Date: 20250822
Dossier: 566-02-46010
Référence: 2025 CRTESPF 98
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relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail |
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Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral |
Entre
mandeep parihar
fonctionnaire s’estimant lésé
et
Conseil du TrÉsor
(Service correctionnel du Canada)
employeur
Répertorié
Parihar c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Brian Russell, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Pénélope Enault, avocate
Pour l’employeur : Karen Clifford, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 18 mars, le 17 avril et le 8 mai 2025.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Aperçu
[1] La présente décision porte sur le respect des délais de ce grief. Je dois déterminer si l’action ou les circonstances y donnant lieu ont eu lieu dans le délai prévu par la convention collective pertinente. J’ai décidé que le grief avait été déposé hors délai. Cela signifie que j’accueille l’objection que le Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») a formulée à l’égard du respect des délais du grief et que je rejette le grief.
II. Procédure suivie pour cette décision
[2] Cette affaire devait être entendue en mars 2025. J’ai rencontré les parties lors d’une conférence préparatoire à l’audience. L’employeur a demandé de procéder par voie d’arguments écrits concernant le respect des délais du grief et trois questions de compétence. J’ai accueilli la demande de l’employeur après avoir évalué le dossier.
[3] Après que l’employeur eut soulevé son objection concernant le respect des délais, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a répondu en déclarant que le grief n’avait pas été présenté en retard. Il n’a pas demandé de prorogation de délai pour déposer le grief si la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») concluait que le grief était hors délai. L’employeur a déposé une réponse à la position du fonctionnaire.
[4] L’employeur s’est également opposé à la compétence de la Commission pour trois raisons. Premièrement, le grief n’a aucun lien avec la convention collective, qui est conclue entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers -Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l’« agent négociateur ») et qui a expiré le 31 mai 2022 (la « convention collective »). Deuxièmement, les réclamations du fonctionnaire pour préjudice physique et mental sont prescrites par la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) et la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (L.R.C. (1985), ch. G-5). Troisièmement, rien ne permet à la Commission d’accorder un remboursement de la licence d’ambulancier paramédical et de l’éducation pour l’acquérir et pour la perte d’argent pour ne pas avoir pu accepter un poste de CX-02.
[5] La Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) précise que la Commission peut trancher toute question dont elle est saisie sans tenir d’audience.
[6] Après avoir examiné les arguments écrits des parties, je conclus que l’objection préliminaire peut être tranchée par écrit parce que l’information contenue dans les arguments écrits des parties est suffisante pour que je puisse déterminer l’objection relative au respect des délais.
[7] La présente décision porte sur l’objection relative au respect des délais. Je n’ai pas besoin d’examiner les autres objections préliminaires de l’employeur parce que son objection concernant le respect des délais est accueillie et que le grief est rejeté.
III. Contexte
[8] Le fonctionnaire est un agent correctionnel CX-01 qui travaille à l’Établissement d’Edmonton de l’employeur, à Edmonton (Alberta). Le 11 juin 2021, il s’est blessé au genou gauche au travail. Il a vu un médecin le jour même et a été diagnostiqué avec une entorse au genou. Il a commencé la physiothérapie le 16 juin 2021.
[9] Le 25 juin 2021, l’employeur a soumis les documents requis à la Commission des accidents du travail - Alberta (CAT). La date limite pour que l’employeur dépose tous les documents auprès de l’autorité provinciale ou territoriale des accidents du travail est précisée dans un document que l’employeur et l’agent négociateur ont négocié et appelé une entente globale. On y dit que la date limite pour déposer des documents en Alberta est de 72 heures (3 jours).
[10] La CAT a confirmé la demande du fonctionnaire pour sa blessure au genou et a approuvé ses indemnités pour perte de salaire à compter du 12 juin 2021. Une IRM a été réalisée sur son genou le 17 juillet 2021. Il a rencontré un spécialiste le 17 août 2021.
[11] En octobre 2021, la CAT a envoyé au fonctionnaire une lettre confirmant que son médecin lui avait diagnostiqué une blessure à la hanche gauche. Son médecin a confirmé que son problème de hanche était préexistant parce qu’il s’était produit avant sa blessure au genou. Le médecin a également confirmé que son problème à la hanche avait été aggravé par sa blessure au genou.
[12] Le 9 juin 2022, le fonctionnaire a eu une consultation avec un chirurgien pour sa hanche. Le chirurgien a indiqué dans une note qu’il était approprié que le fonctionnaire suive une formation professionnelle alternative parce qu’il pourrait ne pas être en mesure de fonctionner comme agent correctionnel, ce qui implique de soulever, tirer et pousser lourdement.
[13] Le fonctionnaire a déposé son grief le 29 juin 2022 et l’employeur a reçu le grief le 30 juin 2022.
[14] Le grief se lit comme suit :
[Traduction]
[…]
Je dépose un grief au motif que l’employeur a agi avec négligence en ne présentant pas à temps mes documents relatifs à un accident de travail à la CAT.
Cette action a eu un impact significatif sur ma santé physique et mentale.
L’employeur n’a pas respecté son obligation en matière de santé et de sécurité et plus particulièrement l’article 18 de la convention collective.
Cela a eu un impact à long terme, car je viens d’apprendre que je ne peux plus travailler comme agent correctionnel.
[…]
[15] À titre de mesure corrective, il a demandé ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Que l’employeur me rembourse mon permis d’ambulancier paramédical et les frais pour les études suivies pour obtenir ce permis que j’ai perdu par sa négligence.
Que l’employeur m’indemnise pour toutes les sommes perdues parce que je n’ai pas été en mesure d’accepter un poste de CX-02 en raison de la négligence et qu’il m’indemnise pour toutes les sommes perdues en raison de cette situation (pension, congé, vacances, etc.) et que l’employeur me verse la somme de 20 000 $ pour préjudice moral.
Et tous les autres droits que j’ai en vertu de la convention collective. Ainsi que tous les dommages réels, moraux ou exemplaires, à appliquer rétroactivement avec un intérêt légal tel que défini à l’article 3 de la Loi sur l’intérêt, L.R.C. (1985), ch. I-15, sans préjudice d’autres droits acquis.
[…]
IV. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’employeur
[16] L’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence dans la présente affaire parce que le grief a été déposé en dehors du délai prévu dans la convention collective. Selon l’employeur, le grief a été rejeté parce qu’il a été jugé hors délai à tous les paliers de traitement du grief et lorsque le grief a été renvoyé à l’arbitrage.
[17] L’employeur fait valoir que le délai pour déposer un grief commence à partir du moment où le fonctionnaire s’estimant lésé prend connaissance pour la première fois de l’action ou des circonstances y donnant lieu.
[18] Selon l’employeur, les faits incontestés sont que le fonctionnaire a subi une blessure au genou au travail le 11 juin 2021. Il a soumis le rapport de blessure à la CAT le 25 juin 2021.
[19] Un an plus tard, le fonctionnaire a déposé son grief. Selon l’employeur, l’essence et la substance du grief se rapporte aux allégations selon lesquelles le fonctionnaire a été lésé parce que l’employeur a agi avec négligence en ne soumettant pas les documents à la CAT à temps. Le grief indique également que l’employeur n’a pas respecté son obligation en matière de santé et de sécurité, plus précisément l’article 18 de la convention collective.
[20] L’employeur soutient que le grief, déposé le 29 juin 2022, allègue des actes répréhensibles de sa part survenus plus d’un an auparavant.
[21] L’employeur soutient que le fonctionnaire n’a fourni aucune preuve, autre qu’une conversation par ouï-dire, à l’appui de sa position selon laquelle son retard à soumettre le rapport de blessure à la CAT a eu un impact sur ses blessures et qu’il n’était pas au courant de cet impact avant juin 2022.
[22] L’employeur fait valoir que le fonctionnaire avait une condition préexistante à la hanche et que sa blessure au genou l’a aggravée. Il soutient qu’un médecin a confirmé ce fait en octobre 2021, comme il est mentionné dans la lettre de la CAT au fonctionnaire le 20 octobre 2021 et dans sa note du 14 octobre 2021.
[23] L’employeur fait valoir que si l’on devait envisager de lier l’aggravation du problème de la hanche du fonctionnaire à sa blessure au genou, alors l’action ou les circonstances qui ont donné lieu au grief se seraient produites le 20 octobre 2021, et le grief serait toujours hors délai.
[24] L’employeur soutient que la note du 9 juin 2022 n’indique pas que le retard de l’employeur à soumettre le rapport à la CAT a contribué à l’aggravation de la condition préexistante de la hanche du fonctionnaire.
[25] L’employeur soutient que le fonctionnaire n’a pas subi de retard dans l’obtention d’un traitement médical. Il n’a fourni aucune preuve pour réfuter la preuve de l’employeur selon laquelle il a demandé et reçu un traitement médical le jour même où il a subi sa blessure au genou et qu’il a commencé la physiothérapie trois jours ouvrables après la blessure.
[26] Enfin, l’employeur fait valoir que la Commission devrait prendre acte des faits selon lesquels le fonctionnaire vit à Edmonton et qu’en tant que fonctionnaire à temps plein, il a accès à un système de santé universel et aux avantages connexes, y compris une indemnisation pour la physiothérapie. Selon l’employeur, cela signifie qu’aucun obstacle ne l’empêchait de recevoir un traitement médical indépendamment du traitement de sa demande de prestations de la CAT. L’employeur soutient également que le fonctionnaire n’a fourni aucune preuve d’empêchement. L’employeur soutient qu’il n’y a pas de lien entre le moment de son traitement médical et la date à laquelle il a soumis son rapport à la CAT.
B. Pour le fonctionnaire
[27] Le fonctionnaire soutient que le retard de l’employeur à présenter le rapport constituait de la négligence et que cela a retardé la procédure auprès de la CAT et le traitement approprié de sa blessure. Selon lui, son examen médical a été retardé, ce qui a eu une incidence sur la gravité de sa blessure.
[28] Le fonctionnaire soutient que son médecin spécialiste a [traduction] « clairement confirmé » que son état physique s’était détérioré [traduction] « considérablement » en raison des retards, ce qui l’a forcé à marcher de façon inadéquate pendant une longue période, causant ainsi une pression excessive sur sa hanche. Selon lui, l’aggravation de l’état de sa hanche a amené les médecins spécialistes à lui confirmer qu’il lui serait impossible de reprendre son travail après sa réhabilitation.
[29] Le fonctionnaire soutient que l’employeur n’a pas présenté le rapport à la CAT dans le délai prévu dans l’entente globale. Il soutient que, n’eût été des retards causés par la négligence de l’employeur, sa réhabilitation n’aurait pas encore eu lieu au moment où ses arguments ont été présentés, et que cela n’aurait pas eu le même impact sur sa carrière.
[30] Le fonctionnaire soutient que le grief a été déposé dans le délai prévu dans la convention collective.
[31] Le fonctionnaire soutient que l’action ou les circonstances qui ont donné lieu au grief ont eu lieu le 9 juin 2022. Comme je l’ai mentionné, il a consulté le chirurgien ce jour-là et, au cours de la consultation, on lui a confirmé qu’il ne reprendrait jamais son emploi d’agent correctionnel ou de premier intervenant en raison de l’aggravation de sa blessure à la hanche.
[32] Le fonctionnaire soutient qu’avant cette date, il n’était pas tout à fait conscient de l’ampleur des conséquences liées à la présentation tardive du rapport de l’employeur à la CAT. Il soutient qu’un grief déposé avant cette date aurait été préventif et théorique.
[33] Le fonctionnaire soutient qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’administration de la justice ou de la meilleure utilisation des ressources d’encourager les membres de l’agent négociateur à déposer des griefs en grand nombre à titre de mesures préventives. Il soutient que si j’accepte la position de l’employeur selon laquelle le grief aurait dû être déposé après qu’il a soumis le rapport à la CAT en dehors du délai convenu, cela encourage le dépôt et une multiplicité de griefs sans tous les éléments constitutifs.
[34] Le fonctionnaire soutient que le grief ne devrait pas être rejeté parce qu’il aurait dû le déposer lorsque l’employeur a manqué à ses obligations sans connaître l’étendue des résultats de ce manquement. Il fait valoir que les répercussions de la négligence de l’employeur se sont matérialisées 12 mois plus tard et qu’il ne devrait pas être privé de son recours et de l’exercice de ses droits.
V. Motifs
A. Le grief n’a pas été déposé dans les délais prescrits
[35] Je conclus que l’action ou la circonstance qui a donné lieu au grief a eu lieu le 25 juin 2021, lorsque l’employeur a présenté le rapport à la CAT. Le libellé du grief se lit comme suit :
[Traduction]
[…]
[…] l’employeur a fait preuve de négligence en ne présentant pas à temps mes documents relatifs à un accident de travail à la CAT.
Cette action a eu un impact significatif sur ma santé physique et mentale.
Cela a eu un impact à long terme car je viens d’apprendre que je ne peux plus travailler comme agent correctionnel.
[…]
[Je mets en évidence]
[36] La convention collective établit le délai pour déposer un grief comme suit :
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[37] Pour déterminer l’action ou les circonstances qui ont donné lieu au grief, j’ai suivi l’approche adoptée dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 37, qui consiste à examiner le formulaire de grief ainsi que les arguments des deux parties.
[38] Je comprends que le fonctionnaire a soutenu qu’il n’avait pas pleinement compris l’impact des actions de l’employeur avant de rencontrer le chirurgien le 9 juin 2022, mais ce n’est pas l’acte ou la circonstance qui a donné lieu au grief. Il a contesté le fait que l’employeur n’ait pas soumis le rapport à la CAT dans les délais prescrits. Le grief a été déposé un an plus tard, ce qui dépasse le délai prévu dans la convention collective.
[39] Les arguments du fonctionnaire au sujet de l’administration de la justice et de l’utilisation optimale des ressources ne sont pas utiles pour déterminer l’action ou la circonstance qui a donné lieu au grief.
[40] Comme je l’ai mentionné plus tôt, le fonctionnaire n’a pas déposé de demande de prorogation de délai pour déposer son grief. Je n’ai pas compétence pour entendre ce grief.
[41] Les autres objections de l’employeur ne seront pas traitées parce que le grief est hors délai.
[42] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[43] L’objection de l’employeur quant au respect des délais est accueillie.
[44] Le grief est rejeté.
Traduction de la CRTESPF
Brian Russell,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral