Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief concernant son renvoi en cours de stage, alléguant que la raison pour laquelle elle a été licenciée était qu’elle avait soulevé une question de conflit d’intérêts en milieu de travail. Elle a également allégué une discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille. Le défendeur a soulevé une objection à la compétence de la Commission pour entendre le grief parce qu’il s’agissait d’un renvoi en cours de stage valide. Il a également soutenu que les allégations de discrimination n’avaient pas été soulevées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et que la Commission n’avait donc pas été saisie à bon droit de ces allégations. La Commission a conclu que le licenciement était un renvoi en cours de stage valide. La preuve de l’employeur a démontré qu’il avait des motifs liés à l’emploi pour renvoyer la fonctionnaire s’estimant lésée en cours de stage. Pour ce qui est de la discrimination, la Commission a conclu que, puisque la fonctionnaire s’estimant lésée avait présenté une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne au cours de la procédure de règlement des griefs, l’employeur ne pouvait pas soutenir qu’il avait été surpris par l’allégation de discrimination, qu’il avait subi un préjudice quelconque ou que la nature du grief avait changé. En fin de compte, la Commission a déterminé que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas réussi à prouver que son licenciement avait été fait de mauvaise foi ou qu’il s’agissait d’un subterfuge ou d’un camouflage. Par conséquent, la Commission n’avait pas la compétence pour entendre le grief.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20251003

Dossier: 566‑02‑44606

 

Référence: 2025 CRTESPF 129

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Christina Wall

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Conseil du Trésor

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

employeur

Répertorié

Wall c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Guy Grégoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Elle‑même

Pour l’employeur : Chris Ludwinski, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 6 au 9 mai 2025.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 22 juillet 2020, Christina Wall, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a reçu une nomination d’un an à un poste d’agente de services aux paiements (ASP) classifié au groupe et au niveau PM‑01 auprès d’Emploi et Développement social Canada (l’« employeur ») dans sa Direction générale des services de versement des prestations – Centre d’appels à Regina, en Saskatchewan. Sa nomination a commencé le 8 septembre 2020 et devait prendre fin le 7 septembre 2021.

[2] Elle a été licenciée le 12 janvier 2021 pendant son stage. L’employeur a conclu qu’elle n’avait pas démontré qu’elle pouvait exercer de manière satisfaisante les fonctions d’une ASP.

[3] Le 26 avril 2022, après avoir suivi la procédure de règlement des griefs avec l’employeur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a renvoyé le grief à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’article 209(1)c)(i) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[4] Au début de l’audience, l’employeur a soulevé trois objections contestant la compétence de la Commission pour entendre le grief et le droit de la fonctionnaire de soulever de nouveaux arguments.

[5] Dans sa première objection, l’employeur a soutenu que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage par erreur en vertu de l’article 209(1)c)(i); il aurait dû avoir été renvoyé en vertu de l’article 209(1)a), selon lequel la fonctionnaire a besoin du soutien de son agent négociateur pour déposer le grief. Ce soutien a été retiré le 22 mars 2024. L’employeur a fait valoir que la Commission n’a pas compétence pour entendre le présent grief.

[6] La deuxième objection de l’employeur était fondée sur le principe énoncé dans Burchill (voir Burchill c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 CF 109 (C.A.)), étant donné que la fonctionnaire a présenté une allégation de discrimination à l’audience qui n’avait pas été formulée pendant la procédure de règlement des griefs.

[7] Dans sa troisième objection, l’employeur a exprimé sa préoccupation selon laquelle la fonctionnaire n’a pas respecté le principe énoncé dans Browne et Dunn (tiré de la décision du Royaume‑Uni Browne v. Dunn, (1893) 6 R. 67, H.L.), signifiant qu’elle peut présenter des faits dans son témoignage qui n’avait pas été présenté aux témoins de l’employeur lors de leur interrogatoire principal ou de leur contre‑interrogatoire.

[8] J’aborderai toutes les objections plus loin dans la présente décision.

[9] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le licenciement de la fonctionnaire a été effectué alors qu’elle était encore en stage et pour des raisons liées à l’emploi. Par conséquent, le présent grief est rejeté.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

[10] Le 22 juillet 2020, la fonctionnaire a reçu une lettre d’offre pour un emploi pour une période déterminée, qu’elle a acceptée, au centre d’appels de l’assurance‑emploi de Regina. Elle a été nommée à partir d’un processus de sélection externe pour une période de 12 mois. Son mandat a commencé le 8 septembre 2020 et devait prendre fin le 7 septembre 2021. La lettre d’offre énonçait ce qui suit : [traduction] « Toutes les nominations […] externes de la fonction publique sont assujetties à une période de stage de 12 mois […] ».

[11] Un gestionnaire lui a ensuite envoyé un courriel le 17 août 2020. Dans le courriel, il lui répétait que le poste comportait une période de stage. Il indiquait que les trois étapes de formation, qui comportaient une formation en salle de classe, le mentorat et la surveillance du soutien transitoire, dureraient environ 15 semaines. Il indiquait également que la formation en salle de classe comprenait cinq examens et que la note de passage pour chacun était de 75 %. Il comportait un avertissement selon lequel si elle n’obtenait pas cette note de passage, son maintien en poste pourrait être touché.

[12] La formation en salle de classe constituait la première étape et a duré environ neuf semaines. Les candidats devaient réussir trois des cinq examens. L’échec signifiait un renvoi en cours de stage.

[13] La deuxième étape concernait le mentorat des candidats et elle était divisée en deux périodes. Chaque candidat était jumelé avec un ASP chevronné qui devait l’observer. Le candidat répondait ensuite à des appels provenant de demandeurs. Au cours de cette étape, le mentor préparait un rapport quotidien (appelé un rapport [traduction] « parallèle ») sur les progrès du candidat à répondre aux réponses des demandeurs. Deux rapports parallèles ont été préparés.

[14] À la fin de chaque période de mentorat, un conseiller en excellence en affaires (CEA) évaluait le rendement du candidat au moyen d’une [traduction] « évaluation de la stratégie de soutien transitoire » (l’« évaluation de la SST ») au cours de laquelle le CEA écoutait les appels pendant deux jours et demi. Deux périodes de formation par mentorat ont eu lieu, puis deux évaluations de la SST étaient effectuées.

[15] Dans les deux évaluations de la SST, le rendement de la fonctionnaire a été jugé insatisfaisant, ce qui a mené à son renvoi en cours de stage.

[16] La fonctionnaire n’a pas été assujettie à la troisième et dernière étape, soit la période de surveillance du soutien transitoire.

[17] La fonctionnaire a échoué à trois des cinq examens de la première étape. Elle a échoué au premier (en obtenant une note de 71 %) en raison d’un problème technique, car elle l’a retourné sans l’avoir achevé. Elle a ensuite échoué à deux autres examens, en obtenant des notes de 68 % et de 69 %, respectivement. Même si elle a échoué aux trois, elle a été autorisée à passer à la deuxième étape, car on lui a accordé le bénéfice du doute en raison du problème technique.

[18] Les deux CEA qui ont effectué les évaluations de la SST, Reid Weighill et Alexis Carlston, ont été cités à témoigner pour le compte de l’employeur. Selon leur témoignage, ils ne connaissaient pas personnellement la fonctionnaire; ils ne la connaissaient que dans le cadre de son emploi au centre d’appels.

[19] L’employeur a présenté les rapports parallèles et les deux évaluations de la SST de la fonctionnaire. Ils contenaient beaucoup de détails et un exemple de son rendement pendant qu’elle répondait aux appels et aux questions des demandeurs. Ils font partie du dossier et illustrent bon nombre de ses lacunes dans le cadre de situations où son mentor ou un CEA a dû intervenir souvent pour lui offrir les bons renseignements.

1. M. Weighill

[20] La fonctionnaire a contre‑interrogé M. Weighill. Il a témoigné qu’il n’avait pas été le CEA affecté à celle‑ci; sa CEA était Mme Carlston. Toutefois, étant donné que Mme Carlston avait été absente, il a préparé la première évaluation de la SST de la fonctionnaire. Selon la politique de l’employeur, ce rapport doit être envoyé au chef d’équipe (CE) de la candidate. Il a répondu aux questions au sujet de sa formation de CEA et a fait remarquer qu’elle avait été relativement courte. Il a confirmé qu’en tant que CEA, il n’a pas le pouvoir de mettre fin à l’emploi d’un ASP.

2. Mme Carlston

[21] En contre‑interrogatoire, Mme Carlston a affirmé qu’elle ne se souvenait pas d’avoir été en retard pour la deuxième évaluation de la SST de la fonctionnaire ou de tout problème technique connexe. Elle a témoigné que la fonctionnaire avait été en mesure d’accéder à trois systèmes, mais qu’elle n’avait pas été en mesure d’extraire les renseignements nécessaires sans l’aide de Mme Carlston. Elle a fourni des exemples tirés de la deuxième évaluation de la SST. Elle a expliqué des notions techniques, comme le [traduction] « réacheminement » et les [traduction] « interventions manuelles ». En faisant référence à la section Résumé, elle a fourni des exemples de procédures que la fonctionnaire avait manquées.

3. James Hendrickson

[22] James Hendrickson, le CE de la fonctionnaire, a témoigné que l’une de ses responsabilités consistait à appuyer les ASP, à aider à régler les problèmes techniques et à surveiller les rapports d’étape (les rapports parallèles et les évaluations de la SST). Lui aussi a témoigné qu’il ne connaissait pas la fonctionnaire, autre que dans le milieu de travail, et qu’il n’avait aucune connaissance de sa vie personnelle.

[23] Dans son témoignage, il a décrit la structure de formation. Il a affirmé qu’il faut environ trois mois pour achever la formation en salle de classe et par mentorat. Il a expliqué qu’il faut de cinq à six jours pour le mentorat, après quoi le CEA évalue le candidat. Une période de mentorat supplémentaire peut être fournie, au besoin. Il a témoigné que la formation en classe de la fonctionnaire a été effectuée en ligne en raison de la pandémie de COVID‑19.

[24] Il a témoigné que la fonctionnaire n’a invoqué aucun problème de santé qui aurait affecté son rendement au cours des examens de la première étape. Il a affirmé que, normalement, les candidats qui échouent aux deux examens sont licenciés. Il a tenu au courant sa gestionnaire des services (la « gestionnaire »), Jamie Howie, qui était sa supérieure, des progrès des candidats relativement à leur formation. Le 30 septembre 2020, il lui a envoyé par courriel un résumé d’une réunion qu’il avait eu avec la fonctionnaire après qu’elle a échoué à un examen. Il a témoigné que d’autres réunions semblables avaient été tenues (le 22 octobre et le 9 novembre 2020). Il a témoigné qu’elle avait été autorisée à poursuivre la formation en raison du grand nombre d’heures qui avait été investi dans la fonctionnaire et des difficultés éprouvées en matière de recrutement.

[25] M. Hendrickson a reconnu que, pendant la période pertinente, lui et Mme Carlston, qui avait effectué la deuxième SST, avaient une relation et cohabitaient. Il a témoigné que cela n’avait pas embrouillé son jugement lorsqu’il avait évalué la fonctionnaire. Il a également affirmé qu’il n’avait, en aucun temps, flirté avec la fonctionnaire et que personne n’avait soulevé une question de jalousie pendant cette période.

[26] Le CE a toujours reçu tous les rapports parallèles. Ils permettent au CE de surveiller les candidats. La fonctionnaire n’a jamais soulevé de problèmes de santé ou de problèmes personnels qui auraient permis d’expliquer son rendement au cours de l’étape de mentorat.

[27] Il a affirmé que les évaluations de la SST sont semblables aux rapports parallèles. L’évaluateur de la fonctionnaire a indiqué où elle éprouvait des problèmes relativement à ses fonctions. Sa première SST, datée du 7 décembre 2020, a été discutée avec elle et un résumé de la discussion a été envoyé à sa gestionnaire le lendemain. Au cours de la discussion, les améliorations nécessaires ont été décrites et la fonctionnaire a été avertie que si elle échouait à une deuxième évaluation de la SST, elle serait licenciée. Il a affirmé que la discussion avait pour objectif de l’aider à réussir en tant qu’ASP.

[28] Après cela, il a été convenu que la fonctionnaire se verrait offrir 10 jours de mentorat supplémentaires et qu’une autre CEA, soit Mme Carlston, effectuerait une deuxième évaluation de la SST. Malheureusement, la deuxième évaluation n’a indiqué aucune différence importante par rapport à la première et toute amélioration indiquée était insuffisante en ce qui concerne l’étape de formation de la fonctionnaire. Un rapport a été envoyé à la gestionnaire, qui a ensuite décidé de la licencier.

[29] Le CE a témoigné qu’il n’avait jamais parlé du licenciement de la fonctionnaire avec Mme Carlston, qu’il n’était au courant d’aucune enquête administrative concernant la fonctionnaire, qu’il n’avait jamais été suspendu de ses fonctions et qu’il n’avait jamais été mis à pied.

[30] En contre‑interrogatoire par la fonctionnaire, M. Hendrickson a témoigné que même s’il estimait qu’il faisait partie de la direction, il n’avait jamais été un gestionnaire des services. Il a confirmé que des problèmes techniques sont survenus lorsque la fonctionnaire a passé son premier examen. Il a affirmé qu’il avait tout consigné parce qu’il devait assurer une trace documentaire. Il a confirmé qu’elle n’avait jamais reçu des copies de ses rapports parallèles.

[31] Il a affirmé qu’il était important qu’un ASP évite les incohérences. Il a ajouté que la gestionnaire a pris la décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage. Il a témoigné qu’il ne se souvenait pas d’avoir approuvé des congés annuels pour la fonctionnaire ou d’avoir eu une réunion avec la gestionnaire au sujet d’un conflit d’intérêts à l’extérieur de son bureau après la réunion de licenciement de la fonctionnaire ou d’avoir eu une telle réunion. De plus, il n’a conservé aucun message instantané échangé avec la fonctionnaire ou avec toute autre personne. Il a témoigné qu’il n’avait pas demandé à la fonctionnaire de lui fournir une copie de son passeport ou de son permis de conduire. Enfin, il a témoigné que, pendant toute la période pertinente, elle faisait partie de son équipe.

4. Mme Howie

[32] Mme Howie était la gestionnaire pendant la période pertinente. Elle aussi a témoigné qu’elle ne connaissait pas la fonctionnaire en dehors du milieu de travail ou rien au sujet de sa vie personnelle. Elle a rencontré la fonctionnaire uniquement pendant sa période de stage.

[33] Elle a affirmé qu’elle avait reçu des copies des rapports d’étape, afin d’être tenue au courant de tous les nouveaux employés. Il lui incombait de décider de licencier ou de maintenir l’emploi d’un nouvel employé. Elle a témoigné que la fonctionnaire avait été autorisée à poursuivre sa formation.

[34] Mme Howie a confirmé qu’elle avait consulté l’un des conseillers en relations de travail (RT) de l’employeur, qui donne des conseils et des directives sur les renvois en cours de stage.

[35] Mme Howie a témoigné que son évaluation des rapports parallèles de la fonctionnaire indiquait que le rendement de la fonctionnaire n’était pas bon, qu’elle avait besoin l’aide d’un CEA et qu’elle ne disposait pas des connaissances nécessaires pour accomplir le travail seule. Son rendement était insatisfaisant.

[36] Mme Howie a également témoigné que les évaluations de la SST décrivent la mesure dans laquelle il est important pour un ASP d’être en mesure de suivre les procédures, car le service qu’il offre touche la situation financière des demandeurs et peut entraîner des répercussions négatives sur leur vie. La première évaluation de la SST de la fonctionnaire a indiqué clairement qu’elle ne pouvait pas travailler seule, de manière indépendante. De plus, la deuxième a démontré et a permis de confirmer qu’elle ne disposait pas des connaissances nécessaires pour accomplir le travail seule.

[37] Mme Howie a témoigné qu’il est peu courant qu’un candidat échoue à trois examens et poursuive sa formation. Elle a énoncé les circonstances relatives au problème technique survenu au cours du premier examen de la fonctionnaire. Elle a invoqué les résultats des examens de la fonctionnaire lors de sa formation en salle de classe et son rendement insatisfaisant au cours de son étape de mentorat, et rien d’autre. Elle a affirmé qu’elle avait pris la décision de licencier la fonctionnaire.

[38] Mme Howie a témoigné en outre qu’avant de prendre sa décision définitive de licencier la fonctionnaire, elle a demandé à une autre gestionnaire, soit Jayci Kirsch, de réévaluer les rapports de rendement de la fonctionnaire en vue d’obtenir une deuxième opinion. Mme Kirsch a agi en tant que tiers neutre pour évaluer le rapport et la conclusion de la CEA. Mme Kirsch a souscrit à cette conclusion.

[39] Mme Howie a affirmé que la fonctionnaire a obtenu une rémunération de deux semaines tenant lieu de préavis de licenciement.

[40] Elle a affirmé qu’elle n’était pas au courant du fait que M. Hendrickson et Mme Carlston souhaitaient que la fonctionnaire soit licenciée; aucune enquête après emploi n’a été effectuée et personne n’a été congédié de son poste.

[41] Mme Howie a témoigné que la fonctionnaire avait présenté une allégation de conflit d’intérêts après son licenciement et uniquement pendant la procédure de règlement des griefs. Elle ne se souvenait pas d’avoir discuté avec M. Hendrickson à l’extérieur de son bureau après qu’elle avait tenu la réunion de licenciement avec la fonctionnaire.

[42] La fonctionnaire a interrogé Mme Howie au sujet de certains éléments figurant dans sa deuxième évaluation de la SST, lesquels concernaient des transactions achevées et un appel dont la connexion avait été coupée et elle a affirmé qu’elle ne savait pas qui avait interrompu l’appel, l’appelant ou la fonctionnaire. Elle a également été interrogée au sujet de la section [traduction] « renseigner le client » et a confirmé que même si les CEA ne fournissent pas de services provinciaux, un ASP devrait être en mesure d’aiguiller les demandeurs vers des options de rechange, comme les services d’aide sociale provinciaux ou le régime de pension du Canada (RPC).

[43] Mme Howie a déclaré qu’elle ne savait pas la date à laquelle elle a appris que le CE et l’une des CEA avaient une relation. Elle a affirmé que le CE approuvait les congés de la fonctionnaire. Elle a déclaré qu’il lui fallait environ 45 minutes pour examiner une évaluation de la SST. Elle a témoigné qu’elle a saisi les données concernant le licenciement de la fonctionnaire le 12 janvier 2021 et que le bureau de la rémunération de l’employeur a traité l’indemnité tenant lieu de préavis de la fonctionnaire.

5. Mme Kirsch

[44] Dans son témoignage, Mme Kirsch a confirmé que sa participation dans le licenciement de la fonctionnaire avait consisté à fournir une deuxième opinion relativement à l’évaluation de la SST de la fonctionnaire. Elle a déclaré que ni Mme Carlston ni la fonctionnaire ne relevaient d’elle. Elle a affirmé que les erreurs commises par la fonctionnaire auraient pu toucher directement les demandeurs et les priver d’un versement, donner lieu à un trop‑payé ou à la cessation d’un paiement. Elle a témoigné que le sexe ou l’état matrimonial de la fonctionnaire n’avait eu aucune incidence sur son opinion. Elle n’avait aucune connaissance personnelle de la fonctionnaire. Elle a confirmé qu’il s’agissait de la décision de Mme Howie de licencier la fonctionnaire.

[45] La fonctionnaire n’a pas interrogé Mme Kirsch.

B. Pour la fonctionnaire

[46] La fonctionnaire a témoigné que le conflit d’intérêts découlait de la relation entre Mme Carlston et M. Hendrickson. À ce moment‑là, l’employeur a présenté une objection fondée sur le principe tiré de Browne et Dunn, que j’ai rejetée. J’ai permis à la fonctionnaire de poursuivre son témoignage. Voici mes motifs.

[47] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait rencontré le CE lorsqu’elle s’est jointe au centre d’appels. Il était son superviseur. Elle a témoigné qu’elle le voyait souvent dans le bureau et que, parfois, il la faisait sortir de sa formation en salle de classe pour en discuter, mais également pour discuter de [traduction] « sujets personnels ». Elle a déclaré que cela s’est poursuit lorsqu’elle travaillait en ligne et qu’ils discutaient de sujets personnels. Elle a affirmé qu’à ce moment‑là, il n’avait pas de « petite amie ». Elle a affirmé qu’il avait tenté une fois de la muter à une autre équipe. En décembre 2020, il a annoncé qu’il avait récemment emménagé avec Mme Carlston.

[48] La fonctionnaire a témoigné que le CE lui avait envoyé un courriel pour l’informer que Mme Carlston, sa CEA, serait en retard pour son évaluation de la SST le matin du 7 janvier 2021. Elle a affirmé que la CEA était très agitée ce matin‑là et que la CEA a pris une longue pause de son évaluation. Elle s’est plainte du soutien qu’elle avait reçu de la CEA.

[49] Elle a témoigné que le 11 décembre 2020, elle a envoyé un courriel à son CE. Elle a soulevé la question de conflit d’intérêts le concernant et a déclaré qu’elle n’avait que la gestionnaire à qui en parler. Le même jour, à 16 h 30, il l’a appelée et lui a demandé de la rencontrer en vue de l’informer qu’elle avait échoué à sa deuxième évaluation de la SST et qu’elle sera licenciée. Elle a témoigné que son CE lui a dit qu’elle devait prendre ses congés annuels et les a approuvés ce jour‑là, même si elle ne les avait pas demandés.

[50] Elle a rencontré sa gestionnaire et son CE. Elle a été informée de son licenciement. Elle a affirmé que la gestionnaire l’a pris de côté pour discuter du conflit d’intérêts, mais que le licenciement avait déjà été traité.

[51] La fonctionnaire a déclaré qu’elle souhaitait avoir une évaluation juste et impartiale et qu’elle avait déménagé à Regina pour cet emploi. Elle a soutenu qu’elle connaissait très bien l’emploi, qu’elle pouvait naviguer dans tous les systèmes et toutes les procédures, qu’elle avait participé à la formation et qu’elle avait posé de nombreuses questions aux formateurs et aux mentors. Elle a fait valoir qu’elle n’avait pas été informée qu’un représentant de l’agent négociateur pouvait être présent à la réunion de licenciement.

[52] La réunion de licenciement a commencé par un examen de la deuxième évaluation de la SST, mais elle a pris fin vers le trois quarts de la durée prévue lorsque la gestionnaire a demandé à la CEA d’expliquer l’évaluation. La fonctionnaire a constaté que cette réunion n’avait aucune fin utile puisqu’elle avait déjà signé les documents de licenciement.

[53] La fonctionnaire a soutenu qu’elle avait entendu la gestionnaire réprimander le CE à l’extérieur de son bureau au sujet de sa relation avec Mme Carlston.

[54] La fonctionnaire a témoigné qu’elle se sentait très mal quant au fait qu’une femme puisse être si mal traitée et qu’elle ne pouvait rien y faire, sauf pleurer. Elle a soutenu qu’elle avait présenté également une plainte fondée sur les droits de la personne concernant le conflit d’intérêts, principalement contre le CE et Mme Carlston. Elle a reconnu qu’elle n’était pas la seule femme au centre d’appels.

[55] Elle a affirmé qu’elle avait reçu une indemnité tenant lieu de préavis deux ans et demi plus tard.

[56] En contre‑interrogatoire, la fonctionnaire a témoigné que, lors de l’étape de mentorat, elle avait eu trois différents mentors. Elle a soutenu qu’elle n’a jamais vu les rapports parallèles, mais qu’elle avait seulement été qu’informée à leur sujet. Elle savait que son rendement n’était pas encore bon et qu’elle avait besoin d’une formation supplémentaire.

[57] L’employeur a interrogé la fonctionnaire au sujet des nombreux commentaires figurant dans les rapports parallèles et les évaluations de la SST. En règle générale, elle a répondu qu’ils ne comportaient pas suffisamment de détails pour qu’elle puisse formuler des commentaires à leur sujet.

III. Résumé de l’argumentation

[58] Lorsque je suis parvenu à ma conclusion, j’ai tenu compte de tous les éléments de preuve et les longs arguments des parties, que je résumerai maintenant.

A. Pour l’employeur

[59] L’employeur a commencé ses arguments en passant en revue ses objections.

[60] La première objection visait le renvoi à l’arbitrage du grief en vertu de l’article 209(1)c)(i) de la Loi. L’employeur a soutenu que lorsqu’un agent négociateur retire son soutien, il s’agit du retrait d’un grief déposé en vertu de l’article 209(1)a) et de toute question ayant trait à cette disposition. Il a fait valoir en outre que le grief aurait dû être renvoyé en vertu de l’article 209(1)b). Il a soutenu que le fait de ne pas renvoyer le grief en vertu de la bonne disposition de la Loi était préjudiciable à sa position, car il était laissé dans l’ignorance et ne connaissait pas la preuve à réfuter.

[61] La deuxième objection était fondée sur les principes énoncés dans Burchill. L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire avait tenté d’élargir la portée du grief en invoquant la discrimination concernant son renvoi en cours de stage. Il a cité la formule de renvoi de grief qui ne comportait que la phrase unique suivante : [traduction] « Je conteste la décision de la direction de me renvoyer en cours de stage dont j’ai été informée le 12 janvier 2021 ». Il a soutenu que Burchill prévoit qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut pas renvoyer un nouveau grief ou un grief différent à l’arbitrage, uniquement le grief qui a été présenté jusqu’au dernier palier.

[62] L’employeur a soutenu que l’allégation de discrimination n’a pas été présentée dans la formule de présentation de grief ni pendant la procédure de règlement des griefs. Il a fait valoir que la jurisprudence établit clairement que l’employeur a le droit de connaître les détails du grief d’un fonctionnaire s’estimant lésé, de sorte que les questions peuvent être traitées de manière appropriée. Il a affirmé que lorsqu’un grief est modifié ou lorsque de nouveaux éléments y sont ajoutés une fois que la procédure de règlement des griefs interne est achevée, cela peut miner l’objectif même de cette procédure.

[63] L’employeur a ajouté que l’omission de la fonctionnaire de remplir le formulaire 24 de la Commission démontre qu’elle n’avait aucune intention de présenter une allégation de discrimination lorsque le grief a été renvoyé à l’arbitrage. Cette omission l’empêche de recevoir des dommages‑intérêts pour discrimination au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; LCDP).

[64] L’employeur a soutenu que l’allégation de discrimination constituait une tentative de requalifier le grief et qu’elle violait les principes énoncés dans Burchill. Il a fait valoir que le grief de la fonctionnaire ne comporte aucune allégation de discrimination ou de violation de la LCDP ni de l’article d’élimination de la discrimination de la convention collective pertinente. Il a invoqué Mutart c. Canada (Procureur général), 2014 CF 540, au paragraphe 33, citant Burchill et suivant le principe selon lequel les fonctionnaires s’estimant lésés ne peuvent pas modifier la nature de leurs griefs à l’occasion de leur renvoi à l’arbitrage.

[65] L’employeur a ajouté que la réponse de la fonctionnaire ne faisait aucune référence à une allégation de discrimination parce qu’il soutient qu’aucune telle allégation n’a été présentée au cours de la procédure de règlement des griefs.

[66] La troisième objection de l’employeur portait sur la compétence et était fondée sur l’incapacité de la Commission d’entendre un grief lié au renvoi en cours de stage d’un employé. Il a affirmé de nouveau que le grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)c)(i) de la Loi, qui, selon lui, permet le renvoi à l’arbitrage des griefs qui y sont énoncés, mais qui ne permet pas le renvoi à l’arbitrage d’un grief concernant un renvoi en cours de stage effectué sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Il a cité l’article 211a) de la Loi, qui est libellé comme suit : « L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur : a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique; […] ».

[67] Il a fait référence à l’article 61(1) de la LEFP, qui prévoit que la personne nommée par nomination externe est considérée comme stagiaire pendant la période fixée par règlement, qui était de 12 mois dans le présent cas. Il a continué en faisant remarquer que l’article 62(1) énonce que l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis, avec une indemnité tenant lieu de préavis. Il a invoqué Boyce c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2004 CRTFP 39, au paragraphe 50, dans laquelle l’ancienne Commission a affirmé que sa compétence en matière de renvoi en cours de « […] stage est largement délimitée par la loi et les décisions de la Cour fédérale. » Elle affirme en outre que les critères auxquels un fonctionnaire s’estimant lésé doit satisfaire sont très rigoureux et il s’ensuit donc que ceux auxquels l’employeur doit satisfaire pour justifier le renvoi en cours de stage sont relativement moins élevés.

[68] L’employeur a fait référence à Holowaty c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 44, au paragraphe 11, qui énonce ce qui suit :

[11] Le renvoi en cours de stage se caractérise par les quatre éléments suivants

· l’employé était en période de stage;

· la période de stage de l’employé était encore en vigueur au moment du licenciement;

· un avis ou une indemnité a été fourni;

· le licenciement est attribuable aux préoccupations liées à l’emploi quant au caractère adéquat de l’employé.

 

[69] Il a soutenu que la LEFP est rédigée d’une telle manière que l’employeur dispose d’une grande souplesse au cours de la période de stage, afin qu’il puisse évaluer les compétences d’un employé pendant sa période de stage. Il a fait valoir que si un employeur démontre de légitimes préoccupations au sujet d’un employé, sauf si elles sont banales, sa décision de licencier un employé ne peut être considérée comme un subterfuge ou un camouflage (voir Boyce). En citant Fell c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 2, au paragraphe 122, il a soutenu qu’un fonctionnaire s’estimant lésé doit démontrer que les motifs de renvoi en cours de stage sont essentiellement fabriqués de toutes pièces.

[70] L’employeur a fait valoir que les quatre éléments énoncés dans Holowaty ont été satisfaits.

[71] Tel que cela a été indiqué, l’employeur a employé la fonctionnaire en tant qu’ASP pour le poste d’une durée déterminée, soit du 8 septembre 2020 au 7 septembre 2021. Elle a été assujettie à la période de probation de 12 mois énoncée dans la lettre d’offre du 22 juillet 2020 et le courriel que sa gestionnaire lui a envoyé le 17 août 2020. Elle a été licenciée le 12 janvier 2021, conformément à la lettre de licenciement portant la même date.

[72] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire a échoué à trois des cinq examens obligatoires et qu’il a autorisé de bonne foi qu’elle poursuive l’étape de mentorat. Trois personnes l’ont évaluée et ont cerné des lacunes persistantes dans son rendement. Ses témoins ont expliqué ces lacunes.

[73] La lettre de licenciement indiquait que, malgré les efforts de la direction d’amener le rendement de la fonctionnaire à un niveau acceptable, elle n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle pouvait exercer ses fonctions d’ASP de manière satisfaisante. Elle indiquait en outre que la décision de la licencier en cours de stage était fondée sur un examen minutieux de son rendement, surtout le fait qu’elle n’était pas en mesure de passer à la prochaine étape, soit de répondre à des appels seule.

[74] La lettre indiquait également que la fonctionnaire recevrait une rémunération de deux semaines tenant lieu de préavis.

[75] L’employeur a soutenu que les éléments de preuve dont dispose la Commission satisfont aux quatre exigences d’un renvoi valide en cours de stage, notamment que la fonctionnaire était en période de stage, que la période de stage de la fonctionnaire était encore en vigueur au moment de son licenciement, qu’elle a reçu une indemnité tenant lieu de préavis et qu’il existait une raison liée à l’emploi pour décider de la licencier. Il a conclu en affirmant que la Commission est sans compétence pour enquêter davantage sur la présente affaire, en vertu de l’article 211 de la Loi.

[76] L’employeur a ensuite présenté son argument sur le bien‑fondé de l’affaire. Il a soutenu qu’il avait établi que le renvoi en cours de stage de la fonctionnaire était valide et que le fardeau de la preuve incombait maintenant à la fonctionnaire. Il a fait valoir que la Commission doit conclure à l’absence de compétence, sauf si la fonctionnaire peut démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le renvoi en cours de stage a été effectué de mauvaise foi, constituait un subterfuge, une invention, un camouflage ou a été effectué pour des motifs discriminatoires.

[77] L’employeur a soutenu que dans un cas de discrimination, il incombe au fonctionnaire s’estimant lésé d’établir une preuve à première vue de discrimination. Si le fonctionnaire s’estimant lésé le fait, il incombe alors à l’employeur de justifier sa conduite. Il a cité le critère à trois volets suivant énoncé dans Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012 CSC 61 :

1) La fonctionnaire possède‑t‑elle une caractéristique protégée contre la discrimination?

2) A‑t‑elle subi un effet préjudiciable?

3) La caractéristique protégée a‑t‑elle constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable?

 

[78] L’employeur a reconnu qu’en tant que femme, l’allégation de discrimination de la fonctionnaire relevait du motif qu’est le sexe, une caractéristique protégée par l’article 3(1) de la LCDP. Il a également reconnu qu’elle a subi un effet préjudiciable lorsqu’elle a été renvoyée en cours de stage.

[79] En ce qui concerne le troisième volet du critère, l’employeur a affirmé que le renvoi en cours de stage a été effectué pour des raisons liées à l’emploi, et non de discrimination. Il a soutenu que lorsque les éléments de preuve sont insuffisants pour établir un lien entre une caractéristique protégée et le renvoi d’un employé en cours de stage, cette partie du critère n’est pas satisfaite et la Commission doit conclure à l’absence de compétence. Il a fait valoir qu’il n’existe aucun lien entre toute discrimination alléguée et la décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage.

[80] Il a soutenu que la perception de la fonctionnaire selon laquelle son renvoi en cours de stage était fondé sur le fait qu’elle est une femme ou sur son état matrimonial ne suffit pas pour établir une discrimination. Il a invoqué Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2012 TDFP 17, pour affirmer que « “ […] le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ” ». Il a également cité le Tribunal canadien des droits de la personne dans la décision Dawson c. Société canadienne des postes, 2008 TCDP 41, au paragraphe 69, comme suit :

[69] La conviction, si ferme soit‑elle, qu’une personne est victime de discrimination ne permet pas en droit de conclure à l’existence de discrimination ni n’établit une preuve prima facie de discrimination […] il doit y avoir une certaine preuve, c’est‑à‑dire quelque chose qui fait en sorte qu’il est plus probable qu’une prétention particulière soit vraie […].

 

[81] L’employeur a soutenu que, dans la présente affaire, la fonctionnaire n’a pas établi un fait qui permet de confirmer sa conviction selon laquelle la discrimination a constitué un facteur dans sa décision de la renvoyer en cours de stage. Il n’y avait même pas suffisamment d’éléments de preuve circonstancielle pour étayer son allégation de discrimination. Il a fait plutôt valoir que la preuve documentaire et les témoignages des témoins démontrent clairement que la fonctionnaire n’a pas atteint l’objectif en matière d’attentes de rendement. La fonctionnaire a témoigné qu’elle a entendu le CE et la gestionnaire affirmer qu’ils souhaitaient [traduction] « se débarrasser d’elle ». Il a soutenu que pendant l’interrogatoire principal des témoins, ils ont tous deux nié avoir eu cette conversation.

[82] La fonctionnaire a également allégué une discrimination fondée sur le sexe et l’état matrimonial, mais tous les témoins l’ont nié ou ont nié avoir connaissance de ses renseignements personnels et ont affirmé que ces facteurs n’ont joué aucun rôle dans son évaluation ni dans la prise de décision de la renvoyer en cours de stage.

[83] En conclusion, l’employeur a demandé que le présent grief soit rejeté.

B. Pour la fonctionnaire

[84] La fonctionnaire a confirmé qu’une discussion avec son CE a eu lieu vers le 1er décembre 2020, au sujet de son premier rapport parallèle. Elle a ensuite fait référence à un courriel daté du 8 décembre 2020, soit un résumé d’une réunion de l’évaluation de la SST de la CEA qui a examiné ses progrès. Elle a confirmé qu’elle avait été avertie que si elle échouait à une deuxième évaluation de la SST, elle serait renvoyée en cours de stage.

[85] Elle a soutenu qu’elle avait soulevé un conflit d’intérêts au troisième palier de la présentation de son grief par l’intermédiaire du représentant de son agent négociateur, comme en témoigne l’ensemble de documents daté du 9 décembre 2021. Le représentant a soulevé des questions au sujet de la conclusion de l’équipe des valeurs et de l’éthique selon laquelle il n’existait aucun conflit d’intérêts. La fonctionnaire et son représentant ont posé la question suivante : [traduction] « Comment une évaluation peut‑elle être effectuée lorsque la personne qui a formulé l’allégation n’est jamais interrogée? »

[86] La fonctionnaire a soulevé des questions concernant la procédure et l’obtention de ses renseignements. Elle a affirmé qu’elle a ensuite procédé par l’intermédiaire de la procédure d’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP), mais qu’il a fallu longtemps pour recevoir les renseignements. Elle a déclaré qu’elle n’a blâmé personne à cet égard.

[87] Elle a affirmé qu’une réunion a été tenue au sujet de son licenciement, mais qu’elle estimait que la gestionnaire souhaitait ne pas être présente.

[88] Elle a fait référence à l’article 127.1(1) du Code canadien du travail (L.R.C., (1985), ch. L‑2). Elle a affirmé que l’employeur doit tenter de régler une plainte et que si elle n’est pas réglée, une enquête doit être amorcée. Elle a soutenu qu’il n’y a eu aucune réponse à l’allégation de harcèlement.

[89] La fonctionnaire a soutenu qu’on ne lui a pas accordé une chance raisonnable de réussir, car les évaluateurs n’ont pas agi de manière équitable et n’ont pas fait preuve de diligence. La décision de la renvoyer en cours de stage n’était pas fondée sur une évaluation équitable et objective. Elle a soutenu que son licenciement constituait une mesure disciplinaire déguisée et qu’il a été effectué de mauvaise foi. Elle a fait valoir qu’elle n’a pas eu une possibilité équitable de démontrer ses compétences et ses capacités. Elle a soutenu qu’elle aurait dû avoir l’occasion de recevoir une autre évaluation de la SST, cette fois‑ci par un CEA impartial.

[90] Elle a fait valoir que sa première évaluation de la SST aurait dû lui avoir été envoyée. Elle a soutenu qu’elle avait peut‑être été rédigée après le fait et qu’il n’existe aucun élément de preuve indiquant qu’elle a été rédigée lorsqu’elle a dû être rédigée. Elle a fait valoir que la décision était fondée sur de faux rapports. Elle a affirmé qu’elle estimait être bloquée et qu’on l’avait empêchée d’accéder aux outils appropriés.

[91] Elle a soutenu que la relation entre le CE et Mme Carlston était inappropriée et qu’elle a causé un conflit d’intérêts relativement à leurs fonctions officielles. Elle a soutenu que le CE et Mme Carlston, qui était sa CEA, auraient dû maintenir une distance. Elle a soutenu que le représentant de son agent négociateur avait soulevé le conflit d’intérêts au cours des trois paliers de la procédure de règlement des griefs. Elle a déclaré que la divulgation de leur relation n’était pas conforme aux politiques et aux formulaires de conflit d’intérêts de l’employeur, ce qui explique pourquoi la gestionnaire a témoigné qu’elle n’était pas au courant de leur relation.

[92] Elle a fait valoir qu’elle était déçue lorsqu’elle a appris que son premier mentor avait préparé sa première évaluation de la SST. Selon elle, le CE avait affirmé qu’elle était jointe à un courriel alors qu’en fait elle ne l’était pas.

[93] Elle a soutenu qu’au fil du temps, le CE a constamment augmenté sa discrimination contre elle. Il n’était pas en mesure de lui parler et il a envoyé des courriels à d’autres CE afin de déterminer s’il pouvait la muter à leur équipe.

[94] Elle a soutenu que, pendant l’examen de sa deuxième évaluation de la SST avec Mme Carlston, son CE a écouté aussi. Il a évalué les compétences générales de la fonctionnaire. Elle a fait valoir que cela lui avait enlevé toute sa dignité et constituait une intimidation et un harcèlement à son égard.

[95] Elle a affirmé que son allégation de conflit d’intérêts n’a pas fait l’objet d’une enquête et que le rapport n’a été rempli qu’après qu’elle avait reçu la réponse à sa demande d’AIPRP. Elle a soutenu qu’elle n’avait pas été informée de son droit qu’un représentant de l’agent négociateur l’accompagne à sa réunion de licenciement.

[96] Elle a soutenu que lorsqu’elle a contre‑interrogé Mme Carlston au sujet de sa deuxième évaluation de la SST, les réponses de Mme Carlston étaient vagues et comportaient de fausses déclarations. Elle a fourni des exemples, comme lorsque Mme Carlston a déclaré que la fonctionnaire avait accès à un système informatique particulier (le système SPS), alors qu’en fait, ce n’était pas le cas, et lorsque Mme Carlston a déclaré que la fonctionnaire aurait dû avoir aiguillé un demandeur vers le Régime de pensions du Canada (RPC), mais qu’il n’y avait aucune raison de le faire. Elle a analysé les rapports sur l’évaluation de la SST de manière plus approfondie et a contredit les commentaires qui y figuraient.

[97] La fonctionnaire a affirmé qu’il y a eu une violation claire de la convention collective. Il s’agissait de la convention de 2018 à 2023. Elle a soutenu qu’il était évident que les clauses et les articles 59.03, 59.04, 10, 10.02, 20, 20.1, 58, 58.01 et 6 avaient été violés.

[98] La fonctionnaire a soutenu qu’elle avait déposé une plainte relative aux droits de la personne le 14 novembre 2021. Dans le cadre de ses arguments, elle a présenté un formulaire de la Commission canadienne des droits de la personne qui pourrait être appelé une [traduction] « trousse de plainte ». L’employeur s’est opposé à son admission en preuve, en invoquant Burchill. J’ai décidé de l’accepter et de déterminer, dans ma conclusion, le poids à y accorder.

 

[99] Dans ce formulaire, la section [traduction] « Résumé des allégations » est rédigée comme suit :

[Traduction]

Une fausse évaluation a été effectuée à mon sujet pour le compte de mon employeur par la conjointe de fait de mon superviseur. L’évaluation qui a été consignée était remplie de fausses déclarations, des sections de l’évaluation ne s’étaient jamais produites du tout, signalant des systèmes auxquels je n’ai jamais eu accès. Il ne s’agit pas d’une évaluation équitable ni impartiale qui a été effectuée par cette évaluatrice. Il s’agissait d’un conflit d’intérêts pour mon évaluatrice de choisir délibérément d’effectuer mon évaluation parce qu’elle était jalouse et souhaitait se « débarrasser de moi » et ne voulait pas que je parle à son petit ami du tout, de quelque façon que ce soit.

 

[100] La fonctionnaire a soutenu qu’elle est une personne protégée, en tant que femme dans le milieu de travail, et que, en particulier, ses évaluations étaient sexualisées. Elle a fait référence à la partie 1 de la LCDP et a déclaré que l’employeur devait la protéger contre les motifs illicites de discrimination. Elle a affirmé qu’elle n’a pas été traitée de manière équitable et que le milieu de travail n’était pas un milieu exempt de discrimination fondée sur le sexe et l’état matrimonial. Elle a soutenu qu’elle avait été traitée de manière différente en fonction de son sexe et de son présumé état matrimonial. Elle a fait valoir qu’elle a été privée d’une possibilité d’emploi.

[101] Elle a soutenu que ni l’une ni l’autre de ses évaluations n’était conforme à la Loi sur les conflits d’intérêts (L.C. 2006, ch. 9, art. 2), plus particulièrement la partie 1, Règles régissant les conflits d’intérêts, et les articles 4, 5, 6, 6(1), 7 et 8.

[102] La fonctionnaire a soutenu que son CE et sa CEA, Mme Carlston, étaient tous deux tenus de signer un formulaire d’attestation divulguant leur conflit d’intérêts possible. Elle a fait valoir qu’ils ont tous deux signé une déclaration selon laquelle ils ont lu et compris le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et qu’ils auraient dû reconnaître leur conflit d’intérêts.

[103] La fonctionnaire a cité la Loi sur l’équité en matière d’emploi (L.C. 1995, ch. 44). Elle a soutenu que l’employeur est tenu de cerner et d’éliminer les obstacles à l’emploi pour les personnes de groupes désignés comme le sien, soit les femmes. Elle a soutenu que le conflit d’intérêts était contraire aux politiques et aux pratiques établies de l’employeur et a eu un effet préjudiciable sur son emploi.

[104] Elle a fait référence au Code de conduite et au Code de valeurs et d’éthique du secteur public, plus précisément au paragraphe E [traduction] « Superviseurs comme modèles de comportement et intégrité », où il est énoncé dans la section [traduction] « Comportements attendus » qu’une personne ne doit jamais utiliser son rôle officiel pour obtenir un avantage pour elle ou un désavantage pour une autre personne.

C. La réfutation de l’employeur

[105] L’employeur a soutenu qu’aucun élément de preuve selon lequel la deuxième évaluation de la SST de la fonctionnaire a été sexualisée n’a été déposé.

[106] Il a soutenu que l’allégation de conflit d’intérêts n’a pas été présentée au cours de l’emploi de la fonctionnaire, mais uniquement après son licenciement. Il a fait valoir qu’aucun élément de preuve selon lequel le CE et Mme Carlston avaient effectué la deuxième évaluation de la SST ensemble n’a été déposé.

IV. Motifs

A. La Commission a‑t‑elle compétence sur le grief étant donné le fait que l’agent négociateur a retiré son soutien?

[107] L’employeur a soutenu que le grief a été renvoyé par erreur en vertu de l’article 209(1)c)(i) de la Loi plutôt qu’en vertu de l’article 209(1)a), qui exigeait que la fonctionnaire ait le soutien de son agent négociateur pour déposer le grief. Il est vrai qu’il a retiré son soutien le 22 mars 2024. Si la fonctionnaire avait déposé le grief en vertu de l’article 209(1)a), elle aurait en fait nécessité ce soutien. Toutefois, rien dans la Loi ne l’empêchait de le déposer en vertu de l’article 209(1)c)(i) sans ce soutien.

[108] Cette objection est rejetée. Je conclus que je suis dûment saisi du présent grief.

[109] Cela dit, la fonctionnaire allègue que l’employeur a contrevenu à plusieurs dispositions de la convention collective pertinente. Je souscris à l’argument de l’employeur selon lequel l’article 209(2) de la Loi prévoit que la Commission n’a pas compétence pour entendre les éléments de preuve liés à l’interprétation de la convention collective sans l’approbation de l’agent négociateur. Étant donné qu’il a retiré son soutien, je ne peux pas examiner ces allégations et elles sont rejetées.

B. Le renvoi en cours de stage n’a pas été effectué de mauvaise foi et ne constituait pas un subterfuge ou n’était pas discriminatoire

1. Principes juridiques qui s’appliquent aux renvois en cours de stage

[110] Le cadre juridique applicable aux affaires concernant un renvoi en cours de stage dans l’administration publique fédérale centrale figure aux articles 209 et 211 de la Loi et à l’article 62 de la LEFP. L’article 209 de la Loi est ainsi rédigé :

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

Reference to adjudication

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

209 (1) An employee who is not a member as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(c) in the case of an employee in the core public administration,

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui‑ci était nécessaire;

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(d) in the case of an employee of a separate agency designated under subsection (3), demotion or termination for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

Application de l’alinéa (1)a)

Application of paragraph (1)(a)

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

(2) Before referring an individual grievance related to matters referred to in paragraph (1)(a), the employee must obtain the approval of his or her bargaining agent to represent him or her in the adjudication proceedings.

Désignation

Designation

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

(3) The Governor in Council may, by order, designate any separate agency for the purposes of paragraph (1)(d).

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

Reference to adjudication

209.1 Outre les droits qui lui sont accordés au titre de l’article 209, le fonctionnaire qui n’occupe pas un poste de direction ou de confiance ou qui n’est pas autrement représenté par un agent négociateur peut, après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel s’il a subi des préjudices physiques ou psychologiques, des dommages matériels ou des pertes économiques — ou a été autrement lésé — par suite d’une contravention à une disposition des règlements pris en vertu du paragraphe 117(1) de la Loi canadienne sur l’accessibilité et que le grief est relatif à cette contravention.

209.1 In addition to his or her rights under section 209, an employee, other than an employee who occupies a managerial or confidential position or who is not otherwise represented by a bargaining agent, may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the employee has suffered physical or psychological harm, property damage or economic loss as the result of — or has otherwise been adversely affected by — the contravention of a provision of regulations made under subsection 117(1) of the Accessible Canada Act, and the grievance is related to that contravention.

 

[111] L’article 62 de la LEFP prévoit ce qui suit :

62 (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

62 (1) While an employee is on probation, the deputy head of the organization may notify the employee that his or her employment will be terminated at the end of

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

(a) the notice period established by regulations of the Treasury Board in respect of the class of employees of which that employee is a member, in the case of an organization named in Schedule I or IV to the Financial Administration Act, or

b) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par l’organisme distinct en cause dans le cas d’un organisme distinct dans lequel les nominations relèvent exclusivement de la Commission.

(b) the notice period determined by the separate agency in respect of the class of employees of which that employee is a member, in the case of a separate agency to which the Commission has exclusive authority to make appointments,

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

and the employee ceases to be an employee at the end of that notice period.

Indemnité tenant lieu de préavis

Compensation in lieu of notice

(2) Au lieu de donner l’avis prévu au paragraphe (1), l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de la cessation de son emploi et du fait qu’une indemnité équivalant au salaire auquel il aurait eu droit au cours de la période de préavis lui sera versée. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire à la date fixée par l’administrateur général.

(2) Instead of notifying an employee under subsection (1), the deputy head may notify the employee that his or her employment will be terminated on the date specified by the deputy head and that they will be paid an amount equal to the salary they would have been paid during the notice period under that subsection.

 

[112] La décision Holowaty fait référence à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Alexis, 2021 CAF 216, dans laquelle il est affirmé que la Commission n’a aucune compétence sur un licenciement effectué en vertu de la LEFP, conformément à l’article 211 de la Loi.

[113] La décision Holowaty rappelle qu’un renvoi en cours de stage se caractérise par les quatre éléments suivants : l’employé était en période de stage, la période de stage de l’employé était encore en vigueur au moment du licenciement, un avis ou une indemnité a été fourni et le licenciement est attribuable à des raisons liées à l’emploi.

[114] Même si la Commission disposait d’une compétence apparemment limitée pour entendre l’affaire, la jurisprudence a déterminé qu’elle a compétence pour entendre ce qui suit (tiré de Holowaty, au par. 9) :

[9] […] les allégations qui, si elles étaient prouvées, démontreraient que le renvoi en cours de stage a été fait de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir, par exemple, Wrobel c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 14; Rouet c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2021 CRTESPF 59, au par. 305; Reeves c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2019 CRTESPF 61; Ontario Northland Transportation Commission v. Teamsters Canada Rail Conference Maintenance of Way Employees Division, 2020 CanLII 107424, au par. 62; Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, au par. 109). Comme indiqué ci-dessous, dans Tello :

[…]

[109] […] Dans Penner, à la page 438, la Cour fédérale du Canada faisait référence à « […] une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé ». Les arbitres de grief ont généralement statué qu’un employeur du secteur privé doit avoir un pouvoir discrétionnaire important pour effectuer cette évaluation et un arbitre de grief ne doit pas annuler la décision d’un employeur sauf si la décision est arbitraire, discriminatoire ou rendue de mauvaise foi […]

 

[110] Si un administrateur général renvoie un employé en cours de stage sans égard à l’objet de la période de stage — autrement dit, si la décision ne repose pas sur l’aptitude de l’employé à occuper un emploi de façon continue — cette décision est arbitraire et peut également être prise de mauvaise foi. Dans un tel cas, le licenciement n’est pas conforme à la nouvelle LEFP.

[…]

 

[115] Selon la décision Fell, au paragraphe 122, il est difficile pour un fonctionnaire s’estimant lésé de s’acquitter du fardeau de la preuve. Il ne suffit pas qu’il ou elle démontre que le processus suivi par l’employeur était imparfait ou inéquitable. Il ou elle doit démontrer qu’il a agi de mauvaise foi et qu’il a fabriqué de toutes pièces les motifs de licenciement.

2. L’employée était en cours de stage au moment du renvoi et où l’avis a été donné

[116] J’examinerai maintenant les éléments de preuve en l’espèce. Ils permettent d’établir que la fonctionnaire a accepté l’offre d’emploi pour une période déterminée, soit du 8 septembre 2020 au 7 septembre 2021. L’offre indiquait clairement ce qui suit : [traduction] « Toutes les nominations et les mutations externes de la fonction publique sont assujetties à une période de stage de 12 mois […] ». La période de stage a également été mentionnée dans le courriel de suivi du 17 août 2020, provenant de la gestionnaire et envoyé à la fonctionnaire. Elle a été licenciée le 12 janvier 2021, qui était bien au cours de la période de stage. De plus, selon son témoignage, elle a reçu une indemnité tenant lieu de préavis, même si celle‑ci a été quelque peu retardée.

[117] Aucune question n’a été soulevée selon laquelle ces circonstances satisfont aux trois premiers éléments du critère énoncé dans Holowaty. La fonctionnaire était en période de stage, la période de stage était encore en vigueur au moment de son licenciement et elle a reçu une indemnité tenant lieu de préavis. Le dernier élément consiste à savoir si une raison liée à l’emploi a étayé la décision de la licencier.

[118] Afin d’étayer sa décision de licencier la fonctionnaire, l’employeur a démontré qu’elle avait échoué à trois des cinq examens, ce qui devait également entraîner son licenciement. Pour ses propres raisons, l’employeur a décidé de poursuivre sa formation. Il a ensuite présenté des évaluations écrites de ses progrès et de son rendement pendant sa formation, lesquelles ont toutes démontré qu’elle devait s’améliorer.

[119] J’ai également entendu les témoignages des évaluateurs, qui ont permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, leur objectivité lorsqu’ils ont évalué la fonctionnaire. Les éléments de preuve ont démontré que chacune des évaluations écrites, qui comprenaient les rapports parallèles et les évaluations de la SST, contenait de nombreux exemples concrets de ses lacunes quant aux attentes de l’employeur.

[120] Selon la prépondérance de la preuve, je conclus que la fonctionnaire était en période de stage au moment de son licenciement, que l’employeur a fourni des raisons pour le licenciement et qu’un avis lui a été donné.

3. La fonctionnaire n’a pas démontré que la raison de son licenciement constituait simplement un subterfuge ou un camouflage ou qu’il a été effectué de mauvaise foi

[121] La fonctionnaire a soutenu que la raison de son licenciement était qu’elle avait soulevé une question de conflit d’intérêts dans le milieu de travail étant donné que sa CEA et son CE avaient une relation. Elle a également allégué la discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille, à laquelle l’employeur s’est opposé en affirmant que ces allégations n’ont pas été soulevées au cours de la procédure de règlement des griefs.

[122] Le lourd fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que son licenciement découlait d’un subterfuge ou qu’il avait été effectué de mauvaise foi, incombait à la fonctionnaire. Je conclus qu’elle n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer ses allégations.

a. L’allégation de conflit d’intérêts

[123] Dans son argumentation, la fonctionnaire a soulevé le conflit d’intérêts concernant la relation entre sa CEA et son CE. Elle a allégué la jalousie entre la CEA et elle. Elle a contre‑interrogé la CEA et le CE, mais aucun témoignage n’a conféré de la crédibilité à l’allégation.

[124] En ce qui concerne cette question, l’employeur a présenté une objection fondée sur Browne et Dunn.

[125] La Commission a bien expliqué les exigences énoncées dans Browne et Dunn au paragraphe 192 de sa décision dans Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36 :

192 Selon la règle établie dans Browne et Dunn,une partie qui conteste la crédibilité d’un témoin à l’aide d’une preuve contradictoire doit interroger ce témoin relativement à cette preuve, et ce, afin de permettre au témoin, dont on essaiera de contredire le témoignage, l’occasion de s’expliquer. Si la règle dansBrowne [sic] et Dunn n’est pas suivie, la Cour ou le tribunal ne permettra pas à la partie d’invoquer la preuve contradictoire.

 

[126] J’ai rejeté l’objection tout en offrant à l’employeur la chance de citer à nouveau ses témoins, au besoin, pour contredire le témoignage de la fonctionnaire. Il ne l’a pas fait. Il souhaitait limiter la capacité de la fonctionnaire de présenter un témoignage contradictoire sans permettre à ses témoins d’y répondre. Il a soutenu que cela était préjudiciable à ses arguments.

[127] Je suis guidé par le fait qu’un tribunal administratif, comme la Commission, n’est pas régi par les règles de la preuve rigoureuses et qu’il est le maître de ses procédures. Toutefois, il est limité par les règles de la justice naturelle. Comme c’est souvent le cas pour les fonctionnaires s’estimant lésés qui ne sont pas représentés devant la Commission, ils ne sont pas toujours informés des nombreux principes et des subtilités juridiques. Le fait de permettre à un fonctionnaire s’estimant lésé de témoigner contrairement à Browne et Dunn n’entraîne pas toujours un préjudice, surtout si l’employeur est au courant du témoignage qui sera entendu.

[128] Dans le cadre de ses interrogatoires principaux de ses témoins, l’employeur a posé à la CEA et au CE des questions sur leur relation et les deux ont confirmé son existence et le fait qu’elle n’a joué aucun rôle dans leurs évaluations du rendement de la fonctionnaire. La gestionnaire a également été interrogée à cet égard et a confirmé qu’elle n’a pas constitué un facteur dans sa décision et qu’elle n’a pas influé sur sa décision.

[129] Je conclus que l’employeur était au courant de l’allégation de conflit d’intérêts et qu’il n’a subi aucun préjudice irréparable lorsque la Commission a autorisé le témoignage.

[130] La relation aurait pu donner lieu à un argument fondé sur le conflit d’intérêts. Le critère bien établi pour déterminer la présence d’un conflit d’intérêts ou de partialité consiste à se demander ce qu’une personne bien renseignée conclurait si elle était confrontée aux circonstances. Je ne suis pas convaincu qu’une personne bien renseignée conclurait que le conflit d’intérêts apparent est intervenu d’une façon quelconque dans la décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage. Autre que son témoignage, aucun élément de preuve n’a étayé cette allégation.

[131] La fonctionnaire a également soutenu que l’article 127.1(1) du Code canadien du travail a été violé. Elle a affirmé qu’il incombait à l’employeur de tenter de régler une plainte. L’article 127.1(1) est ainsi rédigé :

127.1 (1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie — à l’exclusion des droits prévus […] aux articles 128, 129 et 132 —, l’employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident, une blessure ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.

127.1(1) An employee who believes on reasonable grounds that there has been a contravention of this Part or that there is likely to be an accident, injury or illness arising out of, linked with or occurring in the course of employment shall, before exercising any other recourse available under this Part, except the rights conferred by … sections 128, 129 and 132, make a complaint to the employee’s supervisor.

 

[132] L’employeur a répondu à cette question dans sa réponse au grief au premier palier, dans laquelle il a affirmé que son équipe des valeurs et de l’éthique avait effectué une évaluation qui avait permis de conclure qu’un tel conflit n’existait pas.

[133] Dans la présente affaire, aucun élément de preuve selon lequel la relation entre la CEA de la fonctionnaire et son CE avait eu une incidence sur la décision de l’employeur de la renvoyer en cours de stage n’a été présenté.

b. L’allégation de discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille
i. L’allégation de discrimination de la fonctionnaire n’est pas nouvelle

[134] L’employeur a présenté une objection fondée sur Burchill, dans laquelle il affirme que les allégations formulées devant la Commission n’avaient pas été soulevées au cours de la procédure de règlement des griefs. Comme je l’ai déjà mentionné, les fonctionnaires s’estimant lésés qui se représentent eux‑mêmes ne sont pas toujours au courant de ces règles, et il est important qu’une partie ne soit pas surprise par de nouvelles allégations. Toutefois, dans le présent cas, l’employeur était au courant de l’allégation de discrimination, mais il a agi comme s’il n’en savait rien.

[135] Comme je l’ai déjà mentionné, le 14 novembre 2021, la fonctionnaire a présenté à la Commission canadienne des droits de la personne une plainte relative aux droits de la personne. Cette plainte a été présentée pendant la procédure de règlement des griefs et avant que la décision au deuxième palier n’ait été rendue par l’employeur. Le résumé de ses allégations a expliqué le motif de sa plainte :

[Traduction]

Une fausse évaluation a été effectuée à mon sujet pour le compte de mon employeur par la conjointe de fait de mon superviseur. L’évaluation qui a été consignée était remplie de fausses déclarations, des sections de l’évaluation ne s’étaient jamais produites du tout, signalant des systèmes auxquels je n’ai jamais eu accès. Il ne s’agit pas d’une évaluation équitable ni impartiale qui a été effectuée par cette évaluatrice. Il s’agissait d’un conflit d’intérêts pour mon évaluatrice de choisir délibérément d’effectuer mon évaluation parce qu’elle était jalouse et souhaitait se « débarrasser de moi » et ne voulait pas que je parle à son petit‑ami du tout, de quelque façon que ce soit.

 

[136] Même si je souscris à l’argument fondé sur Burchill selon lequel un fonctionnaire s’estimant lésé ne doit pas soulever de nouvelles allégations devant la Commission, je conclus que son allégation de discrimination n’a pas changé la nature du grief. Elle allègue toujours que la raison de son licenciement constituait simplement un subterfuge ou un camouflage ou qu’il a été effectué de mauvaise foi.

[137] Selon les éléments de preuve, l’employeur ne peut pas soutenir qu’il a été surpris par cette allégation de discrimination. L’employeur a offert un argument très bien expliqué sur le sujet particulier de la discrimination; il n’a subi aucun préjudice.

[138] Cette objection est rejetée.

ii. La fonctionnaire n’a pas présenté une preuve à première vue de discrimination

[139] La fonctionnaire a présenté son allégation de discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille. Elle n’a présenté aucun élément de preuve, convaincant ou autrement, pour établir qu’elle a été victime de discrimination parce qu’elle est une femme. Elle a simplement présenté la conclusion selon laquelle elle est une femme et elle a été licenciée et, par conséquent, il y a eu discrimination. De plus, aucun élément de preuve n’a été présenté relativement à sa situation de famille afin d’étayer son allégation. Les témoins de l’employeur ont témoigné qu’aucun d’entre eux ne connaissait la fonctionnaire avant son emploi ou n’était au courant de sa situation de famille.

[140] La fonctionnaire a également cité la Loi sur l’équité en matière d’emploi et a soutenu que l’employeur était tenu de cerner et d’éliminer les obstacles à l’emploi pour les personnes de groupes désignés comme le sien, soit les femmes.

[141] Afin de déterminer si une discrimination a eu lieu, la fonctionnaire devait présenter d’abord une preuve à première vue. Elle devait présenter des faits qui, s’ils étaient pris comme véridiques, auraient permis d’établir qu’une discrimination avait eu lieu. Le fardeau de la preuve aurait alors incombé à l’employeur pour justifier sa conduite.

[142] Dans Moore, la Cour suprême du Canada a établi le critère d’une discrimination à première vue dans les termes suivants, au paragraphe 33 :

[33] […] pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable […]

 

[143] La fonctionnaire est une femme et, par conséquent, elle est protégée contre la discrimination. Toutefois, elle n’a présenté aucun élément de preuve que ce soit quant à sa situation de famille à la date de l’audience ou pendant la période pertinente au grief. Je conclus donc que son argument fondé sur la situation de la famille doit être rejeté.

[144] La fonctionnaire a‑t‑elle subi un effet préjudiciable? Elle a été renvoyée en cours de stage. Par conséquent, oui, elle a subi un effet préjudiciable.

[145] La troisième question demande si la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Dans la présente affaire, les éléments de preuve ont permis d’établir clairement que la fonctionnaire a été licenciée pour des raisons liées à l’emploi, conformément à ce que j’ai déjà indiqué dans la présente décision. Elle a également reconnu que le centre d’appels avait d’autres employées.

[146] Selon ce critère, je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi une preuve à première vue de discrimination. L’allégation de discrimination est rejetée.

[147] Au début de l’audience, l’employeur a présenté son objection selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour entendre le présent grief, aux termes de l’article 211 de la Loi.

[148] Je conclus que l’objection est fondée. Selon l’article 211 de la Loi et l’article 62 de la LEFP, je n’ai pas compétence sur le renvoi de la fonctionnaire en cours de stage.

[149] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[150] L’objection de l’employeur relativement à la compétence de la Commission est accueillie.

[151] Le grief est rejeté.

Le 3 octobre 2025.

Traduction de la CRTESPF

Guy Grégoire,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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