Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20250819

Dossiers: 566-02-42810 et 42811

 

Référence: 2025 CRTESPF 94

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

GHYSLAIN MICHAUD ET JONATHAN CÔTÉ

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

Conseil du Trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Michaud c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Christophe Haaby, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l’employeur : David Perron, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 25 avril,
15 et 23 mai et 21 juin 2025.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Au moment des faits relatifs aux griefs, Ghyslain Michaud et Jonathan Côté (les « fonctionnaires »), étaient des agents correctionnels au groupe et au niveau CX-01. Ils devaient tous les deux être affectés au Centre fédéral de formation (CFF) à Laval, au Québec. Cependant, pendant plusieurs mois en 2012 et 2013, ils ont été affectés à l’établissement Leclerc, qui se trouve lui aussi à Laval, au Québec, à un peu moins d’un kilomètre du CFF. L’employeur procédait alors à une conversion du CFF en établissement à sécurité multiple.

[2] Le 15 mai 2019, les fonctionnaires ont chacun déposé un grief individuel réclamant des montants auxquels ils prétendent avoir droit selon la Directive sur les voyages et la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte (CNM). Il n’est pas nécessaire ici d’expliquer plus en détails la teneur des griefs et les mesures correctives demandées. En effet, la seule question devant moi pour l’instant est une objection de l’employeur selon laquelle les griefs sont hors délai.

[3] La convention collective applicable est celle conclue entre le Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur ») et l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l’« agent négociateur ») qui a expiré le 31 mai 2010 (la « convention collective »).

[4] Aux deux premiers paliers de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a répondu que les griefs étaient hors délai, même s’il a aussi pris soin de les rejeter sur le fond. La clause 20.10 de la convention collective stipule qu’un grief doit être déposé dans les 25 jours où un fonctionnaire prend connaissance des circonstances donnant lieu au grief.

[5] Au dernier palier, le comité exécutif du CNM a lui aussi rejeté les griefs sur la base qu’ils avaient été soumis hors délai. Enfin, lors du renvoi à l’arbitrage en mars 2021, l’employeur a de nouveau soulevé le fait que les griefs avaient été déposés en dehors des délais prescrits par la convention collective et il s’est opposé au renvoi à l’arbitrage.

[6] Les parties ont demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de traiter tout d’abord de la question des délais sur la base d’arguments écrits. La Commission a accepté la suggestion commune des parties.

[7] Après avoir analysé les arguments des parties et la jurisprudence, j’ai décidé de rejeter l’objection de l’employeur.

II. La procédure de règlement des griefs

[8] Afin de faciliter la compréhension des faits et des arguments soumis par les parties, il est à propos de citer dès le départ certaines dispositions de la convention collective sur la procédure de règlement des griefs et de certaines dispositions de la procédure de règlement de griefs du CNM.

[9] Les dispositions pertinentes de la convention collective se lisent comme suit :

20.01 En cas de fausse interprétation ou d’application injustifiée présumée découlant des ententes conclues par le Conseil national mixte (CNM) de la fonction publique au sujet de clauses qui peuvent figurer dans une convention collective et que les parties à la présente convention ont ratifiées, la procédure de règlement des griefs sera appliquée conformément à l’article 15 des règlements du CNM.

20.01 In cases of alleged misinterpretation or misapplication arising out of agreements concluded by the National Joint Council (NJC) of the public service on items which may be included in a collective agreement and which the parties to this agreement have endorsed, the grievance procedure will be in accordance with section 15 of the NJC By-Laws.

[…]

20.11 Au premier (1er) palier de la procédure, un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.07 peut être présenté, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

20.11 A grievance may be presented at the first (1st) level of the procedure in the manner prescribed in clause 20.07 no later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which he or she is notified orally or in writing or on which he or she first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the grievance.

20.12 L’Employeur répond normalement au grief individuel ou collectif, à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs sauf au dernier, dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief audit palier. Si la décision ou le règlement du grief ne donne pas satisfaction à l’auteur du grief, le grief peut être présenté au palier suivant de la procédure dans les dix (10) jours qui suivent la date à laquelle il reçoit la décision ou le règlement par écrit.

20.12 The Employer shall normally reply to an individual or group grievance, at any level in the grievance procedure, except the final level, within ten (10) days after the date the grievance is presented at that level. Where such decision or settlement is not satisfactory to the grievor, the grievance may be referred to the next higher level in the grievance procedure within ten (10) days after that decision or settlement has been conveyed to him or her in writing.

**

**

20.13 À défaut d’une réponse de l’Employeur dans le délai prescrit au paragraphe 20.12, à tous les paliers sauf au dernier, l’auteur du grief peut, dans les dix (10) jours qui suivent, présenter un grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs.

20.13 If the Employer does not reply within the time prescribed in clause 20.12 from the date that a grievance is presented at any level, except the final level, the grievor may, within the next ten (10) days, submit the grievance at the next higher level of the grievance procedure.

20.14 L’Employeur répond normalement au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les trente (30) jours qui suivent la date de la présentation du grief à ce palier.

20.14 The Employer shall normally reply to a grievance at the final level of the grievance procedure within thirty (30) days after the grievance is presented at that level.

[…]

20.17 Les délais stipulés dans la présente procédure peuvent être prolongés d’un commun accord entre l’Employeur et l’auteur du grief et, s’il y a lieu, le représentant du Syndicat.

20.17 The time limits stipulated in this procedure may be extended by mutual agreement between the Employer and the grievor and, where appropriate, the Union representative.

[…]

 

[10] Les dispositions pertinentes de la procédure de règlement des griefs du CNM se lisent comme suit :

[…]

15.1.5 Les paliers de la procédure de règlement des griefs sont les suivants :

a) premier palier - le représentant de l’employeur autorisé à s’occuper des griefs au premier palier;

b) deuxième palier - agent de liaison ministériel ou de l’organisme (ALM/ALO);

c) dernier palier - Comité exécutif.

15.1.6 Le fonctionnaire ou le groupe de fonctionnaires s’estimant lésé doit présenter le grief au premier palier de la procédure, de la façon prescrite au paragraphe 15.1.7, dans un délai de 25 jours ouvrables suivant la date à laquelle il est avisé oralement ou par écrit ou celle à laquelle il a connaissance du geste ou des circonstances donnant lieu au grief.

15.1.7 Le fonctionnaire s’estimant lésé doit transmettre le grief à son supérieur immédiat, ou à l'agent local qui doit, sur-le-champ :

a) transmettre le grief au représentant de l’employeur autorisé à traiter les griefs au palier approprié; et

b) fournir au fonctionnaire une copie du grief indiquant la date à laquelle ce représentant l'a reçue.

15.1.8 Sous réserve du paragraphe 15.1.19, l’employeur doit répondre au grief du fonctionnaire dans les dix jours ouvrables de la date à laquelle il a été entendu au premier palier. Lorsque la décision ou le règlement ne satisfait pas le fonctionnaire, ou lorsqu’il n’y a pas eu d’audience au premier palier dans les délais prescrits, il peut, par l’entremise de son supérieur immédiat ou de l’agent local, présenter le grief au palier suivant dans les dix jours ouvrables qui suivent la date à laquelle la réponse lui a été communiquée par écrit. Si l’employeur n’a pas répondu au fonctionnaire s’estimant lésé par écrit, ce dernier peut toujours, par l’entremise de son supérieur immédiat ou de l’agent local, présenter le grief au palier suivant dans les dix jours ouvrables qui suivent le dernier jour où l’employeur était tenu de répondre au grief.

15.1.9 L’ALM/ALO doit répondre au grief du fonctionnaire par écrit dans les 15 jours ouvrables de la date à laquelle il a été entendu au deuxième palier.

15.1.10 Lorsque le fonctionnaire n’est pas satisfait de la réponse de l’ALM/ALO, que l’ALM/ALO ne lui a pas répondu, ou qu’aucune audience au deuxième palier n’a eu lieu dans les délais prescrits, il peut, dans les dix jours ouvrables, présenter le grief au dernier palier par l’entremise de son supérieur immédiat et de l’agent local. L’ALM/ALO est chargé de porter le grief à l’attention du Comité exécutif par l’entremise du secrétaire général.

15.1.11 Lorsqu’un grief est transmis au secrétaire général, celui-ci, ou la personne que celui-ci aura désignée, doit aviser les ministères, par écrit, que l’ALM/ALO a dix jours ouvrables suivant la date de réception du grief au dernier palier pour produire une réponse au deuxième palier, si le ministère a omis de le faire dans les délais prescrits au paragraphe 15.1.9.

15.1.12 Lorsque le ministère ne parvient pas à produire une réponse au deuxième palier dans les délais prescrits au paragraphe 15.1.11, il peut demander au secrétaire général, ou à la personne que celui-ci aura désignée, une prolongation raisonnable du délai. Si aucune réponse au deuxième palier ni aucune demande raisonnable de prolongation n’a été reçue dans les dix jours ouvrables, le grief sera instruit sans réponse au deuxième palier.

15.1.13 Si l’une ou l’autre des parties souhaite présenter une objection, y compris une objection relative au respect des délais ou à la compétence, celle-ci doit être reçue dans les 30 jours ouvrables de la date de réception du grief par le secrétaire général au dernier palier.

15.1.14 Une objection quant au respect des délais ne peut être soulevée au dernier palier, que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief pour ce motif.

[…]

 

III. Les faits tels que soumis par les parties

[11] Dans le cas d’un des fonctionnaires, l’affectation temporaire à l’établissement Leclerc a commencé le 30 janvier 2012 et s’est terminée le 11 février 2013. Dans le cas de l’autre fonctionnaire, l’affectation temporaire à l’établissement Leclerc a commencé le 13 février 2012 et s’est terminée le 23 février 2013. Le litige entre les parties porte sur les montants auxquels les fonctionnaires auraient eu droit lors de ces affectations selon les directives du CNM.

[12] Les griefs ont été déposés le 15 mai 2019. Ils comprennent entre autres la mention suivante :

[…]

Ma réclamation à ce sujet n’a jamais été tranchée par l’employeur, malgré le fait que plusieurs discussions ont eu lieu depuis les événements en vue d’en arriver à un paiement. L’employeur a finalement transmis un courriel au Syndicat, le 25 mai 2018, affirmant qu’il rompait les discussions tant qu’un grief ne serait pas déposé. Je dépose donc un grief dans les 25 jours ouvrables de cet avis de l’employeur.

[…]

 

[13] Les réponses de l’employeur au premier palier sont datées du 31 juillet 2019. Un des fonctionnaires a reçu sa réponse le 6 août 2019 et l’autre le 13 août 2019. Je fais remarquer que le 20 juin 2019, l’agent négociateur avait accordé à l’employeur une prolongation de délai jusqu’au 31 juillet 2019 pour répondre aux griefs au premier palier. Dans ses réponses, l’employeur a mentionné que les griefs avaient été déposés en dehors du délai de 25 jours et que le dossier « remonte à plusieurs années déjà ».

[14] Le 15 août 2019, l’agent négociateur a transmis les griefs au deuxième palier. L’employeur a accusé réception de ces avis de transmission au deuxième palier le 19 août 2019.

[15] Le 2 octobre 2019, l’agent négociateur a transmis les griefs au troisième palier, soit, dans le présent cas, au comité exécutif du CNM.

[16] Le 8 octobre 2019, l’agente de liaison ministérielle de l’employeur a transmis au CNM, sans autre explication, ce qu’elle a appelé « la documentation pertinente » aux griefs. Cette documentation comprenait les griefs, les réponses au premier palier et les formulaires de transmission des griefs au deuxième et au troisième palier.

[17] Le 13 avril 2020, soit environ six mois après que l’agent négociateur ait transmis les griefs au dernier palier, Laura Stanford, conseillère principale aux comités du CNM, a écrit à l’agent négociateur. Elle l’a informé qu’elle n’avait toujours pas reçu la réponse de l’employeur au deuxième palier, mais que l’employeur avait soulevé une objection dans sa réponse au premier palier selon laquelle les griefs avaient été déposés hors délai. Mme Stanford a alors demandé à l’agent négociateur de lui fournir sa position sur l’objection de l’employeur au plus tard le 8 mai 2020.

[18] Le 14 avril 2020, l’agent négociateur a répondu à Mme Stanford, lui demandant si l’employeur avait soulevé une objection concernant les délais au dernier palier. Il a aussi ajouté que si l’employeur n’avait pas répondu au grief au deuxième palier, il ne pouvait donc pas avoir soulevé une objection à ce même deuxième palier. Le 17 avril 2020, Mme Stanford a répondu à l’agent négociateur que l’employeur n’avait pas soulevé l’objection concernant les délais au dernier palier. Elle a ajouté que même si le CNM n’avait pas reçu la réponse de l’employeur au deuxième palier, elle ne pouvait pas présumer du contenu de cette réponse. Elle a aussi réitéré sa demande que l’agent négociateur présente ses arguments sur la position de l’employeur au premier palier quant au non‑respect du délai pour soumettre les griefs.

[19] Le 20 avril 2020, l’agent négociateur a écrit à Mme Stanford que, selon les règlements du CNM, il incombait à l’employeur de soulever une objection et que l’employeur ne l’avait pas fait. Selon l’agent négociateur, il n’incombait pas au CNM de soulever une objection, mais bien à l’employeur. Le CNM devait quant à lui « rester neutre et impartial ». Le même jour, Mme Stanford a répondu à l’agent négociateur qu’il avait raison, et que c’était à l’employeur de soulever une objection. Elle a ajouté que, bien que l’objection ait été soulevée au premier palier, elle ne l’avait pas été au palier suivant. Le 5 mai 2020, l’agent négociateur a répondu à Mme Stanford qu’il ne répondrait pas à l’objection à ce stade, mais qu’il le ferait si l’employeur soulevait l’objection concernant les délais avant l’audience.

[20] Le 3 septembre 2020, l’employeur a répondu aux griefs au deuxième palier, les rejetant sur la base qu’ils avaient été soumis au-delà du délai de 25 jours prévu dans la convention collective. Notons ici que la réponse de l’employeur au deuxième palier a été émise quelques 11 mois après que l’agent négociateur ait transmis les griefs au troisième palier et plus d’un an après qu’il les ait transmis au deuxième palier.

[21] Le 5 mars 2021, le secrétaire général du CNM a informé l’employeur que le comité exécutif du CNM s’était réuni le 3 février 2021 et qu’il avait étudié les griefs pour « […] régler la question du respect des délais ». Il a alors écrit ceci : « Le Comité exécutif a examiné les circonstances et les arguments relatifs au respect des délais associés à ces griefs. Le Comité exécutif a convenu que les griefs étaient hors délai. Par conséquent, les griefs sont rejetés. »

[22] Le 8 mars 2021, la décision du CNM a été transmise à l’agent négociateur par Aaron McDonald, agent d’administration au CNM. Le 9 mars 2021, l’agent négociateur a écrit à M. McDonald, se disant surpris d’une telle réponse du CNM alors qu’aucune objection formelle n’avait été soulevée par l’employeur au dernier palier. Il a alors rappelé l’alinéa 15.1.14 du règlement du CNM et les échanges de courriels qu’il avait eus avec Mme Stanford en avril 2020. Il a ajouté qu’il y voyait de sérieux accrocs à l’équité procédurale. Le 12 mars 2021, Sean Ross, secrétaire général du CNM, a répondu que le comité exécutif avait « […] examiné les griefs directement pour éclaircir la question du respect des délais ». Le Comité aurait alors constaté que les griefs avaient été déposés après l’expiration du délai de 25 jours pour déposer un grief. Selon M. Ross, le comité a constaté que les fonctionnaires avaient été avisés le 25 mai 2018 par l’employeur qu’il rompait les discussions avec eux et que les fonctionnaires n’avaient déposé des griefs qu’un an plus tard.

[23] L’agent négociateur a renvoyé les griefs à l’arbitrage le 29 mars 2021. Le 12 avril 2021, la Commission en a avisé formellement l’employeur. Le 10 mai 2021, l’employeur a soulevé une objection en vertu de l’article 95 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement ») faisant valoir que les griefs n’avaient pas été soumis dans les délais prescrits par la convention collective.

IV. Résumé des arguments des parties

A. Pour l’employeur

[24] Les griefs ont été déposés en dehors des délais prévus dans la convention collective. Les circonstances ayant donné lieu aux griefs datent de 2012, alors que les griefs ont été déposés le 15 mai 2019, soit sept ans plus tard. La Commission devrait donc rejeter les griefs pour défaut de compétence.

[25] Les fonctionnaires prétendent qu’il y avait des discussions en cours concernant la problématique qui a donné lieu aux griefs. Or, de telles discussions ne suspendent pas le délai pour déposer des griefs à moins que les parties n’aient accepté de le suspendre.

[26] L’employeur n’est pas d’accord avec l’opinion de Mme Stanford du CNM selon laquelle l’employeur n’avait pas soulevé au CNM son objection concernant la question des délais. L’employeur rappelle que la procédure de règlement des griefs du CNM est distincte de celle applicable aux autres griefs. Lorsque les griefs dont il est question ici ont été transmis au dernier palier, l’employeur a divulgué au CNM l’ensemble des documents pertinents aux dossiers, notamment les réponses fournies au premier palier qui comprenaient l’objection de l’employeur selon laquelle les griefs avaient été déposés hors délai. En partageant ces documents, l’employeur soutient qu’il a alors communiqué au CNM son objection selon laquelle les griefs avaient été déposés hors délai.

[27] L’employeur a donc fait part de son objection concernant le non-respect des délais à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs du CNM en plus de le faire auprès de la Commission à la suite du renvoi des griefs à l’arbitrage, satisfaisant ainsi aux exigences des articles 63 et 95 du Règlement.

[28] L’employeur reconnaît que sa réponse au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs a été tardive. Toutefois, cette question n’est pas pertinente pour décider de l’irrecevabilité des griefs, car l’employeur a respecté les exigences du Règlement.

[29] À l’appui de ses arguments, l’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113; Tuplin c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 29; Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117; et Szmidt c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 114.

B. Pour les fonctionnaires

[30] Les fonctionnaires reconnaissent le retard dans le dépôt des griefs. Par contre, l’employeur ne peut pas soulever une objection concernant le respect des délais. L’objection de l’employeur devrait donc être rejetée.

[31] L’employeur n’a pas respecté les règles prévues aux paragraphes 15.1.13 et 15.1.14 du règlement du CNM. Il devait présenter son objection sur la question des délais dans les 30 jours du renvoi des griefs au CNM. Il ne l’a pas fait. De plus, il n’a pas répondu aux griefs au deuxième palier dans les délais. Cette absence de réponse équivaut à un rejet des griefs, sans que ne soit mentionné la question du non‑respect des délais.

[32] L’employeur ne pouvait donc pas soulever à l’arbitrage une objection sur le non‑respect des délais, ne l’ayant pas fait à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. Il n’a pas respecté les obligations que lui impose le Règlement.

[33] Enfin, le CNM a contrevenu à son propre règlement au dernier palier, en rejetant d’office les griefs sur la base du non-respect des délais sans que l’employeur ne lui ait soulevé une telle objection.

[34] À l’appui de leurs arguments, les fonctionnaires m’ont renvoyé aux décisions suivantes : Pannu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 4; Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56; Sidhu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada, 2007 CRTFP 76; McWilliams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58; LeFebvre c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 87; et Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49.

V. Motifs

A. Les griefs ont-ils été déposés en dehors du délai prévu dans la convention collective?

[35] Il ne fait aucun doute que les présents griefs ont été présentés en dehors du délai de 25 jours prévu dans la convention collective ou du délai prévu par la procédure de règlement de grief du CNM. Les griefs renvoient à une situation qui date de 2012-2013 et ils ont été déposés le 15 mai 2019.

[36] Les fonctionnaires ont écrit dans leurs griefs que ces derniers ont été déposés dans les 25 jours ouvrables après que l’employeur aurait avisé l’agent négociateur par courriel qu’il rompait les discussions au sujet des événements ayant donné lieu aux griefs. Or, ce courriel, selon ce qui est écrit dans les griefs, aurait été transmis à l’agent négociateur le 25 mai 2018. Il semble y avoir une erreur dans les dates mentionnées dans les griefs, car il s’est écoulé plus de onze mois entre le 25 mai 2018 et le 15 mai 2019.

[37] Afin d’éclaircir cette question, le greffe de la Commission a demandé à l’agent négociateur de lui fournir une copie du courriel qu’il aurait prétendument reçu le 25 mai 2018. Après avoir fait des recherches, l’agent négociateur a répondu qu’il n’avait pas pu retrouver le courriel en question.

[38] Quoiqu’il en soit, le fait que les parties aient poursuivi les discussions sur les questions ayant donnant lieu aux griefs ne reporte pas automatiquement la date à partir de laquelle le délai de 25 jours débute. Rien dans ce qui m’a été soumis par les parties ne laisse croire qu’il y avait une entente entre les parties pour suspendre le délai pour déposer des griefs. À défaut d’une telle entente, le délai de 25 jours a commencé en 2013 et non pas en 2018 ou 2019. La Commission a d’ailleurs statué sur cette question dans Tuplin, où elle a écrit ce qui suit au paragraphe 49 :

[49] Les discussions en cours entre un agent négociateur et l’employeur ne suspendent pas le délai à moins que les parties n’aient accepté de le suspendre. La clause 18.01 de la convention collective établit un processus officiel de communication des avis pour faciliter les discussions informelles. L’agent négociateur a reconnu qu’il ne s’est pas prévalu de cette clause.

 

[39] Dans la présente affaire, le libellé de la convention collective n’est pas le même que dans Tuplin. Toutefois, la clause 20.17 de la convention collective stipule que les délais peuvent être prolongés d’un commun accord, ce qui n’était pas le cas ici.

[40] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les griefs ont été déposés bien après l’expiration du délai de 25 jours prévu dans la convention collective.

B. L’employeur a-t-il rempli les obligations que lui imposent les articles 63 et 95 du Règlement?

[41] Les articles 63 et 95 du Règlement se lisent comme suit :

63 Le grief ne peut être rejeté pour non-respect du délai de présentation à un palier inférieur que s’il a été rejeté au palier inférieur pour cette raison.

63 A grievance may be rejected for the reason that the time limit prescribed in this Part for the presentation of the grievance at a lower level has not been met, only if the grievance was rejected at the lower level for that reason.

[…]

95 (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage :

95 (1) A party may, no later than 30 days after being provided with a copy of the notice of the reference to adjudication,

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

(a) raise an objection on the grounds that the time limit prescribed in this Part or provided for in a collective agreement for the presentation of a grievance at a level of the grievance process has not been met; or

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

(b) raise an objection on the grounds that the time limit prescribed in this Part or provided for in a collective agreement for the reference to adjudication has not been met.

[…]

 

[42] En l’occurrence, ces deux articles obligeaient l’employeur à soulever son objection sur la question du non-respect des délais au premier palier, au deuxième palier et au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, en plus de le faire dans les 30 jours suivant le renvoi à l’arbitrage.

[43] Les paragraphes 15.1.13 et 15.1.14 de la procédure de règlement des griefs du CNM qui s’applique dans le présent cas reprennent ces mêmes principes. Plus spécifiquement, le paragraphe 15.1.13 stipule qu’une objection concernant le délai doit être reçue dans les 30 jours ouvrables suivant la transmission du grief au CNM.

[44] Qu’a fait l’employeur pour satisfaire à ces diverses obligations?

[45] Dans sa réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a clairement rejeté les griefs sur la base du non-respect du délai. Puis, dans les 30 jours suivant le renvoi à l’arbitrage, l’employeur a avisé la Commission qu’il s’opposait au renvoi des griefs à l’arbitrage sur la base du non-respect du délai. À ces deux étapes, l’employeur a donc satisfait à ses obligations.

[46] La situation est par contre différente en ce qui concerne le rejet des griefs par l’employeur au deuxième palier sur la base du non-respect des délais. Elle diffère aussi sur ce qui s’est passé au dernier palier, c’est-à-dire au niveau du CNM. En fait, pour les raisons qui suivent, je conclus que l’employeur a manqué à ses obligations de dénoncer le non-respect des délais à ces deux paliers.

[47] Certes, l’employeur a rejeté les griefs au deuxième palier sur la base qu’ils avaient été déposés hors délai. Par contre, selon les délais prévus par la procédure de règlement des griefs qui s’applique dans le présent cas, l’employeur aurait normalement dû répondre aux griefs en septembre 2019, mais il ne l’a fait qu’un an plus tard, soit le 3 septembre 2020. Or, le fait que l’employeur ait répondu un an en retard équivaut à avoir rejeté les griefs sans en avoir fourni les motifs, c’est-à-dire sans avoir soulevé la question des délais. En ce sens, la réponse du 3 septembre 2020 est nulle et sans effet (sur ce, voir LeFebvre, au paragraphe 40 et Pannu, au paragraphe 46). De plus, même si le contexte différait, la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Employé no. 1, 2007 CAF 152, statuait ce qui suit au paragraphe 8 de sa décision :

[8] Cette mise en demeure est restée sans réponse et suite à de nombreuses procédures interlocutoires, qu’il n’est pas nécessaire de relater, le juge Beaudry de la Cour fédérale décréta que la mise en demeure du 20 août 1999 devait être traitée comme un grief au troisième palier, et que le défaut d’y répondre équivalait à son rejet par le directeur du SCRS […]

 

[48] Même si j’ignorais le fait que l’employeur n’a pas respecté la procédure de règlement des griefs au deuxième palier en répondant un an en retard et qu’il n’a donc pas soulevé la question des délais, je rejetterais quand même son objection sur la base de ce qui s’est passé au troisième palier.

[49] Tout d’abord, le paragraphe 15.1.13 de la procédure de règlement des griefs du CNM stipule qu’une objection relative au respect des délais « […] doit être reçue dans les 30 jours ouvrables de la date de réception du grief par le secrétaire général au dernier palier ». Or, l’employeur n’a pas explicitement soulevé son objection au CNM, et il aurait dû le faire. Il s’est contenté de transmettre sans autre explication la documentation pertinente aux griefs, incluant les réponses au premier palier et les formulaires de transmission des griefs au deuxième et au troisième palier.

[50] Puis, le CNM lui-même a voulu soulever l’objection concernant les délais. Ce n’était certainement pas son rôle de le faire. Le CNM a demandé à l’agent négociateur de fournir sa position sur l’objection, ce que ce dernier a décidé de ne pas faire, sur la base que l’employeur n’avait pas soulevé d’objection au niveau du CNM. Le 17 avril 2020, une agente du CNM a d’ailleurs répondu à l’agent négociateur que l’employeur n’avait pas soulevé l’objection concernant les délais au dernier palier. Le 20 avril 2020, en réponse à l’agent négociateur, elle a écrit que l’agent négociateur avait raison, et que c’était à l’employeur de soulever une objection. Puis, le 5 mai 2020, l’agent négociateur a informé l’agente du CNM qu’il répondrait à l’objection concernant les délais si l’employeur la soulevait avant l’audience du grief.

[51] Or, le 5 mars 2021, le CNM a rejeté les griefs sur la base qu’ils avaient été soumis hors délai. Je suis d’accord avec l’agent négociateur qu’il y a là un « sérieux accroc à l’équité procédurale ». Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’en toute équité, le CNM aurait dû accorder la possibilité à l’agent négociateur de déposer des arguments sur la question des délais avant que le CNM ne se prononce sur la question. L’agent négociateur avait d’ailleurs indiqué son intérêt pour déposer de tels arguments si l’objection concernant les délais était soulevée. Si le CNM croyait qu’elle l’avait été, il aurait dû en informer explicitement l’agent négociateur et lui offrir de fournir sa position.

[52] De plus, dans une correspondance ultérieure à la réponse du CNM au dernier palier, le secrétaire général du CNM a écrit que le comité exécutif avait « […] examiné les griefs directement pour éclaircir la question du respect des délais » et que le comité aurait constaté que les griefs avaient été déposés un an après que l’employeur eut rompu les discussions avec les fonctionnaires. Il semble donc que le CNM aurait de lui‑même déterminé que les griefs étaient hors délai, et ce, sur une base différente de celle soulevée par l’employeur dans sa réponse au premier palier. Le CNM a alors outrepassé son rôle de « tierce partie », et il s’est substitué à l’employeur en soulevant une objection au nom de ce dernier, via un processus où l’équité procédurale n’a pas été respectée.

[53] J’en conclus que l’employeur n’a pas rempli les obligations que lui impose le Règlement et qu’il ne peut pas à l’arbitrage soulever une objection selon laquelle les griefs sont hors délai. La réponse très tardive au deuxième palier équivaut à une réponse sans motif, ce qui implique que la question des délais n’y a pas été soulevée. Qui plus est, dans les faits, la question n’a pas non plus été soulevée par l’employeur comme elle aurait dû l’être au dernier palier, soit celui du CNM.

[54] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[55] L’objection à la compétence de la Commission fondée sur le non-respect des délais est rejetée.

[56] La Commission convoquera les parties à une audience afin de traiter les griefs sur le fond.

Le 19 août 2025.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.