Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La plaignante a présenté deux plaintes, alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le cadre de deux processus de nomination dans l’application du principe du mérite et le choix du processus. La première concernait la nomination intérimaire de la personne nommée à un poste de cadre supérieur/conseiller (social) au groupe et au niveau EC-08, et la deuxième concernait la nomination de la même personne nommée pour une période indéterminée à titre de promotion au même poste. Les parties ont fourni à la Commission un énoncé conjoint des faits dans lequel elles ont admis que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans les deux processus de nomination, et elles ont demandé à la Commission de révoquer la nomination pour une période indéterminée. En tant que gestionnaire entièrement bilingue inuite et innue, la plaignante a allégué qu’elle avait été injustement négligée pour des nominations, alors que la personne nommée avait profité à maintes reprises de nominations non annoncées à des niveaux supérieurs, même si elle ne satisfaisait pas aux exigences bilingues du poste. Elle a soutenu que les actions de l’employeur contrevenaient à la Politique de nomination de la Commission de la fonction publique (CFP), au Décret d’exemption concernant les langues officielles dans la fonction publique, et à la Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes du Conseil du Trésor. Elle a également allégué qu’elle avait été victime de discrimination fondée sur la race. L’intimé a admis qu’il avait abusé de son pouvoir dans les deux processus de nomination et que la discrimination avait été un facteur dans le fait de ne pas avoir pris en considération la plaignante. Il a mal appliqué l’article 15 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334) lorsqu’il a exempté le poste des exigences en matière de langues officielles, et il n’a pas justifié l’utilisation d'un processus non annoncé. La Commission a conclu que les critères de mérite relatifs aux compétences linguistiques n’avaient pas été respectés, que le choix d’un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir et que la race de la plaignante était un facteur qui l’avait exclue de la considération. La Commission a ordonné la révocation de la nomination pour une période indéterminée. L'intimé avait déjà révoqué la nomination intérimaire. La Commission a également fait des recommandations à la CFP. Aucune mesure corrective supplémentaire n'a été imposée car les parties sont parvenues à une entente confidentielle. La Commission a également émis une ordonnance de mise sous scellés afin de protéger les conditions de l’entente.
Plaintes accueillies.
Contenu de la décision
Date: 20251028
Dossiers: 771‑02‑49081 et 50130
Référence: 2025 CRTESPF 141
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relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et |
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Entre
Olivia Letemplier
plaignante
et
Sous‑ministre du ministère des Services aux Autochtones
Répertorié
Letemplier c. Sous‑ministre du ministère des Services aux Autochtones
Devant : Caroline Engmann, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Elle‑même
Pour l’intimé : Patrick Turcot, avocat
Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale
Affaire entendue par vidéoconférence
(Traduction de la CRTESFP)
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Plaintes devant la Commission
[1] Olivia Letemplier (la « plaignante ») a déposé deux plaintes auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») alléguant que l’administrateur général de Services aux Autochtones Canada (SAC ou l’« intimé ») a abusé de son pouvoir dans deux processus de nomination liés à Paul Asselin (la « personne nommée »).
[2] Elle a présenté la première plainte le 15 février 2024 contre le processus de nomination numéro 23‑DIS‑NCR‑INA‑604187, qui était un avis de la nomination intérimaire de la personne nommée au poste de gestionnaire / conseiller principal (social) – A au groupe et au niveau EC‑08 à compter du 23 octobre 2023.
[3] Elle a présenté la deuxième plainte le 27 juin 2024 contre le processus de nomination numéro 24‑DIS‑NCR‑INA‑625890, qui était un avis de la nomination promotionnelle pour une période indéterminée de la personne nommée au poste de gestionnaire / conseiller principal (social) – A au groupe et au niveau EC‑08.
[4] Dans les deux plaintes, elle allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir en violant les valeurs de diversité, d’équité, de langues officielles et le Code de valeurs et d’éthiques du secteur public. À l’audience, elle a déclaré que le présumé abus de pouvoir dans les deux plaintes était fondé sur des violations supposées de la Loi sur les langues officielles (L.R.C., (1985), ch. 31 (4e suppl.); LLO), de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; LCDP), de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (L.C. 1995, ch. 44) et du Code de valeurs et d’éthiques du secteur public. À l’exception des questions de discrimination, je n’ai pas à rendre une décision quant aux supposées violations de ces lois, aux fins des présentes plaintes.
[5] La Commission a regroupé les deux plaintes et elles ont été entendues ensemble.
[6] Dans la présente décision, la « Commission » fait référence à la Commission actuelle dans sa forme actuelle et à tous ses prédécesseurs. Le premier processus de nomination a été appelé la [traduction] « nomination intérimaire EC‑08 » et le deuxième processus de nomination a été appelé la [traduction] « nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08 ».
[7] L’intimé a admis qu’il a abusé de son pouvoir relativement aux deux processus de nomination.
[8] Les plaintes sont accueillies. Étant donné que l’intimé a déjà révoqué la nomination intérimaire EC‑08, la Commission ne rend aucune ordonnance particulière à son égard. En ce qui concerne sa nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08, la Commission ordonne qu’elle soit révoquée à compter de la date de la présente décision. Les parties ont convenu de mesures correctives supplémentaires pour les deux plaintes, et ce, de manière confidentielle. La Commission a également formulé des recommandations particulières à l’intention de la Commission de la fonction publique (CFP) concernant le choix de processus.
II. Résumé des allégations
[9] La plaignante a allégué que l’intimé a favorisé la personne nommée en lui donnant plusieurs possibilités d’agir à titre intérimaire à des niveaux supérieurs dans le cadre de processus non annoncés, sans demander de déclarations d’intérêt d’autres candidats possibles dans le lieu de travail.
[10] Elle a allégué que la personne nommée a bénéficié d’un favoritisme répété et que l’intimé a violé continuellement les valeurs fondamentales de la fonction publique, comme la transparence, l’équité, l’accessibilité, la responsabilité et les exigences en matière de langues officielles.
[11] L’intimé a fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante sur le fondement de sa race.
[12] L’intimé n’avait aucune intention de corriger les abus de pouvoir continus dans le cadre des mesures de dotation concernant la personne nommée, comme en témoigne la coordination des échéanciers entre la fin de la nomination intérimaire EC‑08 et le début de la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08.
[13] En tant que réparation, la plaignante demande que la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08 soit révoquée et qu’un processus annoncé soit mené. Elle demande également qu’un plan soit mis en œuvre pour éviter de telles mesures à l’avenir et qu’une enquête soit tenue sur les actes du gestionnaire d’embauche.
III. Le processus d’audience
[14] L’article 97 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) permet à la Commission, en tout état de cause, d’offrir aux parties des services de médiation en vue de régler une plainte. Le commissaire affecté procède à la médiation de l’ensemble ou de parties d’une plainte et il peut poursuivre l’audience sur toute autre question non réglée. Le premier jour d’audience, la Commission a proposé de recourir à la médiation pour régler l’ensemble ou des parties des plaintes. L’audience s’est déroulée en fonction de ce principe et les parties ont convenu de procéder à la médiation peu après le début de l’audience. La médiation n’a entraîné le retrait d’aucune question en litige, mais une copie d’un exposé conjoint des faits a été fournie à la Commission et les parties ont poursuivi l’audience.
IV. Résumé de la preuve
[15] Chaque partie a déposé un recueil de documents qui, dans les deux cas, a été conservé en tant que pièce. Des documents supplémentaires ont été déposés en preuve. Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits que j’ai reproduit presque mot pour mot dans la présente décision. La plaignante a témoigné pour son propre compte. L’intimé n’a cité aucun témoin à témoigner.
[16] La CFP n’a pas assisté à l’audience, mais elle a présenté ses arguments écrits habituels concernant ses politiques et ses lignes directrices applicables. Elle n’a adopté aucune position concernant le bien‑fondé des plaintes.
A. Exposé conjoint des faits
[17] Le 23 octobre 2023, l’intimé a nommé la personne nommée à la nomination intérimaire EC‑08 pour une période de quatre mois moins un jour. Par la suite, le 6 février 2024, il a prolongé cette nomination intérimaire au moyen d’un processus de nomination non annoncé. Puisque la personne nommée ne satisfaisait pas au profil linguistique du poste, l’intimé a appliqué une exemption en vertu de l’article 15 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005‑334; REFP), qui prévoit ce qui suit :
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[18] Après que l’« Avis de nomination intérimaire » a été délivré, la plaignante a exercé son droit et a présenté une plainte en matière de dotation en vertu de l’article 77(1) de la LEFP, alléguant que l’intimé a abusé de son pouvoir pour les motifs suivants :
1) invoquer les exemptions que prévoit la LLO pour doter le poste bilingue impératif même si elle était qualifiée et entièrement bilingue;
2) sélectionner un processus non annoncé et citer un besoin immédiat de gérer un dossier complexe imprévu sans les ressources projetées, malgré le fait que l’intimé ait été en possession du dossier depuis plus de deux ans;
3) discriminer contre la plaignante en déclarant que son horaire de travail mobile avait été un facteur pour ne pas l’avoir pris en considération pour le poste;
4) favoriser la personne nommée, étant donné les nominations intérimaires non annoncées multiples effectuées sans demander de déclarations d’intérêt dont il avait bénéficié au cours des deux années précédentes.
[19] Le 29 avril 2024, l’intimé a confirmé que l’exemption prévue à l’article 15(1) du REFP n’a pas été appliquée correctement et qu’il mettrait fin à la nomination intérimaire. Il a admis que la personne nommée avait acquis l’expertise requise lorsqu’il avait occupé par intérim un poste au groupe et au niveau EX‑01 dans le cadre d’une nomination non annoncée qui a pris fin le 20 octobre 2023.
[20] La plaignante a été informée qu’elle n’avait pas été prise en considération pour le poste intérimaire au groupe et au niveau EC‑08.
[21] Le 28 mai 2024, l’intimé a confirmé qu’il avait informé la personne nommée qu’il serait mis fin à la nomination intérimaire à compter du 5 juin 2024.
[22] L’intimé a publié une « notification de candidature retenue » accordant à la personne nommée la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08 comportant un profil linguistique de bilingue non impératif BBB, et ce, à compter du 3 juin 2024. Un avis de nomination a été publié le 12 juin 2024.
[23] La plaignante a exercé son droit de présenter une plainte en matière de dotation en vertu de l’article 77(1) de la LEFP. Dans sa deuxième plainte, elle a allégué que l’intimé a abusé de son pouvoir comme suit :
1) En choisissant un processus non annoncé. Plus particulièrement, elle a allégué que la décision de suivre ce processus contrevenait directement aux valeurs de diversité, d’équité en matière d’emploi et de langues officielles et au Code de valeurs et d’éthiques du secteur public. Elle a allégué en outre que l’intimé a continué de donner à la personne nommée, à maintes reprises, des nominations non annoncées à des niveaux supérieurs, même si elle n’est pas bilingue.
2) En agissant de manière discriminatoire sur le fondement de la race. La plaignante est une femme inuite entièrement bilingue et elle n’a pas été prise en considération aux fins du poste.
[24] Compte tenu de tout ce qui précède, les parties ont convenu que les actes de l’intimé équivalaient à un abus de pouvoir au sens de la LEFP et que la Commission devrait donc accueillir les deux plaintes.
[25] Les parties demandent conjointement à la Commission d’accueillir les plaintes, de révoquer la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08 et de n’ordonner aucune autre mesure corrective, car elles ont réglé les questions au moyen d’une entente confidentielle.
B. Documents de politique
1. La Politique de nomination de la CFP
[26] La CFP a présenté sa Politique de nomination, qui s’applique aux processus de nomination sous‑jacents aux présentes plaintes. Elle exige que les administrateurs s’acquittent de leurs obligations ayant trait à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, à l’équité en matière d’emploi et aux langues officielles dans le cadre d’un processus de nomination.
[27] Lorsque l’administrateur général fait une nomination, la politique exige qu’il s’assure que la personne nommée proposée possède chacune des qualifications essentielles, y compris la compétence dans les langues officielles et toute qualification constituant un atout, et qu’elle répond à toute exigence opérationnelle ou tout besoin organisationnel appliqués dans le cadre du processus.
[28] L’administrateur général est également tenu d’effectuer une évaluation des méthodes d’évaluation et de la façon dont il cerne les préjugés et les obstacles qui désavantagent les personnes qui proviennent de groupe en quête d’équité et les efforts déployés pour éliminer les préjugés ou les obstacles ou en atténuer les effets, le cas échéant.
2. La Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes du Conseil du Trésor (la « Directive »)
[29] La Directive décrit les exigences liées à la détermination linguistique et à la dotation de postes bilingues et la participation égale des Canadiens francophones et anglophones dans les institutions fédérales. L’un de ses résultats prévus est de s’assurer que les postes bilingues sont dotés par des candidats qui satisfont aux exigences linguistiques du poste au moment de leur nomination, à moins qu’il n’existe des situations exceptionnelles de dotation. Un bassin de candidats possiblement restreint à cause de la nature hautement spécialisée des fonctions et des connaissances nécessaires pour le poste ou la possibilité qu’un nombre insuffisant de candidatures soit reçu pour le poste sont des exemples de « situations exceptionnelles de dotation ».
[30] Les gestionnaires qui dotent des postes bilingues non impératifs doivent fournir des motifs et une justification écrits et ils doivent expliquer les mesures prises pour s’assurer que les fonctions bilingues d’un poste sont exercées jusqu’à ce que le titulaire du poste satisfasse aux exigences linguistiques du poste.
3. Le Décret d’exemption concernant les langues officielles dans la fonction publique (TR/2005‑118; DELOFP)
[31] Le DELOFP a pour objet d’établir un équilibre approprié entre le fait de s’assurer que les personnes nommées satisfont aux exigences de compétence dans les langues officielles des postes bilingues et de favoriser l’accessibilité des Canadiens unilingues aux postes bilingues dans la fonction publique fédérale. Il énonce les trois circonstances suivantes dans lesquelles des exemptions sont accordées pour les personnes qui ne satisfont pas à la compétence linguistique d’un poste bilingue au moment de la nomination : 1) lorsque la personne nommée accepte de devenir bilingue dans un délai précisé; 2) lorsque la personne nommée est exclue pour des raisons d’ordre médical; et 3) lorsque la personne nommée est admissible à une pension immédiate.
[32] Lorsqu’une personne nommée accepte de devenir bilingue dans le délai précisé, l’administrateur général doit s’assurer qu’une formation linguistique appropriée lui est offerte afin qu’elle puisse atteindre la compétence requise. Si la personne n’atteint pas le niveau requis dans le délai précisé, l’administrateur général doit muter la personne ailleurs (voir l’article 16 du REFP).
C. Le témoignage de la plaignante
[33] La plaignante a décrit l’échéancier qu’elle a préparé aux fins de l’audience. Cet échéancier est conservé en tant que pièce. Elle est une Innu et Inuite descendante des peuples autochtones du Québec et du Labrador et descendante directe de l’Innu de Nitassian, qui est un territoire boréal ayant une vaste masse terrestre qui est appelé de manière coloniale comme la Basse-Côte‑Nord du Québec. Elle a décrit les valeurs autochtones qui sont couramment exprimées comme les sept enseignements ancestraux, qui sont l’amour, le respect, l’honnêteté, la sagesse, la vérité, l’humilité et le courage.
[34] Elle a expliqué que les enseignements ancestraux qui s’appliquaient le plus à ses expériences à SAC au cours des deux années et de demi précédant l’audience étaient la vérité, le respect, le courage et l’honnêteté. Il est important de dire la vérité et de faire part de ce qu’une personne a vécu et connu. Elle a dit la vérité tout au long du processus. Le respect est mutuel et réciproque et une personne doit accorder le respect pour recevoir un respect. Elle a également fait preuve d’honnêteté et de transparence tout au long du processus. Le courage est représenté par l’ours. Elle a éprouvé des difficultés à faire preuve de courage au cours de cette période parce qu’elle a dû faire face à ses adversaires en milieu de travail en faisant preuve d’intégrité, même lorsque les conséquences étaient des plus désagréables. Elle a persévéré et a agi avec le courage de l’ours.
[35] Elle est passionnée par les langues officielles et a un lien et un respect profonds relativement à la langue française. Elle est née dans une famille unilingue anglaise au Québec. Ses parents ont lutté vigoureusement pour l’inscrire dans une école française et elle a continué cette tradition avec ses enfants.
[36] Elle a présenté la personne nommée à SAC et elle relevait directement d’elle. Elle avait travaillé avec lui antérieurement dans un autre ministère et, au cours des années, elle l’a encouragé à investir dans sa deuxième langue en vue de faire progresser sa carrière. La personne nommée a été nommée à son poste d’attache au groupe et au niveau EC‑07 dans le cadre d’un processus de nomination annoncé à un poste anglais essentiel à SAC en mars 2022.
[37] Lorsque la personne nommée a été nommée initialement dans le cadre d’un processus non annoncé à un poste intérimaire au groupe et au niveau EX‑01 en octobre 2022, elle a été très déçue parce qu’au début de 2022, elle avait exprimé expressément un intérêt concernant les nominations intérimaires à la haute direction. Elle souhaitait acquérir l’expérience afin d’évaluer si la haute direction convenait à ses aspirations professionnelles, puisqu’elle avait été gestionnaire pendant une très longue période.
[38] Le 8 novembre 2022, elle a rencontré le sous‑ministre adjoint (SMA) et un autre gestionnaire principal et a exprimé des préoccupations concernant la nomination intérimaire EX‑01 de la personne nommée. Elle a indiqué que le processus de nomination manquait de transparence et d’accessibilité, était exclusif et insensible sur le plan culturel et manquait de diversité et d’équité. Elle a témoigné que le SMA avait fait preuve d’empathie et avait assumé la responsabilité de la façon dont la nomination avait été gérée. Il a présenté ses excuses et la plaignante estimait qu’il était sincère. Elle a témoigné que le SMA lui a assuré que cette approche ne serait plus adoptée.
[39] L’intimé s’est opposé à la mention de la nomination intérimaire de la personne nommée à un poste au groupe et au niveau EX‑01 pour des raisons de pertinence et a fait référence à la jurisprudence relative à la portée de la compétence de la Commission. La plaignante aurait pu exercer son droit de recours contre ce processus, mais elle ne l’a pas fait. Elle s’est opposée à l’objection et a expliqué qu’elle n’avait pas exercé le recours à ce moment‑là parce qu’elle croyait ce que le SMA avait dit quant au fait que cette approche ne serait plus adoptée.
[40] J’ai mis ma décision relative à l’objection en délibéré et j’ai autorisé la plaignante à poursuivre son récit.
[41] Ayant entendu la totalité du récit de la plaignante, je rejette l’objection de l’intimé. En premier lieu, je conclus que le renvoi au processus de nomination à un poste intérimaire au groupe et au niveau EX‑01 et sa discussion avec le SMA ont été présentés en tant que renseignements généraux pertinents et dans le contexte de ses motivations et de son récit. En deuxième lieu, les plaintes font référence à ce processus de nomination dans le cadre du fondement de l’allégation d’abus de pouvoir.
[42] Le 23 octobre 2023, la personne nommée a obtenu la nomination intérimaire EC‑08 sans aucune demande de déclaration d’intérêt. Il s’agissait d’un mandat de quatre mois moins un jour et, par conséquent, il n’y avait aucun droit de recours. Le 2 décembre 2023, la plaignante a écrit au sous‑ministre et à d’autres membres de la haute direction, soulignant que ce qui s’était passé l’année précédente concernant la nomination intérimaire de la personne nommée à un poste au groupe et au niveau EX‑01 s’était reproduit. Elle a déclaré ce qui suit :
[Traduction]
[…]
[…] J’ai été informée par [la personne nommée] que sa relation hiérarchique avait changé et qu’il relèverait dorénavant directement du [directeur principal] dans un poste au groupe et au niveau EC‑08 et qu’il avait déjà communiqué ces renseignements aux membres de son équipe. Selon ce que je comprends, la paperasse est en cours de traitement. Je ne suis pas au courant des modalités de cette promotion.
De manière presque identique à ce qui s’est produit l’année dernière, personne n’a communiqué avec moi (ni avec aucune autre personne, selon ce que je comprends) pour communiquer cette possibilité, son énoncé de critères de mérite ou d’autres paramètres.
Étant donné la nature des éléments particuliers de cette situation, je vous souligne une violation des valeurs et des normes d’éthique suivantes de la fonction publique :
1. Diversité et équité en matière d’emploi;
2. Langues officielles dans la fonction publique;
3. Valeurs fondamentales du respect des personnes et de l’intégrité dans le respect des normes d’éthique les plus élevées.
Je vous demande d’interrompre cette mesure de dotation en attendant une enquête […]
[…]
[43] Le 18 décembre 2023, l’intimé a lancé un processus de dotation pour doter plusieurs postes au groupe et au niveau EX‑01. L’annonce énonçait qu’il existait des besoins immédiats en matière de dotation dans les régions de l’Ouest et dans la région de la capitale nationale. La plaignante a postulé avec succès le processus et son nom a été placé dans un bassin de candidats évalués en partie.
[44] Le 9 janvier 2024, elle a rencontré l’ombudsman de SAC et un autre SMA en vue de répéter ses préoccupations concernant les pratiques de dotation exercées dans la direction générale. Elle leur a indiqué qu’elle était une gestionnaire chevronnée, hautement qualifiée, bilingue au niveau de compétence ECE et qu’elle était une femme inuite qui avait déjà exprimé un intérêt relatif aux possibilités de dotation à des niveaux supérieurs, mais qu’on avait toujours omis de la prendre en considération. Elle a témoigné que pendant la réunion, le SMA lui a demandé comment il pourrait l’aider relativement à sa carrière. Elle a communiqué que son objectif n’était pas pour elle‑même, mais plutôt qu’elle ne s’était jamais écartée de son affirmation selon laquelle les processus de dotation de la direction générale ne respectaient pas les valeurs fondamentales de la fonction publique et que les exigences en matière de langues officielles avaient été violées.
[45] Le 6 février 2024, l’intimé a affiché un avis de la nomination intérimaire de la personne nommée au poste de gestionnaire / conseiller principal (social) (EC‑08). Il a affirmé que la nomination entrait en vigueur le 23 octobre 2023. L’une des qualifications essentielles était le bilinguisme impératif au niveau BBB/BBB, que la personne nommée ne possédait pas. L’avis précisait qu’une exemption de la compétence dans les langues officielles s’appliquait à la nomination intérimaire EC‑08.
[46] Le 11 février 2024, elle a envoyé un courriel à l’ombudsman de SAC et au SMA réitérant ses préoccupations déjà communiquées lors de leur réunion du 9 janvier 2024. Elle a fait remarquer que la nomination intérimaire EC‑08 de la personne nommée a invoqué une exemption en application de l’article 15(1) du REFP parce que le poste ne pourrait pas être doté par un employé bilingue qualifié de la direction générale ou du secteur. Elle a demandé comment cela était possible, puisqu’il n’y avait eu aucune demande de déclaration d’intérêt. Elle a affirmé qu’elle possédait l’expérience, qu’elle était bilingue et qu’elle aurait pu être prise en considération. Elle a conclu son courriel comme suit :
[Traduction]
[…]
[…] il m’importe d’assurer le respect des valeurs et des normes d’éthique de notre fonction publique et, par conséquent, je ressens la nécessité continue d’être transparente et de communiquer clairement mes objectifs. Malheureusement, à ce jour, j’ai dû assumer le fardeau de demander des renseignements et de provoquer une discussion sur ces questions. Mon objectif ultime est de contribuer à la correction des approches adoptées dans le présent secteur afin de veiller à ce que les valeurs et les normes d’éthique fondamentales de la fonction publique ainsi que l’observation des langues officielles soient respectées. En tant que sous‑ministre adjoint, vous avez la capacité de réaliser cet objectif. Mes objections à l’égard des mesures de dotation particulières concernant [la personne nommée] appuient cet objectif.
[…]
[47] Selon les documents très caviardés qu’elle a obtenus dans le cadre d’une demande d’accès à l’information à la direction générale de l’intimé, elle a supposé que des discussions internes ont été tenues sur les risques associés au processus de nomination, surtout en ce qui concerne la qualification en langue seconde de la personne nommée et les exigences relatives à la LLO. Elle a témoigné que lorsqu’une personne supervise une équipe d’employés bilingues, elle doit être bilingue. Une chaîne de courriels caviardée a laissé entendre que le risque pourrait être géré parce qu’au moins trois personnes membres de l’équipe pouvaient offrir un service bilingue.
[48] Elle a présenté sa plainte contre la nomination intérimaire EC‑08 le 15 février 2024.
[49] Elle a reçu la réponse de l’intimé à sa plainte le 29 avril 2024. Dans celle‑ci, l’intimé a confirmé qu’il avait appliqué incorrectement l’exemption prévue par le REFP et que, par conséquent, il mettrait fin à la nomination intérimaire EC‑08.
[50] Contrairement à ce que l’intimé a déclaré dans sa réponse, il n’a pas fin à la nomination intérimaire EC‑08 avant un mois plus tard, à la suite des demandes de renseignements persistantes de la plaignante. Le 29 mai 2024, il l’a informé que la nomination prendrait fin le 5 juin 2024.
[51] Selon les documents qu’elle a reçus dans le cadre de sa demande d’accès à l’information, des discussions internes ont été tenues en vue d’accélérer la nomination promotionnelle pour une période indéterminée de la personne nommée afin qu’elle s’harmonise avec la fin de la nomination intérimaire. Dans un courriel interne daté du 12 mai 2024 entre le personnel de dotation et la direction, on a noté que le processus était devenu urgent parce que l’agent négociateur avait demandé la date à laquelle la nomination intérimaire prendrait fin.
[52] Le 28 mai 2024, l’intimé a affiché une notification de candidature retenue pour la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08 de la personne nommée au poste de gestionnaire / conseiller principal (social) (EC‑08). L’une des qualifications essentielles était le bilinguisme impératif au niveau BBB/BBB. Il semblerait, d’après l’organigramme pertinent, qu’il s’agissait d’un nouveau poste.
[53] La plaignante a rencontré le sous‑ministre le 2 juin 2024 pour exprimer ses préoccupations concernant les processus de dotation dans la direction générale, surtout le recours endémique aux processus non annoncés pour doter les postes de cadre.
[54] L’intimé a nommé la personne nommée et a affiché la notification le 12 juin 2024.
[55] La plaignante a déposé la deuxième plainte le 27 juin 2024. Elle y a allégué que l’intimé s’est livré à des mesures non éthiques, qu’il a notamment menti, qu’il a fait preuve d’un manque d’accessibilité, d’équité et de diversité et qu’il a omis d’appliquer les exigences en matière de langues officielles, et ce, depuis les 18 derniers mois. Elle a affirmé que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi des processus non annoncés pour doter les postes aux groupes et aux niveaux EC‑08 et EX‑01. Elle a également allégué qu’il a fait preuve de discrimination à son égard sur le fondement de sa race.
[56] La plaignante a mentionné que, dans sa réponse à la plainte, l’intimé a nié qu’il avait abusé de son pouvoir et il a expliqué que la personne nommée avait signé une entente en vue de devenir bilingue conformément au DELOFP.
V. Résumé de l’argumentation
A. Pour la plaignante
[57] La plaignante a réitéré ses préoccupations selon lesquelles les processus de nomination manquaient de transparence et d’accessibilité et que l’intimé avait violé les valeurs et les normes d’éthique fondamentales de la fonction publique.
[58] L’intimé n’a pas tenu compte des valeurs de diversité et d’inclusivité et la plaignante n’a pas été prise en considération, malgré ses qualifications et sa déclaration d’intérêt à faire progresser sa carrière. Contrairement à ce qui a été déclaré dans la formulation de la décision de sélection, elle a également postulé dans le cadre de processus. Le recours persistant de l’intimé aux processus non annoncés pour les nominations aux postes EC‑08 et EX‑01 entraîne des exclusions et contrevient aux principes d’accessibilité et de transparence.
[59] Elle a invoqué son échéancier et les documents figurant dans son recueil de documents.
B. Pour la CFP
[60] La CFP a présenté ses arguments écrits habituels sur sa Politique de nomination, ainsi que ses arguments particuliers sur les plaintes.
[61] Voici les résultats prévus de la Politique de nomination de la CFP :
[…]
· Un effectif non partisan et représentatif de toutes les régions du pays, bénéficiant de la diversité, de la dualité linguistique ainsi que des antécédents et des compétences variés des Canadiens;
· Des processus de nomination inclusifs, exempts de discrimination, et dans lesquels des efforts raisonnables ont été déployés pour éliminer les préjugés ou les obstacles, ou en atténuer les effets;
· Des processus de nomination menés de manière juste, transparente et de bonne foi;
· Les nominations de personnes hautement compétentes qui répondent aux besoins de l’organisation;
· La correction, en temps opportun, des erreurs et des omissions.
[…]
[62] Les administrateurs généraux et toute personne qui exercent les pouvoirs délégués de la CFP doivent se conformer à ses politiques. Si l’omission de se conformer aux politiques est problématique, cette non‑conformité ne constitue pas nécessairement un abus de pouvoir. La Commission doit considérer une telle violation comme un facteur lorsqu’elle détermine s’il y a eu abus de pouvoir dans un processus de nomination.
[63] Les qualifications essentielles des critères de mérite, y compris la compétence dans les langues officielles, pour un processus de nomination, ont trait au travail à accomplir et doivent satisfaire à toute norme de qualification établie par l’employeur ou la dépasser.
[64] L’administrateur peut avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.
[65] Toutes les nominations – internes ou externes – à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite, à l’exception des nominations intérimaires de moins de quatre mois et des nominations occasionnelles. L’administrateur général n’est pas tenu de prendre en considération plus d’une personne pour qu’une nomination soit fondée sur le mérite.
[66] La Politique de nomination de la CFP exige que les administrateurs généraux s’assurent que les personnes à nommer satisfont à chaque qualification essentielle, y compris la compétence dans les langues officielles, ainsi qu’à toute qualification constituant un atout et à toute exigence opérationnelle ou tout besoin organisationnel appliqués au processus de nomination.
[67] Le DELOFP précise trois circonstances dans lesquelles un candidat qui satisfait au niveau requis de compétence dans l’une des langues officielles peut être exempté de l’obligation de satisfaire aux exigences en matière de compétence dans les langues officielles dans sa langue officielle seconde. Il s’agit des circonstances suivantes : 1) lorsque le candidat accepte de devenir bilingue; 2) lorsque le candidat est exclu pour des raisons d’ordre médical; et 3) lorsque le candidat est admissible à une pension immédiate. L’exemption s’applique aux candidats qui satisfont au niveau de compétence requise pour le poste bilingue dans leur première langue officielle et qu’ils sont nommés dans le cadre d’une nomination bilingue non impérative.
[68] La CFP n’a adopté aucune thèse quant au bien‑fondé des plaintes et à la question de savoir si sa Politique de nomination a été violée.
C. Pour l’intimé
[69] Voici les décisions auxquelles l’intimé a fait référence : Agnaou c. Sous‑ministre de la Justice, 2012 TDFP 16; Canada (Procureur général) c. Cameron, 2012 CF 618; Brown c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2012 TDFP 17; Chung c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2024 CRTESPF 133; Clout c. Sous‑ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile; 2005 TDFP 22; Hutlet c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 73; Jalal c. Sous‑ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 38; Morris c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 9; Murray c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2009 TDFP 33; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (« O’Malley »); Portree c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2006 TDFP 14; Pugh c. Sous‑ministre de la Justice, 2012 TDFP 31; Robbins c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2006 TDFP 17; Tibbs c. Canada (Défense nationale), 2006 TDFP 8; et Visca c. Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 24.
[70] L’intimé a fait remarquer que la plaignante avait reçu au moins deux nominations à un poste intérimaire au groupe et au niveau EX‑01 après qu’elle eut déposé ses plaintes, pour un total de 20 jours du 4 au 8 mars 2024 et du 27 décembre 2024 au 10 janvier 2025.
[71] L’intimé a examiné la jurisprudence applicable. Il incombe à la plaignante d’établir qu’il y a eu abus de pouvoir (voir Tibbs, au par. 50). Le rôle de la Commission ne consiste pas à enquêter; son mandat ne consiste pas à entreprendre une mission de recherche de faits pour le compte de la plaignante (voir Portree, au par. 48).
[72] La définition d’« abus de pouvoir » prévue dans la LEFP n’est pas statique et le pouvoir discrétionnaire de l’intimé n’est pas absolu. La Commission doit prendre en considération l’ensemble de la LEFP lorsqu’elle détermine s’il y a eu abus de pouvoir. Une conclusion d’abus de pouvoir justifie l’intervention de la Commission.
[73] Pour les deux processus, l’intimé a reconnu que la personne nommée ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques des postes. Dans le premier processus, l’intimé a invoqué à tort l’exemption énoncée à l’article 15(1) du REFP. La plaignante est entièrement bilingue et aurait pu être prise en considération pour ce poste. L’intimé a admis qu’il a abusé de son pouvoir lorsqu’il a procédé au processus non annoncé et non impératif aux fins de la nomination promotionnelle pour une période indéterminée parce qu’elle aurait pu être prise en considération pour la nomination.
[74] Le pouvoir discrétionnaire de l’intimé de choisir un processus de nomination annoncé ou non annoncé n’est pas absolu et il peut être contesté dans le cadre d’une plainte en application de l’article 77(1)b) de la LEFP. Dans Clout, la Commission a conclu qu’un plaignant doit établir, selon la prépondérance des probabilités que la décision de choisir un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir (voir Clout, aux par. 31 à 34). En ce qui concerne ce point, l’intimé a également invoqué Hutlet, Jack et Robbins.
[75] En ce qui concerne la question de la discrimination, l’intimé a soutenu qu’il incombait à la plaignante d’établir une preuve prima facie, citant O’Malley de la Cour suprême du Canada, qui a expliqué qu’une « […] preuve prima facie […] est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (voir O’Malley, au par. 28).
[76] L’intimé a fait valoir qu’une croyance abstraite selon laquelle une personne a été victime de discrimination ne suffit pas et que la croyance doit être étayée par des faits (voir Agnaou, au par. 61). Il a également fait référence à Brown et à Jalal.
[77] Dans le présent cas, les parties ont convenu, dans le cadre de leur exposé conjoint des faits, que la discrimination aurait constitué un facteur dans la décision de la direction de ne pas prendre la plaignante en considération pour le poste en question.
[78] En ce qui concerne la réparation, l’intimé a fait référence à l’exposé conjoint des faits des parties dans lequel elles ont demandé que les plaintes soient accueillies et que la Commission révoque la nomination de la personne nommée au poste EC‑08 de durée indéterminée. Étant donné que les parties ont réglé les questions concernant les mesures correctives au moyen d’une entente confidentielle, la Commission ne devrait pas ordonner une autre mesure corrective.
VI. Motifs
[79] La plaignante allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir dans les processus de nomination à l’origine de ses plaintes. Elle a affirmé que l’intimé avait violé le principe du mérite parce que la personne nommée ne satisfaisait pas au niveau de compétence linguistique requis pour le poste. Elle a également allégué que l’intimé avait fait preuve de discrimination contre elle lorsqu’il ne l’a pas prise en considération pour les deux processus de nomination. Enfin, elle a affirmé que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus non annoncé pour favoriser particulièrement la personne nommée.
[80] En tant que mesure corrective, elle demande une révocation de la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08, une ordonnance selon laquelle l’intimé doit mener un nouveau processus de nomination annoncé et une ordonnance selon laquelle les actes du gestionnaire d’embauche doivent faire l’objet d’une enquête.
[81] J’aborderai chacune de ses allégations dans les paragraphes suivants. J’aborderai également la question relative à la réparation ainsi que la demande de l’intimé d’obtenir une ordonnance de confidentialité relativement à une offre de règlement qu’il a présentée à la plaignante avant le début de l’audience.
A. Application du mérite
[82] Conformément à l’article 30(1) de la LEFP, toutes les nominations – internes ou externes – à la fonction publique « […] sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique ».
[83] La signification de « mérite » dans la LEFP n’est pas statique; elle est plutôt fondée sur la satisfaction à certains critères. L’article 30(2) énonce ce qui suit :
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[84] Les besoins actuels et futurs de l’administration peuvent comprendre les besoins actuels et futurs de la fonction publique précisés par l’employeur et que l’administrateur général considère comme pertinents pour l’administration (voir la LEFP, à l’article 30(3)). La portée des « besoins actuels ou futurs » de la fonction publique en général peut être très vaste; par exemple, elle pourrait englober les initiatives de diversité et d’inclusion dans l’ensemble de la fonction publique.
[85] Je fais remarquer que le préambule de la LEFP affirme que le gouvernement du Canada « […] souscrit au principe d’une fonction publique inclusive qui reflète la diversité de la population canadienne [et] qui incarne la dualité linguistique [du Canada] […] » entre autres valeurs. Il précise également que le Canada continuera de profiter d’une fonction publique qui est représentative de sa diversité et qui est capable de servir la population avec intégrité et dans la langue officielle de son choix. Il déclare également que le gouvernement du Canada souscrit à des pratiques d’emploi équitables et transparentes, au respect de ses employés, à un dialogue efficace et à des mécanismes de recours destinés à résoudre les questions touchant les nominations.
[86] La compétence dans les langues officielles requise pour un poste constitue un critère de mérite pour un poste qui est désigné bilingue. L’exigence linguistique pour le poste intérimaire et le poste de durée indéterminée a été désignée bilingue. En ce qui concerne les nominations intérimaires, l’article 15 du REFP autorise une exemption limitée à ce critère de mérite si deux conditions sont remplies. En premier lieu, la nomination intérimaire doit être d’une durée de 4 mois ou plus mais d’au plus 12 mois. En deuxième lieu, l’administrateur général doit démontrer qu’il ne peut pas doter le poste par une personne qui possède la qualification de la compétence dans les langues officielles.
[87] La Commission a examiné les éléments de preuve et a accepté l’admission de l’intimé selon laquelle l’application de l’exemption en vertu de l’article 15(1) du REFP pour soustraire la personne nommée à l’exigence en matière de langues officielles pour la nomination intérimaire n’était pas appropriée.
[88] L’intimé ne s’est pas acquitté des exigences de l’article 15 du REFP, tel qu’il l’a reconnu, en ce qui concerne les processus de nomination EC‑08 et de nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08. Rien dans les éléments de preuve n’indiquait qu’il a cherché d’autres candidats qui satisfaisaient à l’exigence de compétence dans les langues officielles.
[89] L’intimé ne s’est pas conformé à la directive du Conseil du Trésor qui exige des motifs et une justification écrits de la dotation de postes bilingues de manière non impérative. Les gestionnaires doivent expliquer les mesures prises pour s’assurer que les fonctions bilingues d’un poste sont exercées jusqu’à ce que le titulaire du poste satisfasse aux exigences linguistiques du poste. L’intimé a fourni un document intitulé [traduction] « Justification de la dotation non impérative des postes bilingues » daté du 23 mai 2024. La section portant sur les instructions de ce document énonce clairement ce qui suit :
[Traduction]
[…]
La justification doit comprendre les réponses aux questions suivantes :
[…]
– Quelles sont les mesures administratives intérimaires mises en place pour s’assurer que les fonctions bilingues du poste à doter sont exécutées?
– Quelles mesures seront mises en place si l’employé ne satisfait pas au profil linguistique requis à la fin de la période de formation?
[90] Rien dans ce document ne répondait à ces deux questions. Cette omission est particulièrement flagrante, puisque la personne nommée devait suivre une formation linguistique pendant 32 semaines immédiatement après sa nomination.
[91] Rien dans les éléments de preuve n’indiquait que, lorsqu’il a fait la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08, l’intimé a tenu compte de son plan en matière de ressources humaines, de son plan et de ses cibles d’équité en matière d’emploi et de ses exigences et besoins opérationnels actuels ou futurs, tels qu’ils ont été précisés par l’administrateur général.
[92] Je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir au sens de l’article 77(1)a) de la LEFP lorsqu’il a fait la nomination intérimaire EC‑08 et la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08, car la personne nommée ne satisfaisait pas à une des qualifications de mérite du poste, notamment, son exigence de compétence linguistique.
B. Discrimination
[93] Afin de déterminer si une plainte déposée en application de l’article 77 est fondée, la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP, sauf ses dispositions portant le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes (voir l’article 80 de la LEFP). Pour l’application de la LCDP, la race est un motif de distinction illicite (voir l’article 3(1) de la LCDP). En ce qui concerne l’emploi, l’article 7 de la LCDP prévoit qu’il constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi.
[94] La plaignante a allégué que l’intimé avait fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur sa race lorsqu’il ne l’a pas prise en considération pour les nominations en litige dans les présentes plaintes. Elle est une Innu et Inuite descendante des peuples autochtones du Québec et du Labrador.
[95] Elle a également allégué que l’intimé avait fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur son horaire de travail mobile. Elle n’a fourni aucun renseignement ni aucun élément de preuve pour étayer cette allégation, donc je ne l’aborderai pas dans les présents motifs. Je fais simplement observer qu’un horaire de travail mobile ne constitue pas un motif illicite de distinction sous le régime de la LCDP (voir la LCDP, aux articles 3 et 7).
[96] Dans ses arguments et dans l’exposé conjoint des faits, l’intimé a admis que la discrimination aurait constitué un facteur dans la décision de la direction de ne pas prendre la plaignante en considération pour le poste en question.
[97] Malgré la thèse des parties concernant la question de discrimination, je dois évaluer la question de savoir si la plainte peut être fondée en fonction de la discrimination.
[98] Des modifications récentes apportées à la LEFP exigent que les administrateurs généraux procèdent à une évaluation afin d’établir si les méthodes d’évaluation comportent des préjugés et des obstacles qui désavantagent les personnes qui proviennent de tout groupe en quête d’équité et, le cas échéant, déploient des efforts raisonnables pour les éliminer ou atténuer leurs effets sur ces personnes (voir la LEFP, à l’article 36(2)). La portée d’une erreur, d’une omission ou d’une conduite irrégulière est élargie pour inclure l’erreur, l’omission ou la conduite irrégulière qui découle d’un préjugé ou d’un obstacle qui désavantage les personnes provenant de tout groupe en quête d’équité (voir la LEFP, à l’article 2(5)).
[99] Les lois ne contiennent pas toutes un préambule, mais si un préambule existe, il constitue une composante importante de la loi et il est utile dans l’interprétation de ses dispositions (voir Ruth Sullivan, The Construction of Statutes, 7e éd., chapitre 14).
[100] Je suis d’accord avec l’intimé pour dire que les dispositions de la LEFP doivent être lues dans leur ensemble. Pour ce faire, je dois tenir compte des valeurs et des objectifs adoptés dans le préambule, ainsi que des dispositions particulières de la loi.
[101] Pour que les dispositions modifiées de la LEFP concernant la diversité et l’inclusion aient une incidence, l’examen par la Commission des allégations d’abus de pouvoir doit être complet, étant donné l’octroi très vaste d’un pouvoir discrétionnaire aux administrateurs généraux en matière de dotation.
[102] De nombreux objectifs et valeurs inestimables entrent en jeu. L’échange de renseignements dans le processus de plainte et la divulgation de renseignements pertinents peuvent inclure davantage que les seuls documents figurant dans le dossier de dotation. Dans certains cas, les documents, comme le plan des ressources humaines du Ministère et ses objectifs relatifs à l’équité en matière d’emploi et à la diversité, doivent être vraisemblablement pertinents en lien avec les allégations concernant les questions individuelles et systémiques. Dans le présent cas, la plaignante a dû obtenir des documents dans le cadre du régime d’accès à l’information.
[103] Selon les renseignements que la plaignante a obtenus dans le cadre de sa demande d’accès à l’information, le Cadre de dotation de SAC comporte un module qui exige particulièrement que le recrutement des Autochtones soit intégré dans la conception des stratégies de dotation et dans toutes les décisions liées aux nominations. SAC s’engage également à favoriser un milieu inclusif pour maintenir en poste les talents autochtones. Rien dans les éléments de preuve n’indique que l’intimé a tenu compte de ces impératifs lorsqu’il a pris les deux décisions de nomination en litige dans les présentes plaintes.
[104] Le critère pour la discrimination comporte deux volets. En premier lieu, la plaignante doit établir une preuve prima facie de discrimination. Une fois qu’elle établit une preuve prima facie, le fardeau revient à l’intimé de justifier son comportement ou son action. S’il ne justifie pas son comportement ou son action en suivant le cadre d’exemptions permises par les lois sur les droits de la personne, il y aura une conclusion à l’existence d’une discrimination (voir Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33).
[105] Le seuil pour établir une preuve prima facie est faible. Dans O’Malley, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’une preuve prima facie « […] est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (voir O’Malley, au par. 28).
[106] Si l’on applique la première étape du critère énoncé dans Moore, la plaignante doit d’abord démontrer qu’elle possède une caractéristique protégée contre la discrimination, dans le présent cas, la race. En deuxième lieu, elle doit établir qu’elle a subi un effet préjudiciable, dans le présent cas, elle n’a pas été prise en considération pour les possibilités intérimaires à des niveaux supérieurs, malgré le fait qu’elle était qualifiée. En troisième lieu, elle doit démontrer que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans l’effet préjudiciable. Les parties s’entendent pour dire que la race de la plaignante aurait constitué un facteur pour ne pas avoir été prise en considération dans le cadre des deux processus de nomination.
[107] Les éléments de preuve étayent une conclusion de discrimination prima facie dans les deux processus de nomination.
[108] L’intimé n’a présenté aucun élément de preuve pour justifier son comportement dans les deux processus de nomination sous‑jacents : ni dans l’évaluation du mérite ni dans le choix du processus. Pour les deux, la personne nommée ne satisfaisait pas à l’exigence linguistique du poste, une qualification essentielle pour le travail à accomplir au sens de l’article 30 de la LEFP. Dans le premier processus de nomination, l’intimé a invoqué à tort l’article 15 du REFP pour exempter la personne nommée de la qualification de compétence linguistique du poste. L’intimé n’a pas démontré que personne ne satisfaisait à la compétence linguistique du poste. La plaignante satisfaisait aux qualifications, y compris la qualification de compétence linguistique, mais elle n’a pas été prise en considération.
[109] Même si l’intimé n’est pas tenu de considérer plus d’une personne pour une nomination en application de l’article 30(4) de la LEFP, il doit se conformer au principe du mérite. Dans le présent cas, il avait une obligation de prendre en considération d’autres employés en raison de sa décision d’appliquer l’exemption relative aux langues officielles.
[110] Il ne l’a pas fait dans les deux processus de nomination.
[111] Je suis convaincue, compte tenu des éléments de preuve, que la race de la plaignante a constitué un facteur dans la décision de l’intimé de ne pas la prendre en considération dans les processus de nomination en litige dans les plaintes devant la Commission.
[112] Je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination contre la plaignante dans les deux processus de nomination en raison de sa race.
C. Choix du processus
[113] Même si l’article 33 de la LEFP accorde à l’administrateur général un vaste pouvoir discrétionnaire pour utiliser un processus non annoncé, le pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu, et il doit être exercé conformément aux principes adoptés dans la LEFP, y compris la transparence, l’accessibilité et la responsabilité. Rien dans les éléments de preuve n’explique le choix d’un processus non annoncé pour ces nominations.
[114] La Politique de nomination actuelle de la CFP ne dit rien sur le choix du processus. Dans Morris, la Commission a fait référence aux Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la CFP, qui n’existent plus aujourd’hui. Ces lignes directrices établissaient un lien entre le choix du processus de nomination et le plan des ressources humaines de l’organisation et ses valeurs fondamentales et directrices. Elles exigeaient que les administrateurs généraux s’assurent qu’il existait une justification écrite démontrant comment le choix d’un processus non annoncé respectait les critères établis et les valeurs en matière de nomination (voir Morris, au par. 65).
[115] La Commission a expliqué également qu’une justification écrite du recours à un processus non annoncé sert deux buts importants. En premier lieu, elle présente au gestionnaire délégataire suffisamment d’information pour qu’il soit en mesure d’approuver son utilisation. En deuxième lieu, elle favorise et assure la transparence (voir Morris, aux par. 87 et 88).
[116] Je souscris aux déclarations de la Commission dans Morris concernant la suffisance de l’information et la transparence.
[117] L’intimé a fourni un modèle utilisé pour évaluer les préjugés et les obstacles qui désavantagent les personnes qui proviennent de tout groupe en quête d’équité, conformément aux modifications récentes apportées à la LEFP. Il n’existait pas de modèle semblable pour consigner une justification du choix de processus.
[118] La Commission trouve troublant le recours à des processus non annoncés, surtout pour doter des postes de haut niveau, sans lignes directrices apparentes, transparence et responsabilité.
[119] Je souscris entièrement au point de vue de la Commission dans Sganos c. Secrétaire du Conseil du Trésor, 2025 CRTESPF 41, qui était que « […] les processus non annoncés demeurent un domaine à risque qui nécessite une surveillance plus stricte en vertu des directives des administrateurs généraux » (voir Sganos, au par. 1).
[120] J’adopte les recommandations de la Commission à l’intention de la CFP qui sont énoncées aux paragraphes 138 et 139 de Sganos, comme suit :
[138] […] les pratiques d’embauche transparentes et la responsabilité dans l’exercice du pouvoir délégué seraient améliorées si la CFP fournissait des renseignements généraux plus accessibles aux fonctionnaires et aux gestionnaires de la fonction publique.
[139] […] la Politique de nomination comprenne des renseignements de base expliquant qu’une Formulation de la décision de sélection doit être remplie pour toutes les nominations fondées sur le mérite et ce qu’elle doit inclure. Elle devrait également expliquer que les administrateurs généraux établissent maintenant des directives sur le choix des processus non annoncés ou annoncés et, généralement, ce que ces directives prévoient. Étant donné que ces directives sont des documents publics, des liens pourraient être répertoriés par organisation, afin de faciliter l’accès et la transparence.
[121] Je crois que la mise en œuvre de ces recommandations contribuera considérablement à la promotion de la transparence et de la responsabilité dans le choix du processus de nomination.
[122] Selon les éléments de preuve, la Commission conclut que le choix de l’intimé d’un processus non annoncé pour les deux processus de nomination était axé uniquement sur la nomination de la personne nommée au poste de durée indéterminée au groupe et au niveau EC‑08. Au cours de la discussion officieuse, l’intimé a expliqué à la plaignante qu’il a utilisé le processus non annoncé parce qu’il devait répondre à un besoin immédiat de gérer un dossier complexe. Toutefois, après une enquête approfondie par la plaignante, il a été constaté que le dossier complexe ou le projet était en cours depuis les deux dernières années et qu’il n’existait donc aucune urgence de doter le poste. En outre, selon le plan, la personne nommée devait suivre immédiatement une formation linguistique, peut‑être pendant les 32 premières semaines de sa nomination, rendant ainsi fallacieux et non crédible l’argument de l’intimé fondé sur l’urgence et le besoin immédiat.
[123] En outre, l’intimé s’est assuré qu’il n’y ait aucune interruption du service en harmonisant la fin de l’affectation intérimaire avec le début de la nomination pour une période indéterminée.
[124] Les éléments de preuve ont indiqué en outre que la personne nommée avait été nommée à plusieurs postes dans le cadre de processus non annoncés et, selon l’exposé conjoint des faits, l’intimé a favorisé la personne nommée dans le cadre de ces processus et la personne nommée en a bénéficié.
[125] La Commission conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix du processus dans les deux processus de nomination.
D. Mesures correctives
[126] Si la Commission conclut qu’une plainte en vertu de l’article 77 est fondée, elle doit prendre les trois mesures correctives principales suivantes : 1) ordonner la révocation d’une nomination; 2) ordonner à la CFP ou à l’administrateur général de ne pas faire la nomination; et 3) prendre toute autre mesure corrective qu’elle juge indiquée. Une mesure corrective peut comprendre une ordonnance de réparation sous le régime de la LCDP et de la Loi canadienne sur l’accessibilité (L.C. 2019, ch. 10). La Commission ne peut pas ordonner à la CFP de procéder à une nomination ou de mener un nouveau processus de nomination (voir les articles 81 et 82 de la LEFP).
[127] Les mesures correctives doivent viser à corriger les défauts relevés dans les processus de nomination en litige et elles ne peuvent pas corriger des erreurs passées ou des processus de nomination futurs dont la Commission n’est pas saisie (voir Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37, au par. 124, et Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, au par. 18).
[128] Les plaintes sont fondées. Étant donné que la nomination intérimaire EC‑08 a déjà été révoquée, la Commission limite son ordonnance à la nomination promotionnelle pour une période indéterminée EC‑08. La personne nommée ne satisfaisait pas à l’une des qualifications de mérite du poste, notamment en ce qui concerne sa compétence linguistique. La nomination n’était pas fondée sur le mérite. L’intimé a également abusé de son pouvoir quant au choix du processus, tel qu’il est décrit dans la présente décision.
[129] En plus de la révocation de la nomination, la plaignante a demandé que la Commission ordonne un nouveau processus annoncé. Elle a également demandé que les actions du gestionnaire d’embauche fassent l’objet d’une enquête et qu’un plan soit mis en œuvre pour éviter de telles actions à l’avenir. Elle a également demandé une reconnaissance selon laquelle le favoritisme répété n’est pas acceptable. Sauf la révocation, la Commission ne peut pas ordonner les autres mesures correctives demandées par la plaignante (voir Robbins, aux par. 51 à 53).
[130] La Commission conclut que la révocation est justifiée dans le présent cas parce que la nomination n’était pas fondée sur le mérite.
E. Ordonnance de confidentialité
[131] Le 25 juillet 2025, dans le cadre d’une mesure très inhabituelle, l’intimé a envoyé par courriel à la Commission et à la plaignante le contenu d’une offre de règlement qu’elle lui avait envoyée. Il a déclaré qu’elle avait refusé l’offre et qu’il souhaitait discuter de la question des pouvoirs de réparation de la Commission au début de l’audience.
[132] À l’ouverture de l’audience le 29 juillet 2025, j’ai informé l’intimé qu’il était très inapproprié d’envoyer à la Commission les détails d’une offre de règlement parce qu’elle compromettrait principalement la confidentialité du processus de règlement, puisqu’elle demeurerait dans les dossiers de la Commission et pourrait faire l’objet d’une demande de publicité des débats judiciaires.
[133] Après l’audience, l’intimé a demandé que son courriel soit mis sous scellés, étant donné les commentaires de la Commission au début de l’audience. Il a expliqué qu’il avait communiqué les renseignements dans le courriel en vue de démontrer de façon transparente ses efforts authentiques pour régler les plaintes. La conservation de ces renseignements dans le dossier public ne servirait aucun intérêt public parce qu’ils pourraient avoir un effet paralysant sur les règlements possibles à l’avenir.
[134] La plaignante s’est opposée à la demande. Elle a expliqué sa thèse dans un courriel daté du 31 juillet 2025 comme suit :
[Traduction]
[…]
[…] Je ne me suis jamais écartée de mes demandes que les cadres supérieurs à Services aux Autochtones Canada (SAC) admettent leur responsabilité quant au mépris dont ils ont fait preuve à l’égard des lois et quant à leurs nombreuses violations des valeurs et des normes d’éthique fondamentales de la fonction publique. À chaque étape, je n’ai cessé de réitérer mes préoccupations et j’ai été victime de harcèlement, de mensonges, de négligence, d’indifférence, de violations de plus en plus importantes des valeurs et des normes d’éthique et de tentatives répétées de contourner les lois, comme la Loi sur l’équité en matière d’emploi, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur les langues officielles.
Au cours de cette période, j’ai démontré continuellement mon respect de l’application régulière de la loi et j’ai été ouverte et transparente avec tous. Je suis une personne qui conteste un ministère entier, qui est représenté par des avocats, des spécialistes en ressources humaines et des spécialistes en relations du travail, dans le cadre de mes tentatives de tenir responsable la haute direction des abus de pouvoir flagrants.
À la dernière minute, SAC m’a présenté une offre de règlement, que j’ai refusée. Dans mes interactions avec les représentants de SAC au cours des deux dernières années et demie, j’ai développé une méfiance profonde et justifiée du Ministère. Je suis d’avis que SAC est pourri, jusqu’à ses racines.
Je ne crois pas que le courriel envoyé à la Commission par l’intimé le 25 juillet 2025 a été envoyé « en vue de démontrer de façon transparente les efforts authentiques déployés par l’employeur pour régler la présente affaire ». Je crois qu’il a été envoyé en vue de tenter de me dénigrer devant la Commission – de tenter de démontrer dès le début de l’audience que je ne souhaitais pas régler l’affaire. Évidemment, la réalité est que je n’ai démontré que la volonté de régler l’affaire, et ce, depuis des années.
J’ai beaucoup de respect pour les avocats. Ils sont des experts dans leurs domaines. Ils savent ce qui peut être communiqué et ce qui ne peut pas l’être.
L’un des sept enseignements ancestraux est l’honnêteté. Soyez honnête dans vos mots et vos actions. Soyez honnête d’abord avec vous-même et vous serez plus facilement en mesure d’être honnête avec autrui. L’honnêteté est représentée par le corbeau. Le corbeau s’accepte lui‑même pour qui il est et il ne cherche pas à être comme autrui.
Je suis d’avis que le courriel en question ne devrait pas être mise sous scellés et retiré du dossier public.
Je tiens également à profiter de l’occasion pour informer la Commission que j’ai signé les modalités d’une entente de règlement et que je l’ai communiquée à l’intimé il y a plus de 24 heures. Toutefois, je n’ai reçu aucune confirmation que SAC l’a signée.
[…]
[Le passage en évidence l’est dans l’original.]
[135] L’intimé demande à la Commission de limiter le principe de publicité des débats judiciaires, qui s’y applique à son égard. Dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à trois volets à appliquer lorsque l’on ordonne des limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, comme une ordonnance de mise sous scellés. En premier lieu, il doit être établi que la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important. En deuxième lieu, l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter le risque. En troisième lieu, du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs (voir Sherman (Succession), au par. 38).
[136] Dans Ross c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 13, la Commission a accueilli la demande de la plaignante de mettre sous scellés un protocole d’entente qui visait à résoudre certains problèmes en milieu de travail. Elle a décidé qu’il était dans l’intérêt des relations de travail que la confidentialité des ententes de règlement soit préservée (voir Ross, au par. 12; voir également Reid c. Administrateur général (Bibliothèque et Archives du Canada), 2021 CRTESPF 104, au par. 84; Valderrama c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2020 CRTESPF 86, au par. 12; Fitzgibbon c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2024 CRTESPF 112, au par. 19; Catahan Niles c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2024 CRTESPF 169, aux par. 5 et 68 à 77).
[137] Même si le courriel de l’intimé n’a pas été désigné comme pièce, je conclus qu’il est dans l’intérêt public de préserver la confidentialité de l’offre de règlement parce qu’elle fait la promotion de la confiance dans le processus de règlement en général en vue de régler des questions relatives aux relations de travail. Dans le contexte des relations de travail, les avantages d’une ordonnance de confidentialité l’emportent sur les effets négatifs. Par conséquent, j’ordonne la mise sous scellés d’une partie du courriel de l’intimé daté du 25 juillet 2025 et envoyé à 16 h 06, comportant la partie commençant par [traduction] « Veuillez noter que » et se terminant par [traduction] « Respectueusement soumis ».
[138] En rendant cette ordonnance, je suis consciente de la frustration de la plaignante à l’égard de l’intimé et de l’érosion de sa confiance dans la façon dont les nominations sont faites dans son milieu de travail, tel qu’elle l’a exprimé dans son courriel que je viens de reproduire. J’espère qu’elle trouvera une façon de guérir et d’avoir de nouveau confiance dans les systèmes de nomination.
[139] Je félicite également la plaignante et l’avocat de l’intimé de leur collaboration et de l’excellente présentation d’éléments de preuve et d’arguments au cours du processus d’audience.
[140] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VII. Ordonnance
[141] Les plaintes sont accueillies.
[142] La Commission ordonne la révocation de la nomination promotionnelle pour une période indéterminée de M. Asselin au poste de gestionnaire / conseiller principal (social) – A au groupe et au niveau EC‑08 liée au processus de nomination 24‑DIS‑NCR‑INA‑625890, à compter de la date de la présente décision.
[143] La Commission ordonne la mise sous scellés de la partie du courriel de l’intimé daté du 25 juillet 2025 et envoyé à 16 h 06, comportant la partie commençant par [traduction] « Veuillez noter que » et se terminant par [traduction] « Respectueusement soumis ».
Le 28 octobre 2025.
Traduction de la CRTESPF
Caroline Engmann,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral