faisait. Encore une fois, elle a accordé la priorité à son intérêt plutôt qu’à celui du public. Il s’agissait d’une autre violation grave.
[76] Le comportement de la fonctionnaire était la marque distinctive de l’abus de son poste et de la confiance du public. Elle a utilisé son poste officiel à son avantage.
[77] En ce qui concerne les facteurs atténuants et aggravants, le défendeur a reconnu qu’aucune mesure disciplinaire antérieure n’avait été imposée à la fonctionnaire. Cependant, on ne devrait accorder que peu ou pas de poids à ce facteur, car elle était une nouvelle employée et n’avait été employée que pendant 10 mois avant la première violation. La violation est survenue pendant sa période de stage. Si elle avait été révélée à ce moment‑là, elle aurait probablement mené à son licenciement pour avoir échoué son stage.
[78] Par conséquent, la fonctionnaire a pu profiter du fait que son inconduite n’avait pas été révélée, puisqu’elle a réussi sa période de stage et a contesté son licenciement devant la Commission en invoquant la norme du motif valable en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi, qui commande une moins grande déférence que celle utilisée dans les cas de renvoi en cours de stage.
[79] La fonctionnaire n’avait pas un long dossier de service crédible sur lequel s’appuyer, une longue période de bonne conduite, ni une longue période de bon service qui pouvait militer en sa faveur. En tant que nouvelle employée, elle n’avait pas travaillé assez longtemps pour établir le genre de soi‑disant [traduction] « équité de confiance » qui mènerait à croire que l’on peut lui faire confiance à l’avenir.
[80] Le défendeur a invoqué Bank of Nova Scotia v. Webster, [2006] C.L.A.D. No. 344 (QL), aux paragraphes 96 et 98, et Ball Packaging Products Canada Inc. v. International Assn. of Machinists and Aerospace Workers, Local 863, [2000] O.L.A.A. No. 785 (QL), au par. 90, dans le cadre de son argument selon lequel le niveau d’inconduite requis pour justifier le licenciement d’un employé ayant seulement une courte période d’emploi est inférieur au niveau requis pour justifier le licenciement d’un employé ayant de longs états de service.
[81] Même si la fonctionnaire a exprimé des remords et a admis un acte répréhensible dans le cadre de l’enquête, peu de poids devrait être accordé à ces remords et à cette admission, car son témoignage était intéressé et parfois contradictoire. Elle a été franche avec le défendeur seulement une fois qu’elle a été découverte. Elle a convenu qu’on lui avait rappelé son obligation à maintes reprises entre son inconduite et l’enquête, mais elle n’a pas signalé son inconduite.
[82] La crédibilité de la fonctionnaire a également été remise en question, compte tenu des renseignements contradictoires qu’elle a fournis au défendeur par rapport à ce qu’elle a confié à son infirmière praticienne. Elle a expliqué qu’elle avait menti à son infirmière praticienne, car elle avait honte de ce qu’elle avait fait, mais elle a aussi divulgué d’autres renseignements qui étaient assez embarrassants.
[83] De plus, le témoignage de la fonctionnaire était difficile à concilier avec le fait que, pendant cette période difficile, elle a continué à travailler et à bien effectuer son travail. Elle a réussi sa période de stage et a même obtenu une promotion. Il était difficile de concilier la façon dont ses circonstances personnelles n’affectaient pas sa capacité à accomplir son travail, mais avaient un effet sur sa capacité à suivre les règles du défendeur. Elle a admis que ces règles étaient claires pour elle.
[84] Le défendeur a reconnu la situation que vivait la fonctionnaire et a fait preuve d’empathie envers celle-ci. Cependant, on pourrait s’attendre à ce que de nombreux employés vivent des périodes difficiles tout au long de leur vie. Cela ne signifie pas qu’un employé peut violer les règles et que le respect de ces règles devienne facultatif. Les règles s’appliquent en tout temps.
[85] Par ailleurs, le défendeur offrait de nombreuses options à la fonctionnaire, comme le congé payé. Elle ne les a pas utilisées. Elle ne devrait pas pouvoir utiliser ses circonstances pour se protéger contre les conséquences de son comportement. Les employés doivent respecter le Code de conduite en tout temps, peu importe leurs circonstances personnelles.
[86] En ce qui concerne les facteurs aggravants, l’inconduite s’est répétée. Elle était constituée d’une série d’actes commis sur plusieurs mois. Elle était également préméditée. Il ne s’agissait pas du produit d’une décision prise sous l’impulsion du moment. Les actes n’étaient pas permis, et elle savait qu’elle ne pouvait pas les faire. Son intention était claire. Elle était fâchée contre son époux et la cliente du défendeur, ce qui était son motif pour obtenir les adresses. Elle a témoigné qu’elle estimait que la cliente s’en était tirée facilement pour ce qu’elle avait fait.
[87] Le courriel de la fonctionnaire à son amie démontrait qu’elle souhaitait se venger et informer les parents de la cliente de ce que la cliente avait fait. Il s’agissait de la motivation de sa deuxième violation. Même s’il avait été normal pour elle de ressentir ce qu’elle ressentait ou de souhaiter savoir ce qu’elle voulait savoir, l’intention ne pouvait pas justifier les gestes posés. Elle savait qu’elle n’était pas autorisée à faire ce qu’elle a fait, mais elle l’a fait quand même. En fait, elle a essayé de le faire une deuxième fois. Par conséquent, le défendeur a soutenu que son comportement répété faisait partie d’un plan d’action calculé et prémédité et non d’une décision prise sous l’impulsion du moment.
[88] La fonctionnaire a délibérément ignoré les conditions de son emploi lorsqu’elle a accédé à des données privées et confidentielles pour son usage et son avantage personnels. Dès le jour où elle a commencé à travailler à EDSC, elle a reçu des fenêtres contextuelles quotidiennes lorsqu’elle ouvrait une session sur son ordinateur. Elle a également participé à une rigoureuse formation d’intégration. On lui a aussi rappelé ses obligations dans sa lettre d’offre et l’attestation annuelle en matière d’intendance. Elle a également été mise en garde à maintes reprises au sujet des conséquences d’une violation des politiques, qui pourrait inclure le licenciement. Elle a volontairement tout ignoré.
[89] De plus, elle était membre du barreau provincial et comprenait l’importance d’assurer la confidentialité des renseignements des clients. Il faut se rappeler que les membres du barreau doivent respecter des normes plus élevées que les membres de la société en général.
[90] Par ses actes, la fonctionnaire n’a pas fait preuve d’intégrité et d’intendance, comme l’exige le Code de conduite. Elle n’a pas agi en tout temps d’une manière qui pourrait résister à l’examen public. Elle ne s’est pas abstenue d’utiliser son rôle officiel pour obtenir un avantage. Elle n’a pas pris toutes les mesures pour régler et révéler tous les conflits d’intérêts apparents entre ses affaires personnelles et l’intérêt public en faveur du public. Elle n’a pas pris en considération les conséquences de ses actes et leur incidence sur la réputation du défendeur.
[91] La protection des renseignements des clients constitue une partie essentielle du mandat du défendeur. La confiance du public dépend de sa capacité à assurer la confidentialité des renseignements relevant de son intendance. La fonctionnaire a rompu cette confiance du public. Ses actes ont amené un membre du public à déposer une plainte. Elle a accédé illégalement à des renseignements privés et confidentiels d’une cliente du défendeur sans son consentement ni son autorisation. Malheureusement, la violation de la vie privée ne peut jamais être corrigée.
[92] Les violations n’étaient pas petites et insignifiantes. Elles étaient sérieuses, graves et répétées.
[93] À l’appui de son argument selon lequel le licenciement était justifié dans les circonstances, le défendeur a invoqué N’Kombe c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CRTESPF 93; Woodcock c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 73; Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43; Gauthier c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 57; Campbell c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 66; et Stiller c. Agence du revenu du Canada, 2022 CRTESPF 25.
[94] En ce qui concerne Foon c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 126, et Mercer c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2016 CRTEFP 11, que la fonctionnaire a cités comme exemples d’un défendeur choisissant une peine moindre, le défendeur a affirmé qu’il lui était toujours loisible d’en choisir une. Cependant, il est toujours possible de faire une distinction de ces cas en fonction de leurs faits. De plus, peu de poids devrait être accordé à ces anciennes décisions, compte tenu de l’augmentation de l’utilisation de la technologie pour entreposer des renseignements personnels et de la nécessité accrue de les protéger.
[95] Le licenciement devrait être maintenu, car il n’existait pas de circonstances atténuantes suffisantes. Le défendeur était sensible à la situation de la fonctionnaire; cependant, les employés doivent suivre le Code de conduite en tout temps, malgré toute circonstance personnelle. Elle comprenait parfaitement que ce qu’elle a fait était mal, mais elle a néanmoins choisi de le faire. Elle n’a pas tenu compte des conséquences que cela avait sur le défendeur et sa capacité à assurer la confiance du public. Ses actes touchaient directement à l’essentiel de la manière dont le défendeur exécute son mandat. Par conséquent, le lien de confiance a été irréparablement rompu. Son inconduite ne pouvait être tolérée et justifiait la conséquence la plus grave.
B. Pour la fonctionnaire
[96] En résumé, la fonctionnaire a soutenu qu’elle avait commis une énorme erreur lorsqu’elle était au plus bas dans sa vie, après que son mariage a pris fin. Après que son amie a refusé sa demande de rechercher des renseignements privés pour elle, tout est devenu clair et l’inconduite a cessé. Lorsqu’elle a été confrontée, elle n’a jamais hésité à reconnaître son inconduite ou à exprimer des remords. La seule personne qui semblait douter de ses remords était Mme Triggs, qui n’avait jamais rencontré la fonctionnaire et a mal interprété ce qu’elle avait fait. Selon Mme Triggs, la fonctionnaire a fait preuve de remords seulement dans une certaine mesure. La fonctionnaire a soutenu que Mme Triggs a mal interprété les circonstances atténuantes et ne les a pas correctement prises en considération.
[97] Il incombait au défendeur d’établir que le licenciement était justifié, notamment en évaluant les circonstances atténuantes. Lorsque ces principes ont été correctement appliqués, il est devenu clair que le licenciement était inapproprié. Citant Andrews c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 100, la fonctionnaire a fait valoir que non seulement le licenciement doit correspondre à l’infraction, mais qu’il est également approprié uniquement en l’absence du potentiel de réadaptation. La jurisprudence de la Commission a établi que l’acceptation d’un acte répréhensible et la manifestation de remords constituent les circonstances atténuantes les plus importantes et des indicateurs du potentiel de réadaptation. Ce n’est que si un fonctionnaire s’estimant lésé est vraiment incorrigible que le licenciement constituera une sanction appropriée.
[98] La fonctionnaire a cité Scott c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 104, pour étayer son argument selon lequel ses circonstances personnelles devaient être prises en considération. Elle a soutenu que le contexte était tel que l’inconduite est peu susceptible de se reproduire.
[99] La fonctionnaire a précisé qu’elle n’invoquait pas son état de santé comme moyen de défense pour son comportement inapproprié. Elle n’a pas allégué que son état de santé nuisait à sa capacité de juger du caractère approprié de son comportement. Cependant, cela explique ses actes et étaye le fait qu’ils sont peu susceptibles de se reproduire. À ce sujet, elle renvoie à Douglas c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2004 CRTFP 60. Elle a soutenu qu’elle est entièrement réadaptée.
[100] L’inconduite n’était ni préméditée ni prolongée. Il n’y a pas eu de série d’événements. Elle s’est reproduite une fois, ce qui ne constitue pas une série. Elle ne s’est pas présentée au travail avec l’intention de le faire. Elle a plutôt agi de manière impulsive. Une décision impulsive est l’opposé d’une décision préméditée.
[101] La fonctionnaire a contesté l’allégation selon laquelle son inconduite était intentionnelle puisque, à ce moment‑là, elle ne pensait pas à ce qu’elle faisait; elle l’a simplement fait. Elle s’est améliorée depuis et a pu voir ce qu’elle a fait. Elle ne répétera pas les mêmes erreurs à l’avenir, puisqu’elle a acquis cette perspective. Cela démontre que son comportement pouvait véritablement être corrigé.
[102] Le deuxième incident doit être mis en perspective. Au cours d’une période de quelques semaines, et la durée exacte de la période n’est pas connue, une collègue et elle ont parlé, presque en plaisantant, d’accéder à l’adresse des parents de la cliente. Cependant, lorsqu’elle a demandé à son amie d’obtenir les renseignements et que l’amie a refusé, tout a été mis au point, et elle a constaté qu’elle avait perdu son sens moral. Son témoignage n’a pas été contesté. Aucun élément ne soutient la conclusion de Mme Triggs selon laquelle il s’agissait simplement d’une autre étape du grand plan de vengeance de la fonctionnaire.
[103] L’inconduite était composée de deux incidents isolés, et elle a ensuite cessé. La fonctionnaire n’a pas nié qu’il s’agissait d’une infraction grave. Cependant, le licenciement était excessif dans les circonstances.
[104] Mme Triggs a exagéré l’avantage pour la fonctionnaire lorsqu’elle a affirmé que la fonctionnaire avait utilisé les renseignements pour traquer la cliente. Selon le témoignage de la fonctionnaire, elle est passée deux fois en voiture devant la résidence de la cliente. Elle ne s’est pas entretenue avec elle et ne l’a pas harcelée. Il n’y avait aucun élément de preuve concernant les conséquences de la violation sur la cliente. Même si elle peut être qualifiée d’une forme d’avantage, elle se trouve à l’extrémité inférieure du spectre. La fonctionnaire n’a tiré aucun avantage financier. De plus, elle n’a pas divulgué les renseignements à un tiers ou n’a accordé à quiconque un traitement préférentiel.
[105] La fonctionnaire a constamment et immédiatement reconnu son inconduite. Elle n’a jamais tenté de la diminuer. Elle a tout admis. Elle a constamment tenté d’établir le contexte de son inconduite en disant qu’elle vivait une période difficile. Il ne s’agissait pas d’une tentative d’excuser la conduite, mais d’établir le contexte, puisque ce n’est pas tous les jours qu’une relation de 20 ans se dissout de manière aussi dramatique. Elle a été touchée d’une manière tellement profonde qu’elle a dû obtenir des soins médicaux. Elle a déclaré que, en rétrospective, elle aurait dû prendre un congé. Cela établit un niveau de compréhension qui indique si le comportement est susceptible de se reproduire.
[106] Elle a admis qu’elle n’avait pas été complètement honnête avec son fournisseur de soins de santé, mais seulement parce qu’elle avait honte. Cela ne devrait pas être utilisé contre elle.
[107] La fonctionnaire a fait référence à Foon et à Mercer, qui concernaient tous deux des accès inappropriés à des données. Elle les a soulignés puisque, à son avis, les inconduites dans ces cas étaient plus graves, et pourtant les pénalités imposées ont été respectivement une suspension de trois et de deux jours. Elle a soutenu que le fait que le défendeur dans Foon ait imposé une suspension de trois jours ne pouvait pas être expliqué par le fait que le défendeur dans la présente affaire prenait les données plus au sérieux maintenant qu’à ce moment‑là.
[108] La fonctionnaire a qualifié Gauthier comme étant l’extrémité supérieure du spectre pour déterminer quand le licenciement sera justifié. La fonctionnaire dans cette affaire a effectué de nombreux accès non autorisés sur une période de trois ans et a donné de fausses déclarations concernant ses qualifications en matière d’éducation dans le cadre de plusieurs processus de nomination. Elle n’a pas accepté la responsabilité de ses actes et ses explications n’ont pas été jugées crédibles. En revanche, la fonctionnaire dans le présent cas n’avait que deux incidents d’inconduite et a pleinement reconnu son acte répréhensible.
[109] La fonctionnaire a reconnu que la jurisprudence invoquée par le défendeur était plus récente. Cependant, elle a fait valoir que les faits différaient dans ces affaires. Les décisions Campbell, Shaver et Woodcock concernaient toutes des fonctionnaires s’estimant lésés qui ne comprenaient pas pleinement le caractère inapproprié de leurs actes. En ce qui concerne N’Kombe, le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas a effectué plus de 500 accès non autorisés. En revanche, la fonctionnaire dans la présente affaire n’en a fait que deux.
[110] La fonctionnaire a soutenu que le fait qu’elle soit une parajuriste agréée ne signifie pas qu’elle devrait être tenue à une norme différente. Un professionnel du droit ne devrait pas être tenu à une norme de perfection et devrait avoir droit à une deuxième chance, s’il peut démontrer que son comportement peut être rectifié.
[111] La fonctionnaire n’a pas été licenciée en cours de stage. Par conséquent, elle avait droit à ce que son cas fasse l’objet d’un arbitrage en fonction de la même norme de motif valable qui s’applique à tous les licenciements disciplinaires, conformément à l’article 209(1)b) de la Loi. Le fait que l’inconduite ait été commise alors qu’elle était encore en période de stage n’était pertinent que dans la mesure où cela faisait référence à son service relativement court. Aucune autorité ne laisse entendre que son statut de stagiaire, en soi, devrait être considéré comme ayant un poids supplémentaire pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée.
[112] Dans Bank of Nova Scotia et Ball Packaging Products Canada Inc., les arbitres de différends ont conclu que la même inconduite dans les mêmes circonstances pourrait entraîner un licenciement pour un employé ayant peu d’ancienneté et une mesure disciplinaire moindre pour un employé ayant beaucoup d’ancienneté. Cela tient simplement compte du principe selon lequel une longue période sans dossier disciplinaire constitue une circonstance atténuante qui, après que tous les autres facteurs aggravants et atténuants ont été pris en considération, peut entraîner une mesure disciplinaire moins grave. En fin de compte, les années de service de la fonctionnaire devraient être un facteur neutre, ni aggravant ni atténuant.
[113] Le fait que la fonctionnaire était dans les dernières étapes de sa période de stage lorsqu’elle a commis son inconduite reconnue ne devrait pas faire pencher la balance en faveur du maintien du licenciement lorsque d’autres facteurs atténuants importants laissent entendre qu’une peine moindre pourrait permettre de réaliser les objectifs correctifs de la mesure disciplinaire.
[114] Dans les circonstances, la fonctionnaire a demandé à être réintégrée avec un salaire rétroactif complet, moins tout montant au titre d’atténuation.
IV. Analyse et motifs
[115] La question à trancher consiste à savoir si la décision de licencier la fonctionnaire était excessive dans les circonstances et, dans l’affirmative, si une solution de rechange devrait être substituée à celle‑ci (voir William Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1). La fonctionnaire n’a pas contesté son inconduite ou le fait que celle‑ci justifiait une mesure disciplinaire.
[116] Pour rendre ma décision, je dois tenir compte de la nature de l’inconduite, ainsi que des circonstances atténuantes et aggravantes.
A. La nature de l’inconduite
[117] Ayant examiné les éléments de preuve, je conclus que la nature de l’inconduite était grave. Elle a violé le Code de conduite du défendeur. Comme l’a dit le défendeur, la fonctionnaire a violé sa règle cardinale, soit d’utiliser les renseignements dans ses bases de données uniquement à des fins prévues.
[118] La fonctionnaire a admis qu’elle était consciente de sa responsabilité de protéger les renseignements confidentiels et privés relevant de l’intendance du défendeur et d’y accéder uniquement s’ils sont nécessaires pour accomplir ses fonctions. Elle a admis qu’elle avait suivi une formation approfondie et qu’elle avait signé une déclaration reconnaissant sa compréhension de ces responsabilités. Malgré cela, elle n’en a pas tenu compte lorsqu’elle a décidé d’obtenir l’adresse domiciliaire de la cliente le 5 novembre 2020.
[119] Ce faisant, elle a violé non seulement le Code de conduite, mais aussi les droits à la vie privée de la cliente. La cliente n’a pas consenti à ce que ses renseignements soient consultés et utilisés de cette manière.
[120] La fonctionnaire a ensuite utilisé ces renseignements à son avantage pour traiter une affaire personnelle. Elle a témoigné qu’elle s’était rendue chez la cliente à deux reprises. Le caractère inapproprié de cet acte ne peut être suffisamment souligné. Si elle avait simplement voulu voir la maison où son fils pourrait vivre un jour, elle aurait pu simplement effectuer une recherche de cette adresse sur Internet. Le fait de choisir de se rendre chez la cliente était une situation entièrement différente. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le domicile d’une personne est pour elle un lieu de refuge, ce qui rendait ces renseignements particulièrement sensibles. Le fait de choisir de se rendre chez la cliente, à deux reprises, a accru la gravité de la violation des droits à la vie privée de la cliente.
[121] D’une manière ou d’une autre, la violation a été découverte et a mené au dépôt d’une plainte par un membre du public. Le fait que le plaignant était son époux séparé n’a pas diminué son importance. La violation a directement ébranlé la capacité du défendeur à maintenir la confiance du public. Cela n’est pas négligeable. La confiance du public dans les institutions publiques est l’un des fondements de la société civile. L’érosion de ce fondement peut avoir de graves conséquences et ne devrait jamais être prise à la légère.
[122] Puis, en décembre 2020, la fonctionnaire a tenté d’inciter une autre employée à participer à son inconduite. Malgré le fait qu’elle savait que cela était interdit, elle a tenté de se servir de son amitié avec une collègue pour obtenir des renseignements supplémentaires non autorisés, encore une fois pour son usage personnel. Heureusement, la collègue a refusé de se conformer à la demande. Le fait qu’elle ait demandé à une autre personne d’obtenir illégalement des renseignements en son nom démontre le caractère cavalier de son attitude à l’égard de ses responsabilités. De plus, le fait que cela se soit produit environ un mois après la première violation annule tout argument selon lequel il s’agissait d’une décision prise sous l’impulsion du moment.
[123] Pour toutes ces raisons, je conclus que la nature de l’inconduite était grave.
B. Les circonstances atténuantes et aggravantes
[124] La fonctionnaire a reconnu qu’une forme de mesure disciplinaire était justifiée. Cependant, elle a soutenu que les circonstances atténuantes étaient telles qu’une pénalité moindre aurait dû être imposée. Elle a affirmé que le contexte de l’inconduite était important : elle vivait une crise personnelle, son mariage s’effondrait en raison de l’infidélité de son époux. Elle a dit que cela l’avait rendue incapable de manger ou de dormir et dans un état de dépression. Même si elle n’a pas prétendu être incapable de juger de ses actes ou de les contrôler, elle a affirmé que néanmoins, ses circonstances avaient affecté son jugement. Elle a soutenu que, étant donné que la nature de ces circonstances était si extrême, il était peu probable qu’elles se reproduisent.
[125] La fonctionnaire a indiqué que, lorsqu’elle a été informée que son inconduite avait été découverte, elle a présenté des excuses, a pleinement coopéré à l’enquête à ce sujet et a accepté sa responsabilité. Elle a soutenu qu’elle est entièrement réadaptée et que le défendeur peut lui faire confiance parce qu’elle ne répétera pas l’inconduite.
[126] Je tiens à souligner que j’ai trouvé la fonctionnaire sincère dans ses regrets et ses remords. Cependant, j’ai également constaté un certain nombre d’incohérences dans son témoignage que je ne peux pas ignorer.
[127] La première concernait l’explication de la fonctionnaire des circonstances qui l’ont amenée à effectuer une recherche de l’adresse de la cliente.
[128] Dans l’énoncé conjoint des faits, elle a affirmé qu’elle avait accédé aux renseignements de la cliente [traduction] « […] car elle souhaitait savoir où la cliente vivait et où tout se passait avec son ancien époux ». Elle a reconnu s’être rendue au domicile de la cliente à deux reprises, dont la première fois était pour voir où la liaison avait lieu et de voir où son fils pourrait vivre un jour et la deuxième fois, elle souhaitait voir si son époux était chez la cliente, car il ne répondait ni à ses appels ni à ses messages.
[129] Cependant, au cours de son témoignage, elle a mentionné que ce deuxième incident était la raison pour laquelle elle avait cherché l’adresse. Elle a témoigné que son époux partageait sa position et qu’il avait soudainement cessé de le faire. Après qu’il n’a pas répondu à ses messages, elle a témoigné qu’elle avait simplement perdu la tête et avait recherché l’adresse. Ces deux versions sont incompatibles. Par conséquent, il n’est pas clair si elle a été honnête lorsqu’elle a expliqué les circonstances qui l’ont amenée à effectuer une recherche de l’adresse de la cliente.
[130] Le deuxième facteur d’incohérence dans le témoignage de la fonctionnaire concernait la cliente. La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait toujours été gentille et polie avec la cliente et qu’elle ne s’était pas vengée d’elle. Les éléments de preuve laissent entendre le contraire. D’après ses courriels professionnels, elle a informé une amie qu’elle avait réussi à envoyer un message à la mère de la cliente sur Facebook et que la cliente avait déposé une plainte contre elle à la police. Les courriels indiquaient qu’elle avait dit à la police que : [traduction] « […] au début, oui, je n’étais pas gentille […] » avec la cliente. Elle disait aussi dans les courriels : [traduction] « Cela signifie que ma vengeance finale est complète. » L’utilisation du mot [traduction] « finale » laisse entendre que d’autres choses se sont produites. De plus, au cours de l’enquête, la fonctionnaire a admis qu’elle avait publié un message au sujet de la cliente sur Dirty.com. D’après le nom du site Web, je suppose que le message n’était pas de nature élogieuse.
[131] Aucun de ces éléments de preuve n’étaye le fait qu’elle n’avait été que gentille et polie avec la cliente et qu’elle ne s’était pas vengée d’elle. Je tiens à préciser que la question de savoir si elle a été gentille ou non avec la cliente n’est pas pertinente pour le présent cas. Toutefois, le fait de ne pas être honnête est pertinent.
[132] La dernière incohérence dans le témoignage de la fonctionnaire concernait ce qu’elle a fait des renseignements qu’elle a obtenus, soit l’adresse de la cliente.
[133] Elle a allégué qu’elle n’a rien fait d’autre que de passer en voiture devant la maison de la cliente à deux reprises. Cependant, comment l’époux séparé de la fonctionnaire aurait‑il su qu’elle avait l’adresse si tout ce qu’elle a fait a été de passer en voiture devant la maison deux fois? Dans sa plainte, il a affirmé ce qui suit : [traduction] « [La fonctionnaire] a menacé et diffamé une de mes amies et a découvert où elle habite. Selon moi, elle a seulement pu obtenir ces renseignements en accédant à un système de travail […] »
[134] À la question de savoir comment son ancien époux avait découvert qu’elle avait obtenu l’adresse de la cliente, la fonctionnaire a répondu qu’elle n’en avait aucune idée et que c’était probablement par dépit. Le libellé de sa plainte donne à penser autrement. Il soulève de sérieux doutes quant à savoir s’il ne s’agissait pas d’une simple promenade en voiture.
[135] Ces incohérences mettent en jeu la crédibilité de la fonctionnaire. Il s’agit de la raison pour laquelle la durée de ses fonctions devient un facteur tellement déterminant. Comme le défendeur l’a affirmé, elle n’avait pas l’équité de confiance accumulée pour le convaincre, puis pour convaincre la Commission qu’elle est digne de confiance. Si elle avait eu un long dossier de bons services sur lequel s’appuyer, il aurait été possible de conclure qu’il ne s’agissait que d’une aberration dans une carrière par ailleurs sans tache. Cependant, ce ne sont pas les faits dont je suis saisie.
[136] Même si j’ai beaucoup de sympathie pour la fonctionnaire et l’horrible situation qu’elle a vécue, néanmoins, le défendeur a le droit de s’attendre à ce que ses politiques soient respectées, indépendamment des tourments personnels d’un employé, sauf preuve médicale du contraire. Dans le présent cas, la fonctionnaire n’invoque pas de tels éléments de preuve. Je conclus qu’elle a commis les violations en sachant parfaitement qu’elles n’étaient pas autorisées. J’ai pris le fait qu’on lui ait offert une nomination pour une période indéterminée le 8 décembre 2020 comme soutien à la position selon laquelle elle était capable de fonctionner suffisamment bien au cours des mois de novembre et de décembre 2020, lorsque les incidents sont survenus, pour réussir sa période de stage et se voir offrir une affectation intérimaire à un niveau supérieur. Cet élément soutient le fait qu’elle avait la maîtrise de ses actes et a pris la décision éclairée d’accorder la priorité à ses intérêts personnels plutôt qu’à l’intérêt public à ces moments‑là.
[137] La fonctionnaire a soutenu que la jurisprudence de la Commission a établi que l’acceptation d’un acte répréhensible et l’expression de remords constituent les circonstances atténuantes les plus importantes et les indicateurs du potentiel de réadaptation. Même si je suis d’accord pour dire qu’elles sont importantes, elles ne sont que deux des circonstances à prendre en considération lors de l’évaluation de la question de savoir si la mesure disciplinaire était excessive.
[138] La fonctionnaire a également renvoyé à Mercer et à Foon pour faire valoir qu’une pénalité moins sévère était appropriée. Elle les a soulignés puisque, à son avis, les inconduites sur lesquelles portaient ces affaires étaient plus graves, mais les pénalités imposées n’étaient que de courtes suspensions. Elle a soutenu que cette disparité des mesures disciplinaires ne pouvait pas être expliquée par le fait que le défendeur prenait maintenant les données plus au sérieux qu’il ne l’avait fait dans le passé.
[139] Le rôle de la Commission n’est pas d’examiner les cas pour de telles disparités. Je dois plutôt déterminer si la décision du défendeur de licencier la fonctionnaire au moment où il l’a fait était excessive dans les circonstances.
[140] Dans le présent cas, elle ne l’était pas. La nature de l’inconduite était grave. La fonctionnaire a suivi une formation approfondie et connaissait ses responsabilités. Elle a néanmoins accédé à des renseignements confidentiels auxquels elle n’avait pas droit. Elle a violé le Code de conduite du défendeur et a porté atteinte au droit à la vie privée de la cliente. Elle a utilisé ces renseignements à son propre avantage. Elle s’est rendue deux fois chez la cliente. Elle a ensuite tenté d’utiliser son amitié avec une collègue pour convaincre cette personne de violer elle aussi le Code de conduite. Ses actes ont donné lieu au dépôt d’une plainte par un membre du public. Cela a ébranlé la confiance du public envers le défendeur. Tout cela s’est produit alors qu’elle était encore dans sa première année d’emploi.
[141] J’ai remarqué que toute la jurisprudence invoquée par la fonctionnaire concernait des fonctionnaires s’estimant lésés qui pouvaient invoquer leur bon comportement antérieur, établi au cours de longues carrières. Je ne souscris pas à son argument selon lequel sa courte carrière ne constituait ni un facteur positif ni un facteur négatif. La nature de son inconduite était grave et elle n’a pas une longue carrière sans tache pour contrebalancer les effets de celle‑ci. La fonctionnaire était à l’emploi du défendeur depuis moins d’un an lorsque les incidents sont survenus. Il s’agit d’une circonstance aggravante importante.
[142] La gravité de l’inconduite, la courte durée de l’emploi de la fonctionnaire, et les doutes soulevés au cours de son témoignage concernant sa sincérité m’amènent à conclure que le lien de confiance ne peut être réparé. Pour ces raisons, l’employeur s’est acquitté de son fardeau, soit d’établir que le licenciement n’était pas excessif dans les circonstances.
C. Ordonnance de confidentialité
[143] La fonctionnaire a demandé que certains renseignements médicaux soient caviardés des pièces qui ont été déposées en preuve.
[144] La Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission prévoit ce qui suit :
[…]
[…] la Commission reconnaît que, dans certains cas, la mention de renseignements personnels au cours d’une audience ou dans une décision écrite peut avoir des répercussions sur la vie de la personne concernée.
Des préoccupations liées à la protection de la vie privée surviennent le plus souvent lorsque des renseignements sur certains aspects de la vie d’une personne deviennent publics (par exemple l’adresse domiciliaire de la personne, son adresse électronique personnelle, son numéro de téléphone personnel, sa date de naissance, son numéro de compte bancaire, son NAS, son CIDP, son numéro de permis de conduire, ou encore des renseignements figurant sur sa carte de crédit ou son passeport). La Commission s’efforce de ne mentionner ce genre de renseignements que s’ils sont pertinents et nécessaires pour décider du différend.
[…]
On recommande aux parties de caviarder les renseignements qui ne sont pas pertinents à leur affaire avant de les envoyer à la Commission et avant de les présenter en preuve à l’audience. Voici des exemples de renseignements à caviarder : un CIDP, de l’information au sujet d’une personne qui n’est pas une partie à l’affaire (les informations financières d’un individu ou d’une entreprise, l’information médicale d’un membre de la famille, etc.), de l’information médicale (numéro de la carte d’assurance‑maladie, date de naissance, etc.), des renseignements de sécurité ou financiers (renseignements fiscaux, NAS, numéro de compte bancaire, salaire, etc.), l’adresse domiciliaire ou l’adresse électronique personnelle d’un individu.
Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes visant la protection de la confidentialité de renseignements et d’éléments de preuve spécifiques, et adapter ses décisions au besoin pour protéger la vie privée d’une personne (notamment en tenant une audience à huis clos, en scellant des pièces présentées en preuve qui contiennent des renseignements médicaux ou personnels de nature délicate ou en protégeant l’identité de témoins ou de tierces parties et des renseignements les concernant).
Il incombe à la partie de demander une ordonnance de confidentialité si elle souhaite que le public n’ait pas accès à ces renseignements. La Commission peut accorder de telles demandes lorsqu’elles respectent les normes applicables reconnues dans la jurisprudence.
[…]
[145] La Cour suprême du Canada a réitéré le critère pour accorder une ordonnance de confidentialité dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, comme suit :
[…]
[38] […] la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :
(1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
(2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et
(3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
[…]
[146] Au paragraphe 73 de cette décision, la Cour suprême du Canada a ajouté que « […] protéger les gens contre la menace à leur dignité qu’entraîne la diffusion de renseignements révélant des aspects fondamentaux de leur vie privée dans le cadre de procédures judiciaires publiques constitue un intérêt public important pour l’application du test ». Elle a ensuite reconnu que l’éventail des renseignements personnels qui, s’ils étaient exposés, pourraient donner lieu à un risque grave comprend des « renseignements liés à des problèmes de santé stigmatisés » et des renseignements qui révèlent « […] quelque chose d’intime et de personnel sur la personne, son mode de vie ou ses expériences » (au par. 77).
[147] La Commission a reconnu que les renseignements médicaux des personnes qui comparaissent devant elle méritent d’être protégés dans des circonstances appropriées (voir Osman c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 180; Employé X c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 18; Matos c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2024 CRTESPF 7; Wercberger c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 41).
[148] Lors de l’audience, le dossier médical de la fonctionnaire du 8 août 2020 au 31 août 2021 a été déposé en preuve en tant que pièce U1 – ONGLET 1. Le dossier médical contient les notes cliniques et les ordonnances établies par son fournisseur de soins de santé, ainsi que certains résultats de tests. Les renseignements que la fonctionnaire demande de caviarder se limitent à des renseignements non liés à la dépression ou à l’anxiété de celle‑ci. Ces renseignements n’ont pas été utilisés dans la défense de la fonctionnaire ni invoqués par le défendeur. Les renseignements ont été seulement déposés en preuve parce qu’ils figuraient par ailleurs dans le dossier médical.
[149] Je suis d’accord pour dire que les renseignements médicaux mentionnés ci‑dessus devraient être caviardés. Les renseignements en question ne sont pas nécessaires à la compréhension de la présente décision. Une ordonnance visant à caviarder les renseignements ne nuirait pas à l’équité des procédures, mais protégerait la vie privée et la dignité de la fonctionnaire. Les avantages de l’ordonnance l’emportent sur son incidence négative sur le principe de transparence judiciaire.
[150] Après la fin de l’audience, les parties ont soumis conjointement une copie caviardée des pièces, y compris le dossier médical de la fonctionnaire. J’ai constaté que le caviardage était conforme à ma décision et, par conséquent, il sera respecté.
[151] D’autres renseignements personnels de nature sensible ont été caviardés des pièces (p. ex. date de naissance, NAS, adresse domiciliaire, adresse courriel personnelle), ainsi que l’identité de tiers qui n’ont pas témoigné et qui n’étaient pas des parties à l’instance. J’ai constaté que les renseignements caviardés étaient conformes à la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission, et par conséquent, ils seront également respectés. Ces renseignements ne sont pas pertinents pour comprendre la présente décision de manière transparente. De plus, l’intérêt public et la justice ne seraient pas mieux servis si ces renseignements figuraient dans la présente décision.
[152] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[153] Le grief est rejeté.
[154] Les pièces caviardées présentées par les parties doivent remplacer les pièces originales déposées en preuve et feront partie du dossier officiel de la Commission.
Le 26 juin 2025.
Traduction de la CRTESPF
Audrey Lizotte,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral