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Date: 20250924

Dossier: 566-02-38146

 

Référence: 2025 CRTESPF 123

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

JODI HERTLEIN

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Hertlein c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : David Olsen, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Christopher Main, représentant

Pour l’employeur : Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 17 et 18 mars 2025.

(Arguments écrits déposés le 13 mars 2025.)

(Traduction de la CRTESPF)

 


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le grief renvoyé à l’arbitrage porte sur le recouvrement par le Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur ») du salaire versé en trop à Jodi Hertlein, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »).

[2] Le trop-payé a commencé à s’accumuler le 1er avril 2009, après la fin de la période de protection salariale dont bénéficiait Mme Hertlein. En mai 2015, l’employeur a informé la fonctionnaire de l’erreur commise. En juin 2016, elle avait entièrement remboursé le trop-payé.

[3] Les cas de recouvrement de trop-payé comme celui-ci suscitent inévitablement un sentiment d’injustice pour toutes les parties concernées. Les employés se fient raisonnablement à l’expertise des services de paie de l’employeur pour effectuer les calculs de rémunération, en particulier dans des cas comme celui-ci, où les calculs sont certes complexes. De plus, comme dans le présent cas, les erreurs ne sont souvent découvertes que plusieurs années plus tard, ce qui oblige les employés à rembourser des sommes potentiellement importantes sur de longues périodes et entraîne des conséquences sur leur situation financière.

[4] Toutes les mesures de recouvrement soumises à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») concernent des cas où l’employé avait effectivement reçu un trop-payé, c’est-à-dire des sommes qui ne lui étaient pas dues. Le principe de la préclusion promissoire vise à mettre en balance les intérêts concurrents en jeu pour des questions d’équité.

[5] Dans le présent cas, la fonctionnaire conteste le recouvrement du trop-payé en invoquant le principe de la préclusion promissoire.

[6] L’employeur admet que le premier volet du critère de la préclusion est satisfait, car une promesse a été faite, en fonction de laquelle la fonctionnaire a été payée à un taux de rémunération erroné pendant des années. Il fait valoir que la demande de la fonctionnaire ne satisfait pas au deuxième volet du critère, qui consiste à démontrer l’existence d’un acte de confiance préjudiciable, parfois aussi appelé créance désavantageuse. Il incombe à la fonctionnaire de démontrer que sa situation satisfait aux deux volets du critère de la préclusion.

[7] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la fonctionnaire ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle s’était fiée à la promesse de l’employeur et qu’elle en avait subi un effet préjudiciable.

II. Ordonnance visant à anonymiser les données sur le salaire brut de l’époux de la fonctionnaire

[8] Dans l’exposé conjoint des faits (ECF) déposé, les parties ont indiqué le salaire brut de l’époux de la fonctionnaire pour les années d’imposition 2009 à 2016. Ce salaire brut a aussi été mentionné dans les éléments de preuve et dans les arguments. L’époux de la fonctionnaire n’est pas partie à la présente instance.

[9] La Commission craint que la divulgation du salaire de l’époux de la fonctionnaire puisse constituer un risque sérieux d’atteinte à ses droits à la vie privée et estime que cette divulgation n’est pas nécessaire à la bonne administration de la justice.

[10] La Commission exerce ses activités selon le principe de la publicité des débats judiciaires et n’anonymise généralement pas d’éléments de preuve précis dans ses décisions.

[11] La Commission a publié une Politique sur la transparence et la protection de la vie privée, qui est affichée sur son site Web. Le principe de la publicité des débats judiciaires est protégé par la Constitution dans notre système juridique, et la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles pour des questions de protection de la vie privée.

[12] L’anonymisation des noms et des renseignements d’identification est une restriction au principe de la publicité des débats judiciaires qui doit être appréciée au regard d’un critère formulé par la Cour suprême du Canada.

[13] Dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au paragraphe 38, la Cour suprême du Canada a reformulé le critère relatif au principe de la publicité des débats judiciaire de la façon suivante :

[38] […] Pour obtenir gain de cause, la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :

(1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

(2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

(3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

[…]

 

[14] Dans la décision Matos c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 77, infirmée pour d’autres motifs, la Commission s’est exprimée de la façon suivante au paragraphe 207 :

[207] Dans certains cas, il convient de limiter la publicité des débats des procédures de la Commission afin d’assurer la confidentialité des éléments de preuve afin de protéger la vie privée d’une personne. La protection des renseignements personnels peut constituer une exception au principe de la publicité des débats pour aux fins du critère, à savoir la protection de renseignements personnels de nature très délicate qui touchent la base biographique d’une personne et entraîneraient non seulement un malaise ou un embarras, mais également un affront à la dignité de la personne touchée.

 

[15] Je suis d’avis que la divulgation du revenu brut imposable précis de l’époux de la fonctionnaire n’est pas nécessaire à la bonne administration de la justice et constitue un risque sérieux d’atteinte à sa vie privée. Par conséquent, je me suis permis d’anonymiser les renvois à son revenu brut imposable pour les années en cause, en me contentant de préciser qu’il s’agissait d’un montant substantiel. De plus, j’ordonne la mise sous scellé de l’onglet 26 du recueil conjoint de documents relatifs à ses feuillets T4 pour ces années.

III. Exposé conjoint des faits

[16] Les parties ont présenté un ECF qui présente les faits suivants :

[Traduction]

Le présent exposé conjoint des faits présente les faits reconnus par la fonctionnaire, l’agent négociateur et l’employeur (les « parties ») concernant les différents griefs renvoyés à l’arbitrage. Les parties conviennent de l’exposé conjoint des faits suivant :

1. Le 1er juin 2006, la fonctionnaire a accepté un poste à durée indéterminée d’adjointe, Gestion des peines (SI-02) au sein du Service correctionnel Canada, à l’Établissement de Bowden, situé à Innisfail, en Alberta. Une copie de la lettre d’offre adressée à la fonctionnaire figure à l’ONGLET 1 du recueil conjoint de documents (RCD).

2. Le 11 juin 2008, la fonctionnaire a reçu une lettre de l’employeur indiquant que son poste avait été reclassifié aux groupe et niveau AS-02, en date du 1er avril 2007. La fonctionnaire a été informée qu’elle bénéficierait d’une protection salariale puisque le nouveau poste reclassifié (AS-02) avait un taux de rémunération maximal accessible inférieur à celui de son ancien poste (SI-02). Une copie de la lettre de reclassification de la fonctionnaire figure à l’ONGLET 2 du RCD.

3. Le 1er avril 2009, la classification SI a été convertie à la classification EC.

4. Le 26 janvier 2010, la chef, Gestion des peines, Karen Hartigan, a envoyé un courriel à Laurie Zaleschuk, une conseillère en rémunération du SCC, pour lui demander si la fonctionnaire et un autre employé faisaient partie du groupe EC-02 en raison de la conversion au groupe EC. Le 11 février 2010, Mme Zaleschuk a répondu que Mme Hartigan devrait appliquer les taux de rémunération annuels du groupe EC-02. Le même jour, Mme Hartigan a transmis cette chaîne de courriels à la fonctionnaire. Une copie de la chaîne de courriels figure à l’ONGLET 3 du RCD.

5. Le 5 mai 2010, Dion Hertlein, l’époux de la fonctionnaire, a signé un contrat d’achat d’une valeur de 59 938,35 $ pour un véhicule neuf Infiniti coupé G37 2010. Après le versement d’un acompte de 32 000 $ (incluant une traite bancaire de 30 000 $), les versements mensuels s’élevaient à 799,01 $ pendant une période de 36 mois se terminant le 6 mai 2013. Une copie de l’acte de vente et du contrat de vente conditionnel ainsi que de la traite bancaire figure à l’ONGLET 4 du RCD.

6. Le 24 juin 2010, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Laurie Zaleschuk, conseillère en rémunération du SCC, dans lequel elle lui posait quelques questions concernant sa rémunération. Mme Zaleschuk a répondu le jour même. Une copie de la chaîne de courriels figure à l’ONGLET 5 du RCD.

7. Le 13 janvier 2011, l’époux de la fonctionnaire a signé un contrat d’achat d’une valeur de 11 975 $ pour une roulotte Fleetwood Wilderness 2008. La roulotte a été entièrement payée au moment de l’achat à partir du compte bancaire conjoint de M. et Mme Hertlein, à la RBC. Une copie de l’acte de vente et du paiement figure à l’ONGLET 6 du RCD.

8. Le 16 octobre 2012, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Brent Bouthillette, superviseur en rémunération du SCC, dans lequel elle lui posait quelques questions concernant sa rémunération. Le 30 octobre 2012, Jerylin Robertson, une collègue de M. Bouthillette, a répondu. Une copie de la chaîne de courriels figure à l’ONGLET 7 du RCD.

9. Le 18 avril 2013, Jerilyn Robertson, conseillère en rémunération et avantages sociaux du SCC, a remis à la fonctionnaire une lettre signée confirmant son statut d’emploi et son salaire annuel. Une copie de la lettre figure à l’ONGLET 8 du RCD.

10. Le 26 juin 2013, la fonctionnaire et son époux ont obtenu l’approbation d’un prêt investissement de 220 000 $ auprès de B2B Banque, à rembourser au moyen de paiements mensuels préautorisés de 687,50 $, commençant le 18 juillet 2013. Une copie de la lettre d’approbation du prêt figure à l’ONGLET 9 du RCD.

11. Le 11 mai 2015, Lucile Duret-Beskal, gestionnaire régionale de la rémunération par intérim, à l’administration régionale des Prairies du SCC, a envoyé un courriel à la fonctionnaire pour l’informer qu’une erreur s’était produite dans le calcul de son salaire depuis le 1er avril 2009, date à laquelle la classification SI avait été supprimée, ce qui avait entraîné un trop-payé brut de 9 552,62 $ pour la période allant du 1er avril 2009 au 6 mai 2015. Une copie de l’échange de courriels des 11 et 12 mai et de la révision des salaires figure à l’ONGLET 10 du RCD.

12. La fonctionnaire a été informée que, en raison de cette erreur, son salaire révisé correspondrait à 57 353 $ à compter du 7 mai 2015 et que cette modification apparaîtrait sur son chèque de paie du 20 mai 2015. La fonctionnaire s’est également vu proposer un plan de remboursement correspondant à 10 % de son salaire ou la possibilité de demander un plan de remboursement à un taux moins élevé à l’administration centrale, en fournissant des documents financiers à l’appui, car c’est l’organisation qui est chargée d’approuver ces plans de remboursement spéciaux à un taux moins élevé. Voir l’ONGLET 10 du RCD.

13. Diverses communications ont été échangées entre les parties au sujet du salaire versé en trop à la fonctionnaire.

14. Le 21 mai 2015, Lucile Duret-Beskal a informé la fonctionnaire que le salaire qu’elle avait reçu en trop avait été révisé et considérablement réduit pour correspondre à un trop-payé brut de 5 956,44 $. Elle a aussi été informée qu’une fois que le montant net définitif du trop-payé aurait été établi, Catherine O’Leary, conseillère en rémunération et avantages sociaux au SCC, communiquerait avec elle pour discuter des options de remboursement. Une copie de l’échange de courriels et de la révision salariale modifiée figure à l’ONGLET 11 du RCD.

15. Le 1er juin 2015, la fonctionnaire a présenté un grief individuel dans lequel elle contestait son trop-payé, qui découlait d’une erreur administrative (le « grief portant sur le trop-payé »). Une copie du grief portant sur le trop-payé (dossier de la Commission 566-02-38146) figure à l’ONGLET 12 du RCD.

16. Le 8 juin 2015, la fonctionnaire a présenté un deuxième grief individuel connexe contestant la décision du SCC de mettre fin à sa protection salariale, ce qui a entraîné un trop-payé (le « grief portant sur la protection salariale »). Une copie du deuxième grief (dossier de la Commission 566-02-38147) figure à l’ONGLET 13 du RCD.

17. Le 16 juin 2015, le SCC a rejeté le grief portant sur le trop-payé (dossier de la Commission 566-02-38146) au premier palier de la procédure interne de règlement des griefs. Une copie de la décision du SCC figure à l’ONGLET 14 du RCD.

18. Le 17 juin 2015, la fonctionnaire a écrit au SCC pour faire annuler sa demande de congé avec étalement du revenu (CER) pour 2015, qu’elle avait présentée le 22 avril 2015. Le 18 juin 2015, le SCC a approuvé la demande d’annulation du CER présentée par la fonctionnaire. Une copie du courriel confirmant l’annulation figure à l’ONGLET 15 du RCD.

19. Le 23 juin 2015, le SCC a rejeté le grief portant sur la protection salariale (dossier de la Commission 566-02-38147) au premier palier de la procédure interne de règlement des griefs. Une copie de la décision figure à l’ONGLET 16 du RCD.

20. Le 23 juin 2015, Catherine O’Leary a envoyé à la fonctionnaire une lettre concernant le trop-payé net en souffrance de 5 215,95 $ qui découlait d’erreurs commises dans le calcul des révisions salariales remontant au 1er avril 2009. Le SCC a proposé d’établir des modalités de remboursement du trop-payé correspondant à un montant légèrement inférieur à 10 % du salaire annuel de la fonctionnaire (217,33 $) toutes les deux semaines. Les paiements devaient commencer à la paie du 15 juillet 2015 et se poursuivre pendant 24 périodes de paie, soit jusqu’au 15 juin 2016. L’employeur a également produit des feuillets T4 révisés pour les années en cause. La fonctionnaire avait jusqu’au 2 juillet 2015 pour répondre à la lettre. Une copie de la lettre concernant le trop-payé figure à l’ONGLET 17 du RCD.

21. Le 3 juillet 2015, le SCC a rejeté le grief relatif au trop-payé au deuxième palier de la procédure interne de règlement des griefs. Une copie de la décision figure à l’ONGLET 18 du RCD.

22. Par ailleurs, les parties ont convenu de contourner le deuxième palier de la procédure interne de règlement des griefs pour le grief portant sur la protection salariale.

23. Le 10 juillet 2015, la fonctionnaire a été informée par le commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels (CAOPC), Fraser Macaulay, par l’entremise de Lisa Manson-Shillington, qu’elle devait écrire une lettre à la personne responsable de son dossier de rémunération pour lui demander que le montant du recouvrement du trop-payé soit réduit de moitié, car le CAOPC avait parlé de son cas aux services de la rémunération ministérielle. Une copie de cet échange de communication par courriel figure à l’ONGLET 19 du RCD.

24. Le 10 juillet 2015, la fonctionnaire a répondu à la lettre du 23 juin 2015 de Catherine O’Leary concernant le trop-payé pour lui demander que les remboursements soient réduits de moitié dès que possible, en invoquant des difficultés financières. Une copie de la réponse par courriel de la fonctionnaire et de la lettre figure à l’ONGLET 20 du RCD.

25. Le même jour, Catherine O’Leary a répondu qu’elle soumettrait cette question aux services de la rémunération ministérielle pour savoir s’il était possible d’accorder une exemption. Il était également précisé que la fonctionnaire avait pris connaissance de la lettre le 23 juin 2015 et qu’elle n’y avait pas répondu dans le délai prévu, soit avant le 2 juillet 2015. Une copie de cette communication par courriel figure à l’ONGLET 21 du RCD.

26. Le 15 juillet 2015, le SCC a accepté de rajuster les modalités de paiement de la fonctionnaire pour le recouvrement du trop-payé, afin que le montant prélevé corresponde à 5 % de son salaire annuel (111,08 $) aux deux semaines, à compter de la paie du 29 juillet 2015. Une copie de cette communication par courriel figure à l’ONGLET 22 du RCD.

27. Le 23 février 2018, les griefs portant sur le trop-payé et sur la protection salariale présentés par la fonctionnaire ont été rejetés ensemble au dernier palier de la procédure interne de règlement des griefs. Une copie de la décision du SCC figure à l’ONGLET 23 du RCD.

28. Le 3 avril 2018, les griefs individuels de la fonctionnaire ont été renvoyés conjointement à la CRTESPF pour arbitrage. Une copie du renvoi à l’arbitrage figure à l’ONGLET 24 du RCD.

29. Le tableau ci-dessous résume les demandes de CER présentées par la fonctionnaire qui ont été approuvées :

Congé avec étalement du revenu (CER)

Date de début (A/M/J)

Date de fin (A/M/J)

Commentaires

1

2008-06-09

2008-07-15

Dossier du SGRH

2

2009-07-13

2009-08-24

Dossier du SGRH

3

2010-07-22

2010-08-28

Dossier du SGRH

4

2011-06-23

2011-07-29

Ancien système de paie du SCC

5

2012-06-21

2012-08-04

Dossier du SGRH

6

2013-06-20

2013-08-03

Dossier du SGRH

7

2014-06-19

2014-08-01

Dossier du SGRH

8

2016-07-20

2016-08-27

Dossier du SGRH

30. Une copie des dossiers du SGRH relatifs aux CER de la fonctionnaire figure également à l’ONGLET 25 du RCD.

31. Le tableau ci-dessous résume le cumul annuel du salaire brut de la fonctionnaire au SCC :

Année d’imposition

Cumul annuel du salaire brut

Commentaires

2009

56 349,32 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

2010

53 262,59 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

2011

68 575,78 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

2012

57 297,76 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

2013

56 511,05 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

2014

56 686,67 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

2015

58 145,21 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

2016

60 456,99 $

Dernier chèque de paie/derniers feuillets T4 de la fonctionnaire

32. [Le salaire brut de l’époux de la fonctionnaire pour les années d’imposition 2009 à 2016 était substantiel.]

[…]

34. Une copie de la convention collective des Services des programmes et de l’administration (PA) applicable figure à l’ONGLET 27 du RCD. Voir Services des programmes et de l’administration (PA) - Canada.ca

35. Aux fins de l’arbitrage, l’employeur a confirmé avoir entièrement recouvré toutes les sommes dues par la fonctionnaire au titre du trop-payé en date du 29 juin 2016, soit un recouvrement total de trop-payé de 5 956,44 $ BRUT et de 5 215,96 $ NET.

36. Aux fins de l’arbitrage, la fonctionnaire a confirmé qu’elle ne contestait plus l’exactitude ou la justesse du trop-payé. Elle conteste plutôt uniquement le recouvrement par l’employeur du trop-payé en invoquant la doctrine de la préclusion promissoire.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[17] Bien que l’ECF renvoie à un deuxième grief portant sur la protection salariale, déposé par la fonctionnaire, je ne suis pas saisi de ce grief; je ne suis saisi que de son grief portant sur le trop-payé.

IV. Témoignage de la fonctionnaire

[18] La fonctionnaire est la seule à avoir témoigné pour son propre compte. L’employeur n’a pas appelé de témoins.

[19] La fonctionnaire a été interrogée sur la classification de son poste en 2007. Elle a déclaré qu’à l’époque, elle travaillait pour l’employeur depuis peu de temps. Elle avait d’abord occupé un poste SI-02 en 2006.

[20] Elle a appris plus tard qu’une reclassification avait eu lieu. Son poste a été reclassé au niveau et au groupe AS-02, à un taux de rémunération inférieur. La lettre que l’employeur lui a envoyée au sujet de la reclassification expliquait que son salaire serait protégé et qu’elle pourrait conserver le salaire applicable aux postes SI-02. La reclassification a pris effet le 1er avril 2007.

[21] La fonctionnaire a dû dire combien de temps elle avait été payée au taux de rémunération applicable au poste SI-02. Elle a répondu que c’était jusqu’en mai 2015, date à laquelle elle avait été informée que la protection salariale avait pris fin quelque temps auparavant.

[22] En 2009, les postes SI-02 ont été convertis à la classification EC-02, et son salaire est demeuré celui qui était applicable aux postes EC-02 jusqu’en 2015.

[23] La fonctionnaire a déclaré que sa superviseure, Karen Hartigan, avait demandé à une conseillère en rémunération et avantages sociaux si elle faisait partie du groupe EC-02 en raison de la conversion au groupe EC. Elle a été informée qu’elle était assujettie aux taux de rémunération annuels du groupe et du niveau EC-02, en raison de ce que l’on appelle le [traduction] « blocage de poste ».

[24] La fonctionnaire était persuadée qu’elle continuerait de faire partie du niveau et du groupe EC-02, selon les recherches qu’elle avait faites. C’était en janvier 2010, un an après la conversion. Mme Hartigan lui a fourni les renseignements afin qu’elle connaisse son niveau de rémunération.

[25] La fonctionnaire a renvoyé à un courriel daté du 24 juin 2010 qui confirmait son salaire. Elle avait cherché à confirmer son niveau de rémunération, puisqu’elle avait demandé un congé avec étalement du revenu. On lui a répondu que sa rémunération était fixée au taux applicable au niveau EC-02.

[26] La fonctionnaire a été interrogée sur la raison pour laquelle elle cherchait à confirmer son niveau de rémunération. Elle a répondu que c’était parce qu’elle n’en était pas certaine, étant donné qu’elle avait pris un CER et que son salaire et sa classification n’étaient pas clairs.

[27] Le 16 octobre 2012, la fonctionnaire a envoyé un courriel à une superviseure de la rémunération du SCC dans lequel elle posait des questions sur le nouveau taux de rémunération applicable au poste EC-02. Elle a été informée que son salaire avait été vérifié et qu’il serait fixé selon le nouveau taux applicable au poste EC-02.

[28] La fonctionnaire a été interrogée sur sa compréhension globale de son statut de rémunération. Elle a répondu qu’elle devait bénéficier d’une protection salariale. Elle avait fait des vérifications pendant quelques années. Elle occupait un poste SI-02 converti en poste EC-02 et elle avait compris qu’elle conserverait le taux applicable au poste EC-02.

[29] Le 18 avril 2013, une conseillère en rémunération et avantages sociaux a transmis à la fonctionnaire une lettre signée confirmant son statut d’emploi et le salaire annuel qu’elle touchait à ce moment-là. Elle avait demandé à la Direction générale de la rémunération et des avantages sociaux de l’employeur de confirmer son salaire annuel. Le salaire qui lui a été confirmé correspondait à celui du taux applicable au poste EC-02, mais c’est le salaire qui lui avait été confirmé, et non le poste. Elle avait demandé cette lettre parce que son époux et elle sollicitaient un prêt, et que le prêteur exigeait une preuve de son salaire.

[30] La fonctionnaire s’est vu demander quel était, selon elle, son niveau de rémunération de 2009 à 2015. Elle a répondu qu’elle croyait qu’il s’agissait du taux applicable au poste EC-02. Cette information lui avait été confirmée par différents conseillers à diverses occasions.

[31] La fonctionnaire a renvoyé à une copie d’une lettre d’approbation de prêt. Elle a déclaré que son époux et elle-même avaient demandé un prêt investissement de 220 000 $ qui devait être géré par une société d’investissement.

[32] Elle avait supposé que son salaire était plus élevé, et ce n’est que deux ans plus tard qu’elle avait appris qu’il était inférieur et qu’elle devrait rembourser le trop-payé. Elle ne se souvenait plus pendant combien de temps les retenues avaient été effectuées sur son salaire avant que l’employeur n’ait recouvré l’intégralité du trop-payé.

[33] La fonctionnaire a été interrogée sur les CER qu’elle a pris chaque été de 2008 à 2014. Son époux était absent. Elle a profité de ce temps pour accomplir des tâches. Sa mère souffrait d’une maladie, et elles pouvaient ainsi passer du temps ensemble. Comme elle était fille unique, sa mère comptait sur elle. C’était l’occasion de passer plus de temps ensemble à faire des activités, comme du jardinage. Elle aidait sa mère financièrement dans une certaine mesure. Elle aimait ces moments; elle pouvait ainsi prendre des vacances. Elle et son époux pouvaient se le permettre. Il s’agissait de moments salutaires pour sa famille dont elle se réjouissait chaque année.

[34] La fonctionnaire a été interrogée sur la façon dont elle faisait son budget. Elle a répondu qu’elle utilisait le calculateur en ligne du Conseil du Trésor, un outil conçu pour les CER. Elle assurait le suivi de ses finances personnelles afin de déterminer si elle pouvait se permettre de prendre ce congé.

[35] Il a été question d’un courriel que la fonctionnaire avait envoyé à la Direction générale de la rémunération du SCC pour faire annuler sa demande de CER pour 2015. Elle a déclaré avoir écrit à sa superviseure pour l’informer qu’elle souhaitait annuler son congé. C’était environ un mois après qu’elle eut été informée du trop-payé. Elle était déçue de devoir annuler son congé et de ne pas pouvoir passer de temps avec sa mère.

[36] La fonctionnaire a de nouveau pris ce congé en 2016, mais n’en a pas pris d’autres par la suite. À la question de savoir si elle aurait quand même pris ce congé si elle avait su qu’elle accumulait le trop-payé, elle a répondu qu’elle l’aurait peut-être pris une année sur deux. Elle aurait peut-être pris une décision différente.

[37] Une voiture et une roulotte ont été achetées au nom de son époux. Il s’agissait d’une voiture neuve. Lorsque la fonctionnaire était étudiante, son époux, qui travaillait, pouvait facilement obtenir du financement et tout porter à son nom. La situation n’avait rien de problématique. Les paiements pour les biens financés étaient prélevés sur leur compte chèques conjoint. On a demandé à la fonctionnaire si les paiements pour les biens financés étaient pris en compte. Elle a répondu que cela dépendait de ce qu’elle et son époux pouvaient se permettre. Elle a confirmé que la roulotte, achetée en janvier 2011, était au nom de son époux et qu’elle avait été payée à même leur compte conjoint.

[38] La fonctionnaire a été interrogée sur l’horaire de travail de son époux. Au moment de l’audience, son époux travaillait à Toronto, en Ontario. Il avait travaillé à l’extérieur pendant 26 ou 27 ans, passant généralement 4 jours à la maison et 10 jours à l’extérieur. Il passait une fin de semaine sur deux à la maison.

[39] La fonctionnaire s’est vu demander quelle part de son salaire était consacrée aux frais associés au séjour à l’extérieur. Elle a répondu que, certaines années, les frais de son époux s’élevaient à 60 000 $. Ils variaient en fonction des projets sur lesquels il travaillait.

[40] La fonctionnaire et son époux prenaient les décisions financières ensemble. Ils mettaient leur argent en commun et prenaient les décisions ensemble. Elle tenait le compte des dépenses dans une feuille de calcul sur laquelle figuraient l’hypothèque, les véhicules, les investissements, etc. Si une dépense s’élevait à 1 000 $, ils en discutaient et s’assuraient qu’ils pouvaient se permettre cet achat. Ils faisaient le suivi des dépenses et des dettes.

[41] Tenue de dire s’ils tenaient également compte de leurs revenus lorsqu’ils prenaient ces décisions, la fonctionnaire a répondu qu’il n’était pas facile de les estimer. Ses revenus à elle étaient stables, tandis que ceux de son époux variaient et dépendaient des projets sur lesquels il travaillait. Une année, il a reçu une prime. Cependant, ils n’étaient pas toujours en mesure de prévoir ses revenus. On lui a demandé depuis combien de temps ils fonctionnaient de cette façon. Elle a répondu qu’ils avaient toujours fonctionné ainsi.

[42] Il a été demandé à la fonctionnaire si son dernier CER remontait à 2014, et elle a répondu par l’affirmative. Cette décision faisait toujours l’objet de discussions. Elle demandait ce congé l’hiver. Elle et son époux décidaient ensemble s’ils pouvaient se le permettre. Si c’était le cas, elle soumettait alors la demande.

[43] La fonctionnaire s’est vu demander si sa décision concernant le congé aurait été différente si elle avait su qu’un trop-payé s’accumulait. Elle a répondu par l’affirmative.

A. Contre-interrogatoire

[44] La fonctionnaire a été interrogée sur sa situation financière globale. Elle a confirmé que son époux travaillait de 2009 à 2015. Un résumé du salaire brut de son époux lui a été montré (voir le paragraphe 32 de l’ECF).

[45] La fonctionnaire a confirmé que le salaire brut de son époux pour 2010, l’année où ils avaient acheté la voiture, était substantiel. Elle a confirmé que, pour l’année 2011, l’année où ils avaient acheté la roulotte, le salaire brut de son époux était substantiel, tout comme pour l’année 2013, lorsqu’ils avaient fait la demande de prêt investissement. Enfin, elle a également confirmé qu’en 2015, lorsqu’elle avait été informée du trop-payé, le revenu brut de son époux était substantiel, tout comme en 2016, lorsqu’elle avait remboursé le trop-payé.

[46] Il a été mentionné à la fonctionnaire que son revenu familial pour 2016 était bien plus élevé que son revenu personnel et qu’il s’agissait d’un revenu important, supérieur au revenu moyen d’un ménage canadien.

[47] Le paragraphe 35 de l’ECF, qui indique que le trop-payé s’élevait à 5 956,44 $, a été porté à l’attention de la fonctionnaire. On lui a fait remarquer que, si ce montant était réparti sur les six années au cours desquelles le trop-payé s’était accumulé, il s’élèverait à environ 992 $, soit moins de 1 000 $ par an, ce qui représentait une faible part du revenu global de leur ménage. Elle a reconnu ce fait. On lui a demandé si son salaire prévu dans la convention collective applicable augmentait chaque année. Elle a répondu que c’était bien le cas.

[48] Il lui a été demandé de confirmer que, de 2009 à 2015, son salaire de base n’avait jamais diminué, et elle a affirmé que c’était exact, sauf pour l’année 2015.

[49] La fonctionnaire s’est fait demander si elle avait aussi accepté des affectations intérimaires. Elle a reconnu qu’elle avait fait quelques intérims et qu’elle avait reçu des paiements supplémentaires en plus de son salaire. Elle a déclaré que certaines de ces affectations visaient à acquérir de l’expérience, mais elle a reconnu qu’elles lui permettaient de recevoir un revenu supplémentaire.

[50] La fonctionnaire a été invitée à prendre connaissance d’un résumé du cumul annuel de son salaire brut (paragraphe 31 de l’ECF) et, plus précisément, de son salaire brut pour 2011, qui s’élevait à 68 575,78 $. On lui a demandé si son salaire était supérieur à celui des autres années du fait qu’elle avait reçu une indemnité de départ. Elle ne pouvait affirmer avec certitude si elle en avait reçu une ou si l’augmentation de son salaire découlait d’une nouvelle convention collective. Elle a reconnu que c’était l’année où son époux et elle avaient acheté la roulotte.

[51] La fonctionnaire s’est vu demander si elle assurait un suivi rigoureux de ses finances personnelles. Elle a confirmé que tout était bien organisé. On lui a demandé si elle avait prévu une marge de manœuvre. Elle a répondu par l’affirmative, mais a précisé que certaines dépenses étaient inconnues, notamment lorsqu’elles étaient liées à la possession d’un terrain ou à des emprunts contractés, car seuls des paiements d’intérêts étaient effectués.

[52] La fonctionnaire a été interrogée sur l’achat de la voiture. Le prix d’achat était d’environ 59 000 $. L’acte de vente indiquait le versement d’un acompte de 32 000 $ et une traite bancaire de 30 000 $. On lui a demandé si, au moment de l’achat du véhicule, son époux et elle-même disposaient de 30 000 $ en liquidité pour verser l’acompte. Elle a répondu que c’était le cas et que son époux avait reçu une prime cette année-là.

[53] La fonctionnaire a été tenue de dire si l’achat et le financement du véhicule avaient été effectués uniquement au nom de son époux et si seuls les revenus de ce dernier avaient été pris en compte dans l’approbation du financement. Elle a répondu par l’affirmative. Elle a reconnu qu’au moment où elle avait appris l’existence du salaire versé en trop, en 2015, la voiture avait déjà été payée.

[54] La fonctionnaire a déclaré qu’elle utilisait la nouvelle voiture pour ses déplacements. Elle a confirmé qu’elle lui permettait de travailler et de percevoir un revenu d’emploi. Avant cet achat, elle utilisait une voiture qui avait accumulé beaucoup de kilomètres au compteur. Elle l’a donnée à sa mère, car elle fonctionnait encore.

[55] La fonctionnaire a été questionnée au sujet d’un énoncé (paragraphe 7 de l’ECF) selon lequel son époux avait signé un contrat d’achat d’une valeur de 11 975 $ pour la roulotte le 13 janvier 2011. Au moment de l’achat, le paiement a été effectué à même leur compte bancaire conjoint. Elle a confirmé qu’il y avait plus de 11 975 $ sur le compte. Elle a également confirmé que cet achat avait été payé intégralement quatre ans avant qu’elle ne soit informée de l’existence du trop-payé de salaire en 2015.

[56] Il a ensuite été question d’un document (paragraphe 10 de l’ECF) qui indiquait qu’elle et son époux avaient obtenu une approbation pour un prêt investissement de 220 000 $, qu’ils devaient rembourser au moyen de paiements mensuels préautorisés de 687,50 $, à partir du 18 juillet 2013.

[57] Selon son témoignage, elle aurait perdu de l’argent en 2015, en raison des répercussions découlant de l’obligation de rembourser le trop-payé à l’employeur. On lui a demandé si elle et son époux avaient manqué à leurs obligations relatives aux prêts ou aux paiements. Elle a répondu que ce n’était pas le cas.

[58] La fonctionnaire a reconnu qu’elle avait été informée du trop-payé en mai 2015 et qu’elle avait annulé son congé avec étalement du revenu pour cet été-là. Un résumé des demandes de congé avec étalement du revenu approuvées qu’elle avait présentées figure dans l’ECF (au paragraphe 29). Elle a pris ce congé de 2008 à 2014. Elle a annulé le congé pour 2015, mais l’a repris en 2016.

[59] Il a été souligné que le coût du CER chaque été était supérieur au coût du remboursement du trop-payé. La fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait pas calculé ce montant. Elle a confirmé qu’elle avait pris le congé en 2016 et qu’elle pouvait se le permettre. Elle a déclaré qu’elle l’avait payé avec ses économies.

[60] La fonctionnaire a confirmé qu’elle avait commencé à rembourser le trop-payé en juillet 2015 et qu’elle l’avait entièrement remboursé en juin 2016. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas remboursé le trop-payé selon les modalités initialement prévues.

[61] La fonctionnaire a confirmé que son CER avait débuté le 16 juillet 2016. En juillet 2015, elle avait commencé à effectuer les remboursements et avait continué à le faire jusqu’en juillet 2016. On lui a demandé comment elle avait pu épargner pour le congé de 2016 avec un salaire réduit en raison des remboursements.

[62] La fonctionnaire a déclaré qu’elle présentait habituellement sa demande de CER pendant l’hiver et qu’elle espérait pouvoir le demander une fois de plus. C’était une période difficile au travail en raison du système de paie Phénix, mais elle estimait qu’elle pouvait se le permettre.

V. Résumé des arguments

A. Pour la fonctionnaire

[63] L’avocat de la fonctionnaire a présenté les observations finales suivantes :

[Traduction]

A. APERÇU

1. Les griefs dans la présente affaire portent sur le recouvrement par le Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur ») d’un salaire versé en trop à Mme Jodi Hertlein, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire » ou « Mme Hertlein »).

2. Le trop-payé a commencé à s’accumuler après la fin de la période de protection salariale dont bénéficiait Mme Hertlein, soit le 1er avril 2009. Mme Hertlein n’a été informée de cette erreur par l’employeur que le 11 mai 2015.

3. L’employeur a depuis recouvré intégralement le trop-payé.

4. Le syndicat conteste le recouvrement du trop-payé en invoquant la doctrine de la préclusion promissoire.

5. Le syndicat soutient que, pour démontrer que la doctrine de la préclusion promissoire s’applique à la situation de la fonctionnaire, il faut établir les éléments suivants :

a. l’employeur a promis de façon non équivoque à la fonctionnaire, par ses paroles ou ses actions, que son salaire et son taux de rémunération étaient corrects pendant la période où le trop-payé s’accumulait;

b. la fonctionnaire s’est fiée à cette promesse, ce qui lui a causé un effet préjudiciable.

B. CONTEXTE

6. La fonctionnaire invite la Commission à examiner l’exposé conjoint des faits (ECF) des parties et le recueil conjoint des documents (RCD).

C. OBSERVATIONS

7. Dans la décision Canada (Procureur général) c. Molbak, la Cour fédérale a jugé qu’un arbitre de grief, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, a compétence pour entendre un grief et appliquer le principe de la préclusion dans les cas de trop-payé.

Critère

8. L’approche de la Commission pour déterminer si le principe de la préclusion empêche le recouvrement peut être formulée de la manière suivante :

a. La fonctionnaire doit démontrer que l’employeur, par ses paroles ou ses actions, a promis que le salaire de la fonctionnaire était correct;

b. La fonctionnaire s’est fiée à cette promesse pour prendre des décisions qu’elle n’aurait pas prises autrement.

9. Cette approche a été formulée par le prédécesseur de la Commission dans la décision Lapointe. Pour conclure à l’existence d’une préclusion, l’arbitre de grief s’est fondé sur deux faits :

a. 31 L’erreur s’est manifestée pendant quatre ans, sans que l’employeur agisse. L’employeur n’a pas nié son erreur. Il est en preuve qu’un autre employé a soulevé la question d’une erreur possible au moment de recevoir son paiement rétroactif à la suite de la révision salariale du 19 novembre 2001. J’estime qu’un délai de quatre ans a induit le fonctionnaire en erreur quant à son traitement et a eu l’effet d’une promesse envers lui.

b. […]

c. 33 À la lumière des relevés du salaire hebdomadaire du fonctionnaire entre le 5 août 2000 et le 18 juillet 2009, je suis convaincue que le fonctionnaire a honnêtement engagé une responsabilité financière en raison du salaire qu’il a reçu entre le 5 août 2000 et le 4 août 2004 et qu’il ne l’aurait pas engagée autrement. Il a engagé une dépense majeure qu’il n’aurait pas contractée autrement, il a engagé une marge de crédit pour l’aider à satisfaire ses obligations mensuelles, il n’a pas été en mesure de repayer son prêt hypothécaire avant sa retraite tel qu’il l’avait prévu, ni de contribuer à un REER comme il avait l’habitude de le faire.

 

Justification

10. La doctrine de la préclusion promissoire est avant tout une question d’équité. Elle vise à remédier aux situations dans lesquelles une partie induit l’autre en erreur au sujet de leurs relations contractuelles. Elle vise à protéger les personnes qui se sont fiées aux assurances données par autre personne pour prendre des décisions.

11. Dans l’arrêt Maracle, la Cour suprême du Canada a abordé le principe de l’irrecevabilité fondée sur une promesse (ou de la préclusion promissoire) de la façon suivante :

a. Les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, sur la foi de celles‐ci, il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position.

12. Dans l’affaire Canada Post, l’arbitre a cité Lord Denning dans l’affaire Combs [sic] pour décrire le principe :

[Traduction]
Le principe est, à mon avis, que lorsqu’une partie, par ses paroles ou sa conduite, a fait à l’autre partie une promesse ou lui a donné une assurance visant à modifier leurs rapports juridiques de façon à inciter à l’accomplissement de certains actes, alors, une fois que l’autre partie s’est fiée à sa parole et a agi en conséquence, la partie qui a fait la promesse ou donné l’assurance ne peut pas être autorisée à revenir à leur situation juridique antérieure comme si elle n’avait pas fait cette promesse ou donné cette assurance; elle doit accepter leurs rapports juridiques avec les restrictions qu’elle y a elle-même apportées, même si elles ne s’appuient sur aucun motif de droit, mais uniquement sur sa parole.

13. Toutefois, comme mon collègue l’a souligné dans ses observations préliminaires, la convention collective fixe les taux de rémunération des employés. La doctrine de la préclusion promissoire concerne fondamentalement les promesses et les actions qui se situent en dehors de ce cadre, lorsqu’une partie a fait une promesse et que l’autre a agi en conséquence. La doctrine doit s’appliquer « même si elle ne s’appuie sur aucun motif de droit, mais uniquement sur sa parole ».

 

Promesse

14. Je traiterai maintenant du premier aspect du critère d’application de la préclusion, à savoir la promesse.

15. La fonctionnaire a compris qu’elle bénéficiait d’une protection salariale à compter du 1er avril 2007, au taux applicable au poste SI-02.

16. De plus, d’après son témoignage, lorsque le taux applicable au poste SI-02 a été converti à celui du poste EC-02, le 1er avril 2009, elle croyait qu’elle bénéficierait d’une protection salariale au taux applicable au poste EC-02.

17. Or, ce n’était pas le cas, et la fonctionnaire a été rémunérée de manière erronée au taux applicable au poste EC-02 du 1er avril 2009 au 11 mai 2015, soit pendant près de six ans. Nous soutenons que ce seul fait suffit à démontrer qu’une promesse a été faite à la fonctionnaire quant à l’exactitude de son salaire.

18. Dans la décision Lapointe, en concluant qu’une promesse avait été faite au fonctionnaire s’estimant lésé, l’arbitre de grief a tenu compte de la durée pendant laquelle le trop-payé s’était accumulé. Il a écrit ce qui suit :

a. 31 […] J’estime qu’un délai de quatre ans a induit le fonctionnaire en erreur quant à son traitement et a eu l’effet d’une promesse envers lui.

b. 32 Dans l’ensemble, il me semble raisonnable de croire que l’employeur a eu plus d’une occasion de vérifier le salaire du fonctionnaire, tout particulièrement lors des augmentations d’échelon et du renouvellement de la convention collective. La constatation d’une erreur administrative plusieurs années plus tard n’excuse pas l’employeur de son devoir de vigilance quant à la juste rémunération de son employé tel qu’il est prévu par la convention collective.

19. De même, dans le présent cas, l’employeur a continué à rémunérer la fonctionnaire à un taux erroné pendant six ans. La fonctionnaire a ainsi été induite en erreur quant à sa rémunération, ce qui a eu l’effet d’une promesse envers elle.

20. Le syndicat soutient également que le fait que l’employeur ait confirmé par écrit le salaire ou le taux de rémunération de la fonctionnaire à quatre occasions distinctes équivaut à une promesse.

21. Le 26 janvier 2010, la fonctionnaire a reçu une chaîne de courriels de la chef, Gestion des peines, Karen Hartigan. Dans ces courriels, Laurie Zaleschuk, conseillère en rémunération au SCC, a écrit que Mme Hartigan devait appliquer le taux de rémunération au poste EC-02 pour la fonctionnaire. De plus, la fonctionnaire a affirmé dans son témoignage qu’elle croyait à cette assurance donnée par Mmes Zaleschuk et Hartigan.

22. Puis, le 24 juin 2010, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Laurie Zaleschuk, conseillère en rémunération, pour lui poser des questions sur sa paie. Elle lui a notamment posé la question suivante : « Pouvez-vous me dire si je suis maintenant classée à l’échelon supérieur de l’échelle salariale des postes SI-02 ou à celui de l’échelle salariale des postes AS-02? Je ne suis pas certaine de ma situation actuelle et, compte tenu de mon CER, c’est difficile à dire ». Mme Zaleschuk lui a répondu plus tard le même jour en déclarant notamment : « Vous êtes actuellement classée à l’échelon supérieur de l’échelle salariale des postes EC02 et, à compter du 22 juin 2010, votre salaire annuel sera de 56 917 $ ».

23. Le 16 octobre 2012, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Brent Bouthillette, superviseur par intérim de la rémunération du SCC, dans lequel elle lui demandait ce qui suit : « Mon poste est bloqué et je suis toujours classée à l’échelle salariale de l’ACEP en tant qu’EC-02. La convention collective a récemment été signée. Devrais-je recevoir une paie rétroactive en conséquence? » Le 30 octobre, la fonctionnaire a reçu une réponse de la conseillère en rémunération du SCC, Jerilyn Robertson, dans laquelle elle a écrit : « J’ai vérifié votre salaire. Les paiements rétroactifs de la rémunération révisée ont été traités et seront déposés les 2 et 6 novembre. La paie régulière du 7 novembre tiendra compte du nouveau taux de rémunération ».

24. Enfin, le 18 avril 2013, la fonctionnaire a reçu une lettre rédigée par Jerilyn Robertson, conseillère en rémunération du SCC, dans laquelle elle confirme son salaire. En outre, la fonctionnaire a déclaré avoir compris qu’il s’agissait du taux de rémunération applicable aux postes EC-02.

25. Dans son témoignage, la fonctionnaire a expliqué qu’elle avait cru chacune de ces assurances données par son employeur et qu’elle croyait que son taux de rémunération du 1er avril 2009 au 11 mai 2015 était correct.

26. Nous estimons que ces assurances écrites données par les conseillères en rémunération de l’employeur satisfont au volet « promesse » du critère de la préclusion.

27. Dans l’affaire Prosper, la Commission était saisie de la question de savoir si la doctrine de la préclusion promissoire empêchait l’employeur de recouvrer les congés annuels supplémentaires accordés au fonctionnaire s’estimant lésé. La Commission a conclu que la confirmation par un agent de l’employeur des congés auxquels avait droit le fonctionnaire avait l’effet d’une promesse.

a. [62] Je dois donc répondre tout d’abord à la question suivante : en agissant comme il l’a fait, est-ce que l’employeur a fait des déclarations sans équivoque au fonctionnaire en ce qui concerne les congés annuels auxquels il avait droit? Dans l’affirmative, je dois alors décider si le fonctionnaire a agi à son détriment en se fiant aux déclarations de l’employeur.

b. [63] En réponse à la première question, je conclus que les actions de l’employeur, par l’entremise de ses représentants, ont induit le fonctionnaire en erreur quant aux congés annuels auxquels il avait droit, et que cela a eu pour lui le même effet qu’une promesse qui lui aurait été faite à cet égard.

28. De même, bien que la décision ait été rendue sur une autre question, dans l’affaire Murchison, la Commission a conclu que les assurances données par l’employeur au cours de rencontres selon lesquelles le nombre d’heures de congé annuel auquel avait droit la fonctionnaire était exact auraient satisfait au critère de la préclusion.

29. En outre, le syndicat fait valoir que ces assurances émanant de conseillers en rémunération ont un poids supplémentaire. La fonctionnaire a expliqué dans son témoignage qu’elle avait cru à ces assurances parce que, selon elle, les conseillers en rémunération étaient des experts en la matière.

 

Créance désavantageuse ou acte de confiance préjudiciable

30. Avant de démontrer que la fonctionnaire s’est fiée aux assurances mentionnées ci-dessus et qu’il en a découlé un effet préjudiciable, il est important de distinguer la notion de créance désavantageuse de celle de difficultés financières.

31. La doctrine de la préclusion promissoire n’exige pas que la fonctionnaire démontre qu’elle a connu des difficultés financières. Elle doit plutôt démontrer qu’au moment de l’erreur, elle a agi d’une façon indiquant qu’elle s’est fiée à la parole de l’employeur. C’est l’interprétation donnée par la Commission dans l’affaire Murchison :

a. 44 Dans les cas de trop-payé, la jurisprudence de la Commission veut que la charge de prouver la créance désavantageuse incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés […] Éprouver des difficultés financières n’équivaut pas à une créance désavantageuse. La créance désavantageuse existe au moment de l’erreur et découle du fait que le ou la fonctionnaire s’estimant lésé se fonde sur la déclaration ou sur l’erreur de l’employeur et contracte une dette ou agit d’une façon indiquant qu’il ou elle s’est fié à la parole ou à l’erreur de l’employeur à son détriment. Les difficultés financières découlent par contre de la découverte de l’erreur et de la demande de l’employeur qui s’ensuit de rembourser ce qui a été reçu à cause d’une erreur […]

32. Il ne s’agit donc pas dans le présent cas de savoir si la fonctionnaire ne pouvait pas rembourser le trop-payé ou si le remboursement du trop-payé constituait une difficulté financière. Il suffit que la fonctionnaire démontre qu’elle a contracté une dette ou qu’elle a agi de façon indiquant qu’elle s’est fiée à la parole ou à l’erreur de l’employeur.

33. Il est vrai que la fonctionnaire et son époux avaient les moyens de verser un acompte important sur l’achat de la voiture de la fonctionnaire ou d’acheter la roulotte. Cependant, le critère ne vise pas à évaluer les achats qu’ils avaient les moyens de faire, mais plutôt à déterminer si la fonctionnaire, et elle seule, aurait pris les mêmes décisions si elle avait connu son véritable taux de rémunération.

34. En outre, nous soutenons qu’il n’est pas nécessaire que les effets préjudiciables soient tels que la fonctionnaire ne puisse pas respecter ses engagements financiers ni que le trop-payé soit si élevé qu’il faille de nombreuses années pour le rembourser. Il suffit de démontrer l’existence d’un certain préjudice subi par la fonctionnaire.

35. Par exemple, dans l’affaire Canada Post, l’arbitre a conclu que l’existence d’un acte de confiance préjudiciable avait été établie par une fonctionnaire s’estimant lésée qui avait pris une demi-journée de congé supplémentaire par rapport à ce à quoi elle avait droit.

36. Nous soutenons que le témoignage de la fonctionnaire, combiné à l’ECF et au RCD, démontre qu’elle s’est fiée, à son détriment, aux assurances données par son employeur quant à l’exactitude de son salaire.

37. La fonctionnaire a expliqué dans son témoignage la façon dont elle prend ses décisions en matière financière. Elle a expliqué qu’elle tenait compte de ses dettes, de ses dépenses et de ses revenus lorsqu’elle prenait des décisions financières importantes. Elle a aussi précisé qu’elle assurait le suivi de ses finances personnelles au moyen d’une feuille de calcul détaillée.

38. Nous soutenons qu’il est évident que la fonctionnaire a pris des décisions financières en se fiant à l’exactitude de son salaire et qu’elle n’aurait pas accumulé une dette s’élevant à près de 6 000 $.

39. Elle a notamment décidé de prendre un CER de 2009 à 2014. Ces congés lui ont permis de passer du temps avec sa mère malade. La fonctionnaire a expliqué l’importance qu’elle accordait à ces congés et la grande déception qu’elle a éprouvée lorsqu’elle s’est rendu compte qu’elle ne pouvait plus se permettre de les prendre après l’évaluation du trop-payé.

40. En contrepartie de ces congés, le salaire de la fonctionnaire était réduit de plusieurs semaines de paie. La fonctionnaire a déclaré que cela aurait entraîné une baisse de salaire d’environ 5 000 $ à 7 000 $ pour l’année. Elle a déclaré qu’elle n’aurait probablement pas pris tous ces congés si elle avait su que son salaire était incorrect.

41. En outre, le fait que la fonctionnaire ait annulé sa demande de congé pour 2015 après avoir été informée du trop-payé démontre que sa rémunération était un facteur pertinent dans sa décision de prendre un congé.

42. De plus, la fonctionnaire a déclaré qu’elle avait acheté une voiture et une roulotte avec son époux au cours de la période où elle recevait un salaire en trop. Elle a expliqué qu’elle avait tenu compte de son salaire pour prendre cette décision d’achat.

43. La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait demandé à son employeur qu’il lui donne les assurances mentionnées ci-dessus, afin qu’elle puisse prendre ses décisions avec une plus grande confiance.

44. Plus précisément, elle a expliqué dans son témoignage qu’elle a demandé la lettre du 18 avril 2013 de Jerilyn Robertson qui confirmait son salaire en vue de contracter un prêt investissement de 220 000 $ auprès de B2B Banque.

45. Dans la décision Canada Post citée ci-dessus, l’arbitre de grief a expliqué pourquoi la confiance préjudiciable avait été établie :

[Traduction]
a. […] En approuvant onze jours de congé, l’employeur a dit en fait à Mme Godfrey qu’elle pouvait prendre ces onze jours de congé à titre de vacances et qu’elle serait payée pour ces jours. Elle a subi en effet préjudiciable en se fiant à ces déclarations, car si l’employeur l’avait obligée à respecter la convention collective et qu’il avait exigé qu’elle retourne au travail après dix jours et demi de vacances, elle s’y serait conformée et aurait ainsi gagné une demi-journée de salaire supplémentaire. La déclaration de l’employeur et son approbation constituaient la dernière des erreurs commises. Cette erreur n’était pas attribuable à la fonctionnaire s’estimant lésée. L’objectif de la procédure de demande de congé est de donner à l’employeur la possibilité de vérifier que la demande est conforme. Une demande incorrecte, faite de bonne foi, comme c’était le cas en l’espèce, ne saurait être considérée comme ayant entraîné l’approbation. Les approbations sont censées être fondées sur des vérifications indépendantes. L’employeur ne peut pas prétendre que la fonctionnaire s’estimant lésée aurait pris la demi-journée, avec ou sans approbation. Aucun élément de preuve n’étaye cet argument. C’est cette approbation qui l’a incitée à s’absenter du travail pendant onze jours. L’employeur souhaite maintenant revenir sur ses déclarations auxquelles Mme Godfrey a cru et sur lesquelles elle s’est fiée. Cette situation est injuste et c’est précisément ce que la doctrine de la préclusion promissoire vise à empêcher. L’application de la préclusion promissoire est justifiée. J’ordonne à la Société canadienne des postes de payer Mme Godfrey pour cette demi-journée et je déclare qu’elle était en congé payé durant cette demi-journée.

46. De même, dans le présent cas, nous soutenons que la fonctionnaire s’est fiée aux déclarations de l’employeur relatives à son salaire pour prendre des décisions financières. L’employeur peut prétendre que la fonctionnaire aurait pris les mêmes décisions, peu importe son taux de rémunération, mais cela contredit les éléments de preuve présentés par la fonctionnaire.

47. De plus, dans l’affaire York University, l’arbitre de grief a conclu que l’achat d’un véhicule d’occasion fondé sur un trop-payé de salaire satisfaisait aux exigences relatives à un acte de confiance préjudiciable.

48. Dans l’affaire Lapointe, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’était fié à son salaire erroné en partie parce qu’il avait contracté une marge de crédit. De même, dans le présent cas, la fonctionnaire et son époux ont contracté un prêt investissement.

49. En réalité, lorsque Mme Hertlein a pris ces décisions, elle croyait que son salaire était plus élevé qu’il ne l’était et qu’elle n’accumulait pas non plus une dette de près de 6 000 $.

50. De plus, je souligne que la fonctionnaire a été longuement interrogée sur la situation financière de son époux au cours de son contre-interrogatoire. Il est vrai qu’il a gagné beaucoup plus qu’elle de 2009 à 2016. Toutefois, la fonctionnaire a également expliqué que la nature du travail de son époux l’obligeait à séjourner dans d’autres villes pendant dix jours toutes les deux semaines. Elle a ensuite expliqué que cet horaire obligeait son époux à engager des frais pour les déplacements et l’hébergement. Cet arrangement obligeait essentiellement Mme Hertlein et son époux à assumer les frais de deux maisons, ce qui représentait une charge financière supplémentaire importante.

51. De plus, comme je l’ai mentionné ci-dessus, le critère de la préclusion n’exige pas de démontrer que le remboursement du trop-payé cause des difficultés financières. Il suffit de démontrer qu’il y a eu confiance préjudiciable pendant la période où la fonctionnaire a reçu un trop-payé.

52. Pendant les six années au cours desquelles le trop-payé s’est accumulé, la fonctionnaire a pris de nombreuses décisions financières qui étaient toutes fondées, du moins en partie, sur la rémunération qu’elle croyait toucher.

53. Nous soutenons que cela suffit pour conclure à la confiance préjudiciable. Dans l’affaire NAPE v. Newfoundland (2009), l’arbitre de grief a conclu à la confiance préjudiciable et a cité un passage de la décision Cabot Institute and Newfoundland Association of Public Employees (Kerri Thorne) où l’arbitre explique la difficulté de calculer avec exactitude les sommes en dollars associées à l’acte de confiance préjudiciable. Pour démontrer l’existence d’un tel acte, la fonctionnaire doit plutôt établir qu’elle s’est raisonnablement fiée à son salaire pour prendre des décisions financières :

[Traduction]
a. […] L’arbitre de grief a déclaré ce qui suit :

Malheureusement, il est impossible, dans un contexte d’arbitrage, d’évaluer et de calculer la « confiance préjudiciable » en dollars et en cents. Sauf dans un cas où l’acte de confiance serait manifestement déraisonnable, il est presque impossible de quantifier et de calculer ce qui doit certainement être considéré comme une perception, un sentiment de sécurité, une dépendance fondée sur l’espoir que surviennent certaines circonstances […]

b. […]

c. La fonctionnaire s’estimant lésée a démontré qu’elle avait changé de poste, selon les lettres de nomination. Elle a changé sa situation financière. Elle s’est mariée et a engagé des dépenses liées à ce mariage. Elle a acheté une maison avec son époux, et ils ont pris une hypothèque. Elle a conclu, avec son époux, un contrat de location de véhicule. Elle a engagé des frais pour l’ameublement de la maison. Elle a payé des droits de scolarité pour un programme de maîtrise. Elle a engagé des dépenses personnelles supplémentaires. Dans ces circonstances, il existait une attente légitime que les paiements se poursuivent, et la fonctionnaire s’estimant lésée a modifié sensiblement sa situation financière. Il serait injuste d’exiger de la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle rembourse la somme qui lui a été versée en trop.

54. De même, les éléments de preuve présentés par la fonctionnaire démontrent qu’elle a modifié sa situation financière. Il ne s’agit pas de comptabiliser les dollars et les cents pour chacune de ses décisions. La fonctionnaire entretenait une croyance quant à l’exactitude de son salaire et, pendant de nombreuses années, elle s’est fondée sur cette croyance pour faire des choix financiers. Elle a réduit son salaire pour prendre des congés, elle a contracté un prêt de 220 000 $, et elle a acheté une voiture et une roulotte. Elle pouvait légitimement s’attendre à ce que son salaire soit maintenu, et elle a modifié sensiblement sa situation financière. Nous soutenons que les exigences relatives à la doctrine de la préclusion sont satisfaites et qu’il était injuste de lui demander de rembourser le trop-payé.

 

Réparation demandée

55. Le syndicat soutient que, compte tenu de ce qui précède, le grief devrait être accueilli et l’employeur devrait être tenu de rembourser à la fonctionnaire le montant total du trop-payé. Ce montant s’élève à 5 956,44 $ brut et à 5 215,95 $ net.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

B. Pour l’employeur

[64] L’avocat de l’employeur a présenté les observations finales suivantes :

[Traduction]

1. Introduction

La présente affaire concerne le recouvrement légitime d’un salaire versé en trop par l’employeur au titre de l’article 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) et l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle elle s’est fiée à la somme versée en trop et en a subi un effet préjudiciable, de sorte que la doctrine de la préclusion promissoire devrait empêcher le remboursement.

L’employeur reconnaît que le premier volet du critère de la préclusion est satisfait, puisqu’une promesse a été faite, à savoir que la fonctionnaire a été rémunérée à un taux de salaire erroné pendant des années.

Toutefois, l’affirmation de la fonctionnaire ne satisfait pas au deuxième volet du critère, car les éléments de preuve montrent sans équivoque qu’elle ne s’est pas fiée à cette promesse ni n’en a subi d’effet préjudiciable, et qu’elle ne s’est pas acquittée du lourd fardeau de preuve qui lui incombait pour invoquer la doctrine de la préclusion.

La fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle avait modifié sensiblement sa situation en raison du trop-payé ni qu’elle avait subi un préjudice si important qu’il serait déraisonnable ou inéquitable d’exiger le remboursement du trop-payé. Les éléments de preuve dans la présente affaire, y compris l’ECF, l’interrogatoire principal de la fonctionnaire et son contre-interrogatoire, démontrent qu’elle pouvait absorber la correction du trop-payé sans subir de préjudice financier. En l’absence d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que la fonctionnaire a subi un préjudice irréparable en se fiant au trop-payé, la Commission doit faire respecter la convention initiale conclue entre les parties et rejeter la demande.

Pour les motifs qui suivent, nous soutenons que le grief doit être rejeté.

2. Droit de l’employeur de recouvrer le trop-payé au titre de la LGFP et de la convention collective

Le droit de l’employeur de recouvrer un salaire versé en trop par erreur est consacré par l’article 155 de la LGFP, qui confère à l’État un pouvoir clair et sans équivoque de recouvrer toute créance (voir l’ONGLET 1 du recueil de jurisprudence de l’employeur – LGFP; voir aussi l’onglet 3 du recueil de jurisprudence de l’employeur – Canada (Procureur général) c. Poupart, 2022 CAF 77, aux par. 62 à 64).

De plus, la convention collective du groupe PA ne limite pas la capacité de l’employeur à recouvrer les fonds payés en trop ni n’accorde à la fonctionnaire un droit contractuel de conserver un trop-payé versé par erreur.

Par conséquent, la Commission n’a généralement pas compétence, au titre de l’article 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, pour décider si la Couronne a à bon droit exercé les pouvoirs que lui confère l’article 155 de la LGFP. Cette question doit être tranchée par une autre instance (voir l’ONGLET 11 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. No 82, au par. 6; voir aussi l’ONGLET 12 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Smiley c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1992] C.R.T.F.P.C. No 167, au par. 8).

Cela dit, il existe une exception à ce principe général, puisqu’il a été jugé que la Commission avait compétence pour appliquer les principes de la préclusion ou de la difficulté excessive afin d’interdire à l’employeur de recouvrer un trop-payé (voir le recueil de jurisprudence de la fonctionnaire, à l’ONGLET 6, décision Molbak).

3. Principes issus de la jurisprudence sur la préclusion

La doctrine de la préclusion promissoire est une mesure exceptionnelle et ne devrait être appliquée que dans les cas les plus évidents, en présence d’éléments de preuve clairs et convaincants. Le droit de l’employeur de recouvrer les trop-payés ne peut être remis en cause que si l’employé satisfait au lourd fardeau de prouver qu’il y a eu préclusion ou confiance préjudiciable.

Il en est ainsi parce que le litige dont est saisie la Commission repose essentiellement sur la nécessité pour les parties de respecter les modalités de leurs conventions collectives. Il s’agit du fondement du droit du travail et de l’aspect le plus fondamental du rôle de la Commission en tant que tribunal d’arbitrage (voir l’ONGLET 4 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Doucet c. Conseil du Trésor (ASFC), 2020 CRTESPF 81, au par. 27; voir aussi l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, qui dispose que la décision de la Commission ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective).

La doctrine de la préclusion doit être appliquée avec une grande prudence; on ne saurait y avoir recours systématiquement pour remédier à tout ce qui apparaît injuste (voir l’ONGLET 7 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Paquet c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux - Bureau de la traduction), 2016 CRTEFP 140 [sic], au par. 47 et voir aussi l’ONGLET 4 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Doucet c. Conseil du Trésor (ASFC), 2020 CRTESPF 81, au par. 39).

Dans un tel cas, la Commission est donc appelée à faire respecter une entente autre que celle qui avait initialement été conclue par les parties, à savoir leur convention collective, et à devenir, d’une certaine façon, le juge de la conduite des parties, plutôt que l’interprète de la convention collective qu’elles ont négociée.

Pour déterminer si une partie peut invoquer la préclusion, il faut procéder à une évaluation contextuelle, c’est-à-dire à un examen reposant en grande partie sur les faits. À ce titre, la Commission examine les actions ou les paroles des parties. (Voir l’ONGLET 10 du recueil de jurisprudence de l’employeur - 1242311 Alberta Ltd v. Tricon Developments Inc, 2020 ABQB 411, au par. 216).

Il incombe à la fonctionnaire de prouver que la doctrine de la préclusion s’applique. (Voir l’ONGLET 5 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Element [sic] c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), [1997] C.R.T.F.P.C. no 56, au par. 35.

Pour réussir à faire valoir un moyen de défense fondé sur la préclusion promissoire pour le recouvrement du trop-payé, la fonctionnaire doit établir les éléments suivants :

1. Premièrement, l’employeur doit avoir promis à la fonctionnaire, par ses paroles ou par sa conduite, qu’il renonçait à lui verser son salaire exact tel qu’il est établi dans la convention collective.

2. La fonctionnaire doit avoir modifié sa situation en raison de la promesse faite par l’employeur et avoir subi un préjudice en se fiant à cette promesse, de sorte qu’il serait déraisonnable ou inéquitable d’exiger un remboursement de la part de la fonctionnaire.

En ce qui concerne le premier volet du critère, la conduite ou la promesse sur laquelle celui qui invoque la doctrine de la préclusion repose doit être sans équivoque. (Voir l’ONGLET 7 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Paquet c. Conseil du Trésor (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux - Bureau de la traduction), 2016 CRTEFP 30, au par. 43 citant Canada (Procureur général) c. Yves Lamothe et al., 2008 CF 411).

Autrement dit, quant au deuxième volet du critère, la Commission doit se poser la question suivante : les éléments de preuve précis démontrent-ils que le préjudice ou la modification de la situation de la fonctionnaire était suffisamment grave pour qu’il soit inéquitable d’exiger qu’elle restitue intégralement le trop-payé? (Voir l’ONGLET 9 du recueil de jurisprudence de l’employeur - British Columbia v. BCGEU, [1991] BCCAAA No 148, au par. 52)

L’injustice ou l’iniquité doivent être d’une certaine importance pour qu’une réparation équitable soit accordée (voir l’ONGLET 7 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Paquet c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux - Bureau de la traduction), 2016 CRTEFP 30, au par. 43, citant la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Lamothe, 2008 CF 411; voir aussi l’ONGLET 4 du recueil de jurisprudence de l’employeur- Doucet c. Conseil du Trésor (ASFC), 2020 CRTESPF 81, aux par. 38 et 42).

Le préjudice subi par la partie qui se fie à l’assurance doit être d’une gravité et d’une importance telles qu’elles justifient l’annulation de la convention initiale à titre de réparation équitable. (Voir l’ONGLET 10 du recueil de jurisprudence de l’employeur - 1242311 Alberta Ltd v. Tricon Developments Inc, 2020 ABQB 411, au par. 220.)

De plus, il est insuffisant pour le bénéficiaire d’un trop-payé d’établir qu’il a modifié sensiblement sa situation en se fondant sur le fait qu’il a dépensé les fonds (voir l’ONGLET 10 du recueil de jurisprudence de l’employeur - 1242311 Alberta Ltd v. Tricon Developments Inc, 2020 ABQB 411, au par. 221. Voir aussi l’ONGLET 5 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Ellement c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), [1997] C.R.T.F.P.C. no 56, au par. 36.)

En outre, il a été jugé qu’il n’y avait pas de modification sensible de la situation s’il n’existait aucun élément de preuve démontrant que les habitudes de dépenses avaient changé précisément en raison de la somme versée en trop. (Voir l’ONGLET 10 du recueil de jurisprudence de l’employeur - 1242311 Alberta Ltd v. Tricon Developments Inc, 2020 ABQB 411, aux par. 221 et 223.)

Il ne peut y avoir de confiance préjudiciable si les éléments de preuve montrent que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas modifié de façon appréciable son mode de vie ou ses engagements financiers. (Voir l’ONGLET 5 du recueil de jurisprudence de l’employeur -Ellement c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), [1997] C.R.T.F.P.C. no 56, au par. 36.)

La preuve qu’un fonctionnaire s’estimant lésé a été en mesure de continuer à s’acquitter de toutes ses obligations financières réfute l’allégation de confiance préjudiciable (voir l’ONGLET 2 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Bolton c. Canada (Conseil du Trésor), 2003 CRTFP 39, au par. 55).

Il ne suffit pas que la fonctionnaire déclare qu’elle aurait agi différemment ou que ses décisions financières auraient été différentes si elle n’avait pas reçu le trop-payé. Une telle déclaration ne peut constituer une preuve de confiance préjudiciable. La fonctionnaire doit fournir la preuve que la promesse erronée a eu un effet préjudiciable sur elle. (Voir l’ONGLET 6 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Murphy c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2013 CRTFP 116, aux par. 27 et 30.)

4. Application des principes juridiques aux éléments de preuve dans le présent cas

Il n’est pas contesté, dans le présent cas, que l’employeur a commis des erreurs dans le calcul du salaire de la fonctionnair pendant plusieurs années. Par conséquent, pour déterminer si la préclusion s’applique au grief, il doit être établi que la fonctionnaire s’est fiée à cette fausse déclaration concernant son salaire.

Les éléments de preuve au dossier, y compris le témoignage de la fonctionnaire lors de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire, ainsi que l’ECF, démontrent que l’allégation de confiance préjudiciable formulée par la fonctionnaire est insuffisante et n’atteint pas le seuil élevé requis pour écarter ou supprimer le droit de l’employeur conféré par la loi de recouvrer le trop-payé.

En d’autres termes, les éléments de preuve précis ont démontré que le préjudice ou la modification de la situation de la fonctionnaire n’était pas suffisamment grave pour qu’il soit inéquitable de l’obliger à restituer intégralement le trop-payé.

Au cours de son interrogatoire principal, on a explicitement demandé à la fonctionnaire si elle aurait pris des décisions financières différentes si elle avait été informée du trop-payé et de son salaire réel. Elle a répondu par l’affirmative, en déclarant qu’elle aurait agi différemment en raison du trop-payé et de la réduction de salaire qui en a découlé.

Toutefois, ces déclarations ne suffisent pas à établir la confiance préjudiciable. Il ne suffit pas que la fonctionnaire déclare qu’elle aurait agi différemment ou que ses décisions financières auraient pu être différentes si elle n’avait pas reçu le trop-payé. Une telle déclaration ne prouve pas, en soi, la confiance préjudiciable.

En effet, il est toujours facile pour une partie de dire qu’elle aurait agi autrement si elle avait eu toute l’information. La confiance préjudiciable serait établie dans tous les cas s’il suffisait d’affirmer simplement et hypothétiquement que les décisions financières d’une personne auraient pu être différentes si elle n’avait pas reçu le trop-payé.

De plus, le simple fait que la fonctionnaire ait dépensé les fonds est insuffisant. Elle doit fournir des éléments de preuve clairs et convaincants indiquant que le salaire erroné a eu un effet important et préjudiciable sur sa situation financière.

Dans le présent cas, le préjudice allégué par la fonctionnaire n’est pas d’une gravité ni d’une importance telle qu’il serait justifié d’annuler la convention initiale conclue entre les parties ou de ne pas exiger le remboursement d’une créance envers l’État.

Les éléments de preuve, lorsqu’ils sont examinés de plus près par rapport à chaque décision financière mentionnée par la fonctionnaire, confirment que son allégation ne permet pas d’établir la confiance préjudiciable.

A. L’achat par les Hertlein d’une voiture sport de luxe (Infiniti coupé G37 2010)

En ce qui concerne l’achat par l’époux de la fonctionnaire d’une voiture sport de luxe (59 938,35 $) (Infiniti coupé G37 2010), les éléments de preuve ont permis d’établir les faits suivants :

L’achat a été effectué au nom de son époux, ce qui signifie que le financement était fondé sur ses revenus et son crédit, et non sur ceux de la fonctionnaire. Cela mine toute affirmation selon laquelle la fonctionnaire s’est fiée au trop-payé pour se permettre l’achat.

L’acompte de 32 000 $ a payé au comptant, ce qui signifie que la décision ne dépendait pas de son salaire permanent et indique que la fonctionnaire et son époux disposaient d’importantes ressources financières à ce moment-là.

La voiture était entièrement payée en 2013, soit deux ans avant qu’elle ne soit informée du trop-payé. L’achat ne dépendait donc pas du maintien de son salaire à un taux majoré.

La fonctionnaire n’a pas manqué à ses obligations financières et n’a pas démontré qu’elle ne pouvait pas assumer d’autres dépenses à la suite de cet achat.

Il n’y a pas eu de modification sensible de sa situation; la voiture était déjà entièrement payée avant que le trop-payé ne soit constaté.

 

B. Achat par les Hertlein d’une roulotte Fleetwood Wilderness 2009

Quant à l’achat par la fonctionnaire et son époux d’une roulotte Fleetwood Wilderness 2009 (11 975 $), les éléments de preuve ont permis d’établir les faits suivants :

l’achat a été entièrement payé au comptant, sans qu’aucune obligation financière ultérieure n’y soit liée, et la fonctionnaire s’est donc acquittée de toutes ses obligations financières malgré la correction du trop-payé.

Cette transaction a été effectuée quatre ans avant que le trop-payé ne soit constaté, ce qui signifie que la fonctionnaire ne s’est pas fiée à une erreur salariale permanente pour prendre cette décision.

Il n’y a pas eu de modification sensible de sa situation; la roulotte a été payée en totalité au moment de l’achat, et la fonctionnaire n’a subi aucun préjudice financier du fait de la correction du trop-payé.

 

C. Prêt investissement auprès de B2B Banque en 2013 (220 000 $)

Quant au prêt investissement de 220 000 $ contracté par la fonctionnaire et son époux :

La fonctionnaire a admis qu’il s’agissait d’un investissement réalisé dans la perspective d’un gain financier, ce qui est contradictoire avec la notion de préjudice financier.

La fonctionnaire et son époux n’ont pas manqué à leurs obligations de paiement, même après la correction du trop-payé.

La fonctionnaire a continué à respecter toutes ses obligations financières, ce qui en soi est une preuve de l’absence de confiance préjudiciable.

Il n’y a pas eu de modification sensible de sa situation; le prêt investissement contracté par la fonctionnaire n’a pas été touché négativement par la correction salariale.

 

D. Congé avec étalement du revenu 2015 de la fonctionnaire

En ce qui concerne l’affirmation de la fonctionnaire relativement à l’annulation de sa demande de CER pour 2015, les éléments de preuve ont permis d’établir les faits suivants :

La fonctionnaire a volontairement annulé son CER pour 2015, environ un mois après avoir été informée du trop-payé. Toutefois, comme la Commission l’a déjà jugé, la confiance préjudiciable existe au moment de l’erreur, et non au moment où elle est découverte. (Voir le recueil de jurisprudence de la fonctionnaire - ONGLET 2 - Murchinson, au par. 44).

En annulant le CER, la fonctionnaire a conservé plus de revenus que si elle avait pris le CER qu’elle avait financé elle-même, ce qui contredit directement son allégation de préjudice financier.

La Commission a jugé que les employés doivent atténuer l’impact financier d’un trop-payé dans la mesure du possible. (Voir l’ONGLET 8 du recueil de jurisprudence de l’employeur - Prosper c. Conseil du Trésor (ASFC), 2011 CRTFP 140, au par. 68). C’est ce que la fonctionnaire a fait en annulant le CER, ce qui démontre qu’elle n’était pas financièrement vulnérable.

Malgré l’allégation de confiance préjudiciable qu’elle a formulée, la fonctionnaire a repris un CER en 2016, tout en remboursant le trop-payé, ce qui démontre qu’elle était financièrement en mesure d’absorber la correction.

Il n’y a pas eu de modification sensible de sa situation; en fait, l’annulation du CER a permis à la fonctionnaire de gagner des revenus supérieurs à celui qu’elle aurait reçu si elle avait pris son congé.

Enfin, la situation financière globale de la fonctionnaire et les décisions qu’elle a prises sont fondamentalement incompatibles avec une allégation de confiance préjudiciable liée à un trop-payé brut de 5 956,44 $ sur six ans, soit environ 992 $ par année avant impôts, ce qui représente environ 40 $ de plus par chèque de paie sur 26 périodes par année.

Pour invoquer avec succès la préclusion promissoire, la fonctionnaire doit démontrer qu’elle a modifié sensiblement sa situation financière en se fiant au trop-payé et qu’elle en a subi un préjudice important. Toutefois, les éléments de preuve contredisent largement toute affirmation selon laquelle la fonctionnaire a subi de graves conséquences financières du fait de la correction du trop-payé.

La situation financière du ménage de la fonctionnaire est en totale contradiction avec une allégation de confiance préjudiciable liée à un trop-payé brut de 5 956,44 $ sur six ans, soit environ 992 $ par année avant impôts, ce qui représente environ 40 $ de plus par chèque de paie sur 26 périodes de paie.

De 2009 à 2015, le revenu du ménage de la fonctionnaire [était substantiel], ce qui la classait dans la catégorie de 1 % des personnes les mieux rémunérées à Red Deer, en Alberta, ou très près d’appartenir à cette catégorie. Il n’est tout simplement pas crédible de prétendre qu’un ménage gagnant un tel revenu ait subi un préjudice concret et important du fait d’une correction d’un trop-payé de 992 $ par année.

De plus, la fonctionnaire a admis, lors du contre-interrogatoire, que le revenu de son ménage dépassait largement son salaire. Le salaire de la fonctionnaire augmentait chaque année en raison des augmentations d’échelon et des affectations intérimaires, et elle a reçu une indemnité de départ en 2011, ce qui a considérablement augmenté ses revenus.

Malgré ses allégations de préjudice financier, les éléments de preuve démontrent que la plaignante a été en mesure d’effectuer ce qui suit :

payer une hypothèque;

acheter une voiture sport de luxe de 59 000 $ et verser un acompte important de 32 000 $;

acheter une roulotte 11 000 $ au comptant;

obtenir un prêt investissement de 220 000 $ et continuer à effectuer les paiements à temps, sans manquer à ses obligations;

financer elle-même son CER pendant de nombreux étés, même après la correction du trop-payé;

investir de l’argent;

aider financièrement sa mère;

continuer à économiser ou à mettre de l’argent de côté pour les imprévus et les urgences.

 

De plus, la fonctionnaire a continué à s’acquitter de toutes ses obligations financières, ce qui contredit l’allégation de confiance préjudiciable.

Les actions ainsi que les décisions de la fonctionnaire ne correspondent pas à celles d’une personne qui subit les répercussions d’un acte de confiance préjudiciable découlant d’un trop-payé d’environ 992 $ par année. Une personne préoccupée par la perte de 992 $ par année ne prendrait pas des engagements financiers de cette ampleur ni des décisions en ce sens. Une personne réellement touchée par la perte de 992 $ par année, ou de 40 $ par chèque de paie, n’effectuerait pas d’achats discrétionnaires importants ni ne maintiendrait un niveau de vie élevé tout en prétendant subir un préjudice financier. De plus, bien que cela soit davantage lié à des difficultés financières, une personne qui subit réellement des répercussions financières préjudiciables n’affirmerait pas qu’elle a pu, pendant toute la période du trop-payé, mettre de l’argent de côté pour s’offrir un CER.

Conclusion

Les éléments de preuve n’étayent pas l’allégation de confiance préjudiciable formulée par la fonctionnaire. Elle n’a pas établi que le trop-payé a modifié de manière sensible et irréversible sa situation financière. Au mieux, le trop-payé a pu causer à la fonctionnaire et à son époux de légers inconvénients dans leur planification financière. Toutefois, un inconvénient mineur ne satisfait pas au critère juridique de la confiance préjudiciable.

Pour ces motifs, l’employeur soutient que le recouvrement du trop-payé était légal en vertu de l’article 155 de la LGFP. La fonctionnaire n’a pas établi la confiance préjudiciable au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. Le droit de l’employeur de recouvrer les trop-payés ne peut être écarté que dans les cas les plus évidents, lorsque l’employé s’acquitte de son lourd fardeau de prouver qu’il y a préclusion ou confiance préjudiciable. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire. L’employeur demande donc respectueusement que le grief soit rejeté.

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Quelques commentaires sur la jurisprudence incluse dans le recueil de jurisprudence de l’agent négociateur

Dans l’affaire Molbak, le grief a été accueilli sur le fondement de la préclusion parce que la fonctionnaire s’estimant lésée avait acheté une maison en croyant qu’elle serait rémunérée à un certain niveau pour une période d’un an. L’employeur a ensuite réduit son salaire, ce qui lui a occasionné des difficultés à respecter ses obligations financières. Telle n’est pas la situation dans le présent cas. De plus, la fonctionnaire, Mme Hertlein, n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il lui était difficile de respecter ses obligations financières ou qu’elle aurait agi différemment si elle avait été informée du salaire réel. En fait, les éléments de preuve qu’elle a présentés démontrent le contraire. Elle a continué à respecter toutes ses obligations et disposait d’économies, d’investissements et d’un revenu discrétionnaire.

Dans l’affaire Lapointe, le grief a également été accueilli sur le fondement de la préclusion. Dans ce cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a été rémunéré selon un salaire erroné pendant quatre ans, ce qui a entraîné un trop-payé de près de 10 000 $. Le fonctionnaire s’estimant lésé a pris un engagement financier personnel irréversible en se fondant sur son salaire initialement versé. Il a dû contracter une marge de crédit, par exemple. Il a démontré qu’il dépendait financièrement du trop-payé et que la correction de l’erreur lui causait des difficultés importantes. Contrairement à l’affaire Lapointe, la fonctionnaire avait un revenu familial entre [chiffres caviardés] par an, ce qui rend le trop-payé de 5 956,44 $ brut sur six ans (environ 992 $ par an) négligeable sur le plan financier.

Dans l’affaire Prosper, la Commission a constaté qu’il y avait des éléments de preuve évidents étayant que le fonctionnaire s’estimant lésé n’aurait pas pris les mêmes engagements financiers s’il avait été rémunéré selon un salaire correct. Dans le présent cas, outre une simple déclaration, la fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve clair et convaincant démontrant qu’elle a pris des engagements financiers en se fiant précisément au trop-payé d’une façon qui lui était préjudiciable. L’achat de la voiture sport de luxe a été financé au nom de son époux, et un dépôt important a été versé. La roulotte Fleetwood a été entièrement payée au comptant. Elle n’a pas manqué à son obligation de rembourser son prêt investissement de 220 000 $ et elle a continué à effectuer ses paiements sans problème. La fonctionnaire a continué à épargner et à engager des dépenses discrétionnaires même après avoir été informée du trop-payé.

Dans l’affaire Murchison, le grief a également été accueilli sur le fondement de la préclusion. Dans ce cas, l’employeur a réclamé plus de 11 000 $ pour des crédits de congé annuel accordés par erreur pendant sept ans. L’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait causé des difficultés excessives à la fonctionnaire s’estimant lésée, et que la mesure de recouvrement était déraisonnable. Toutefois, les faits de l’affaire Murchison sont diamétralement opposés à ceux du présent cas, car celui-ci ne porte pas sur un trop-payé de crédits de congé annuel utilisés par la fonctionnaire en raison d’une promesse erronée. De plus, l’affaire Murchinson traitait de la notion de difficultés financières tandis que, dans le présent cas, il s’agit de la notion de confiance préjudiciable.

Par ailleurs, l’affaire NAPE ne portait pas sur un trop-payé de salaire, mais sur des soldes de congés négatifs erronés. En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé a pu prouver qu’il avait modifié sensiblement sa situation et qu’il y avait eu confiance préjudiciable. Toutefois, dans le présent cas, la fonctionnaire n’a pas planifié ses finances en fonction du trop-payé. Il convient de souligner que le trop-payé représentait un montant négligeable du revenu familial total de la fonctionnaire, qui s’élevait à près de [chiffre caviardé] par an, ce qui la classait parmi la catégorie rassemblant 1 % des personnes les mieux rémunérées à Red Deer, en Alberta, ou très près d’appartenir à cette catégorie. De plus, elle a maintenu sa souplesse financière, ses dépenses discrétionnaires et son épargne. Elle a pu continuer à investir et à respecter tous ses engagements financiers.

Dans la décision Canada Post, les faits sont bien différents. Cette affaire ne concernait pas un salaire versé en trop, mais plutôt l’approbation par erreur de crédits de congé auxquels la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas droit.

De plus, l’affaire Maracle portait sur le droit des assurances, sans rapport avec les trop-payés de salaire. Il s’agissait de la préclusion dans le contexte d’un assureur qui refusait de couvrir un assuré après lui avoir fait croire qu’il disposait d’une police d’assurance valide.

Enfin, dans l’affaire York University, l’employé a suffisamment modifié sa situation en se fiant aux déclarations ou engagements passés de l’employeur, et ses décisions financières ont été directement influencées par le comportement de l’employeur. En revanche, dans le présent cas, il n’y a aucune preuve indiquant que la fonctionnaire a pris des décisions financières qu’elle n’aurait pas prises si elle avait eu connaissance du trop-payé, ce qui distingue son cas de celui de l’affaire York University. En outre, la situation financière de la fonctionnaire et le montant du trop-payé diffèrent considérablement de ceux de l’affaire York University. Dans le cas qui nous occupe, la fonctionnaire a reçu un trop-payé d’environ 992 $ par an, soit un montant dérisoire par rapport au revenu de son ménage qui s’élève à [chiffre caviardé] par an. Les cours et les tribunaux ont toujours jugé que, pour que la préclusion s’applique, le préjudice financier doit être d’une certaine importance et constituer plus qu’un simple désagrément.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

C. Arguments en réplique de la fonctionnaire

[65] L’employeur renvoie au critère pour établir l’existence de la préclusion promissoire et soutient que le principe de la confiance préjudiciable exige que sa demande de remboursement soit déraisonnable ou inéquitable. L’agent négociateur de la fonctionnaire soutient qu’une telle exigence n’est pas requise dans le présent cas.

[66] La décision Paquet c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux - Bureau de la traduction), 2016 CRTEFP 30, qui cite la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Lamothe, 2008 CF 411, précise que l’iniquité doit être d’une certaine importance.

[67] La décision Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 57, au paragraphe 35, précise qu’il y a eu un délai de sept ans. Un délai de cinq ans est tout aussi injuste, étant donné que la fonctionnaire s’approchait de la fin de sa carrière. L’injustice réside dans la durée pendant laquelle le trop-payé s’est accumulé.

[68] L’employeur soutient que la déclaration de la fonctionnaire portant qu’elle aurait pris une décision différente ne permet pas d’établir l’existence d’un acte de confiance préjudiciable.

[69] La fonctionnaire a déclaré qu’elle avait demandé à obtenir des assurances sur son salaire lorsqu’elle prenait des décisions financières. C’était une considération pertinente à l’époque. Dès qu’elle a cessé d’être rémunérée au taux supérieur, elle a annulé son CER. La rémunération était une considération pertinente, comme ses actes à l’époque l’ont démontré.

[70] La voiture a été achetée au nom de son époux. Selon le témoignage de la fonctionnaire, le paiement de la voiture était prélevé sur le compte conjoint. Les modalités de financement n’étaient pas pertinentes.

[71] La fonctionnaire a pris un autre CER, en 2016, après le début du recouvrement. Il s’agissait à l’époque de considérations particulières.

[72] Quant à la créance désavantageuse, elle était d’une certaine importance.

[73] Dans la réplique au grief, l’employeur déclare que le trop-payé devait être recouvré à hauteur de 10 % du salaire de la fonctionnaire, et que, si elle souhaitait que le taux soit inférieur à 10 %, elle devait demander une exemption en raison de difficultés financières. Elle a été informée par lettre que, dans des circonstances exceptionnelles, un trop-payé peut être recouvré à un taux inférieur. La Direction générale de la rémunération ministérielle de l’employeur a abaissé le taux de recouvrement à 5 % de son salaire. Elle a dû démontrer qu’elle éprouvait des difficultés financières, puisqu’elle a obtenu le taux de recouvrement le plus bas.

VI. Analyse

[74] Dans le présent cas, les principes suivants ne sont pas contestés.

[75] L’employeur a le droit de recouvrer les trop-payés de salaire en vertu des dispositions de la LGFP (L.R.C. (1985), ch. F-11).

[76] La convention collective applicable ne limite pas la capacité de l’employeur à recouvrer les fonds versés en trop.

[77] La Commission est compétente pour appliquer les principes de la préclusion promissoire. Pour réussir à démontrer que la doctrine de la préclusion promissoire s’applique à la situation de la fonctionnaire, il fallait démontrer les éléments suivants (à partir des observations finales de la fonctionnaire) :

[Traduction]

[…]

a. l’employeur a promis de façon non équivoque à la fonctionnaire, par ses paroles ou ses actions, que son salaire et son taux de rémunération étaient corrects pendant la période où le trop-payé s’accumulait;

b. la fonctionnaire s’est fiée à cette promesse, ce qui lui a causé un effet préjudiciable.

[…]

 

[78] L’employeur admet que le premier volet du critère de la préclusion est satisfait, puisqu’il a été promis à la fonctionnaire qu’elle était rémunérée à un certain taux de rémunération, qui était erroné, pendant des années.

A. Question en litige

[79] La question est de savoir si l’allégation formulée par la fonctionnaire satisfait au deuxième volet du critère de la préclusion promissoire.

[80] La fonctionnaire soutient que son témoignage, combiné à l’ECF et au RCD, démontre qu’elle s’est fiée de manière préjudiciable aux assurances données par l’employeur quant à l’exactitude de son salaire.

[81] L’employeur soutient que les éléments de preuve établissent sans équivoque qu’elle ne s’est pas fiée à l’assurance de manière préjudiciable et qu’elle ne s’est pas acquittée du lourd fardeau de preuve qui lui incombait pour invoquer la préclusion promissoire.

[82] La fonctionnaire fait valoir que la préclusion promissoire n’exige pas qu’elle démontre avoir éprouvé des difficultés financières. Elle doit plutôt démontrer qu’au moment de l’erreur, elle a agi d’une façon indiquant qu’elle s’est fiée à la parole de l’employeur. Elle s’appuie sur la décision de l’ancienne Commission dans l’affaire Murchison c. Conseil Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 93, qui contient le passage suivant au paragraphe 44 :

[44] […] Éprouver des difficultés financières n’équivaut pas à une créance désavantageuse. La créance désavantageuse existe au moment de l’erreur et découle du fait que le ou la fonctionnaire s’estimant lésé se fonde sur la déclaration ou sur l’erreur de l’employeur et contracte une dette ou agit d’une façon indiquant qu’il ou elle s’est fié à la parole ou à l’erreur de l’employeur à son détriment […]

 

[83] La fonctionnaire soutient qu’il lui suffit de démontrer qu’elle a contracté une dette ou qu’elle a agi d’une façon indiquant qu’elle s’est fiée à la parole ou à l’erreur de l’employeur, et qu’elle en a subi un effet préjudiciable.

[84] L’employeur soutient qu’il ne suffit pas de se fier à sa parole ou à son erreur; il doit y avoir des éléments de preuve précis qui démontrent un préjudice ou une modification de situation d’une gravité telle qu’il serait inéquitable d’exiger qu’elle restitue intégralement le trop-payé.

[85] J’ai examiné attentivement les sources juridiques invoquées par les deux parties. Dans sa décision Doucet c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 81, la Commission a examiné plusieurs de ces sources juridiques, a cerné les intérêts sous-jacents et a énoncé les éléments essentiels de la confiance préjudiciable qui, pour les motifs énoncés dans cette décision, me semblent convaincants.

[86] Au paragraphe 31, la Commission a cité les paragraphes 44 et 51 de la décision Murchison, qui traitaient de la question de la confiance préjudiciable (ou de la créance désavantageuse) de la façon suivante :

[44] Dans les cas de trop-payé, la jurisprudence de la Commission veut que la charge de prouver la créance désavantageuse incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés. Le représentant de la fonctionnaire n’a jamais prouvé qu’il y ait eu créance désavantageuse de nature financière de sa part; il a plutôt allégué que rembourser le montant calculé causerait des difficultés financières à la fonctionnaire. Éprouver des difficultés financières n’équivaut pas à une créance désavantageuse. La créance désavantageuse existe au moment de l’erreur et découle du fait que le ou la fonctionnaire s’estimant lésé se fonde sur la déclaration ou sur l’erreur de l’employeur et contracte une dette ou agit d’une façon indiquant qu’il ou elle s’est fié à la parole ou à l’erreur de l’employeur à son détriment. Les difficultés financières découlent par contre de la découverte de l’erreur et de la demande de l’employeur qui s’ensuit de rembourser ce qui a été reçu à cause d’une erreur. Par conséquent, la doctrine de préclusion, telle qu’elle a typiquement été appliquée dans les cas d’argent payé en trop, ne peut pas être invoquée par la fonctionnaire comme fondement de son grief.

[…]

[51] Si j’ai tort sur ce qui précède, et si le paragraphe 155(3) de la LGFP s’applique en l’espèce, je suis convaincu que la fonctionnaire devrait avoir gain de cause quand même. Comme les deux parties l’ont souligné dans leurs arguments, la fonctionnaire doit prouver une créance désavantageuse. La jurisprudence analyse typiquement ce principe en analysant les obligations financières des fonctionnaires s’estimant lésés et en vérifiant si ces obligations ont été contractées sur la foi des calculs de la rémunération effectués par l’employeur. Toutefois, ces décisions portent sur des affaires classiques de paiement en trop de traitement et de salaire. En l’occurrence, la fonctionnaire s’est fait accorder trop de crédits de congé annuel. Dans son cas, on devrait donc analyser la question de la créance désavantageuse du point de vue des actions d’une fonctionnaire qui s’est enquise de ces crédits et qui a reçu de l’employeur des assurances qu’ils avaient bel et bien été correctement portés à son crédit. La fonctionnaire a pris des congés en se fondant sur son relevé de crédits de congé et, en ce sens, elle s’est fiée à son détriment aux assurances de son employeur. Je conclus qu’elle a prouvé une créance désavantageuse de sa part.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[87] Dans l’affaire Doucet, la Commission a fait un résumé de la jurisprudence et a ensuite déclaré qu’elle ne souscrivait pas à la conclusion tirée dans la décision Murchison en ce qui concerne l’application de la doctrine de la confiance préjudiciable, en ces mots :

[…]

[32] Ainsi, dans Murchison, la CRTFP a conclu qu’il était nécessaire d’établir qu’il y a eu confiance préjudiciable, ce qui a été fait dans ce cas selon la preuve. La CRTFP a déterminé que le fait que la fonctionnaire utilise ses congés parce que l’employeur lui avait dit que ses crédits de CA erronés étaient en fait exacts constituait bel et bien une confiance préjudiciable.

[33] Bien que les fonctionnaires en l’espèce se soient spécifiquement éloignés de l’argument relatif à la confiance préjudiciable, je mentionne toutefois qu’elle est survenue dans Murchison (au paragraphe 69), lorsque l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire avait sincèrement tenté d’indiquer à l’employeur qu’elle avait reçu une allocation excessive erronée de crédits de CA pendant plusieurs années, selon elle, pour une somme totale de 11 564,85$. L’arbitre de grief a ensuite conclu que « […] la créance désavantageuse est évidente du fait qu’elle a pris des congés auxquels elle était convaincue d’avoir droit ». L’avocat de la fonctionnaire a également relevé une conclusion semblable à celle rendue dans Murchison dans Prosper (au par. 70).

[34] Avec tout le respect que je dois, cette conclusion en est bel et bien une de confiance, mais je rejette la conclusion tirée dans Murchison, selon laquelle elle est essentiellement préjudiciable. Je n’y suis pas contraint et je ne puis souscrire à cet aspect des conclusions tirées par la CRTFP dans Murchison. Je ne suis pas d’accord qu’un employé qui a reçu à tort des crédits de CA non acquis puisse établir qu’il y a eu confiance préjudiciable simplement en utilisant les crédits non acquis. Je mettrai en application la pertinence de cette affaire aux faits en l’espèce plus loin dans la présente décision.

[35] Comme il a été indiqué, les affaires citées par les parties mentionnent aussi la directive suivante de la Cour fédérale :

[De Canada (Procureur général) c. Molbak, [1996] F.C.J. 892 (T.D.) (QL) :]

[…]

[Traduction]

1 Malgré l’habile argumentation présentée par l’avocat du requérant, j’ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée. En particulier, je ne peux accepter l’argument selon lequel l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre le grief et appliquer le principe de préclusion dans cette affaire. En vertu de l’alinéa 92(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 telle que modifié, un arbitre de grief a compétence en ce qui concerne « l’interprétation ou l’application, à [l’endroit de l’employé], d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ». Selon moi, la décision de l’employeur de recouvrer le [trop-payé] de salaire est directement attribuable de l’application erronée de la convention collective à la situation du demandeur. Par conséquent, l’arbitre de grief a compétence pour entendre le grief et pour appliquer le principe de la préclusion dans cette affaire. [Voir Menard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521, 527-528 (C.A.F.); Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (1995), 27 O.R. (3d) 135 (Ont. Div Ct.)].

2 L’avocat du demandeur a également soutenu que même si l’arbitre de grief avait compétence pour examiner le principe de préclusion, il a commis une erreur en l’appliquant en l’espèce, car [le] défendeur n’a pas établi sa confiance préjudiciable par rapport aux observations erronées de l’employeur d’une manière directement liée à sa relation d’emploi. Autrement dit, il a soutenu que l’arbitre de grief avait commis une erreur en concluant que la confiance préjudiciable du défendeur par rapport aux observations erronées liées à des questions touchant sa vie personnelle suffisait à satisfaire aux exigences du principe de préclusion. Je ne vois aucun fondement en droit à la restriction de l’application du principe de préclusion de la manière proposée par l’avocat du demandeur. L’avocat du demandeur a concédé en toute franchise qu’il n’avait trouvé aucune jurisprudence à l’appui de cet argument.

[…]

[De Dubé c. Canada (Procureur général), 2006 CF 796 :]

[…]

[45] La doctrine de préclusion promissoire a été énoncée dans l’arrêt Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 R.C.S. 50. À la page 57, le juge John Sopinka s’est prononcé de la façon suivante :

Les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse [la doctrine de préclusion promissoire] sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, sur la foi de celles-ci, il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position […]

[…]

[36] Dans John Burrows Ltd. v. Subsurface Surveys Ltd., [1968] S.C.R. 607, le juge Ritchie s’est exprimé comme suit à la page 615 :

[Traduction]

[…]

Il me semble évident que ce genre de défense d’équité ne peut être invoquée en l’absence d’une preuve qu’une des parties a mené des négociations qui ont eu pour effet d’amener l’autre à croire que les droits stricts prévus au contrat ne seraient pas appliqués, et je crois que cela suppose qu’il doit y avoir une preuve qui permet de conclure que la première partie avait l’intention que les rapports juridiques établis par le contrat soient modifiés en conséquence des négociations.

[…]

[37] Cet extrait a été cité avec l’approbation du juge McIntyre dans Engineered Homes Ltd. c. Mason, 1983 CanLII 142 (CSC), [à la page] 647. Le juge McIntyre a indiqué que la promesse devait être non ambiguë, mais que l’on pouvait conclure comme tel selon les circonstances. Dans Dubé, la Cour fédérale s’est exprimée ainsi :

[…]

[46] En somme, la jurisprudence établit qu’il ne peut exister une telle préclusion promissoire en l’absence d’une promesse, expresse ou implicite, dont les effets sont clairs et précis. Il est également établi que la doctrine de préclusion promissoire exige que la promesse ait mené celui qui a reçu cette promesse à agir autrement qu’il ou qu’elle l’aurait fait en d’autres circonstances : voir La Reine c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] 1 C.F. 1081 (C.A.F.), à la page 1085.

[47] Afin d’établir les exigences de la doctrine de préclusion promissoire, les demandeurs doivent faire preuve des éléments suivants :

(1) que le Ministère, par ses paroles ou sa conduite, a fait une promesse d’accorder une priorité aux demandeurs visant à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes; et

(2) en raison de cet engagement, que les demandeurs ont pris une mesure quelconque ou ont de quelque manière changé leur position.

Un prédécesseur de la Commission s’est aussi penché sur cette question dans Paquet, où il a conclu ainsi :

[…]

[42] Le principe de la préclusion est composé de deux volets. En premier lieu, une promesse doit avoir été faite, par le biais de paroles ou de conduite, à la fonctionnaire que l’employeur renonce à lui donner les crédits de congé annuel tel qu’il est prescrit par la convention collective; en deuxième lieu, sur la foi de cette promesse, la fonctionnaire doit avoir pris des congés sans savoir qu’elle n’y avait pas droit, ce qui lui cause maintenant un préjudice car elle doit les remettre.

[43] La Cour fédéral [sic] dans l’affaire Procureur général du Canada c. Yves Lamothe, 2008 CF 411 (CanLII), a indiqué ce qui suit en ce qui concerne la conduite ou la parole :

[…]

La conduite ou la promesse sur laquelle celui qui invoque la doctrine d’estoppel repose doit être « sans équivoque ». Par exemple, l’arbitre R.B. Blasina a dit ce qui suit dans Abitibi Consolidated Inc. et I.W.A. Canada, Local 1-424 (2000), 91 L.A.C. (4th) 21 :

[Traduction]

En d’autres mots, il y aura préclusion lorsqu’une personne ou une partie, de façon non équivoque et par la parole ou ses actions, fera une représentation ou une affirmation dans des circonstances où il serait injuste et inéquitable de ne pas se conformer par la suite à cette représentation ou affirmation. L’injustice ou l’iniquité doivent être d’une certaine importance. Le fait que la représentation ou l’affirmation aient été faites ou non en toute connaissance de cause, ou de façon active ou passive, importe peu. La représentation est perçue comme ayant le sens qui a raisonnablement été donné par la partie qui a soulevé la question de la préclusion.

[…]

[44] Dans leurs représentations, les deux parties m’ont aussi renvoyé à une de mes décisions, soit Prosper, dans laquelle on reprend, au paragraphe 28, les propos sur la préclusion contenus dans Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 2 :2211 :

Le concept de la préclusion équitable est solidement ancré en common law et a été énoncé comme suit :

Le principe, tel que je le conçois, veut que dans des circonstances où une des parties a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse à l’autre partie ou lui a donné une assurance dans l’intention d’affecter les rapports juridiques entre les parties et qu’il y soit dûment donné suite, alors une fois que l’autre partie s’est fondée sur cet engagement et a agi en conséquence, la personne qui a fait la promesse ou donné l’assurance ne peut ensuite être justifiée de s’en remettre aux rapports juridiques existant auparavant comme si telle promesse ou assurance n’avait pas été faite, mais doit plutôt accepter les rapports juridiques liant les parties assorties de la condition que cette partie a elle-même proposée, bien qu’elle ne soit pas appuyée par quelque autre considération de nature juridique outre sa parole donnée.

Un arbitre a résumé cette doctrine comme suit :

Il appert que la doctrine à cet égard s’articule en deux volets. Il doit y avoir l’existence d’une conduite dans le cadre de laquelle les deux parties agissent ou les deux consentent, et dans laquelle la partie invoquant la préclusion a été amenée à croire que les droits stricts ne seraient pas exécutés. Il s’ensuit que la partie contre laquelle la préclusion est invoquée ne sera pas admise à exécuter ses droits de façon stricte si cela s’avérait inéquitable. Ainsi, il serait inéquitable pour une partie de tenir rigidement à l’exécution de ses droits lorsque la partie invoquant la préclusion est celle qui se serait fondée, à son détriment, sur l’engagement de cette autre partie.

Partant, les éléments essentiels de la préclusion sont : l’existence d’une représentation claire et sans équivoque, en particulier lorsque la représentation a été faite dans le contexte d’une négociation; la représentation peut avoir été faite en paroles ou en actes; ou, dans certaines circonstances, elle peut résulter du silence ou de l’acquiescement d’une partie; dont il est l’intention des parties que la partie qui en bénéficie est justifiée de se fonder sur cette représentation; bien que cette intention puisse s’inférer de ce qui peut raisonnablement avoir été compris par la partie; et que la partie a agi, ou n’a pas agi, en conséquence; et cela, a [sic] son détriment.

[…]

[45] Il appert donc de cet énoncé que l’existence d’une représentation doit être claire et non équivoque. Comment peut-on donc prétendre que la soi-disant promesse de l’employeur était ici claire et non équivoque si les deux parties conviennent que jusqu’en avril 2012, l’employeur ne savait pas que l’octroi des crédits de congé annuel de la fonctionnaire n’était pas conforme à ce qui avait été négocié entre l’agent négociateur et l’employeur.

[46] À cet égard, je me dois de souligner que la période de temps pendant laquelle cette erreur a perduré ne devrait pas en soi être le seul élément qui porte à conclure que l’employeur a fait des représentations ou des promesses à la fonctionnaire. Encore faut-il à mon avis, démontrer dans la présente affaire que l’employeur s’il ne savait pas, ou a été négligent au point de ne pas voir ce qui était évident. Je ne crois pas que l’employeur savait qu’il y avait erreur dans le calcul des crédits de congé. Je retiens aussi que la fonctionnaire elle-même n’a jamais cherché à vérifier si elle avait droit à ces jours de congé en joignant la fonction publique fédérale. J’ajouterais aussi qu’il ne faut pas perdre de vue le fait que malgré l’erreur de l’employeur qui s’est échelonnée sur une période de 9 ans, soit de 2003 à 2012, la fonctionnaire a malgré tout bénéficié en raison de la prescription qui a empêché l’employeur d’aller récupérer au-delà des 6 ans, de 3 années de congés auquel elle n’avait pas droit selon la convention collective.

[47] Bien que la Commission a conclu, dans Lapointe que l’employeur a été négligent en prenant trop de temps pour réagir, la doctrine de la préclusion doit néanmoins être appliquée avec prudence. On ne saurait y avoir recours systématiquement pour remédier à ce qui apparaît injuste. Soulignons d’abord que dans Lapointe, l’employeur avait été informé par un autre employé de la possibilité d’une erreur dans le calcul des congés et n’a rien fait. Ce n’est pas le cas ici. J’ajouterais de plus qu’il ne suffit pas qu’une erreur ait perduré pendant un certain temps pour conclure qu’il y a eu promesse. Une telle conclusion, selon moi, dénature l’idée véritable derrière le principe de la préclusion, à savoir qu’une partie ne peut sciemment, par ses agissements, amener l’autre partie à croire qu’elle n’exercera pas un droit donné de façon à la tromper. La préclusion est en fait un principe qui empêche une partie qui, en toute connaissance de cause, donne à l’autre partie un sentiment de sécurité quant à une interprétation ou une pratique données mais qui exige par la suite, lorsque l’autre partie n’est plus en mesure de négocier, l’application correcte de cette clause ou pratique. La négligence d’une partie qui ne réagit pas une fois qu’elle est informée d’une erreur potentielle donnerait aussi selon moi ouverture à l’application du principe de la préclusion. Cette démonstration n’a pas été faite dans la présente affaire.

[48] Il faut dans un premier temps démontrer que la partie contre qui la préclusion est invoquée avait l’intention de renoncer à l’application stricte de ses droits. Cette preuve n’a pas été faite ici. Les parties ont convenu qu’une erreur de bonne foi est à l’origine du litige. Le représentant de la fonctionnaire m’a référé à la décision Murchison ou [sic] l’arbitre a fait droit au grief sur la base notamment du fait que la fonctionnaire avait à plusieurs reprises questionné l’employeur quant à ses droits par rapport à la question des congés annuels et aussi qu’il avait fallu dans ce contexte quelque 5 ans avant que l’employeur décide de récupérer le trop-payé. Dans cette affaire, l’employeur de par les questionnements de Mme Murchison, a été confronté dès le début avec la question du nombre de congé annuel auquel cette dernière avait droit. Après vérification, l’employeur a maintenu la fonctionnaire sous une fausse impression. La présente affaire se distingue à mon avis de la décision Murchison. D’une part, la question de l’application de la préclusion n’a pas été soulevée dans la décision Murchison. D’autre part, dans la présente affaire, contrairement à Murchison, où la fonctionnaire a fait des demandes quant à ses droits par rapport aux congés annuels et où l’employeur l’a réconforté[e] dans son erreur. Ici, la fonctionnaire n’a jamais cherché à connaître le nombre de jours de congé annuel auxquels elle avait droit lors de son embauche chez l’employeur.

[…]

[38] Après avoir lu ces décisions, je souscris à l’argument présenté par l’avocat de l’employeur selon lequel il ne suffisait pas aux fonctionnaires de montrer qu’une erreur avait été commise dans l’octroi des crédits de CA à leur égard et qu’ils s’y étaient fiés en toute innocence; ils devaient plutôt établir que cette confiance leur avait causé un certain préjudice, et que ce préjudice ou résultats injuste devait avoir une certaine importance.

[39] Je souscris à la conclusion de l’arbitre Gobeil, qui a déterminé ce qui suit dans Paquet « […] la doctrine de la préclusion doit néanmoins être appliquée avec prudence. On ne saurait y avoir recours systématiquement pour remédier à ce qui apparaît injuste » (au paragraphe 47).

[40] Dans Paquet on indique aussi (au paragraphe 43) que la Cour fédérale a aussi rendu une décision semblable dans Canada (Procureur général du Canada c. Yves Lamothe, 2008 CF 411, et dans 2009 C.A.F. 2, où l’appel avait été rejeté :

[…]

En d’autres mots, il y aura préclusion lorsqu’une personne ou une partie, de façon non équivoque et par la parole ou ses actions, fera une représentation ou une affirmation dans des circonstances où il serait injuste et inéquitable de ne pas se conformer par la suite à cette représentation ou affirmation. L’injustice ou l’iniquité doivent être d’une certaine importance […]

[41] J’ai examiné toutes les affaires présentées sur ce point. Dans ma réflexion sur les extraits de ces décisions que j’ai reproduits en l’espèce, je prends particulièrement note de la directive de la Cour fédérale dans Molbak, car elle est liée à l’affaire en l’espèce, laquelle porte essentiellement sur la mise en application adéquate des conventions collectives pertinentes.

[42] Je prends aussi particulièrement en note la décision de la Cour fédérale dans Lamothe (citée dans Paquet), car elle définit la question dont je suis saisie comme une situation dont les circonstances présentent plus qu’une simple injustice qui mérite l’intervention de la Commission afin d’accorder réparation.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[88] J’adopte les conclusions de la Commission telles qu’elles sont énoncées dans la décision Doucet.

[89] Il ne suffit pas à un fonctionnaire s’estimant lésé de démontrer qu’une erreur a été commise lorsque l’avantage a été accordé et qu’il s’y est fié en toute innocence; il doit plutôt démontrer que cette confiance lui a causé un certain préjudice, et que ce préjudice ou le résultat injuste a une certaine importance. La doctrine de la préclusion doit être appliquée avec prudence. On ne saurait y avoir recours systématiquement pour remédier à tout ce qui apparaît injuste. Il convient de répéter l’extrait suivant de la décision Doucet :

[…]

[40] Dans Paquet on indique aussi (au paragraphe 43) que la Cour fédérale a aussi rendu une décision semblable dans Procureur général du Canada c. Yves Lamothe,2008 CF 411, et dans 2009 C.A.F. 2, où l’appel avait été rejeté :

[…]

En d’autres mots, il y aura préclusion lorsqu’une personne ou une partie, de façon non équivoque et par la parole ou ses actions, fera une représentation ou une affirmation dans des circonstances où il serait injuste et inéquitable de ne pas se conformer par la suite à cette représentation ou affirmation. L’injustice ou l’iniquité doivent être d’une certaine importance […]

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[90] Ainsi, le simple fait de se fier à une erreur n’est pas suffisant pour que la préclusion promissoire soit établie; la fonctionnaire doit démontrer que cette confiance lui a causé un préjudice, et ce préjudice doit avoir une certaine importance.

A. Application des principes pertinents aux faits du présent cas

[91] La fonctionnaire s’est appuyée sur les deux achats susmentionnés et l’investissement pour établir la préclusion promissoire et la confiance préjudiciable.

1. Achat d’une nouvelle voiture

[92] Selon le paragraphe 5 de l’ECF, le 5 mai 2010, l’époux de la fonctionnaire a signé le contrat d’achat d’une valeur de 59 938,35 $ pour la nouvelle voiture. Un acompte de 32 000 $ a été versé. La fonctionnaire a déclaré que son époux disposait de cette somme grâce à une prime qu’il avait reçue cette année-là.

[93] Par la suite, les versements mensuels s’élevaient à 799,01 $ pendant 36 mois et étaient prélevés sur le compte bancaire conjoint de la fonctionnaire et de son époux. La voiture a été entièrement remboursée en 2013, soit deux ans avant qu’il ne soit constaté qu’elle avait reçu un trop-payé. Son revenu brut cumulé pour l’année 2010 s’élevait à 53 262,59 $, et celui de son époux était substantiel. À mon avis, le revenu des deux époux est pertinent, puisque les paiements mensuels liés au financement étaient prélevés sur leur compte bancaire conjoint.

[94] Aucun élément de preuve n’indique que la fonctionnaire ou son époux ont manqué à une obligation financière quelconque ou qu’ils n’ont pas été en mesure d’assumer d’autres dépenses ou obligations en raison de cet achat.

[95] Compte tenu de ces faits, je ne peux conclure à l’existence d’éléments de preuve démontrant que la fonctionnaire s’est fiée au trop-payé reçu de l’employeur pour l’achat de la voiture et qu’elle en a subi un préjudice.

2. Achat de la roulotte et prêt investissement

[96] Selon le paragraphe 7 de l’ECF, le 13 janvier 2011, l’époux de la fonctionnaire a signé le contrat d’achat d’une valeur de 11 975 $ pour la roulotte. Elle a été payée en totalité au moment de l’achat à même le compte bancaire conjoint des époux.

[97] La fonctionnaire a confirmé dans son témoignage qu’à ce moment-là, le solde de leur compte bancaire conjoint dépassait 11 975 $. Elle a également confirmé que cet achat avait été payé intégralement quatre ans avant qu’elle ne soit informée de l’existence du trop-payé de salaire en 2015.

[98] La fonctionnaire a confirmé que le revenu brut de son époux pour 2011, l’année où ils ont acheté la roulotte, était substantiel, et que le sien était de 68 575,78 $.

[99] Selon le paragraphe 10 de l’ECF, la fonctionnaire et son époux ont obtenu l’approbation d’un prêt investissement de 220 000 $, qu’ils devaient rembourser au moyen de paiements mensuels préautorisés de 687,50 $, à partir du 18 juillet 2013. Elle a précisé que le prêt devait être géré par une société d’investissement. Elle a reconnu que le prêt avait été contracté dans la perspective de réaliser des gains et qu’il s’agissait d’un prêt à long terme. On lui a demandé s’ils avaient effectivement retiré des gains. Elle a répondu qu’elle pensait qu’ils avaient finalement remboursé le prêt au bout de cinq ans.

[100] En ce qui concerne les deux achats et le prêt, je ne suis pas convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, la fonctionnaire se soit acquittée de son fardeau de prouver qu’elle s’était fiée au trop-payé pour s’acquitter de ses obligations et qu’elle en avait subi un préjudice. Aucun élément de preuve n’indique qu’elle a manqué à ses obligations financières ni qu’elle n’était pas en mesure d’assumer ses autres dépenses. La voiture était entièrement payée en 2013, soit deux ans avant qu’elle ne soit informée du trop-payé. La roulotte a été entièrement payée au comptant à l’achat, soit quatre ans avant que le trop-payé ne soit constaté. Les éléments de preuve ne permettent pas de savoir si la fonctionnaire a tiré profit du prêt investissement. Quoi qu’il en soit, rien n’indique qu’elle et son époux aient manqué à leurs obligations de paiement, même après la correction du trop-payé.

3. Congé avec étalement du revenu de 2015 de la fonctionnaire

[101] Dans l’affaire Murchison, au paragraphe 44, l’ancienne Commission a établi une distinction entre les difficultés financières et la créance désavantageuse. Celle-ci existe au moment de l’erreur et découle du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé se fonde sur la déclaration ou l’erreur de l’employeur et contracte une dette ou agit d’une façon indiquant qu’il s’est fié à la parole ou à l’erreur de l’employeur à son détriment.

[102] Les difficultés financières découlent de la découverte de l’erreur et de la demande de l’employeur qui s’ensuit de rembourser ce qui a été versé à cause d’une erreur.

[103] À mon avis, compte tenu des faits, la question porte davantage sur les difficultés financières que sur la créance désavantageuse.

[104] Après la découverte du trop-payé, la fonctionnaire a annulé son CER pour 2015.

[105] Les faits pertinents sont les suivants.

[106] La fonctionnaire a été interrogée sur les CER qu’elle a pris chaque été de 2008 à 2014. Son époux était absent. Elle a profité de ce temps pour effectuer des tâches qu’elle avait à faire. Sa mère souffrait d’une maladie et elles passaient du temps ensemble. Comme elle était fille unique, sa mère comptait sur elle. C’était l’occasion de passer plus de temps ensemble à faire des activités, comme du jardinage. Elle aidait sa mère financièrement dans une certaine mesure. Elle aimait ces moments; elle pouvait ainsi prendre des vacances. Elle et son époux pouvaient se le permettre. Il s’agissait de moments salutaires pour sa famille dont elle se réjouissait chaque année.

[107] Le 22 avril 2015, la fonctionnaire a présenté une demande de CER pour l’été 2015.

[108] Le 11 mai 2015 (comme il est indiqué au paragraphe 11 de l’ECF), la fonctionnaire a été informée qu’une erreur s’était produite dans le calcul de son salaire depuis le 1er avril 2009, ce qui avait entraîné un trop-payé brut de 9 552,62 $. Elle a été informée qu’en raison de cette erreur, son salaire serait corrigé, et elle s’est vu proposer un plan de remboursement à hauteur de 10 % de son salaire, ou la possibilité de demander un taux de remboursement inférieur auprès de l’administration centrale, en fournissant des pièces justificatives à l’appui. Selon le paragraphe 14 de l’ECF, le 21 mai 2015, elle a été informée que le montant de son trop-payé avait été révisé et réduit à 5 956,44 $.

[109] Le 17 juin 2015, la fonctionnaire s’est adressée par courriel à la Direction générale de la rémunération du SCC pour faire annuler sa demande de CER pour 2015. Elle a déclaré avoir écrit à sa superviseure pour l’informer qu’elle souhaitait annuler son congé, environ un mois après avoir été informée du trop-payé. Elle était déçue de devoir annuler son congé et de ne pas pouvoir passer de temps avec sa mère.

[110] Selon le paragraphe 26 de l’ECF, le 15 juillet 2015, l’employeur a accepté de rajuster les modalités de paiement de la fonctionnaire pour le recouvrement du trop-payé à un taux équivalant à 5 % de son salaire annuel, soit 111,08 $ aux deux semaines.

[111] La fonctionnaire a de nouveau pris un CER en 2016, mais n’en a pas pris d’autres par la suite. On lui a demandé si elle aurait quand même pris ce congé, si elle avait su qu’elle accumulait le trop-payé. Elle a répondu qu’elle l’aurait peut-être pris une année sur deux. Elle aurait peut-être pris une décision différente.

[112] La fonctionnaire a été interrogée sur la façon dont elle faisait son budget. Elle a répondu qu’elle utilisait le calculateur en ligne du Conseil du Trésor, un outil conçu pour les CER. Elle assurait le suivi de ses finances personnelles afin de déterminer si elle pouvait se permettre de prendre ce congé.

[113] Elle a également confirmé qu’en 2015, l’année où elle a été informée du trop-payé, son revenu brut s’élevait à 58 145,21 $ et celui de son époux était substantiel. Elle a aussi confirmé qu’en 2016, l’année où elle a remboursé le trop-payé, son revenu brut s’élevait à 60 456,99 $ et celui de son époux était substantiel.

[114] Il a été souligné que le coût du CER chaque été était supérieur au coût du remboursement du trop-payé. La fonctionnaire a dit qu’elle n’avait pas calculé ce montant. Elle a confirmé qu’elle avait pris ce congé en 2016 et qu’elle pouvait se le permettre. Elle a déclaré qu’elle l’avait payé avec ses économies.

[115] La décision Murchison énonce le principe selon lequel la créance désavantageuse existe au moment de l’erreur, et non au moment de sa découverte. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que l’annulation du CER par la fonctionnaire en 2015, surtout compte tenu de sa situation financière globale et de l’absence de preuve substantielle de préjudice, ait permis de satisfaire au fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’un acte de confiance préjudiciable selon la prépondérance des probabilités.

[116] Je ne suis pas non plus convaincu que la fonctionnaire se soit acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de difficultés excessives en lien avec l’annulation de son CER. Selon les éléments de preuve, l’employeur a réduit le capital du trop-payé et, à la suite de la demande de la plaignante, qui invoquait des difficultés excessives, il a rajusté les modalités de remboursement à un montant équivalant à 5 % de son salaire annuel, soit 111,08 $ toutes les deux semaines. Encore une fois, compte tenu de sa situation financière globale, l’existence de difficultés financières n’a pas été établie dans le présent cas.

[117] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[118] Le grief est rejeté.

Le 24 septembre 2025.

Traduction de la CRTESPF

David Olsen,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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