Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a fait un refus de travailler en vertu du Code. Le défendeur a conclu qu’il n’y avait pas de danger. La plaignante a présenté une plainte auprès de la Commission, alléguant que l’employeur avait exercé des représailles contre elle en refusant, entre autres, de la payer pour la période d’environ deux mois qu’il avait fallu attendre avant de prendre sa décision et en refusant de continuer à la payer. Elle a demandé à la Commission de rendre une ordonnance provisoire de redressement dans l’attente d’une audience complète de sa plainte. La Commission était saisie de deux questions : 1) peut-elle ordonner une mesure provisoire, et 2) devrait-elle ordonner une mesure provisoire dans le présent cas? La Commission a déterminé qu’elle n’avait pas le pouvoir exprès d’accorder une mesure provisoire. Elle a ensuite appliqué le critère énoncé dans ATCO pour déterminer si elle avait le pouvoir nécessaire. La Commission s’est fondée sur le critère énoncé dans ATCO pour déterminer si le législateur avait envisagé d’accorder à la Commission le pouvoir d’ordonner une mesure provisoire. Elle a examiné l’historique législatif et a déterminé que le Parlement s’était penché sur la question de savoir si la Commission avait le pouvoir d’accorder une mesure provisoire et qu’il avait décidé de ne pas accorder ce pouvoir à la Commission. La Commission a noté que la législation d’autres compétences prévoyait explicitement le pouvoir d’accorder une mesure provisoire. La Commission a également examiné s’il serait approprié d’accorder une mesure provisoire si elle en avait le pouvoir. Elle a appliqué le critère énoncé dans RJR-MacDonald et a conclu que, bien que la plaignante ait soulevé une question sérieuse à juger, elle n’avait pas établi qu’elle ne subirait pas de préjudice irréparable. Par conséquent, la Commission n’aurait pas accordé la mesure provisoire même si elle en avait le pouvoir.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20251001

Dossier: 560‑02‑52213

 

Référence: 2025 CRTESPF 127

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Kaley Hogan

plaignante

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

défendeur

Répertorié

Hogan c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle‑même

Pour le défendeur : Peter Doherty, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les
18, 22 et 30 juin et le 1er juillet 2025.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur une demande de redressement provisoire.

[2] Kaley Hogan (la « plaignante ») a refusé de travailler en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2; le « Code »). Le défendeur, son Comité de santé et de sécurité au travail (le « Comité de SST »), et le chef de la conformité et de l’application (le « chef ») ont tous conclu qu’il n’existait aucun danger. La plaignante a présenté une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») dans laquelle elle alléguait que l’employeur a pris des mesures de représailles contre elle, entre autres, en refusant de la rémunérer pour la période d’environ deux mois qu’il a fallu au chef pour prendre sa décision et en refusant de continuer de la rémunérer.

[3] La plaignante a ensuite demandé à la Commission de rendre une ordonnance provisoire exigeant que le défendeur lui verse son salaire, entre autres, en attendant une audience intégrale sur sa plainte.

[4] La demande de la plaignante d’une ordonnance provisoire soulève deux questions, à savoir : la Commission a‑t‑elle compétence pour accorder à un plaignant un redressement provisoire, et devrait‑elle le faire dans le présent cas?

[5] J’ai conclu que la Commission n’a pas compétence pour accorder un redressement provisoire. La Commission n’a pas la compétence expresse de le faire et elle n’a pas non plus cette compétence par déduction nécessaire. Le contexte législatif plus large révèle que le législateur a décidé de ne pas conférer à la Commission le pouvoir d’accorder un redressement provisoire.

[6] Par excès de prudence, j’ai également examiné la question de savoir si la Commission devrait accorder le redressement provisoire demandé dans le cas présent si elle avait la compétence de le faire. J’ai conclu par la négative. La plaignante n’a présenté aucune question sérieuse à juger selon laquelle elle a droit à la rémunération de son salaire jusqu’à ce que le différend concernant son refus de travailler soit tranché. Elle a soulevé une question sérieuse au sujet d’un trop‑payé allégué. Toutefois, elle n’a présenté aucun élément de preuve clair selon lequel elle subirait un préjudice irréparable si le redressement provisoire n’était pas accordé.

[7] Par conséquent, j’ai rejeté la demande de redressement provisoire de la plaignante. Mes motifs détaillés suivent.

II. Aperçu de la demande de redressement provisoire de la plaignante

A. Contexte factuel

[8] La plaignante est employée au ministère de l’Emploi et du Développement social (EDSC) et y travaille depuis environ cinq ans. Elle a des problèmes de santé qui nécessitent des mesures d’adaptation et elle a pris un congé de maladie non payé d’avril 2024 à janvier 2025. Elle a fourni des courriels décrivant sa frustration quant à ce qu’elle appelle l’omission de prendre des mesures d’adaptation appropriées à l’égard de ses incapacités avant et après son retour au travail.

[9] Le 13 mars 2025, la plaignante a quitté le travail et a été placée en congé de maladie payé pour ce jour‑là. Dans un courriel qu’elle a envoyé ce jour‑là, elle a affirmé qu’elle ne pouvait pas continuer à travailler. En mars 2025, la plaignante a informé l’employeur d’un refus de travailler pour des motifs de santé et de sécurité. Les parties ne s’entendent pas sur la date précise à laquelle la plaignante a présenté son refus de travailler. La plaignante affirme qu’elle l’a présenté le 14 mars, mais qu’elle ne dispose plus d’une copie de ce refus de travailler écrit. Le défendeur a déposé une copie d’un courriel daté du 22 mars dans lequel la plaignante affirme qu’elle invoque son droit de refuser un travail dangereux. Dans ce courriel, elle affirme que ses conditions de travail sont dangereuses en raison du refus du défendeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses incapacités, de sa mauvaise gestion systémique et de la participation de trois employés contre qui elle a déposé une plainte relative aux droits de la personne. La plaignante était en congé de maladie non payé lorsqu’elle a envoyé ce courriel.

[10] La direction du défendeur a enquêté sur le refus de travailler et a conclu qu’il n’existait aucun danger le 7 avril 2025. La plaignante a renvoyé son refus de travailler au Comité de SST, qui a également conclu qu’il n’existait aucun danger. La plaignante a renvoyé son refus de travailler au chef, qui a rejeté cette affaire soit le 15 mai ou le 20 mai (la plaignante utilise les deux dates à différents moments dans les documents qu’elle a déposés). La plaignante a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision auprès de la Cour fédérale.

[11] La plaignante est demeurée en congé de maladie non payé jusqu’à la fin du processus relatif aux arguments écrits de sa demande de redressement provisoire.

[12] En plus de ces événements, le défendeur indique qu’il a découvert un supposé trop‑payé d’environ 5 000 $ qui aurait été versé à la plaignante en 2020 ou en 2021. Il lui a envoyé une lettre datée du 2 avril 2025 pour percevoir ce trop‑payé, puis une autre lettre le 26 mai et le 17 juin au sujet du même ou d’autres trop‑payés. Le défendeur a également apporté des modifications administratives au dossier de rémunération de la plaignante dans Phénix; la plaignante affirme que ces modifications ont été apportées de mauvaise foi.

B. Plainte de violation de l’article 147 du Code

[13] La plaignante a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code, dans laquelle elle allègue que le défendeur a violé l’article 147 du Code. Dans sa plainte, elle allègue que le défendeur a pris quatre mesures qui ont violé l’article 147 du Code : il l’a placé en congé de maladie non payé, il lui a envoyé la lettre concernant le trop‑payé, il lui a envoyé des formulaires d’invalidité de longue durée et il ne lui a versé aucune rémunération après qu’elle a quitté le travail le 13 mars. Son formulaire de plainte indique que son salaire a été suspendu le 2 avril ou vers cette date, mais les deux parties conviennent qu’elle est en congé de maladie non payé depuis le 14 mars 2025. Le défendeur nie toute violation de l’article 147 du Code. Le défendeur affirme également qu’il a offert à la plaignante d’autres modalités de travail après son refus de travailler du 22 mars, mais que la plaignante a refusé de les accepter. La plaignante affirme que les autres modalités de travail qui lui ont été offertes étaient inappropriées.

C. Demande de redressement provisoire

[14] Le 21 mai 2025, la plaignante a présenté à la Commission une demande de redressement provisoire, en attendant l’audience de sa plainte. Plus particulièrement, elle a demandé que la Commission ordonne trois choses : que le défendeur lui verse son salaire du 14 mars au 15 mai, que la Commission reconnaisse que [traduction] « […] cette période est visée par les mesures de protection prévues à l’article 129(6) », et que la Commission [traduction] « [c]onfirme que la retenue continue de ce salaire constitue une mesure de représailles continue ». Dans ses arguments en réponse, elle a élargi sa demande pour y inclure le rétablissement de son salaire du 14 mars jusqu’au règlement définitif de la présente affaire, une suspension des activités concernant le trop‑payé, une ordonnance pour que le défendeur [traduction] « […] cesse toute communication forcée avec les défendeurs nommés et respecte les mesures d’adaptation fondées sur le traumatisme » et de préserver tous les dossiers de la paie et de congé aux fins d’un [traduction] « examen juridique indépendant ».

[15] Après avoir examiné la demande initiale de la plaignante, j’ai établi un calendrier pour les arguments. J’ai également attiré l’attention de la plaignante sur certains cas selon lesquels la Commission n’a pas compétence pour accorder un redressement provisoire. J’ai demandé aux parties de présenter des arguments sur la question concernant la compétence de la Commission d’accorder un redressement provisoire, ainsi que sur le critère juridique applicable à l’octroi de ce redressement et sur la question de savoir si la plaignante a satisfait à ce critère. Les parties ont été autorisées à déposer des documents à l’appui de leurs arguments et la plaignante a inclus ce qu’elle a appelé une [traduction] « déclaration personnelle », que j’ai traitée comme si elle avait été faite sous serment, même si ce n’était pas le cas. Dans ses premiers arguments, la plaignante a fait référence à d’autres documents qui, selon elle, lui permettaient d’établir ses arguments. Je l’ai invitée à les déposer. Elle a soutenu qu’ils étaient confidentiels et, par conséquent, elle ne pouvait pas les fournir au défendeur. J’ai rendu une ordonnance de confidentialité provisoire et j’ai ordonné que les documents soient fournis uniquement à l’avocat du défendeur, afin qu’il puisse préparer une réponse.

D. Les arguments de la plaignante

[16] J’aborderai les positions respectives des parties concernant chacune des questions plus loin dans les présents motifs. Toutefois, je tiens à aborder d’abord les arguments de la plaignante.

[17] La preuve de la plaignante repose sur la croyance selon laquelle l’article 129(6) du Code énonce qu’une personne qui présente un refus de travailler pour des raisons de santé et de sécurité a le droit de recevoir son salaire au taux régulier pendant l’enquête sur le refus de travailler. Dans sa correspondance avec le défendeur avant de déposer la présente plainte et dans ses premiers arguments à la Commission, la plaignante a affirmé à maintes reprises que l’article 129(6) du Code prévoit ce qui suit : [traduction] « Pendant l’enquête sur l’affaire, l’employé continuera d’être rémunéré au taux régulier de son salaire […] ».

[18] L’article 129(6) du Code n’indique absolument rien de semblable. Il est ainsi rédigé :

129(6) S’il prend la décision visée à l’alinéa 128(13)a), le chef donne, en application du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.

129(6) If the Head makes a decision referred to in paragraph 128(13)(a), the Head shall issue the directions under subsection 145(2) that the Head considers appropriate, and an employee may continue to refuse to use or operate the machine or thing, work in that place or perform that activity until the directions are complied with or until they are varied or rescinded under this Part.

 

[19] Le chef n’a donné aucune instruction dans le présent cas et, par conséquent, l’article 129(6) ne s’applique pas à la présente plainte.

[20] Dans un courriel du 24 avril 2025, le défendeur l’a fait remarquer à la plaignante et a fourni à cette dernière le libellé actuel de l’article 129(6). La plaignante a répondu au défendeur ce soir‑là pour affirmer qu’il [traduction] « fausse le droit fédéral » et [traduction] « [f]ausse [d]élibérément l’[a]rticle 129(6) » du Code, en accusant le défendeur d’avoir substitué une disposition n’ayant aucun lien. La plaignante a ensuite répété son libellé fictif de l’article 129(6) du Code.

[21] La plaignante a répété cette disposition législative inventée dans ses arguments à la Commission. J’ai écrit pour attirer son attention sur le fait que l’article 129(6) du Code n’est pas libellé de la manière qu’elle l’indique. Enfin, la plaignante a admis qu’elle a mal cité l’article 129(6) du Code; toutefois, elle affirme qu’elle a simplement [traduction] « paraphrasé de manière imprécise cette disposition ». Elle soutient que l’obligation de continuer à verser son salaire se trouve à l’article 129(6) du Code. Ensuite, dans une correspondance ultérieure avec la Commission, elle a répété sa citation inventée de l’article 129(6) du Code.

[22] À l’appui de la position selon laquelle l’article 129(6) du Code exige que le défendeur continue de lui verser son salaire, la plaignante a cité Merriweather c. Canada (Procureur général), 2012 CF 109, et quelque chose appelé le [traduction] « Module de formation de l’agent de SS – Programme du travail », édition de 2018. La décision Merriweather n’existe pas et je n’ai pas été en mesure de trouver ce supposé module de formation.

[23] Dans ses arguments, la plaignante cite d’autres lois et de la jurisprudence qui n’existent pas. Il convient de noter qu’elle affirme que les articles 22 et 44 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) permettent à la Commission de (selon elle) rendre [traduction] « […] toute ordonnance […] pour remédier ou faire échec à tout acte ou toute omission qui constitue une contravention » et que cela inclut le pouvoir d’accorder un redressement provisoire. Les articles 22 et 44 de la LRTSPF ont été abrogés en 2013. Avant leur abrogation, ces dispositions n’indiquaient rien de semblable : l’article 22 concernait la nomination des commissaires et l’article 44 concernait le rôle du président de la Commission. Ces articles ont été abrogés, puis adoptés de nouveau avec un différent libellé aux articles 8 et 25 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40. art. 365). Aucune des lois n’a jamais indiqué que la Commission a le pouvoir de rendre toute ordonnance [traduction] « […] pour remédier ou faire échec à tout acte ou toute omission qui constitue une contravention ». Elle cite également une affaire intitulée Fanning c. Conseil du Trésor, 2023 CRTESPF 12, et affirme qu’il s’agit d’un exemple où la Commission a ordonné un salaire provisoire dans le cadre d’un différend concernant la cessation d’un salaire. Ce cas n’existe pas. Elle cite deux autres affaires qui n’existent pas (notamment, Vancouver c. SCFP, 2006 CSC 27, et Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (PG), 2018 CAF 12).

[24] La plaignante accuse le défendeur de faire abstraction de la loi et des précédents afin d’éviter la responsabilité parce que le défendeur ne reconnaît pas les cas ou les lois qu’elle a inventés.

[25] Enfin, la plaignante énumère d’autres affaires et affirme qu’elles appuient des propositions qui n’ont aucun rapport avec le sujet. Plus particulièrement, elle indique que Sitba c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 RCS 282, et Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, appuient la proposition selon laquelle les tribunaux administratifs ont le pouvoir d’accorder un redressement provisoire (elles ne portent aucunement sur un redressement provisoire) et que la Commission a ordonné un redressement provisoire dans des circonstances presque identiques aux siennes dans White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 52 (elle n’a pas ordonné un redressement provisoire).

[26] Le renvoi à des lois et à des affaires qui n’existent pas et à des affaires existantes pour appuyer des propositions n’ayant aucun lien à ces affaires, sont des caractéristiques laissant croire que les arguments ont été générés ou les recherches faites à l’aide de l’intelligence artificielle (IA). J’ai supposé que c’était le cas ici et que la plaignante a été induite en erreur par les outils de l’intelligence artificielle qu’elle a utilisés pour faire ses recherches ou générer ses arguments – plutôt que de supposer qu’elle a délibérément induit en erreur la Commission. Toutefois, je conviens avec le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans Choi c. Lloyd’s Register Canada limitée, 2024 CCRI 1146, au paragraphe 79, lorsqu’il affirme ce qui suit :

[79] […] Les parties doivent faire preuve de circonspection lorsqu’elles utilisent l’IA pour générer des observations, en particulier lorsque les observations comprennent des références à la jurisprudence. Si les parties utilisent l’IA pour préparer des observations ou d’autres documents, elles doivent absolument vérifier tout le contenu créé par l’IA pour s’assurer de son exactitude et de sa fiabilité.

 

[27] Étant donné que la plaignante n’a pas cité de véritables lois ou une jurisprudence réelle qui étayent ses arguments, je me suis plutôt concentré sur les principes qu’elle a énoncés. J’ai examiné attentivement la question de savoir si ces principes étaient étayés par la loi ou la jurisprudence. En d’autres termes, j’ai tenu compte des propositions ou des principes invoqués par la plaignante malgré le fait que les lois et la jurisprudence qu’elle cite n’existent pas ou n’indiquent pas ce qu’elle a été menée à croire qu’elles indiquent.

III. La Commission n’a pas compétence pour accorder un redressement provisoire

[28] La plaignante soutient que la Commission a compétence pour accorder un redressement provisoire. Il n’existe aucune disposition législative expresse qui autorise la Commission à accorder un redressement provisoire. La plaignante soutient plutôt que la Commission a compétence pour accorder un redressement provisoire par déduction nécessaire. Le défendeur soutient que la Commission n’a pas cette compétence.

[29] J’ai conclu que la Commission n’a pas le pouvoir d’accorder un redressement provisoire par déduction nécessaire. Mes motifs étayant cette conclusion sont divisés en quatre parties. En premier lieu, j’expliquerai ce que je veux dire par [traduction] « redressement provisoire » dans la présente décision. En deuxième lieu, je décrirai les décisions antérieures de la Commission concernant son pouvoir d’accorder un redressement provisoire (certaines en faveur et certaines contre) et j’expliquerais la raison pour laquelle je n’estime pas être lié par ces décisions. En troisième lieu, je décrirai les conditions pour la compétence par déduction nécessaire. Enfin, j’expliquerai la raison pour laquelle j’ai conclu que le législateur a envisagé la question et a décidé de ne pas conférer ce pouvoir à la Commission.

A. Signification de « redressement provisoire »

[30] Avant d’examiner en détail la compétence de la Commission, je tiens à définir brièvement ce que je veux dire par « redressement provisoire ».

[31] Les différents tribunaux administratifs et judiciaires utilisent des expressions et des termes différents pour décrire ce que demande la plaignante dans la présente affaire. Par exemple, dans Canada (Commissaire de la concurrence) c. Secure Energy Services Inc., 2022 CAF 25, la Cour d’appel fédérale a fait la distinction entre un redressement « interlocutoire » (qui, selon elle, signifie un redressement en attendant qu’une décision sur le fond du litige soit rendue par la cour) et une mesure « provisoire » (qui, selon elle, signifie une mesure en attendant qu’une décision concernant une demande de redressement interlocutoire soit rendue). La commission du travail de la Nouvelle‑Écosse appelle les ordonnances de cesser et de s’abstenir des « ordonnances provisoires » (voir par exemple, International Union of Bricklayers & Allied Craftworkers, Local Union 1 v. Nova Scotia Construction Labour Relations Association Ltd., 2018 NSLB 177). La Commission a utilisé l’expression « ordonnance provisoire » ou « décision provisoire » pour décrire une décision partielle rendue lorsque la Commission se réserve la compétence pour régler le reste du différend (comme dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor et Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 13). Il existe également de soi‑disant ordonnances provisoires ou interlocutoires qui traitent de questions procédurales et préalables à l’audience, comme les assignations et la divulgation de documents.

[32] La présente affaire concerne l’octroi d’un redressement de fond à une partie avant l’audition de la plainte. Lorsque je fais référence au redressement provisoire dans le reste de la présente affaire, je fais référence à une ordonnance provisoire conférant un avantage de fond à une partie en attendant l’audience sur le fond de l’affaire. Je ne fais pas référence à une ordonnance procédurale ou à la première décision dans une affaire divisée en parties.

[33] J’ai déjà décrit le redressement provisoire demandé par la plaignante.

B. Décisions antérieures de la Commission et raison pour laquelle je n’estime pas être lié par ces décisions

[34] La Commission a examiné sa compétence pour accorder un redressement provisoire en vertu de la LRTSPF et du texte antérieur, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P‑35). Ses décisions ont été à la fois favorables et défavorables.

[35] La Commission a accordé un redressement provisoire dans Assoc. canadienne du contrôle du trafic aérien c. Conseil du trésor (Transports Canada), [1997] C.R.T.F.P.C. no 73 (QL). La Commission a accordé une ordonnance provisoire afin que deux employeurs paient certaines cotisations syndicales en souffrance à un agent négociateur avant de rendre une décision sur le fond quant à savoir si ces employeurs devaient des cotisations à l’agent négociateur. Toutefois, la Commission n’a fourni aucun motif de sa décision selon laquelle elle disposait de cette compétence. De plus, d’après la lecture de la décision, il peut s’agir non pas d’un redressement provisoire, mais plutôt d’une ordonnance rendue dont les motifs suivront; de plus, rien n’indique que les employeurs se sont opposés à l’octroi du redressement provisoire dans cette affaire. Par conséquent, cette décision n’est pas utile et sa valeur jurisprudentielle est douteuse.

[36] Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, [1999] C.R.T.F.P.C. no 98 (QL), la Commission a décidé qu’elle avait compétence pour accorder un redressement provisoire, mais a décidé de ne pas l’accorder dans ce cas. Les motifs de la conclusion de la Commission selon laquelle elle disposait de cette compétence étaient brefs. Elle a déclaré ce qui suit :

[17] En vertu de l’article 21 de la L.R.T.F.P., « la Commission met en œuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle‑ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets… ». Dans l’exercice de son mandat, la C.R.T.F.P. doit posséder tous les outils nécessaires pour assurer que le régime de relations de travail établi dans la L.R.T.F.P. soit administré de façon efficace et ponctuelle. La large portée des dispositions de l’article 21, m’indique que le législateur a voulu que la Commission ait les pouvoirs nécessaires pour faire face aux diverses situations qui peuvent se présenter à elle dans l’exécution de son mandat. Je conclus donc que la Commission a le pouvoir, dans des circonstances appropriées, de rendre une ordonnance provisoire.

 

[37] La Commission n’a pas cité, et ne semble pas avoir pris en compte, sa jurisprudence dont je parlerai plus loin au sujet de la compétence par déduction nécessaire –certaines des décisions ayant été tranchées après que la Commission a rendu cette décision.

[38] Par ailleurs, dans Marchand c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada), 2015 CRTEFP 63, la Commission, en tant qu’arbitre de grief, a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour accorder une ordonnance provisoire (qu’elle a appelée une « exécution provisoire ». Les motifs de la Commission sont énoncés aux paragraphes 27 et 28 comme suit :

27 En ce qui a trait à la première question, je suis d’accord avec la position de l’employeur voulant qu’un arbitre de grief de la Commission n’ait pas le pouvoir d’accorder l’exécution provisoire recherchée par le fonctionnaire. Les pouvoirs de la Commission sont énumérés à l’article 36 de la Loi. Ceux d’un arbitre de grief sont énumérés à l’article 226 de la Loi. La disposition législative qui s’applique ici, c’est-à-dire l’article 226, ne renvoie aucunement à un pouvoir provisoire ou à l’octroi d’un redressement interlocutoire. Selon moi, un arbitre de grief de la Commission ne doit exercer que les pouvoirs qui lui sont attribués par sa loi habilitante, pas plus (Succession Ordon).

28 Je ne peux ignorer le fait que le législateur n’a pas explicitement exprimé son intention d’attribuer un tel pouvoir à la Commission ou à un de ses arbitres de griefs dans la Loi. Il est selon moi raisonnable d’en déduire que ce silence était voulu puisqu’il a attribué ce type de pouvoir lorsqu’il en a jugé opportun (voir l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales et l’alinéa 60(1)a.2) du Code Canadien du travail).

 

[39] La Commission a invoqué ce cas et est parvenue à la même conclusion que celle dans Abi‑Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48, dans laquelle elle a reproduit une décision antérieure officieuse comme suit :

[Traduction]

[…]

La Commission est créée par une loi. Elle n’est pas une cour supérieure qui possède une compétence inhérente. Son mandat et ses pouvoirs sont limités par sa loi habilitante.

 

À la section 13 de la Loi, le législateur énonce la compétence de la Commission en ce qui concerne les plaintes. Le paragraphe 192(1) énonce que si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances.

 

Le paragraphe 192(1) de la Loi établit clairement, en tant que condition préalable à l’octroi d’un redressement, que la Commission décide si la plainte est fondée. D’après les documents présentés par les parties, il semble qu’il existe des questions en litige qui ne peuvent être tranchées sans une audience par la Commission. Par conséquent, à l’heure actuelle, la Commission ne peut pas, en fonction des documents très limités dont elle dispose, décider si la plainte est fondée.

 

La Commission s’est penchée sur la question d’un redressement interlocutoire dans Marchand c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada), 2015 CRTEFP 63, où elle a conclu aux paragraphes 27 et 28 que les pouvoirs dont dispose la Commission sont ceux expressément énoncés dans la loi. Les pouvoirs de la Commission sont énoncés à l’art. 20 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365. Ces pouvoirs se limitent aux procédures préalables à l’audience et n’autorisent pas le redressement interlocutoire demandé par le plaignant.

[…]

 

[40] Les deux affaires étaient axées sur ce qui est maintenant l’article 20 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (ce qui était auparavant l’article 36 de la LRTSPF lorsque l’affaire Marchand a été tranchée). Cette disposition énonce un certain nombre des pouvoirs procéduraux de la Commission. La Commission n’a pas tenu compte de la doctrine en matière de compétence par déduction nécessaire. Le fondement législatif de cette compétence est l’article 12 de la LRTSPF, que la Commission n’a pas pris en considération dans ces deux cas. La Commission n’a pas non plus pris en compte sa décision antérieure dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor que j’ai décrite plus tôt.

[41] Enfin, la Commission a accordé une ordonnance provisoire dans Association des employé(e)s du Service de sécurité du Sénat c. Service de protection parlementaire, 2019 CRTESPF 39. Toutefois, cette affaire a été tranchée sous le régime d’une loi différente (la Loi sur les relations de travail au Parlement (L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.)) et les parties ne semblent pas avoir débattu la question de savoir si la Commission a compétence pour accorder un redressement provisoire.

[42] J’ai décidé que je ne peux tout simplement pas suivre ces décisions. Aucune d’elles ne porte de manière intégrale sur la principale question en l’espèce – notamment, la question de savoir si la Commission a compétence pour accorder un redressement provisoire par déduction nécessaire. Comme je l’expliquerai, en fin de compte, je partage l’opinion de la Commission dans Marchand lorsqu’elle affirme que le silence du législateur au sujet du redressement provisoire était intentionnel et essentiel dans le présent cas. Toutefois, contrairement à la Commission dans Marchand, je ne peux pas convenir qu’il est simplement « raisonnable d’en déduire » que cette omission était voulue. Au contraire, comme je l’expliquerai, j’en arrive à la même conclusion seulement après l’examen du contexte législatif plus large, à la fois aux niveaux fédéral et provincial.

C. Critère pour établir la compétence par déduction nécessaire

[43] La plaignante soutient que la Commission a compétence pour accorder un redressement provisoire par déduction nécessaire. L’article 12 de la LRTSPF confère à la Commission le pouvoir d’exercer les attributions « […] qu’implique la réalisation de ses objets [de la Loi], notamment en rendant des ordonnances qui en exigent l’observation […] ». Comme je l’ai déjà dit, l’article 12 est le fondement législatif de la compétence par déduction nécessaire de la Commission.

[44] L’arrêt de principe concernant la compétence par déduction nécessaire demeure ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que l’Alberta Energy and Utilities Board n’avait pas la compétence (ni expressément ni par déduction nécessaire) d’attribuer aux consommateurs le produit de la vente des biens d’un service public. Afin de parvenir à cette conclusion, la Cour suprême a énuméré les cinq situations suivantes pour adopter la compétence par déduction nécessaire, au paragraphe 73 :

[Traduction]

· la compétence alléguée est nécessaire à la réalisation des objectifs du régime législatif et essentielle à l’exécution du mandat de la Commission;

·la loi habilitante ne confère pas expressément le pouvoir de réaliser l’objectif législatif;

·le mandat de la Commission est suffisamment large pour donner à penser que l’intention du législateur était de lui conférer une compétence tacite;

·la Commission n’a pas à exercer la compétence alléguée en s’appuyant sur des pouvoirs expressément conférés, démontrant ainsi l’absence de nécessité;

· le législateur n’a pas envisagé la question et ne s’est pas prononcé contre l’octroi du pouvoir à la Commission.

 

[45] La Cour d’appel fédérale a récemment résumé ces conditions comme suit : « La doctrine peut être appliquée dans les situations où la Cour conclut que la compétence alléguée est essentielle à l’exécution du mandat confié en vertu de la loi à l’organe administratif, et où le législateur n’a pas envisagé la question […] » [Je mets en évidence] (voir Hershkovitz c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 38, au par. 9).

[46] J’ai décidé que cette affaire est le fondement de cette dernière question.

D. Le législateur a décidé de ne pas conférer à la Commission le pouvoir d’accorder un redressement provisoire

[47] J’ai conclu que le législateur a envisagé la question de savoir si la Commission a le pouvoir d’accorder un redressement provisoire et qu’il a décidé de ne pas lui conférer ce pouvoir. Je suis parvenu à cette conclusion pour deux raisons.

1. Une proposition d’amendement pour conférer à la Commission le pouvoir d’accorder un redressement provisoire n’a pas été adoptée

[48] En premier lieu, le législateur a décidé de ne pas adopter une modification qui aurait conféré à la Commission le pouvoir exprès d’accorder un redressement provisoire. L’actuelle LRTSPF a été présentée en première et en deuxième lectures en 2003. Après avoir franchi l’étape de la deuxième lecture, elle a été renvoyée au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires. À l’étape du comité, un membre a proposé un amendement qui aurait conféré à la Commission le pouvoir d’accorder une « ordonnance provisoire ». La raison d’être de la proposition était qu’elle conférerait à la Commission le même pouvoir que celui du Conseil canadien des relations industrielles, soit de rendre des ordonnances provisoires; voir Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages, 37‑2, no 34 (le 1er mai 2003) à 1050 (M. Robert Lanctôt). Le Comité a voté contre la recommandation de l’amendement; voir Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Témoignages, 37‑2, no 38 (le 8 mai 2003) à 1045.

[49] Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (« Mowat »), au paragraphe 44, « […] rien ne justifie d’oublier les dispositions envisagées, mais non retenues dans la mesure où elles peuvent contribuer à la détermination de l’objet de la loi. » La question dans Mowat était de savoir si le Tribunal canadien des droits de la personne avait compétence pour adjuger des dépens en faveur d’un plaignant qui obtient gain de cause. Une partie de la raison pour laquelle la Cour suprême a conclu qu’il n’avait pas cette compétence est qu’une modification avait été proposée à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6) en vue d’accorder cette compétence au tribunal, mais la modification n’a pas été adoptée.

[50] La présente affaire est très semblable en ce sens qu’il existait une modification proposée pour conférer à la Commission le pouvoir d’accorder un redressement provisoire, mais que cette modification n’a pas été adoptée. La modification qui n’a pas été adoptée constitue une preuve directe que le législateur a envisagé la question et a décidé de ne pas conférer à la Commission le pouvoir d’accorder un redressement provisoire.

[51] Je reconnais que la Cour d’appel fédérale a récemment déclaré que « […] les déclarations des témoins (qui ne sont pas des fonctionnaires des ministères concernés) et les votes des comités sur des amendements proposés ne sauraient se révéler porteurs de l’intention du législateur […] » (voir Westjet c. Lareau, 2025 CAF 149, au par. 107). J’ai décidé que le vote du comité est pertinent dans la présente affaire, contrairement à l’affaire Westjet.

[52] Westjet portait sur l’interprétation de l’article 86.11(1)b)(ii) de la Loi sur les transports au Canada (L.C. 1996, ch. 10) et de l’article 11 du Règlement sur la protection des passagers aériens (DORS/2019‑150). En bref, la loi a autorisé la création de règlements sur les obligations d’un transporteur aérien envers les passagers dans le cas de retard ou d’annulation de vol ou de refus d’embarquement. Le règlement adopté en vertu de ce pouvoir prévoit une indemnisation pour les perturbations qui relèvent du contrôle d’un transporteur et non nécessaires par souci de sécurité. Westjet portait sur un appel d’une décision de l’Office des transports du Canada concluant qu’une pénurie de membres d’équipage (lorsqu’un premier officier a pris un congé de maladie) relevait du contrôle du transporteur parce que le transporteur n’a pas démontré qu’elle était inévitable malgré une planification adéquate.

[53] L’appelante a soutenu que l’Office des transports du Canada avait mal interprété le règlement, surtout l’expression « nécessaire par souci de sécurité ». L’appelante a fait valoir qu’une interprétation plus large de cette expression est conforme à l’objet de la loi. L’appelante a renforcé son argument en indiquant que le comité de la Chambre des communes ayant étudié la loi avait refusé d’adopter l’amendement qui n’aurait rendu l’indemnisation obligatoire que si une annulation d’un vol découlait de circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées malgré la prise de mesures raisonnables.

[54] Je parviens à une autre conclusion que celle de la Cour d’appel fédérale au sujet de la pertinence des amendements du comité dans la présente affaire.

[55] La nature de la question n’est pas la même dans les deux cas. La question dans Westjet portait sur l’interprétation du règlement. La Cour d’appel fédérale a conclu que la modification législative qui n’a pas été adoptée n’était pas utile pour évaluer l’objet du règlement. La Cour d’appel fédérale a qualifié la modification non adoptée d’élément de preuve extrinsèque parce que c’était le cas – une modification législative non adoptée en dit très peu sur l’objet d’un règlement adopté des années plus tard.

[56] Au contraire, la question que je dois trancher consiste à savoir si le pouvoir d’accorder un redressement provisoire est nécessairement implicite dans la loi. Je n’utilise pas la modification non adoptée en vue de déterminer l’objet de la loi. Je l’utilise plutôt pour découvrir si ce pouvoir en est [traduction] « un que le législateur a clairement envisagé ». Même si une modification non adoptée ne saurait être porteuse de l’intention du législateur, comme il est mentionné dans Westjet, elle démontre quand même que le législateur a envisagé la question ou le pouvoir.

[57] La Cour d’appel fédérale a cité R. c. Sharma, 2022 CSC 39, au paragraphe 39, pour étayer son énoncé de droit. Toutefois, Sharma portait sur des énoncés de l’objet dans le dossier législatif. La Cour suprême du Canada a fait une mise en garde contre l’utilisation des déclarations des députés en tant qu’indicateurs de l’objectif du législateur, mais elle a affirmé que l’historique législatif peut être utile pour déterminer l’objet législatif. Elle a ensuite affirmé au paragraphe 90 que « […] deux étapes du processus législatif sont particulièrement utiles […] » : la présentation par le ministre de la loi à la deuxième lecture et les explications fournies au comité par le ministre, le secrétaire parlementaire ou les fonctionnaires du ministère.

[58] Sharma n’indique rien au sujet des modifications à la loi, rejetées par vote en comité. De plus, Sharma ne laisse pas entendre que ces deux étapes du processus législatif sont les seules parties qui peuvent être utiles. La Cour d’appel fédérale est allée plus loin que la Cour suprême du Canada dans Sharma. Étant donné la question différente dont je suis saisi, je ne suis pas obligé de faire de même.

2. Selon le contexte juridique plus large en matière de relations de travail, le pouvoir d’accorder un redressement provisoire est conféré de manière expresse

[59] En deuxième lieu, selon le contexte juridique plus large, lorsque le législateur confère à un tribunal du travail le pouvoir d’accorder un redressement provisoire, il le fait de manière expresse.

[60] Selon la tendance dans les lois sur les relations de travail, les commissions du travail se voient conférer le pouvoir d’accorder un redressement provisoire de manière expresse. Conformément à ce qui est mentionné dans Marchand, le Code confère au CCRI le pouvoir exprès d’accorder un redressement provisoire. Le législateur a ajouté l’article 19.1 du Code (qui lui confère ce pouvoir) en 1998. En 2017, le législateur a modifié l’article 19.1 de manière à ce qu’il s’applique au pouvoir du CCRI pour l’ensemble du Code; auparavant, il ne s’appliquait qu’aux pouvoirs du CCRI prévus à la partie I du Code qui porte sur les relations de travail et non sur la santé et la sécurité. Il est révélateur que le législateur ait conféré ce pouvoir expressément au CCRI et ait ensuite élargi ce pouvoir pour régler les questions de santé et de sécurité, mais qu’il ne l’ait pas fait pour la Commission.

[61] Cette tendance consistant à conférer expressément la compétence pour accorder un redressement provisoire se répète dans les administrations provinciales. Les législateurs en Alberta (Labour Relations Code, RSA 2000, c L‑1, al. 12(2)e)), en Colombie‑Britannique (Labour Relations Code, RSBC 1996, c 244, par. 133(5)), au Manitoba (Loi sur les relations du travail, CPLM c L10, par. 31(2)), au Nouveau‑Brunswick (Loi sur les relations industrielles, LRN‑B 1973, c I‑4, par. 106(9) et (11)), en Nouvelle‑Écosse (Trade Union Act, RSNS 1989, c 475, par. 51(2) et 52(3)), en Ontario (Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, annexe A, par. 98(1)), à l’Île‑du‑Prince‑Édouard (Labour Act, RSPEI 1988, c L‑1, par. 34.2(3) et 38(4)), au Québec (Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ chapitre T‑15.1, par. 9(3)) et en Saskatchewan (The Saskatchewan Employment Act, SS 2013, c S‑15.1, art. 6 et al. 103(2)d)) ont codifié le pouvoir de leurs commissions du travail d’accorder un redressement provisoire. Les pouvoirs exprès en Nouvelle‑Écosse et à l’Île‑du‑Prince‑Édouard sont limités à certaines circonstances.

[62] Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé au paragraphe 57 de Mowat, « […] la comparaison des lois fédérales, provinciales et territoriales portant sur un même sujet peut se révéler instructive […] ». Il est important qu’un si grand nombre de législateurs aient inclus un libellé exprès conférant aux commissions de travail la compétence d’accorder un redressement provisoire; si un redressement provisoire était nécessairement implicite afin que les commissions du travail puissent effectuer leur travail, il n’aurait pas été nécessaire qu’autant de législateurs confèrent un pouvoir exprès. De plus, le législateur est au courant de cette tendance (comme on peut le constater dans la façon dont il a rédigé le Code). L’absence d’un pouvoir exprès semblable dans la LRTSPF est révélatrice.

[63] J’ai conclu que la loi de l’Ontario s’est avérée particulièrement instructive. En 1993, l’Ontario a modifié la Loi sur les relations de travail (L.R.O. 1990, ch. L. 2) afin de conférer expressément à la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) le pouvoir d’accorder un redressement provisoire (L.O. 1992, ch. 21, art. 37). En 1995, l’Ontario a abrogé la Loi sur les relations de travail et l’a remplacé par une loi comportant le même nom que j’ai déjà citée. Cette loi a abrogé les dispositions de 1993 concernant les ordonnances provisoires et n’a conservé que le pouvoir de la CRTO de rendre des ordonnances provisoires concernant des affaires procédurales. Dans Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Management Board of Cabinet), 1996 CanLII 11200 (ON LRB), la CRTO a conclu qu’elle avait toujours le pouvoir exprès d’accorder un redressement provisoire en vertu de l’article 161 de la Loi sur l’exercice des compétences légales (L.R.O. 1990, ch. S.22). En 1998, l’Ontario a modifié la Loi sur les relations de travail encore une fois pour corriger l’échappatoire en affirmant que le pouvoir d’accorder un redressement provisoire en vertu de la Loi sur l’exercice des compétences légales ne s’appliquait pas à la CRTO (L.O. 1998, ch. 8, art. 10). L’Ontario a rétabli un certain pouvoir limité pour accorder un redressement provisoire en 2005 (L.O. 2005, ch. 15, art. 7), puis le pouvoir intégral d’accorder un redressement provisoire en 2017 (L.O. 2017, ch. 22, annexe 2, art. 10).

[64] Le débat en Ontario quant à la capacité de la CRTO d’accorder un redressement provisoire était notoire et a soulevé la controverse dans le domaine des relations de travail, surtout dans les années 1990 (voir, par exemple, M. Cornish, H. Simand, and S. Turkington, Ontario’s Interim Order Power – How a Procedural Reform Brought Substantive Change, (1996) Revue canadienne de droit du travail et de l’emploi, volume 4). Le législateur a donné sa propre réponse à cette controverse lorsqu’il a conféré au CCRI le pouvoir d’accorder un redressement provisoire en 1998 (loi adoptée en 1996).

[65] Ce contexte juridique aide à me convaincre que l’absence d’un pouvoir exprès d’accorder un redressement provisoire dans la LRTSPF ne constitue pas un oubli. Les rédacteurs de cette loi, adoptée en 2003, auraient été bien au courant du débat de la question de savoir si les commissions des relations de travail devraient avoir le pouvoir d’accorder un redressement provisoire. Cela contribue à démontrer que l’exclusion par le législateur de ce pouvoir exprès dans la LRTSPF a été délibérée. Autrement dit, « […] [u]n examen des régimes législatifs connexes révèle que le législateur [dans ce cas, le Parlement] s’est penché sur […] » (tiré de Kosicki c. Toronto (Cité), 2025 CSC 28, au par. 52) la question du pouvoir provisoire et a décidé de ne pas accorder ce pouvoir à la Commission.

[66] Enfin, la Cour suprême du Canada, dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626, a conclu aux paragraphes 16 à 18 que la Loi canadienne sur les droits de la personne n’énonce pas un pouvoir implicite d’accorder un redressement provisoire. La plaignante indique que cette affaire concernait une autre loi et que, par conséquent, elle n’est pas contraignante en l’espèce. Je suis du même avis. Toutefois, cette décision constituait quand même un avertissement au législateur selon lequel il ne pouvait pas supposer allègrement que le pouvoir d’un tribunal d’accorder un redressement provisoire pouvait être implicite. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un avertissement selon lequel un tel pouvoir doit être exprès. La décision du législateur de ne pas inclure un pouvoir exprès compte tenu de cet avertissement est révélatrice.

[67] Pour ces raisons, j’ai conclu que le législateur a envisagé cette question et qu’il a décidé qu’il ne convenait pas de conférer à la Commission le pouvoir d’accorder un redressement provisoire. Le législateur a rejeté une modification proposée à la LRTSPF visant à conférer ce pouvoir à la Commission, alors qu’il a auparavant conféré expressément ce pouvoir au CCRI. Il l’a fait dans le contexte d’une tendance observée dans les lois sur les relations de travail qui confèrent expressément ce pouvoir, peu après une période au cours de laquelle cette question notoire a soulevé la controverse en Ontario. Le législateur a délibérément choisi de ne pas conférer ce pouvoir à la Commission et, par conséquent, je ne peux pas conclure que la Commission possède ce pouvoir de manière implicite.

E. Le pouvoir d’accorder un redressement provisoire n’est pas fondé sur le texte de la LRTSPF

[68] Jusqu’à présent, ma décision traite de l’argument de la plaignante selon lequel la Commission a le pouvoir d’accorder un redressement provisoire par déduction nécessaire. Toutefois, je reconnais que l’existence d’un pouvoir par déduction nécessaire est controversée. Par exemple, le professeur Paul Daly laisse entendre dans « Against ATCO: Text, Purpose & Context, not ‘Implied’ and ‘Express’ Powers », (2024) 54 Advoc. Q. 315, que le critère énoncé dans ATCO n’est pas utile et que les questions comme celles qui sont soulevées dans la présente affaire devraient être réglées à l’aide des outils standards d’interprétation des lois. L’approche habituelle en matière d’interprétation de la loi amènerait au même résultat, à savoir que la Commission n’a pas le pouvoir d’accorder un redressement provisoire.

[69] L’interprétation de la loi exige que j’examine le texte, le contexte et l’objet de la loi. Parmi les trois, le texte de la loi prévaut, car il constitue « le point d’ancrage de l’opération d’interprétation » (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43, au par. 24).

[70] Comme je l’ai déjà mentionné, le point d’ancrage législatif des pouvoirs implicites de la Commission est l’article 12 de la LRTSPF. Cet article énonce que la Commission « […] exerce les attributions […] qu’implique la réalisation de ses objets […] ». À première vue, cela semble constituer une attribution très vaste d’une compétence qui pourrait inclure un redressement provisoire. Toutefois, les dispositions fourre-tout ayant un libellé général comme l’article 12 ne peuvent pas être interprétées isolément, mais doivent être lues dans le contexte de la loi dans son ensemble; voir Kennedy c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CRTESPF 118, aux paragraphes 53 et 54. Une façon dont l’article 12 peut être interprété est en examinant le reste de la loi pour s’assurer que les pouvoirs implicites ne sont pas plus généraux que ceux qui sont prévus expressément ailleurs.

[71] La LRTSPF comporte d’autres dispositions qui indiquent que la Commission ne dispose pas du pouvoir d’ordonner un redressement provisoire.

[72] L’article 194 de la LRTSPF porte sur les grèves illégales et énonce un certain nombre de conditions préalables à une grève. L’une des conditions préalables est que la « Commission […] a […] rendu [une] décision définitive » à l’égard de diverses ententes sur les services essentiels (voir les articles 194(1)g)(ii), 194(1)h)(ii) et 194(1)i)(ii)). Cela constitue une indication selon laquelle la Commission ne peut pas rendre une ordonnance provisoire à l’égard des services essentiels qui permettrait une grève.

[73] L’article 192(1) de la LRTSPF confère à la Commission le droit d’accorder des redressements en réponse à des pratiques déloyales de travail. Il énonce que « [s]i elle décide que la plainte […] est fondée, la Commission […] » peut rendre toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances. La LRTSPF exige que la Commission tranche la plainte avant de rendre une ordonnance – et non qu’elle peut rendre une ordonnance après avoir examiné les questions d’équité connexes à l’octroi d’ordonnances provisoires. La Commission a énoncé ce point dans la décision Abi‑Mansour, que j’ai citée plus tôt.

[74] De même, l’article 228(2) de la LRTSPF porte sur le pouvoir de la Commission dans le cadre de l’arbitrage d’un grief. Il permet à la Commission de rendre une ordonnance « [a]près étude du grief […] ». Comme l’article 192(1), il exige que la Commission étudie le grief avant de rendre une ordonnance et non qu’elle examine les questions d’équité concernant l’octroi des ordonnances provisoires.

[75] Enfin, la présente affaire concerne la partie II du Code. La compétence de la Commission pour traiter du Code se trouve à l’article 240 de la LRTSPF. L’article 240a)(ii) énonce que le terme « Conseil » aux articles 133 et 134 du Code s’entend comme une référence à la Commission. Notamment, il n’indique pas que la Commission exerce des pouvoirs du CCRI ou qu’elle agit en tant que CCRI. Au contraire, l’article 240c) énonce que « les dispositions de la présente loi [c.‑à‑d. la LRTSPF] s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux affaires instruites par la [Commission] ». Cela signifie que la Commission ne peut pas tirer parti des pouvoirs du Conseil canadien des relations industrielles, plus particulièrement son pouvoir d’accorder un redressement provisoire en vertu du Code.

[76] Pour ces motifs, le texte de la loi n’étaye pas l’argument selon lequel la Commission a le pouvoir d’accorder un redressement provisoire.

[77] En ce qui concerne le contexte, dans son document, le professeur Daly indique que plus un pouvoir est coercitif ou corrélatif, plus la loi qui le confère doit être claire. Par exemple, dans Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. Canadienne Des Pilotes De Lignes Aériennes, [1993] 3 RCS 724, la Cour suprême du Canada a conclu que le Conseil canadien des relations du travail n’avait pas le pouvoir implicite d’ordonner la production de documents avant l’audience, en partie en raison de la nature « coercitive » de ce pouvoir (voir la page 747); en d’autres termes, plus le pouvoir est coercitif, plus il doit être énoncé de manière expresse. Ce contexte s’éloigne de la conclusion selon laquelle la Commission a le pouvoir d’accorder un redressement provisoire, car une telle ordonnance est coercitive de par sa nature et exige habituellement un libellé exprès. Ce contexte est particulièrement pertinent dans la présente affaire à la lumière de la tendance des lois qui confèrent expressément le pouvoir d’accorder un redressement provisoire, que j’ai déjà décrit en détail : le législateur fédéral et les législateurs provinciaux ont fait preuve de prudence pour conférer aux commissions du travail de manière expresse le pouvoir d’accorder un redressement provisoire et ils ont également limité ce pouvoir lorsqu’ils l’ont jugé indiqué.

[78] En ce qui concerne l’objet, il est peu utile à cet égard. Les objets de la LRTSPF sont énoncés dans son préambule. Ce qui dans ces énoncés des objets se rapproche le plus de la question concernant le redressement provisoire est celui de « […] résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi » – on peut à tout le moins soutenir que le pouvoir d’accorder un redressement provisoire peut contribuer à la résolution « efficace » de problèmes. Toutefois, comme je l’ai indiqué dans Kennedy, au paragraphe 76, « […] La Commission n’a pas compétence sur une question uniquement parce qu’il y a de bonnes raisons de principe pour le faire ou parce que la compétence est conforme aux objets de la Loi […] ». Les objets de la LRTSPF sont plus loin de la question concernant le redressement provisoire qu’ils ne l’étaient dans Kennedy concernant l’application des ententes de règlement (qui touchaient plus étroitement divers objets de la LRTSPF).

[79] En conclusion, je préfère suivre l’approche adoptée dans ATCO jusqu’à ce que je reçoive une directive contraire d’une cour d’appel. Cette approche comprend l’examen de l’historique législatif et le contexte connexe de la loi afin de déterminer s’il existe des indications selon lesquelles le législateur a envisagé un pouvoir particulier et a décidé de ne pas le conférer à un tribunal. Dans la présente affaire, le législateur a envisagé la question d’un redressement provisoire et a décidé de ne pas conférer un tel pouvoir à la Commission. Toutefois, même si je suivais une approche plus classique en matière d’interprétation de la loi, je parviendrais au même résultat compte tenu du texte, du contexte et de l’objet de la LRTSPF.

IV. Même si la Commission avait compétence pour accorder un redressement provisoire, je ne l’exercerais pas dans le présent cas

[80] Par excès de prudence, j’ai examiné la question de savoir si j’aurais accordé la demande de redressement provisoire si la Commission avait eu la compétence de l’accorder. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je n’aurais pas accordé ce redressement.

A. L’approche en matière de redressement provisoire

[81] Lorsque j’ai donné aux parties des directives, accompagnées d’un calendrier pour présenter des arguments écrits, je les ai orientées vers le critère de principe concernant le redressement provisoire énoncé dans RJR – Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 (« RJR‑MacDonald »), notamment si le demandeur a établi une question sérieuse à juger, si le demandeur subirait un préjudice irréparable en l’absence d’un redressement provisoire et si la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un redressement provisoire. J’ai également attiré l’attention des parties sur R. c. Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, au paragraphe 15, où la Cour suprême du Canada a affirmé que le seuil pour une injonction mandatoire (c.‑à‑d. une ordonnance provisoire qui intime à une partie de faire quelque chose) constitue une preuve à première vue solide plutôt qu’une question sérieuse à juger. En conséquence, les parties ont présenté des arguments sur ces trois éléments.

[82] Cependant, les commissions du travail ayant compétence pour accorder un redressement provisoire ont déterminé d’autres facteurs. La CRTO a indiqué que le critère consiste à se poser la question de savoir [traduction] « […] si le fait de rendre une ordonnance provisoire quelconque est logique sur le plan des relations de travail dans toutes les circonstances » (tiré de The Society of Energy Professionals, IFPTE Local 160 v. National Judicial Institute, 2018 CanLII 51312 (ON LRB), au par. 38). Elle a énuméré les neuf facteurs suivants à prendre en compte, dont chacun n’est pas pertinent à tous les cas :

[Traduction]

[…]

i) les objets de la Loi;

ii) la nature de l’ordonnance provisoire demandée;

iii) l’urgence de l’affaire;

iv) la force apparente des arguments du demandeur et la défense que la partie défenderesse peut présenter;

v) la prépondérance des inconvénients;

vi) l’équilibre entre les relations de travail et d’autres préjudices;

vii) la question de savoir si les dommages allégués sont irréparables ou non;

viii) le retard;

ix) toute autre considération en matière de relations de travail.

 

[83] La Commission des relations de travail de la Colombie‑Britannique tient compte de ces cinq critères lorsqu’elle décide d’accorder ou non un redressement provisoire (voir White Spot Restaurants Limited, IRC No. C274/88, [1988] B.C.L.R.B.D. No. 274, au par. 10) :

[Traduction]

1) La question de savoir si un redressement adéquat ne serait pas à la disposition du demandeur lors de la dernière audience sans une ordonnance provisoire;

2) L’existence d’un lien solide entre une violation alléguée du Code, les conséquences de la violation et le redressement provisoire demandé;

3) La demande ne doit pas être frivole ni vexatoire et elle doit habituellement être fondée sur une preuve à première vue;

4) Une ordonnance provisoire ne doit pas pénaliser le défendeur d’une manière qui empêchera le redressement si la demande n’est pas accueillie en fonction de son bien‑fondé;

5) Une ordonnance provisoire doit être conforme aux objets et aux objectifs du Code. Le pouvoir discrétionnaire d’accorder une ordonnance provisoire ne sera pas exercé en l’absence d’un objet essentiel en matière de relations de travail ou si l’octroi de l’ordonnance provisoire accorderait le redressement intégral ou ferait pencher par ailleurs la balance en faveur d’une partie.

 

[84] D’autres commissions du travail respectent de manière plus étroite le critère de common law énoncé dans RJR‑MacDonald.

[85] La Commission des relations de travail de la Saskatchewan applique un critère semblable : [traduction] « […] (1) si la demande principale soulève une cause défendable d’une violation possible en vertu de la Loi; et (2) si la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du redressement provisoire par voie d’injonction en attendant une audience sur le fond de la demande principale » (tiré de Saskatchewan Government and General Employees’ Union v. Saskatchewan (Government), 2010 CanLII 81339 (SK LRB), au par. 30).

[86] La Commission des relations de travail de l’Alberta utilise une approche à trois volets tirée de RJR‑MacDonald, même si elle a déjà reconnu qu’il n’est pas nécessaire de suivre cette approche et qu’elle doit tenir compte du contexte des relations de travail; voir International Alliance of Theatrical Stage Employees, Moving Picture Technicians, Artists and Allied Crafts of the United States, its Territories and Canada, Local 212 v. Camel Entertainment, Redemption Alberta Inc., 2015 CanLII 18514 (AB LRB), aux paragraphes 20, 21 et 40.

[87] Enfin, le CCRI suit également le critère à trois volets énoncé dans RJR‑MacDonald, mais il a également indiqué qu’il n’est pas tenu de le faire et que, lorsqu’il évalue ces facteurs, il doit veiller à ce qu’il garantisse la « […] réalisation des objectifs du Code » (voir Syndicat des employées et employés de MusiquePlus (CSQ) c. V INTERACTIONS inc. et MusiquePlus inc., 2017 CCRI 851, au par. 48).

[88] À mon avis, il y a deux thèmes courant dans l’ensemble des commissions du travail. D’abord, l’approche adoptée dans RJR‑MacDonald demeure solide. Même les critères plus longs ou les listes de facteurs adoptées en Ontario et en Colombie‑Britannique contiennent, au fond, les éléments de la force de l’affaire et du préjudice à chaque partie – c.‑à‑d. l’approche énoncée dans RJR‑MacDonald. Ensuite, l’évaluation de ces facteurs doit tenir compte du contexte des relations de travail concernant la demande.

[89] Si la Commission avait compétence pour accorder un redressement provisoire, j’appliquerais le critère à trois volets énoncé dans RJR‑MacDonald, tout en tenant compte du contexte des relations de travail de la demande.

B. Question sérieuse à juger

[90] Il est difficile d’évaluer la question de savoir si la présente plainte comporte une question sérieuse à juger, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, comme je l’ai déjà affirmé, la plaignante fonde son argument sur des hallucinations de l’IA. Cela fait en sorte qu’il est difficile de déterminer si elle a soulevé une question sérieuse.

[91] En deuxième lieu, le fardeau de la preuve dans la présente plainte incombe au défendeur; voir l’article 133(6) du Code. Dans National Judicial Institute, la CRTO a indiqué que le seuil de la preuve à première vue solide était inapproprié [traduction] « […] surtout dans les domaines où, à l’audition de la demande principale, il y a inversion du fardeau inverse » (voir le par. 37). J’irais plus loin et je proposerais que lorsque, le fardeau inverse s’applique, la question consiste à savoir si la plaignante a soulevé une question sérieuse selon laquelle le défendeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve. Il s’agit d’un faible seuil dont un plaignant doit s’acquitter.

[92] En évaluant cette question, j’ai divisé la demande de redressement provisoire de la plaignante en deux parties principales.

[93] En premier lieu, il y a la demande voulant que le défendeur continue de lui verser son salaire depuis la date de son refus de travailler. À l’origine, elle a demandé une ordonnance pour que son salaire lui soit versé jusqu’au 15 mai (qui, selon l’un de ses arguments, est la date de la décision du chef); elle a ensuite élargi sa demande pour en faire une ordonnance de lui verser son salaire pendant une période indéfinie. J’ai conclu qu’il n’existe aucune question sérieuse à juger sur cette question.

[94] L’article 147 du Code est rédigé en ces termes :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

147 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

(a) has testified or is about to testify in a proceeding taken or an inquiry held under this Part;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

(b) has provided information to a person engaged in the performance of duties under this Part regarding the conditions of work affecting the health or safety of the employee or of any other employee of the employer; or

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

[Je mets en evidence]

 

 

[95] Le libellé de l’article 147 du Code mis en évidence démontre qu’une allégation d’un refus de payer un plaignant relève de sa portée.

[96] Selon la position de la plaignante, elle a essentiellement le droit d’être rémunérée pendant le différend. Même si elle a cité la mauvaise disposition du Code, elle a raison dans une très petite mesure. Les employés qui sont touchés par un arrêt de travail découlant d’un problème de santé et de sécurité ont droit à la rémunération de leur salaire même s’ils ne travaillent pas, jusqu’à la fin du quart ou de la période de travail. Le Code prévoit ce qui suit :

128.1(1) Sous réserve des dispositions de toute convention collective ou de tout autre accord applicable, en cas d’arrêt du travail découlant de l’application des articles 127.1, 128 ou 129 ou du paragraphe 145(2), les employés touchés sont réputés, pour le calcul de leur salaire et des avantages qui y sont rattachés, être au travail jusqu’à l’expiration de leur quart normal de travail ou, si elle survient avant, la reprise du travail.

128.1(1) Unless otherwise provided in a collective agreement or other agreement, employees who are affected by a stoppage of work arising from the application of section 127.1, 128 or 129 or subsection 145(2) are deemed, for the purpose of calculating wages and benefits, to be at work during the stoppage until work resumes or until the end of the scheduled work period or shift, whichever period is shorter.

 

[97] Cela signifie qu’il existe une question sérieuse à juger selon laquelle la plaignante peut avoir le droit d’être rémunérée jusqu’à la fin de la période de travail prévue (c.‑à‑d. son jour de travail) le jour où elle a présenté le refus de travailler, mais pas après ce jour.

[98] Le défendeur soutient qu’il lui a offert d’autres tâches en vertu de l’article 128.1(3) du Code et qu’elle était en congé de maladie non payé ce jour‑là quand même, de sorte que son salaire était donc nul. Toutefois, comme je l’ai déjà affirmé, le fardeau de la preuve dans la présente plainte incombe au défendeur. Même si le défendeur peut, en fin de compte, avoir raison, il existe au moins une question sérieuse à juger concernant les autres tâches et le reste de sa journée après son refus de travailler.

[99] La plaignante va plus loin et affirme un droit juridique absolu d’être payée jusqu’à ce que la Commission ait réglé sa plainte. Le Code n’étaye aucunement ce droit. Le Code énonce qu’un employé peut continuer de refuser de travailler durant l’enquête sur le refus de travailler par la direction (par. 128(1)), le Comité de SST (par. 128(9)), et le chef (par. 129(1.3)). Si le chef donne une directive selon laquelle le défendeur doit prendre une mesure pour éliminer un danger, l’employé peut continuer à refuser de travailler jusqu’à ce que le défendeur ait mis en œuvre cette directive (par. 129(6)). Une fois que le chef décide que le danger n’existe pas, l’employé doit retourner au travail et il n’a pas le droit de maintenir son refus de travailler (par. 129(7)).

[100] Toutefois, le Code n’indique rien au sujet d’une obligation du défendeur de payer son salaire à un employé au‑delà de son quart ou de son jour de travail prévu au calendrier au cours duquel le danger est déterminé. L’article 128.1(1) indique très clairement que l’obligation de payer un employé s’applique au cours de la période pendant laquelle l’employé est censé « […] être au travail jusqu’à l’expiration de leur quart normal de travail ou, si elle survient avant, la reprise du travail » [je mets en évidence]. L’article 128.1(2) indique en outre qu’un employé qui est censé travailler pendant le prochain quart touché par un arrêt de travail a le droit d’être payé pour son quart, sauf s’il a été averti au moins une heure avant le début de son quart de ne pas se présenter au travail. Par conséquent, il n’y a aucune question sérieuse à juger relativement à cette partie de la plainte; le Code n’exige pas que la plaignante touche son salaire, sauf vraisemblablement pour le reste de la journée au cours de laquelle elle a présenté le refus de travailler.

[101] En deuxième lieu, il y a la question du soi‑disant trop‑payé. Le défendeur a affirmé qu’il s’agissait d’un véritable trop‑payé et qu’il a été traité presque immédiatement après le refus de travailler de la plaignante. La plaignante nie le trop‑payé et allègue qu’il s’agit d’une sanction pécuniaire de représailles. Comme je l’ai déjà dit, le fardeau de la preuve de démontrer que le trop‑payé n’est ni une mesure de représailles ni une sanction pécuniaire incombe au défendeur – en d’autres termes, qu’il existe un véritable trop‑payé à recouvrer et que le choix du moment de ce recouvrement n’est pas lié au refus de travailler de la plaignante.

[102] Je ne dispose pas de renseignements ni d’éléments de preuve suffisants à ce stade pour trancher la question. Compte tenu du fait que le fardeau de la preuve incombe au défendeur, cela signifie qu’il existe au moins une question sérieuse à juger relativement à la question concernant le trop‑payé.

C. Préjudice irréparable

[103] Selon le deuxième élément du critère énoncé dans RJR‑MacDonald, une partie qui demande une ordonnance provisoire doit démontrer qu’elle subirait un préjudice irréparable si l’ordonnance provisoire n’était pas accordée.

[104] Le préjudice irréparable a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui « […] ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre » (tiré de RJR‑MacDonald, à la p. 341). Comme l’a dit la Commission dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, au paragraphe 18, après avoir conclu qu’elle avait compétence pour accorder un redressement provisoire, « […] un tort de nature purement monétaire n’est pas suffisant en soi pour justifier une ordonnance provisoire ». De plus, la partie qui demande un redressement provisoire doit présenter des éléments de preuve clairs selon lesquels un préjudice irréparable suivra si le redressement provisoire est refusé. Même si un tribunal peut déduire l’existence d’un préjudice irréparable aux intérêts sociaux, comme la réputation, « [l]orsque le préjudice redouté est financier, une preuve claire et convaincante est nécessaire […] » (voir Newbould c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 106, au par. 29).

[105] La plaignante demande un redressement provisoire de nature pécuniaire : qu’elle soit rémunérée et que le défendeur soit empêché de recouvrer un soi‑disant trop‑payé. À première vue, il ne s’agit pas d’un préjudice irréparable parce qu’elle pourrait recouvrer la somme qui, selon elle, lui est due, si elle obtient gain de cause au cours de la dernière audition de la présente plainte. Le défendeur fait valoir que la plaignante n’a démontré aucun préjudice irréparable pour cette raison.

[106] Toutefois, une perte totale de revenu peut, selon les circonstances, constituer un préjudice irréparable. Comme la Cour fédérale l’a indiqué dans Simon c. Canada (Procureur général), 2012 CF 387, au par. 79 (confirmée dans 2012 CAF 312, au par. 37) :

[79] À mon avis, la baisse estimée des montants d’aide au revenu sous le régime de la politique et l’inadmissibilité éventuelle causeront à certains bénéficiaires un stress émotif et psychologique équivalant à un préjudice irréparable. Les personnes qui dépendent d’une aide au revenu sont particulièrement vulnérables, même aux petits changements dans les ressources disponibles, pour satisfaire leurs besoins essentiels, et, pour cette raison, j’ai conclu que les demandeurs avaient démontré un préjudice irréparable.

 

[107] Une perte de revenu en soi ne constitue pas un préjudice irréparable. Toutefois, il peut exister des circonstances découlant de cette perte de revenu qui constituent un préjudice irréparable parce que la perte de revenu entraîne un stress émotionnel ou psychologique qui ne peut pas être indemnisé au titre de dommages‑intérêts après une audience ultérieure.

[108] Dans le présent cas, la plaignante indique dans sa déclaration personnelle qu’en raison de l’absence de son revenu pendant (à ce moment‑là) plus de trois mois, elle a épuisé ses épargnes personnelles, a liquidé la valeur immobilière de son logement, a contracté des dettes et risque d’être en défaut de faire ses paiements hypothécaires. Elle n’a fourni aucun renseignement sur ses finances, y compris sur la question de savoir si elle avait d’autres sources de revenus (comme l’aide sociale) ou des membres de la famille qui l’appuient.

[109] De plus, la plaignante a affirmé dans sa déclaration personnelle qu’elle a reporté un traitement médical essentiel parce qu’elle n’en avait pas les moyens. Dans ses arguments en réponse, la plaignante a indiqué deux traitements médicaux qu’elle ne reçoit pas en raison de contraintes financières.

[110] Dans ses arguments, la plaignante a déclaré qu’elle avait des documents à l’appui des allégations faites dans sa déclaration personnelle. J’ai donné une directive l’informant que je ne peux pas tenir compte de documents, à moins qu’ils ne soient réellement déposés auprès de la Commission et je l’ai invitée à le faire. En réponse, la plaignante a affirmé qu’elle comptait plus de 100 pièces, mais qu’elle ne les déposerait que si elle pouvait le faire sans en donner une copie au défendeur. J’ai refusé, mais j’ai ordonné que les documents de la plaignante soient assujettis à une ordonnance de mise sous scellés temporaire (en attendant d’autres arguments quant aux documents, le cas échéant, qui devraient être mis sous scellés) et que les documents soient fournis à l’avocat du défendeur selon la directive [traduction] « à l’intention de l’avocat seulement ». La plaignante a envoyé un lien vers un lecteur Google qui contenait 44 documents (et non plus de 100). Les documents comprenaient une correspondance entre la plaignante, le défendeur, son syndicat et les représentants de la santé et de la sécurité, ainsi que des captures d’écran de son dossier de paie.

[111] Il convient de noter que la plaignante n’a déposé aucun document concernant sa situation financière ni sa situation médicale. Les seuls éléments de preuve dont je dispose au sujet de sa situation médicale sont des courriels dans lesquels elle soutient qu’elle ne devrait pas être tenue de fournir au défendeur des renseignements médicaux supplémentaires. Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant si elle a besoin des traitements médicaux qu’elle a décrits ou la raison pour laquelle elle en avait besoin. Je ne dispose d’aucun élément de preuve expliquant la raison pour laquelle ces traitements ne sont pas couverts par le régime de soins de santé des employés qui sont en congé non payé.

[112] Enfin, la plaignante n’a fourni aucun renseignement particulier sur le soi‑disant trop‑payé. Je ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel le défendeur a pris des mesures pour recouvrer le soi‑disant trop‑payé au‑delà de la demande de remboursement.

[113] En conclusion, j’estime que le type de préjudice allégué par la plaignante peut constituer un préjudice irréparable. Toutefois, la plaignante n’a fourni aucun élément de preuve clair et convaincant pour étayer l’existence d’un préjudice irréparable.

D. L’équilibre au niveau du préjudice

[114] Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles la plaignante n’a pas démontré une question sérieuse à juger (sauf la question relative au trop‑payé) et qu’elle n’a pas démontré un préjudice irréparable, il n’est pas nécessaire que j’examine l’ampleur du préjudice subi par le défendeur si j’accordais le redressement provisoire.

V. Équité procédurale

[115] La plaignante a exprimé, à plusieurs reprises, des préoccupations au sujet de l’équité procédurale quant à la façon dont la Commission a traité sa demande de redressement provisoire. J’aborderai deux de ces préoccupations en particulier.

[116] En premier lieu, la plaignante a exprimé une préoccupation lorsque j’ai attiré l’attention des parties sur les décisions antérieures de la Commission concluant qu’elle n’a pas le pouvoir d’accorder un redressement provisoire. Je suis allé jusqu’à dire que, en prenant ces affaires au pied de la lettre, selon mon avis préliminaire, la Commission n’a pas ce pouvoir. La plaignante a écrit pour demander une assurance selon laquelle cela ne signifiait pas que j’avais jugé au préalable sa demande. Je suis sûr que mes motifs indiquent clairement que je ne l’ai pas fait et qu’en fait la plaignante m’a convaincu que je ne pouvais pas simplement suivre ces décisions antérieures de la Commission et que je devais examiner cette question à nouveau.

[117] En deuxième lieu, les services de médiation de la Commission ont tenté d’aider les parties à régler la présente plainte, sans succès. La plaignante a demandé un contrôle judiciaire de cette procédure de médiation. De plus, la plaignante a indiqué que la médiatrice de la Commission a donné sa propre opinion sur les chances de succès de sa plainte.

[118] Les services de médiation de la Commission sont distincts de mon rôle qui est de trancher le présent cas. La plaignante a demandé [traduction] « […] des membres d’une nouvelle formation exempts de la partialité démontrée au cours de la médiation ». Je n’étais pas au courant de l’opinion de la médiatrice avant que la plaignante ne la divulgue par écrit à la Commission et dépose sa demande de contrôle judiciaire de la médiation. Les médiateurs de la Commission n’ont joué aucun rôle dans ma prise de décision.

VI. Demande de préserver les documents

[119] Comme je l’ai déjà indiqué, l’une des demandes de la plaignante visait une ordonnance en vue de [traduction] « [p]réserver tous les documents de paie et de congé aux fins d’un examen judiciaire indépendant ». Cette demande, contrairement aux autres demandes, vise une ordonnance procédurale provisoire. Toutefois, la plaignante a présenté cette demande dans ses arguments en réponse et, par conséquent, l’employeur n’a pas eu la possibilité d’y répondre. La plaignante affirme que cette ordonnance est nécessaire en raison de ce qu’elle appelle la [traduction] « falsification » des dossiers de paie.

[120] La Commission a la compétence expresse pour rendre une ordonnance qui oblige une partie « […] à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie » (voir la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, al. 20f)). Interprétée de manière large, la demande de la plaignante pourrait être considérée comme faisant partie d’une ordonnance de production.

[121] J’ai décidé de ne pas rendre cette ordonnance en l’espèce. J’ai examiné les documents qui, selon la plaignante, constituent une [traduction] « falsification » des éléments de preuve. Pour l’instant, je ne peux pas souscrire à sa caractérisation. Les dossiers de paie sont régulièrement modifiés en vue d’inclure des renseignements à jour. La Commission aurait besoin d’entendre le témoignage de l’employeur avant de conclure qu’il a [traduction] « falsifié » des éléments de preuve.

[122] Cela étant dit, je rappellerai aux parties de leur obligation de préserver des éléments de preuve vraisemblablement pertinents une fois qu’une instance aura été amorcée. Je rappellerai également aux parties que, si elles ne préservent pas ces éléments de preuve, cela pourrait mener à une conclusion selon laquelle la partie a fait obstruction à l’administration de la justice (voir Marston c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2024 CRTESPF 158, au par. 335). Toutefois, à l’heure actuelle, il serait prématuré que je tire une conclusion relative à cette question.

VII. Conclusion

[123] En résumé, j’ai conclu que la Commission n’a pas compétence pour accorder un redressement provisoire du type demandé par la plaignante. Le législateur a envisagé cette question et a expressément décidé de ne pas conférer ce pouvoir à la Commission. Par conséquent, la Commission ne peut pas avoir ce pouvoir par déduction nécessaire.

[124] Je conclus également que la plaignante ne m’a pas convaincue que je devrais accorder un redressement provisoire même si j’avais le pouvoir de le faire. La plaignante n’a pas démontré qu’il existe une question sérieuse à juger selon laquelle elle a droit à la rémunération après son refus de travailler (sauf pour le jour de son refus de travailler). Même si la plaignante a démontré une question sérieuse selon laquelle la demande de remboursement d’un soi‑disant trop‑payé contrevient à l’article 147 du Code, elle n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable si le redressement provisoire n’était pas accordé.

[125] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[126] La demande de redressement provisoire de la plaignante est rejetée.

[127] La plainte sera inscrite au calendrier pour une audience en temps voulu.

Le 1er octobre 2025.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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