Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a présenté un grief de principe relativement à une décision de l’employeur qui a mené à la prise de mesures par ce dernier et le Service correctionnel du Canada (SCC) pour recouvrer des trop-payés et des avances de salaire d’urgence (ASU) qui avaient été versés à des agents correctionnels en 2016 et en 2017. L’employeur a soulevé une objection faisant valoir que le grief ne satisfaisait pas aux différents critères énoncés à l’article 220 de la Loi. La Commission a rejeté l’objection. La Commission a analysé le libellé du grief ainsi que les allégations de l’agent négociateur, et elle a conclu que le caractère essentiel du grief portait sur « le principe de l’exactitude de la rémunération pour les services rendus », soit le principe voulant qu’un employé ait droit à la rémunération pour la prestation de ses services qui correspond à la classification du poste auquel il est nommé. Un principe au cœur de la relation employeur-employé et prévu par la clause 49.02 de la convention collective. La Commission a aussi conclu que l’essence du litige relativement au recouvrement des trop-payés versés à titre de salaire était liée à la rémunération et faisait en sorte que le grief portait sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Sur le fond, le différend entre les parties portait principalement sur un changement apporté par l’employeur à sa procédure de recouvrement en octobre 2021. Ce changement abandonnait une procédure antérieure selon laquelle des démarches en vue du recouvrement des trop-payés liés au système de paye Phénix ne seraient pas entamées avant que le dossier de paye du fonctionnaire concerné ait été rapproché, c’est-à-dire qu’il a été révisé dans son entièreté afin de s’assurer que toutes les transactions nécessaires y avaient été effectuées correctement et qu’aucune transaction ne demeurait en attente. À la suite de ce changement, l’employeur et le SCC ont commencé à envoyer des lettres de recouvrement aux agents correctionnels sans préalablement effectuer le rapprochement du dossier de paye des fonctionnaires concernés. La Commission a indiqué que l’employeur pouvait imposer unilatéralement des politiques en milieu de travail, mais que les droits de la direction devaient être exercés raisonnablement et conformément à la convention collective, comme il a été mentionné par la Cour suprême du Canada dans Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55, au par. 20. En considérant le principe voulant que l’employeur agisse de manière conforme à la convention collective, la Commission a déterminé que le corolaire exigeait qu’il s’assure de l’exactitude des sommes réclamées dans le cadre de sa procédure de recouvrement. Ainsi, l’employeur qui entreprend des démarches en vue du recouvrement d’un trop-payé ou d’une ASU ou qui procède à un tel recouvrement doit déployer tous les efforts nécessaires pour s’assurer que sa démarche n’entraînera pas une situation où le fonctionnaire concerné pourrait recevoir une rémunération moindre que celle à laquelle il a droit pour les services qu’il a rendus. La Commission a conclu que la procédure de recouvrement adoptée et mise en œuvre par l’employeur n’était pas conforme à la clause 49.02 de la convention collective ainsi qu’au principe de l’exactitude de la rémunération. En appliquant l’approche de « mise en balance des intérêts », la Commission aurait également conclu que l’employeur n’aurait pas exercé ses droits de la direction de façon raisonnable. La Commission a émis une déclaration de non-conformité.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date: 20251119

Dossier: 569-02-45894

 

Référence: 2025 CRTESPF 152

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS – SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA – CSN (UCCO-SACC-CSN)

agent négociateur

 

et

 

Conseil du Trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Union of Canadian Correctional Officers Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN) c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur : Franco Fiori, avocat

Pour l’employeur : Karl Chemsi et Mathieu Cloutier, avocats

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

du 18 au 21 septembre 2023, et les 24 et 26 septembre 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Contexte

[1] Cette décision porte sur le recouvrement des trop-payés et des avances de salaire d’urgence (ASU) versés à des agents correctionnels en 2016 et en 2017 à la suite de la mise en œuvre du système de paye Phénix.

[2] En août 2022, l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN ou l’« agent négociateur »), l’agent négociateur pour les fonctionnaires compris dans le groupe Services correctionnels, a présenté un grief de principe relativement à une décision prise par le Conseil du Trésor en 2021 qui a mené, en 2022, à la prise de mesures par le Conseil du Trésor et le Service correctionnel du Canada (SCC) pour recouvrer des trop-payés et des ASU qui avaient été versés à des agents correctionnels en 2016 et en 2017.

[3] Le Conseil du Trésor est l’employeur légal des agents correctionnels du SCC. Pour cette raison, dans la présente décision, le terme « employeur » sera utilisé pour désigner le Conseil du Trésor, tandis que « SCC » sera utilisé pour décrire le ministère pour lequel les agents correctionnels travaillent. Alors que le Conseil du Trésor a pris la décision contestée et, par l’entremise de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), a pris les mesures contestées pour recouvrer des trop-payés, le SCC a, quant à lui, pris les démarches contestées pour recouvrer les montants qu’il avait versés à des agents correctionnels à titre d’ASU.

[4] Il n’est pas contesté que la mise en œuvre du système de paye Phénix a eu un impact sur la paye d’un bon nombre de fonctionnaires fédéraux. Les parties s’entendent que les problèmes liés au système de paye Phénix ont parfois fait en sorte que des trop-payés ont été versés à des agents correctionnels, c’est-à-dire qu’ils ont reçu une ou plusieurs payes plus élevées que ce à quoi ils avaient droit. Les parties s’entendent également que certains agents correctionnels n’ont pas reçu une ou plusieurs payes et ont obtenu une ASU du SCC.

[5] Une somme payée en trop à titre de salaire à un agent correctionnel constitue une créance de la Couronne, c’est-à-dire une dette envers le gouvernement fédéral. Il n’est pas contesté que l’employeur et le SCC (à titre de mandataires de la Couronne) sont en droit de prendre des mesures pour recouvrer cette somme à même la paye d’un agent correctionnel dans la mesure que le montant recouvré soit exact et que la créance ne soit pas prescrite en raison du temps écoulé.

[6] Le différend entre les parties porte principalement sur un changement apporté par le Conseil du Trésor en octobre 2021 à sa procédure de recouvrement. Le changement a été apporté pour protéger le droit de l’employeur de recouvrer les trop-payés causés par la mise en œuvre du système de paye Phénix qui seraient bientôt prescrits en raison du temps écoulé.

[7] Le changement apporté peut généralement être décrit comme l’abandon d’une procédure antérieure selon laquelle des démarches en vue du recouvrement de trop-payés liés au système de paye Phénix ne seraient pas entamées avant que le dossier de paye du fonctionnaire concerné ait été rapproché. Le « rapprochement » d’un dossier de paye constitue un exercice de comptabilité par lequel un conseiller en rémunération révise l’entièreté du dossier de paye d’un employé pour assurer que toutes transactions nécessaires y ont été effectuées correctement et qu’aucune transaction ne demeure en attente.

[8] Le changement apporté en 2021 a fait en sorte que l’employeur et le SCC ont commencé, en 2022, à envoyer des lettres de recouvrement aux agents correctionnels qui avaient reçu des trop-payés et des ASU en 2016 et en 2017 pour lesquels une entente de recouvrement n'avait pas déjà été conclue. Les lettres de recouvrement ont été envoyées sans préalablement effectuer le rapprochement du dossier de paye des fonctionnaires concernés.

[9] En plus de contester le changement apporté à la procédure de recouvrement plus généralement, l’agent négociateur a formulé des allégations qui portent sur deux thèmes.

[10] Dans un premier temps, l’agent négociateur allègue qu’en 2022, le Conseil du Trésor et le SCC ont tenté de recouvrer des trop-payés et des ASU qui avaient été versés à des agents correctionnels en 2016 et auxquels ils n’avaient plus légalement droit en raison du temps écoulé, soit six ans.

[11] J’ouvre ici une parenthèse sur la question du temps qui s’était écoulé entre le versement des trop-payés et des ASU et les mesures de recouvrement contestées.

[12] Une période de prescription (aussi connue comme un délai de prescription) est la période dont dispose une partie pour recouvrer une créance. Il existe un délai de prescription provincial qui varie selon la province et un délai fédéral de six ans qui est prévu à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (L.R.C. (1985), ch. C-50).

[13] Dans le présent cas, les parties m’ont demandé de ne pas me prononcer sur la période de prescription applicable au recouvrement de ces créances de la Couronne, c’est-à-dire, elles m’ont demandé de ne pas me prononcer à savoir si c’est un délai de prescription de deux ans ou de six ans qui s’applique aux trop-payés liés au système de paye Phénix.

[14] L’audience a eu lieu en deux phases, à peu près à un an d’intervalle. Au moment de l’audience, une décision rendue antérieurement par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », ce qui, dans la présente décision, fait également référence à ses prédécesseurs) sur la question du délai de prescription applicable au recouvrement d’un trop-payé versé à une fonctionnaire fédérale faisait l’objet d’une demande de révision judiciaire devant la Cour d’appel fédérale (St-Onge c. Conseil national de recherches du Canada, 2023 CRTESPF 57 (« St-Onge CRTESPF »)).

[15] Les parties m’ont présenté le présent cas comme si le délai applicable était celui de six ans. Selon elles, si j’en arrivais à la conclusion que les démarches de l’employeur et du SCC visant à recouvrer des créances prescrites par un délai de six ans constituaient une violation de la convention collective, ma conclusion serait la même si la Cour d’appel fédérale confirmait que le délai de prescription applicable était celui de deux ans. La preuve présentée à l’audience par l’agent négociateur portait majoritairement sur des lettres de recouvrement envoyées environ six ans après le versement d'un trop-payé ou d'une ASU.

[16] Je suis d’accord avec les parties que, comme la preuve qui m’a été présentée portait sur des démarches de recouvrement en lien avec des sommes versées six ans ou presque auparavant, il n’est pas nécessaire pour moi de trancher la question.

[17] La question à savoir si c’est le délai de prescription fédéral ou provincial qui s’applique au recouvrement de trop-payés salariaux versés à un fonctionnaire fédéral devra être tranchée de façon définitive dans le cadre d’un dossier futur. En décembre 2024, la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire St-Onge CRTESPF à la Commission pour réexamen (voir Canada (Procureur général) c. St-Onge, 2024 CAF 207). Toutefois, les parties ont retiré le grief avant que la Commission puisse se prononcer de nouveau sur la question du délai de prescription applicable.

[18] Je retourne maintenant au deuxième thème abordé dans les allégations de l’agent négociateur, soit une allégation selon laquelle, en mettant en œuvre le changement à sa procédure de recouvrement, l’employeur et le SCC se seraient empressés à envoyer des lettres de recouvrement aux agents correctionnels qui avaient reçu des trop-payés ou une ASU en 2016 et en 2017.

[19] Selon l’agent négociateur, les lettres faisaient pression sur les agents correctionnels pour qu’ils reconnaissent un trop-payé ou une ASU pour avoir accès à des options de remboursement flexibles, sans fournir aux employés concernés des renseignements précis et complets quant aux trop-payés, et sans avoir effectué un rapprochement du dossier de paye des employés concernés pour tenir compte de possibles problèmes de paye toujours présents à leurs dossiers.

[20] Dans le cadre de la présente décision, « reconnaître un trop-payé » signifie de reconnaître l’existence d’une créance. La reconnaissance d’une créance peut constituer un engagement à la rembourser et peut avoir pour effet de prolonger la période dont dispose la Couronne pour recouvrer les sommes en question.

[21] À l’audience, l’agent négociateur a indiqué que les lettres de recouvrement induisaient les fonctionnaires en erreur, leur faisant croire qu’ils étaient tenus de reconnaître la créance pour éviter un recouvrement complet et immédiat du trop-payé. Il a décrit les lettres de recouvrement comme « déraisonnables, trompeuses et dolosives ». Comme un rapprochement du dossier de paye n’avait pas été effectué, l’agent négociateur a fait valoir que les lettres avaient pour effet de transférer à l’agent correctionnel le fardeau de prouver, dans un très court délai, qu’il n’était pas redevable des montants en question.

[22] Le présent cas a fait l’objet d’une audience d’une durée de six jours, échelonnés sur un an. Lors de sa plaidoirie finale, l’employeur a soulevé une objection quant à la compétence de la Commission d’instruire ce grief. Je vais traiter de l’objection dans un premier temps, pour ensuite me pencher sur la question relative au bien-fondé du grief de principe.

II. L’objection quant à la compétence de la Commission n’est pas fondée

[23] L’employeur fait valoir que le présent grief ne satisfait pas aux différents critères énoncés à l’article 220 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), l’article de la Loi qui porte sur la présentation de griefs de principe et qui constitue un prérequis pour le renvoi à l’arbitrage en vertu de l’article 221 de la Loi.

[24] L’article 220(1) prévoit qu’une partie à une convention collective ou à une décision arbitrale peut présenter un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective ou de la décision. Un grief dont les allégations ne portent pas sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ne constitue pas, à première vue, un grief de principe en bonne et due forme et la Commission n’a pas compétence pour l’instruire.

[25] Il est malheureux que l’employeur ait attendu jusqu’au dernier moment possible pour soulever son objection. Il ne s’agit pas d’une bonne pratique. Soulever une objection à la compétence de la Commission à la dernière occasion peut avoir pour effet de prendre la partie adverse par surprise et, par conséquent, peut priver la Commission d’observations les plus complètes possibles sur la question.

[26] Quoi qu’il en soit, pour les raisons suivantes, je conclus que l’objection quant à la compétence de la Commission n’est pas fondée. Mes motifs sont les suivants.

[27] Le grief indique ce qui suit :

UCCO-SACC-CSN conteste la décision de l’employeur de récupérer des trop-payés ou des avances de salaire d’urgence (ASU) qui sont prescrites selon l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et contrairement à la Convention collective.

De plus, l’employeur abuse de ses droits de gestion notamment en faisant pression sur les employés pour qu’ils reconnaissent un trop-payé sans fournir d’information précises, complètes et à l’intérieur de délais raisonnables sur le trop-payé, sans régler ni tenir compte des problèmes liées au système de paie Phénix toujours présents au dossier des employés, et en menaçant les employés de retirer leurs options de paiements flexibles s’ils ne reconnaissaient pas le trop-payé dans un court délai.

L’employeur agit de façon déraisonnable, injuste, de mauvaise foi et en contravention de la convention collective.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[28] Il est à noter que, dans son grief, l’agent négociateur a utilisé le terme « employeur » pour décrire à la fois le Conseil du Trésor et le SCC. Comme il a été indiqué précédemment, dans les faits, c’est le Conseil du Trésor qui a pris les mesures contestées pour recouvrer des trop-payés, tandis que le SCC a pris les mesures contestées pour recouvrer les ASU.

[29] Le grief ne contient pas de référence expresse à un article de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur pour le groupe Services correctionnels (CX).

[30] Il s’agit d’une bonne pratique d’énoncer clairement les articles de la convention collective en cause au moment de rédiger un grief de principe. Cela permet d’éviter une confusion quant aux assises du grief et quant à la compétence de la Commission. Toutefois, le défaut de le faire n’est pas déterminant si, « d’après le libellé du grief, on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’employeur comprenne qu’une disposition particulière de la convention collective est en cause » (voir Wepruk c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 55, au par. 38). Un grief ne doit pas être rejeté pour un vice de forme ou de procédure (voir Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, au par. 68; voir également l’art. 241(1) de la Loi qui prévoit qu’un vice de forme ou de procédure n’est pas susceptible d’invalider une procédure).

[31] Pour décider si un grief de principe est arbitrable en vertu de l’article 221 de la Loi, je dois me demander si le sujet du grief porte sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective ou d’une décision arbitrale (voir Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2013 CF 806, au par. 50). L’important est de savoir s’il se dégage du grief une allégation portant sur l’application ou l’interprétation de la convention collective. Si oui, considérant la nature de l’objection de l’employeur, les conditions prévues à l’article 220(1) sont satisfaites et la Commission a compétence pour instruire le grief.

[32] Dans le présent cas, le grief allègue que l’employeur a abusé de son droit de gestion, aussi connu comme le droit résiduel de la direction. Ainsi, le grief invoque implicitement, mais clairement, l’article 6 de la convention collective, soit l’article intitulé « responsabilités de la direction ».

[33] L’article 6 prévoit :

Article 6 : responsabilités de la direction

Article 6: managerial responsibilities

6.01 Sauf dans les limites indiquées, la présente convention ne restreint aucunement l’autorité des personnes chargées d’exercer des fonctions de direction dans la fonction publique.

6.01 Except to the extent provided herein, this agreement in no way restricts the authority of those charged with managerial responsibilities in the public service.

 

[34] Contrairement à certaines autres conventions collectives, la convention collective dont il est question dans le présent cas ne contient pas d’article prévoyant que l’employeur doit agir raisonnablement et de bonne foi dans l’administration de la convention collective.

[35] L’article 6 reconnaît le droit résiduel de l’employeur, entre autres, d’exercer les pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines qui sont prévus par la loi, notamment aux articles 7 et 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP).

[36] Il est généralement reconnu que l’employeur peut imposer unilatéralement des politiques en milieu de travail. Toutefois, le droit résiduel de la direction doit être exercé raisonnablement et conformément à la convention collective (voir Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55, au par. 20 (« Association des juristes 2017 »)). Toute politique adoptée par l’employeur, qu’elle soit incorporée ou non à la convention collective, peut faire l’objet d’un arbitrage si le différend relatif à cette politique concerne sa conformité ou sa compatibilité avec la convention collective (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 84, au par. 55 (« AFPC 2008 »)).

[37] Un article d’une convention collective qui porte sur le droit résiduel de la direction et qui est formulé comme l’article 6 a généralement été interprété par la Commission comme constituant un énoncé général, et non une source d’obligation exécutoire assujettie au pouvoir de la Commission (voir Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8, au par. 100, et Roediger c. Conseil national de recherches du Canada, 2024 CRTESPF 88, au par. 18). Autrement dit, une allégation liée uniquement à l’interprétation ou l’application d’un article portant sur les droits de la direction ne peut généralement pas, à elle seule, servir de fondement pour la compétence de la Commission.

[38] Si je conclus que le grief porte uniquement sur l’article 6, je dois accueillir l’objection de l’employeur et rejeter le grief de principe pour défaut de compétence. Toutefois, si je conclus que le grief porte également, implicitement ou expressément, sur l’application ou l’interprétation d’une autre disposition de la convention collective, ou si je conclus que les allégations qui y sont formulées constituent des allégations voulant que l’employeur ait exercé son droit résiduel de direction de façon incompatible avec un autre article de la convention collective, la Commission a compétence pour instruire le grief et l’objection de l’employeur doit être rejetée.

[39] Ma conclusion quant à la compétence de la Commission doit se fonder sur le caractère essentiel du grief, à savoir si son caractère essentiel porte sur l’interprétation ou l’application de la convention collective.

[40] L’agent négociateur fait valoir que le grief conteste un changement apporté par l’employeur à sa procédure de recouvrement de trop-payés et d’ASU liés au système de paye Phénix. Le changement aurait été effectué pour accélérer le processus de recouvrement afin de protéger le droit de l’État de recouvrir les trop-payés et les ASU avant que les créances soient prescrites. À l’audience, l’agent négociateur a soutenu que le changement et les démarches prises par l’employeur pour le mettre en œuvre constituent l’exercice du droit résiduel de la direction de façon incompatible avec l’ensemble de la convention collective, mais plus particulièrement son article 49.

[41] L’article 49 est un article de la convention collective qui porte sur l’administration de la paye. Il figure à la partie 5 de la convention collective, soit la partie qui traite de la rémunération des employés. L’article porte, entre autres, sur les taux de rémunération pour la classification d’un poste et leur mise en œuvre, la façon que doivent s’effectuer des augmentations d’échelons de rémunération, les démarches qui doivent être suivies lors de la mise en œuvre de nouvelles normes de classification et la rémunération pour l’exécution à titre intérimaire de fonctions d’un employé d’un niveau de classification supérieur.

[42] Les clauses 49.01 et 49.02 de la convention collective sont les dispositions les plus pertinentes au présent grief.

[43] La clause 49.01 prévoit que, sauf indication contraire ailleurs dans l’article 49, la convention collective n’a pas pour effet de modifier les conditions régissant l’application de la rémunération des employés.

[44] Sujet à certaines nuances qui ne sont pas pertinentes dans le présent cas, la clause 49.02 de la convention collective prévoit qu’un employé a droit, pour la prestation de ses services, à la rémunération qui correspond à la classification du poste auquel il est nommé.

[45] Bien que l’agent négociateur ait invoqué deux dispositions de la convention collective lors de sa plaidoirie finale, soit une disposition relativement à la paye (article 49) et une disposition qui porte sur les droits de la direction (article 6), l’employeur fait valoir que ces dispositions ne sont pas mentionnées dans le grief et elles ne peuvent pas servir de fondement à la compétence de la Commission. Selon lui, l’article 49 ne traite que de l’administration de la paye, c’est-à-dire que l’article porte sur la façon qu’un agent correctionnel est payé. La convention collective est silencieuse quant aux trop-payés et à leur recouvrement.

[46] L’employeur fait valoir que la décision contestée a été prise en vertu de la Directive sur les conditions d’emploi (la « Directive »). Il soutient que la Directive ne fait pas partie de la convention collective, et qu’elle n'y est également pas incorporée par renvoi. Selon lui, il s’agit d’un instrument distinct et indépendant de la convention collective. Comme la convention collective ne contient pas d’articles portant sur des trop-payés ou leur recouvrement, il n'est pas possible de prétendre que les mesures de recouvrement découlant de la Directive violent ou sont incompatibles avec la convention collective.

[47] Dans Xu c. Agence du revenu du Canada, 2025 CRTESPF 17, la Commission a récemment traité – et rejeté – des arguments semblables. La Commission a conclu qu’un article semblable à l’article 49.01 avait pour effet d’incorporer la Directive à la convention collective. La décision Xu a été rendue après la tenue de l’audience dans le présent cas. J’ai pris connaissance de la décision, mais je n’en traiterai pas plus longuement. À mon avis, il n’est pas nécessaire pour moi de le faire. Les deux routes, soit celle qui sera décrite dans les paragraphes suivants et celle empruntée par la Commission dans Xu, mènent au même résultat. Ma conclusion voulant que la Commission a la compétence nécessaire pour instruire le présent grief se fonde sur le libellé du grief et la nature des allégations de l’agent négociateur. Je m’explique.

[48] Comme la Directive est au cœur du débat entre les parties quant à la compétence de la Commission, je la décrirai brièvement.

[49] La Directive énonce les exigences obligatoires ayant trait à la mise en œuvre et à l’administration des conditions d’emploi qui ne sont pas définies dans les conventions collectives (voir l’article 3.2 de la Directive). Lorsqu’il y a un conflit ou une incompatibilité entre une disposition de la convention collective et la Directive, les dispositions de la convention collective l’emportent (voir l’article 3.3 de la Directive).

[50] Les conditions d’emploi sont décrites dans une annexe à la Directive. L’annexe comporte cinq parties, dont une partie (la partie 2) porte sur la rémunération et une autre (la partie 3), sur l’administration de la paye.

[51] La partie 2 prévoit, entre autres, qu’un employé au sein de l’administration publique centrale a le droit de toucher, pour services rendus, le taux de rémunération prévu dans la convention collective à l’égard de son groupe et de son niveau de classification. C’est semblable à ce qui est prévu dans la clause 49.02 de la convention collective en cause.

[52] La partie 3 de la Directive contient, quant à elle, plusieurs dispositions relativement au calcul, la fréquence et le versement de la paye. Toutefois, c’est surtout la partie A.3.15 qui est pertinente dans les circonstances du présent cas. Il s’agit de la section portant sur le recouvrement de montants dus à la Couronne, notamment le pouvoir du receveur général aux termes de la LGFP et la responsabilité des personnes ayant le pouvoir délégué de s’assurer de recouvrer les trop-payés salariaux versés à un employé de l’administration publique centrale (voir l’article A.3.15.1).

[53] En 2017 et à la suite de la mise en œuvre du système de paye Phénix, la partie 3 de la Directive a été modifiée pour y inclure des dispositions portant spécifiquement sur les mesures de recouvrement en lien avec des problèmes de paye liés au système de paye Phénix (voir l’article A.3.15.4).

[54] Il est vrai que la Directive, et non la convention collective, traite expressément de trop-payés et d’ASU et du recouvrement de créances de la Couronne à la suite de la mise en œuvre du système de paye Phénix. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec l’employeur lorsqu’il fait valoir que la Commission n’a pas compétence du simple fait que la convention collective ne traite pas expressément de démarches de recouvrement de trop-payés et d’ASU.

[55] Ce grief s’inscrit dans un contexte factuel précis, un contexte dans lequel l’exactitude de la rémunération versée aux agents correctionnels était un enjeu depuis plusieurs années. Trois représentants de l’agent négociateur ont témoigné à l’audience relativement au nombre élevé d’interventions qui ont été requises de leur part en lien avec des payes inexactes, des trop-payés ou payes manquantes versés à des agents correctionnels dans les années qui ont suivi la mise en œuvre du système de paye. Le libellé du grief fait référence à ce contexte lorsqu’il allègue que l’employeur a abusé de son droit de gestion en prenant des démarches en vue du recouvrement de trop-payés et d’ASU sans tenir compte de problèmes de paye toujours présents au dossier de paye d’agents correctionnels.

[56] Comme il a été indiqué précédemment, le grief porte sur un changement apporté par l’employeur à sa procédure de recouvrement, plus précisément à sa décision d’envoyer des lettres de recouvrement sans préalablement effectuer le rapprochement du dossier de paye des fonctionnaires concernés et sans tenir compte de problèmes de paye pouvant possiblement toujours être en cours. Il fait également référence au défaut allégué de l’employeur de fournir aux fonctionnaires concernés de l’information précise et complète quant aux trop-payés faisant l’objet de lettres de recouvrement.

[57] Il est manifeste que l’agent négociateur remet en question la possibilité pour un agent correctionnel visé par une mesure de recouvrement en 2022 de savoir avec certitude s’il a reçu la rémunération à laquelle il avait droit pour les services qu’il a rendus en 2016 et en 2017, de même que sa capacité d’évaluer l’exactitude de la rémunération qu’il aura reçue pour les services qu’il a rendus en 2016 et en 2017 si le recouvrement décrit dans la lettre de recouvrement était effectué.

[58] Le libellé du grief et les allégations de l’agent négociateur m’amènent à conclure que le caractère essentiel du grief porte sur ce j’appellerai, aux fins de la présente décision, le principe de l’exactitude de la rémunération pour les services rendus, soit le principe voulant qu’un employé a droit d’être rémunéré pour la prestation de ses services, à la rémunération qui correspond à la classification du poste auquel il est nommé. Il s’agit d’un principe qui est au cœur de la relation employeur-employé. Il est consigné dans la clause 49.02 de la convention collective.

[59] D’autres allégations formulées par l’agent négociateur, soit celles portant sur l’exactitude des sommes réclamées et la prescription, sont des questions qui découlent du principe de l’exactitude de la rémunération pour les services rendus.

[60] À l’audience, l’employeur a fait valoir que l’agent négociateur a tort lorsqu’il tente de faire un lien entre le recouvrement de trop-payés en vertu de la LGFP et l’article 49 de la convention collective, soit l’article qui traite de l’administration de paye.

[61] Je constate avec intérêt qu’un document qui a été admis en preuve à l’audience, soit un document intitulé « Le point sur les trop-payés » préparé par le Centre des services de paye de la fonction publique (le « Centre des services de paye », ou CSP), indique que le recouvrement de trop-payés « […] est une partie normale et importante du traitement de la paye » et que « […] la génération et le recouvrement des trop-payés ont toujours fait partie du traitement de la paye. » Comme je l’expliquerai plus loin dans cette décision, c’est le CSP qui communique avec les fonctionnaires qui ont reçu des trop-payés et qui prend les démarches pour recouvrer des trop-payés. À première vue, ce document suggère que le Centre des services de paye semble reconnaître l’existence d’un lien direct entre le traitement de la paye (le processus de calculer, entre autres, la rémunération pour les services rendus pour en assurer l’exactitude) et le recouvrement de trop-payés.

[62] Les mesures de recouvrement de l’employeur sont fondées sur la prémisse voulant qu’un employé ait seulement droit à sa juste rémunération pour les services qu’il a rendus, pas plus.

[63] Il est vrai que la convention collective ne traite pas expressément de trop-payés. Cependant, elle traite de la rémunération des fonctionnaires et prévoit qu’un employé a droit, pour la prestation de ses services, à la rémunération qui correspond à la classification du poste auquel il est nommé, pas plus, pas moins.

[64] Dans Dansou c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 100, la Commission a rejeté une objection présentée par la défenderesse quant à la compétence de la Commission pour instruire un grief individuel portant sur le recouvrement d’un trop-payé versé à titre de salaire. La Commission a conclu qu’elle avait compétence puisque l’essence du litige, au sens de l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, était liée aux conditions de la convention collective relativement à la rémunération.

[65] J’en arrive à la même conclusion dans le présent cas. À mon avis, l’essence du litige est liée aux dispositions de la convention collective relatives à la rémunération. Le grief s’inscrit au chapitre de la rémunération et met en cause l’interprétation ou l’application des articles 6 et 49 de la convention collective.

[66] Comme il a été indiqué précédemment, l’employeur a fait valoir que la Commission n’avait pas la compétence requise pour instruire le grief de principe, dans la mesure que le recouvrement de trop-payés était prévu dans la Directive et non dans la convention collective. Toutefois, il ne m’a pas présenté d’arguments pouvant me permettre de réconcilier sa position à ce sujet avec la jurisprudence de la Commission et de ses prédécesseurs relativement à des griefs individuels portant sur des mesures de recouvrement pour des trop-payés salariaux et mettant en cause des conventions collectives avec un libellé semblable à la convention collective dans le présent dossier (voir, entre autres, Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 57; Dansou; Bolton c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 39; Conlon c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-25629 à 25631 (19970604); St-Onge CRTESPF).

[67] Pendant les plaidoiries finales, j’ai abordé le sujet des recours disponibles à un agent négociateur qui voudrait contester une décision comme celle en litige dans le présent cas si je décidais que la Commission n’avait pas compétence pour instruire ce grief. Le représentant de l’employeur en a identifié quatre, soit la présentation d’un grief individuel en vertu de l’article 208 de la Loi, la présentation d’une demande de révision judiciaire devant la Cour fédérale, le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel (vraisemblablement en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi) et la présentation d’un grief de principe portant sur l’orientation générale prise par l’employeur relativement au système de paye Phénix. Je vais m’attarder plus particulièrement au troisième.

[68] Selon le représentant de l’employeur, la Commission aurait compétence pour instruire un grief individuel renvoyé à l’arbitrage qui conteste l’existence ou l’exactitude d’un trop-payé du système de paye Phénix faisant l’objet d’une lettre de recouvrement. Il a implicitement fait valoir qu’un grief individuel soulevant des allégations similaires à celles soulevées ici constituerait un grief relatif à la rémunération qui pourrait être renvoyé à l’arbitrage. De ce fait même, l’employeur a implicitement reconnu que des allégations portant sur l’exactitude des trop-payés et d’ASU qu’un employeur cherche à recouvrer à même la paye d’un employé mettent en jeu l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective.

[69] Je ne comprends pas comment et pourquoi la Commission pourrait avoir compétence pour instruire un grief individuel renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi, mais être dépourvue de compétence pour instruire le même type d’allégations si elles étaient présentées dans le cadre d’un grief de principe. L’article 232 de la Loi envisage la possibilité qu’un grief de principe et un grief individuel puissent porter sur la même question, les mesures correctives étant propres à chaque type de grief (voir AFPC 2008, au par. 51, Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 7, au par. 92 et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 99). Soit l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective relative à la rémunération est en jeu et peut fonder la compétence de la Commission, soit elle n’est pas en jeu et la Commission n’a pas compétence.

[70] Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai conclu que le présent grief porte sur l’interprétation ou l’application des articles 6 et 49 de la convention collective. Je conclus que la Commission a compétence pour instruire le présent grief. L’objection de l’employeur est rejetée.

III. Résumé de la preuve sur le fond

A. Ce qui est, et ce qui n’est pas, inclus dans le résumé de la preuve

[71] Ayant conclu que la Commission a compétence pour instruire le grief, je décrirai maintenant la preuve qui m’a été présentée à l’audience. Je vais commencer par décrire l’évolution des procédures régissant les recouvrements de trop-payés du système de paye Phénix et la décision d’octobre 2021 qui a donné lieu au présent grief. Je décrirai ensuite la preuve du seul témoin de l’employeur, suivi d’une description des témoignages des huit témoins de l’agent négociateur.

[72] D’entrée de jeu, je tiens à souligner que l’agent négociateur a présenté son grief de principe le 26 août 2022 et que le grief porte sur des lettres de recouvrement envoyées en date du 26 août 2022 et un peu avant. À l’audience, il a présenté une preuve relative à des lettres de recouvrement envoyées à l’été 2022. Toutefois, il a également présenté une preuve relative à des lettres de recouvrement envoyées aussi tard qu’en juillet et en août 2023.

[73] Il fait valoir que les lettres en date de 2023 découlent directement de la décision de l’employeur qui fait l’objet du grief, qu’elles sont pertinentes au bien-fondé du grief, et qu’elles constituent une preuve qui sert à démontrer que l’employeur n’a pas adéquatement modifié ou adapté ses méthodes de recouvrement après la présentation du présent grief.

[74] L’employeur fait valoir que les lettres en date de 2023 ne sont pas pertinentes au bien-fondé du grief et que je ne devrais pas en tenir compte.

[75] La Commission doit rendre une décision relativement au grief de principe qui a été présenté en août 2022. Dans mon analyse du bien-fondé du grief, je traiterai en premier lieu de la procédure de recouvrement adoptée par l’employeur en 2021, pour ensuite traiter du contenu des lettres de recouvrement envoyées en 2022. Les lettres découlent de la procédure de recouvrement.

[76] J’estime que la preuve relative aux lettres envoyées en 2023, soit environ un an après la présentation du grief, est pertinente à l’allégation de l’agent négociateur selon laquelle l’employeur aurait exercé son droit de gestion de façon non conforme à la convention collective lorsqu’il a modifié sa procédure de recouvrement. Il s’agit d’une preuve pertinente quant aux effets de la décision de l’employeur. Toutefois, j’estime que cette même preuve n’est pas pertinente au deuxième volet de mon analyse, soit mon analyse de l’allégation voulant que les lettres soient « déraisonnables, trompeuses et dolosives ».

[77] Le nombre de lettres en date de 2023 qui m’ont été présentées à l’audience n’est pas élevé et certaines d’entre elles contiennent des différences non négligeables avec celles émises en 2022, que ce soit dans leur formulation ou dans les options présentées aux fonctionnaires concernés. De plus, la preuve qui m’a été présentée à l’audience indique qu’à l’automne 2022, le CSP aurait possiblement apporté des changements pour rendre plus claires les communications relatives au recouvrement de trop-payés liés au système de paye Phénix. La preuve qui m’a été présentée est inadéquate pour me permettre de conclure qu’un constat ou une conclusion relativement aux lettres envoyées en 2022 serait transposable à celles envoyées un an plus tard.

[78] Dans les circonstances de cette affaire, j’estime qu’une preuve relative au contenu de lettres envoyées plus d’un an après la présentation du grief n’est ni pertinente à l’analyse que je dois effectuer ni nécessaire.

[79] À quelques exceptions près, je n’ai pas retenu, pour les fins de ce résumé de la preuve et de l’analyse qui suivra, la preuve qui m’a été présentée à l’audience relativement au contenu des lettres de recouvrement envoyées bien après la date du grief, notamment des lettres de recouvrement en date de 2023, et ce, même si les lettres portaient sur le recouvrement de trop-payés versés en 2016 et en 2017. Lorsque j’ajouterai au résumé de la preuve une référence au contenu de lettres envoyées bien après la date du grief, il s’agit de lettres de recouvrement modifiées ou des suivis à des lettres envoyées pendant la période visée par le grief.

[80] À l’audience, l’agent négociateur m’a également présenté une preuve importante relativement aux divers types de problèmes de paye qui ont été causés par la mise en œuvre du système de paye Phénix et quant aux difficultés que des agents correctionnels ont eues à obtenir des renseignements et de l’aide de la part du CSP. Comme je l’ai indiqué lors de l’audience, un grief de principe ne constitue pas un forum dans lequel l’agent négociateur peut faire le procès du système de paye Phénix et de l’entièreté de la gestion qu’en a fait l’employeur depuis 2016. Les questions sur lesquelles je dois me pencher sont circonscrites par le grief lui-même, et ce n’est que sur ces questions que je vais me prononcer.

[81] L’agent négociateur a également présenté une preuve importante relativement à des cas individuels d’agents correctionnels qui ont reçu des lettres de recouvrement ou qui ont autrement été touchés par des problèmes de paye à la suite de la mise en œuvre du système de paye Phénix.

[82] Les avocats de l’employeur m’ont demandé de faire preuve de prudence dans le traitement des cas individuels qui m’avaient été présentés, et ce, avec raison. Parmi les témoins de l’agent négociateur, il y en a plusieurs qui ont renvoyé des griefs individuels à l’arbitrage devant la Commission relativement aux mêmes enjeux dont je traite dans la présente décision. De plus, l’agent négociateur représente plusieurs fonctionnaires qui ont renvoyé des griefs individuels à l’arbitrage devant la Commission relativement à ces enjeux. La majorité de ces griefs individuels sont en suspens en attente de la présente décision.

[83] Cela étant dit, les cas individuels peuvent tout de même servir de contexte utile et important et peuvent alimenter la réflexion de la Commission dans le cadre de l’analyse d’un grief de principe. Pour cette raison, le résumé de la preuve qui suit ne contient que le minimum de renseignements relatifs aux cas individuels que j’ai jugé nécessaires pour assurer une compréhension des enjeux et de mon analyse.

B. Évolution du cadre régissant les recouvrements de trop-payés du système de paye Phénix

[84] Le système de paye Phénix a été mis en œuvre en 2016. Peu après sa mise en œuvre, des problèmes de paye, parfois mineurs, parfois majeurs, ont été constatés. Certains agents correctionnels ont reçu un ou plusieurs trop-payés, tandis que d’autres n’ont pas reçu une ou plusieurs payes et ont obtenu une ASU du SCC. Toutefois, des trop-payés ne sont pas propres au système de paye Phénix et pouvaient se produire avant la mise en œuvre de celui-ci.

[85] Le droit de l’employeur de recouvrer des paiements en trop faits à titre de salaire n’est également pas nouveau. Il s’agit d’un droit qui existait bien avant la mise en œuvre du système de paye Phénix et des problèmes de paye qui en ont découlé.

[86] À l’audience, Angelo Gatto, le directeur de l’équipe responsable de la Directive, a indiqué que la Directive comportait des dispositions sur les recouvrements par l’employeur de trop-payés versés à titre de salaires (voir l’article A.3.15.1 de la Directive) bien avant la mise en œuvre du système de paye Phénix. Elle prévoyait que des trop-payés devaient être recouvrés intégralement sur les premières sommes dues à l’employé concerné. Dans des circonstances exceptionnelles, l’employeur pouvait autoriser que le recouvrement soit échelonné sur plusieurs périodes de paye ou autoriser un taux de recouvrement moindre.

[87] En 2017, la partie 3 de l’annexe A de la Directive a été modifiée pour y inclure des dispositions portant spécifiquement sur les mesures de recouvrement liées à la mise en œuvre du système de paye Phénix. Ces dispositions, qui étaient toujours en vigueur au moment de l’audience, prévoient que le recouvrement d’un trop-payé du système de paye Phénix doit se faire sur le nombre de périodes de paye équivalant au nombre de périodes de payes au cours desquelles le trop-payé a été versé, sauf si l’employé demande que le recouvrement ait lieu sur une période plus courte (voir les articles A.3.15.4.1 et A.3.15.4.2 de la Directive), si l’employeur ordonne que le recouvrement soit échelonné sur plusieurs périodes de paye selon un taux de recouvrement minimal ou si l’employeur autorise un taux de recouvrement moindre (voir l’article A.3.15.3).

[88] En 2018, la Directive a été modifiée de nouveau. L’employeur y a ajouté un article prévoyant la possibilité de l’établissement, par lui et au cas par cas, d’échéanciers alternatifs pour le recouvrement de trop-payés liés au système de paye Phénix, incluant le report de remboursements (voir l’article A.3.15.4.4 de la Directive).

[89] L’employeur a également émis des directives adressées au CSP et aux divers ministères et organismes au sein de la fonction publique. Ces directives voulaient qu’aucun recouvrement de trop-payé du système de paye Phénix ou d’ASU liée au système de paye Phénix ne devait commencer avant que le dossier de paye de l’employé n’ait été rapproché et « plus précisément pas avant que les problèmes de paye de l’employé soient résolus », que l’employé n’ait reçu sa paye exacte pendant trois périodes de paye, et qu’un plan de recouvrement n’ait été élaboré conjointement par le CSP et l’employé.

[90] Ces directives figuraient dans un bulletin d’information en date de mars 2018 intitulé Flexibilités supplémentaires à l’égard du recouvrement trop-payés, des avances de salaire d’urgence et des paiements prioritaires (le « Bulletin de 2018 »). Ce bulletin communiquait, entre autres, les modifications apportées à la Directive qui ont été décrites précédemment. Selon le Bulletin de 2018, les modifications avaient pour but de fournir une plus grande flexibilité dans le recouvrement des trop-payés et des ASU liés au système de paye Phénix, assurer que les recouvrements n’imposent pas de difficultés financières et de stress supplémentaires aux employés concernés et veiller à ce que les recouvrements soient gérés de façon uniforme. Il indiquait également qu’au début d’un recouvrement, les ministères et organismes devaient être prêts à fournir des preuves et des explications au sujet de la cause du trop-payé au fonctionnaire qui faisait l’objet d’un recouvrement.

[91] Le 12 octobre 2021, l’employeur a émis un bulletin d’information qui a remplacé le Bulletin de 2018. Ce nouveau bulletin est intitulé Informations supplémentaires sur le recouvrement des trop-payés, des avances de salaire d’urgence et des paiements prioritaires (le « Bulletin de 2021 »). Il s’adresse au CSP ainsi qu’à divers directeurs au sein des ministères et organismes de la fonction publique fédérale.

[92] Les parties s’entendent pour dire que le Bulletin de 2021 constitue une décision de la part de l’employeur de commencer à recouvrer les trop-payés versés en 2016 et en 2017 et de modifier le processus de recouvrement pour ce faire.

[93] Le Bulletin de 2021 indique que l’employeur modifie sa procédure de recouvrement de trop-payés pour protéger le droit de la Couronne de recouvrer les trop-payés causés par la mise en œuvre du système de paye Phénix. Il décrit le processus pour commencer les recouvrements. Dans les paragraphes qui suivent, je décrirai ce que prévoit le Bulletin de 2021.

[94] À compter du 12 octobre 2021, le CSP devait commencer à communiquer avec les fonctionnaires qui avaient reçu des trop-payés en 2016 et en 2017 et qui n’avaient pas encore de plan de remboursement en place. Le CSP devait envoyer une lettre à ces fonctionnaires. La lettre devait détailler le trop-payé et les options de remboursement.

[95] Selon le Bulletin de 2021, les fonctionnaires n’avaient pas nécessairement à rembourser le trop-payé immédiatement après avoir reçu la lettre.

[96] Un fonctionnaire pouvait choisir de reconnaître son trop-payé par écrit, ce qui entraînerait le report du recouvrement du trop-payé jusqu’à ce que son dossier de paye ait été rapproché et qu’il ait reçu sa paye exacte pour trois périodes de paye consécutives. Comme il a été indiqué précédemment, le rapprochement d’un dossier de paye est un exercice de comptabilité qui consiste, de façon générale, à effectuer une révision de l’entièreté du dossier de paye d’un employé pour assurer que toutes les transactions y ont été effectuées correctement. Cela peut exiger de faire correspondre et comparer les transactions inscrites au dossier de paye de l’employé afin de s’assurer que les montants réclamés à titre de trop-payés sont exacts et complets.

[97] Le Bulletin de 2021 indique qu’un fonctionnaire qui reconnaît son trop-payé aurait la possibilité d’élaborer, en collaboration avec le ministère ou le CSP, un calendrier de remboursement suffisamment souple pour éviter, dans la mesure du possible, des répercussions négatives sur lui.

[98] Selon le Bulletin de 2021, quatre semaines sont accordées au fonctionnaire pour répondre à la lettre de recouvrement.

[99] Si le fonctionnaire ne répond pas dans les quatre semaines, le Bulletin de 2021 prévoit que le processus pour recouvrer le trop-payé sera amorcé conformément à la Directive, c’est-à-dire que le recouvrement serait échelonné sur un nombre de périodes de paye équivalant au nombre de périodes de paye au cours desquelles le trop-payé a eu lieu. Le Bulletin de 2021 n’indique pas qu’un rapprochement du dossier de paye sera effectué avant qu’un recouvrement soit effectué.

[100] Le Bulletin de 2021 indique également que, si un fonctionnaire était en désaccord avec le montant du trop-payé indiqué dans la lettre, il pouvait contester le montant tout en reconnaissant l’existence d’un trop-payé. Dans de telles circonstances, le CSP amorcerait un « examen de la transaction » et fournirait au fonctionnaire d’autres renseignements, au besoin. Le témoin de l’employeur a décrit l’exercice effectué par le CSP comme une révision du dossier en vue de confirmer le trop-payé.

[101] En dernier lieu, le Bulletin de 2021 indique que le recouvrement d’une ASU sera traité de la même façon que les trop-payés.

[102] La différence la plus significative entre les bulletins de 2018 et de 2021 est le retrait, en 2021, de toute mention voulant que des démarches en vue d’un recouvrement ne soient pas entamées avant que le dossier de paye de l’employé n’ait été rapproché et que l’employé n’ait reçu sa paye exacte pendant trois périodes de paye.

[103] À l’été 2022, soit environ six ans après le versement des premiers trop-payés et ASU, le CSP a commencé à envoyer des lettres de recouvrement en lien avec les trop‑payés versés en 2016 et en 2017.

[104] L’agent négociateur et l’employeur ont tous les deux présenté en preuve des exemples de lettres qui portaient sur des trop-payés et des ASU versés à des agents correctionnels en 2016 et en 2017. Il n’est pas nécessaire pour moi d’exposer l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée quant aux lettres envoyées par l’employeur et le SCC. Pour l’instant, il suffit d’en fournir une description générale. Lorsque je décrirai certains cas individuels qui m’ont été présentés pour contextualiser les allégations de l’agent négociateur, j’y reviendrai.

[105] La majorité des lettres qui portent sur un trop-payé qui m’ont été présenté en preuve avaient certains points en commun. Les voici :

1) Elles comportent deux annexes, soit une annexe A intitulée « Détails relatifs au trop-payé de 2016 », et une annexe B intitulée « Reconnaissance du trop-payé »;

2) elles informent le fonctionnaire concerné que les dossiers de l’employeur ou du SCC indiquent qu’il a reçu un trop-payé;

3) elles précisent le total du ou des trop-payés;

4) elles informent le fonctionnaire qu’il doit reconnaître le trop-payé pour continuer d’avoir accès aux options de remboursement flexibles qui visent à garantir que les recouvrements n’occasionnent ni stress ni difficultés financières;

5) elles avisent le fonctionnaire que, s’il reconnaît le montant total des trop-payés, par écrit, il peut bénéficier d’une flexibilité dans la détermination d’un plan de remboursement et pourrait reporter le remboursement jusqu’à ce qu’il ait reçu trois payes exactes consécutives, que toutes les sommes impayées à titre de salaire lui aient été versées par l’employeur ou le SCC, le cas échéant, et qu’il ait établi une entente de recouvrement;

6) elles informent le fonctionnaire que, s’il ne conteste pas le montant du trop-payé, il doit remplir l’annexe B en cochant la case désignant qu’il reconnaît l’existence du trop-payé. Il doit également préciser les modalités de remboursement ainsi que l’option de remboursement;

7) elles indiquent que, si le fonctionnaire conteste la validité ou le montant du trop-payé, il doit remplir l’annexe B en cochant la case désignant qu’il accuse réception de la lettre de recouvrement, mais qu’il conteste la validité ou le montant du trop-payé. Le fonctionnaire est invité à indiquer la raison pour laquelle il conteste le trop-payé et à fournir ou joindre de plus amples informations;

8) elles informent le fonctionnaire que l’annexe B doit être soumise accompagnée d’une demande d’intervention de paye sur laquelle le fonctionnaire aura sélectionné la case « Recouvrement du trop-payé »;

9) elles précisent la date par laquelle l’annexe B dûment remplie doit être reçue par le CSP, faute de quoi le trop-payé sera recouvré par défaut, conformément à l’article A.3.15 de la Directive. Le délai indiqué est quatre semaines après la date à laquelle la lettre de recouvrement a été envoyée au fonctionnaire.

 

[106] On m’a présenté à l’audience seulement deux lettres de recouvrement en lien avec une ASU. Elles sont presque identiques aux lettres en lien avec un trop-payé, mais elles n’ont pas d’annexe B. De plus, ces lettres expliquent les démarches que doit prendre un fonctionnaire pour reconnaître l’existence d’une ASU et pour bénéficier d’options de remboursement, mais elles n’expliquent pas au fonctionnaire concerné quelle démarche doit être prise s’il souhaite contester la validité ou le montant de l’ASU. La lettre ne présente que deux choix, soit reconnaître l’ASU en remplissant et en envoyant un formulaire intitulé « Demande d’avance de salaire d’urgence (ASU) ou de paiement prioritaire » (aussi connu comme le formulaire GC-214) dans les quatre semaines de la lettre de recouvrement, soit ne pas y répondre, ayant comme conséquence que le recouvrement sera entamé à la prochaine période de paye.

[107] La preuve qui m’a été présentée à l’audience démontre qu’à la mi-2022, des agents correctionnels ont commencé à recevoir des lettres de recouvrement pour des trop-payés et des ASU versés en 2016 et en 2017. Plusieurs d’entre eux se sont tournés vers l’agent négociateur pour de l’aide et de l’information. Certains auraient reconnu les trop-payés et les ASU. Comme il le sera décrit dans le sommaire de la preuve testimoniale, d’autres ont contesté la validité ou le montant du trop-payé.

C. Preuve testimoniale

[108] La Commission a entendu neuf témoins. Elle a également reçu une preuve documentaire importante relativement aux lettres de recouvrement qui ont été envoyées par le Conseil du Trésor et le SCC à l’été de 2022 à des agents correctionnels représentés par l’agent négociateur.

1. Témoin de l’employeur

[109] Le seul témoin pour l’employeur était M. Gatto. En 2021, il était le directeur de la direction Politique de rémunération, interprétation et administration de la paye au sein du Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines (BDPRH). Le BDPRH est responsable des politiques et directives de l’employeur en matière de rémunération et de conditions d’emploi. Il dirigeait l’équipe responsable de la Directive et l’élaboration du Bulletin de 2021. Il a également été impliqué dans la préparation de gabarits de lettres de recouvrement de trop-payés et d’ASU.

[110] M. Gatto a témoigné au sujet de l’évolution du cadre régissant les recouvrements d’ASU et de trop-payés du système de paye Phénix qui a été décrit précédemment. Il a décrit les changements apportés à la Directive en 2017 et en 2018 qui, selon lui, visaient à reconnaître l’impact des problèmes de paye liés au système de paye Phénix sur les fonctionnaires et à atténuer l’impact en permettant plus de flexibilité quant à la période sur laquelle un trop-payé pouvait être recouvré et en prévoyant la possibilité d’établir des échéanciers individualisés pour le remboursement de trop-payés et d’ASU liés au système de paye Phénix, ou encore, le report des remboursements.

[111] Il a également témoigné au sujet de consultations menées par l’employeur auprès des agents négociateurs relativement aux recouvrements liés au système de paye Phénix, soit relativement aux changements apportés à la Directive en 2017 et en 2018, et l’élaboration du Bulletin de 2021. Il a identifié plusieurs documents qui font état d’une consultation auprès des membres d’un comité patronal-syndical sur le système de paye Phénix qui a eu lieu de juin à août 2021 en lien avec le contenu et le libellé du Bulletin de 2021. Il a décrit la rétroaction fournie par les agents négociateurs et les changements qui ont été apportés au libellé du Bulletin de 2021 en réponse à cette rétroaction.

[112] Selon M. Gatto, le seul changement que l’employeur a effectué en octobre 2021 a été de décider de commencer à recouvrer les trop-payés du système de paye Phénix et d’envoyer des lettres de recouvrement aux fonctionnaires concernés. Ces lettres demandaient aux fonctionnaires de reconnaître un trop-payé avant qu’un rapprochement de leurs dossiers de paye ait lieu. Le rapprochement serait effectué après qu’ils ont eu reconnu le trop-payé. Aucun changement n’a été apporté à la Directive ou à la convention collective.

[113] À l’audience, M. Gatto a indiqué qu’en 2021, le système de paye Phénix était suffisamment stable et fiable pour permettre à l’employeur d’envisager de commencer le recouvrement de trop-payés. Selon lui, le recouvrement des trop-payés de 2016 était prioritaire en raison de l’application de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Compte tenu du délai de prescription prévu à cette loi, du temps écoulé depuis le versement des trop-payés de 2016 et du temps et des ressources nécessaires pour effectuer le rapprochement des dossiers, l’employeur a choisi de demander la reconnaissance des trop-payés de 2016 et 2017 avant d’effectuer le rapprochement. Il l’a fait pour prolonger la période dont il pouvait disposer pour recouvrer la créance, tout en reportant le remboursement des trop-payés et en offrant des options de remboursement flexibles. Le Bulletin de 2021 a effectué ce changement.

[114] Selon M. Gatto, les trop-payés liés au système de paye Phénix constituaient une créance importante de la Couronne. L’employeur devait équilibrer sa responsabilité fiscale de recouvrer où possible des créances de la Couronne et le besoin de faire preuve de la souplesse nécessaire pour éviter d’imposer aux fonctionnaires concernés un fardeau indu.

[115] M. Gatto a décrit le processus de recouvrement lancé en 2021, tel que le processus avait été envisagé. Bien qu’il ait été impliqué dans la préparation de gabarits de lettres, il n’a pas été impliqué dans la préparation ou l’envoi de lettres de recouvrement spécifiques.

[116] Selon lui, le processus de recouvrement prévoit trois scénarios, soit un scénario où l’employé reconnaît le trop-payé en remplissant et en envoyant l’annexe B au CSP, accompagnée d’une demande d’intervention de paye, soit un scénario où l’employé conteste la validité ou le montant du trop-payé en remplissant et en envoyant l’annexe B au CSP, ou encore, un scénario dans lequel l’employé ne répond pas à la lettre de recouvrement dans le délai prévu à la lettre et verra le trop-payé recouvré sur sa prochaine paye. Relativement à ce dernier scénario, M. Gatto a indiqué que, si le trop-payé découlait d’un seul versement de salaire en trop, le trop-payé serait habituellement recouvré dans son entièreté à partir de la prochaine paye. Si, toutefois, le trop-payé découlait de salaire en trop versé sur plusieurs périodes de paye, le trop-payé serait recouvré sur le même nombre de périodes de paye.

[117] Selon M. Gatto, l’annexe A des lettres de recouvrement contient tous les détails nécessaires pour permettre à un fonctionnaire de valider le montant et l’existence du trop-payé. Son témoignage à l’audience indique qu’il n’était pas au courant que certains renseignements pouvant être indiqués à l’annexe A étaient des renseignements tirés du système de paye Phénix, des renseignements auxquels un fonctionnaire n’aurait habituellement pas accès.

[118] Dans son témoignage, M. Gatto a indiqué que le processus décrit dans le Bulletin de 2021 permet au fonctionnaire concerné qui souhaite contester la validité ou le montant du trop-payé de présenter une preuve voulant que le montant ou la validité du trop-payé est inexact. Une contestation mène à une vérification par le CSP. Selon lui, si des corrections sont apportées au trop-payé à la suite de la vérification, l’employé en serait avisé. Si le montant du trop-payé est confirmé par le CSP, le recouvrement serait initié conformément à la Directive.

[119] M. Gatto a reconnu qu’il était possible qu’un employé reconnaisse un trop-payé daté de 2016, mais qu’un rapprochement du dossier de paye démontre, qu’une fois toutes les transactions au dossier effectuées correctement, il n’existe pas réellement de trop-payé au dossier.

[120] M. Gatto a indiqué qu’il n’était plus en poste en 2022 lorsque six ans s’étaient écoulés depuis le versement des premiers trop-payés de 2016. Il a indiqué avoir participé à des discussions au sujet du délai de prescription. Toutefois, il ne se souvenait pas de ce qui avait été discuté. Il ne se souvenait également pas s’il avait participé à des discussions où les participants auraient discuté de la possibilité ou du besoin de supprimer toute référence à la reconnaissance de trop-payés des lettres de recouvrement en lien avec des trop-payés prescrits.

[121] Bien que M. Gatto aurait vraisemblablement quitté son poste vers l’été 2022, il a toutefois témoigné relativement à un document intitulé « Le point sur les trop-payés » préparé par le CSP en octobre 2022, un document que M. Gatto a décrit comme des changements apportés par le CSP à l’automne 2022 pour rendre plus claires les communications relatives au recouvrement de trop-payés liés au système de paye Phénix. Le document indique que des agents négociateurs et des fonctionnaires clients du CSP avaient soulevé des préoccupations quant au « manque de détails clairs sur les lettres » et il souligne l’importance d’inclure des renseignements clairs et précis dans les lettres. M. Gatto a décrit les divers gabarits de lettres de recouvrement en annexe au document, dont certains qui incluent une mention de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et font référence à la notion du délai de prescription.

2. Témoins de l’agent négociateur

[122] L’agent négociateur a appelé huit témoins.

a. Les représentants syndicaux

[123] Trois représentants syndicaux ont témoigné au sujet des retombées, pour l’agent négociateur, de l’envoi des lettres de recouvrement à de nombreux agents correctionnels partout au pays.

[124] Jeffrey Wilkins, le président national d’UCCO-SACC-CSN à l’époque, Frédérick Lebeau, le vice-président national à l’époque et François Ouellette, un conseiller syndical et coordonnateur national, ont témoigné quant à leur connaissance de la nature des problèmes de paye qu’éprouvaient des agents correctionnels partout au pays à la suite de la mise en œuvre du système de paye Phénix. Ces problèmes incluaient, entre autres, le non-versement d’une paye ou de plusieurs payes, la non‑perception de cotisations syndicales, le versement d’une ou plusieurs payes à des agents correctionnels en congé non payé, le versement d’une ou plusieurs payes en trop en lien avec des heures supplémentaires ou des nominations intérimaires, et le versement de payes en lien avec l’exécution de fonctions intérimaires non rémunérées.

[125] Ils ont également témoigné quant aux mesures prises par l’employeur en 2022 pour recouvrer des trop-payés et des ASU de 2016 et de 2017. Ils ont décrit la confusion, l’inquiétude et le stress que leur ont communiqués les agents correctionnels concernés à la suite de la réception d’une ou plusieurs lettres de recouvrement. Ils ont décrit des situations dans lesquelles des agents correctionnels étaient incapables de comprendre la source du trop-payé faisant l’objet de la lettre de recouvrement ou de confirmer l’exactitude des sommes qu’on leur réclamait. M. Lebeau et M. Ouellette ont décrit des situations dans lesquelles des agents correctionnels leur rapportaient que les sommes réclamées dans les lettres de recouvrement étaient manifestement erronées. Ils ont décrit les divers enjeux et problématiques qu’ils ont eu à traiter au nom des agents correctionnels.

[126] M. Lebeau a également témoigné quant à sa situation personnelle. Je reviendrai à son témoignage dans ma description de la preuve relativement à des cas individuels.

b. Les agents correctionnels

[127] Six agents correctionnels ont témoigné au sujet des lettres de recouvrement qu’ils ont reçu. Cinq d’entre eux ont reçu des lettres de recouvrement de trop-payés de l’employeur par l’entremise du CSP, tandis qu’un témoin a reçu une lettre de recouvrement qui provenait du SCC et qui visait le recouvrement d’une ASU.

[128] Parmi ces témoins, il y en a deux qui ont uniquement reçu des lettres de recouvrement en date de 2023. Comme je l’ai indiqué précédemment, je décrirai leur témoignage dans la mesure qu’il est pertinent à la procédure de recouvrement de l’employeur. Je ne décrirai pas leur témoignage relativement au contenu des lettres.

i. Pascal Lafontaine

[129] M. Lafontaine a indiqué que, pendant un certain temps en 2016, il a reçu deux dépôts dans son compte bancaire par période de paye, soit sa paye régulière et un autre dépôt qui était décrit sur ses relevés de paye à l’aide du mot « intérim ». Selon lui, il n’a pas occupé un poste par intérim en 2016 et n’aurait pas dû recevoir la deuxième paye. Il a indiqué qu’en 2016, il a pris des démarches pour que cette deuxième paye cesse de lui être versée.

[130] En 2017 ou en 2018 et à l’aide de ses relevés de paye, il a préparé un tableau pour comptabiliser les trop-payés qu’il avait reçus en 2016. Il voulait avoir une idée générale des trop-payés bruts et nets qui lui avaient été versés.

[131] Le 4 juillet 2022, M. Lafontaine a reçu une lettre de recouvrement qui indiquait que, selon les dossiers du CSP, son compte faisait état d’un trop-payé de plus de 24 000 $ versé en 2016. L’objet de la lettre indique « OPTIONS DE REMBOURSEMENT FLEXIBLES – RECONNAISSANCE DU TROP-PAYÉ DE 2016 – fonctionnaire en service ».

[132] La lettre fait référence au Bulletin de 2021 et indique que M. Lafontaine doit :

[…]

[…] reconnaître l’existence du trop-payé pour continuer d’avoir accès aux options de remboursement flexibles des trop-payés causés par Phénix. Ces options flexibles visent à garantir que les recouvrements ne vous occasionnent pas de difficultés financières ni de stress.

[…]

 

[133] La lettre indique que, s’il reconnaît le montant du trop-payé par écrit, M. Lafontaine disposera « […] d’un maximum raisonnable de discrétion afin d’établir un plan de remboursement et [pourra] continuer à reporter le remboursement du trop-payé » jusqu’à ce que trois conditions (le paiement par l’employeur de toutes les sommes impayées qui lui sont dues, la confirmation qu’il a reçu trois payes exactes consécutives et l’établissement d’une entente de recouvrement) soient remplies.

[134] La lettre indique également que, si M. Lafontaine ne conteste pas le montant du trop-payé dont les détails sont présentés dans l’annexe A (annexe reproduite plus loin dans cette décision), il doit cocher une case à cet effet dans l’annexe B de la lettre, indiquer s’il souhaite rembourser le trop-payé immédiatement ou une fois que les trois conditions décrites précédemment ont été remplies, et choisir une des trois options de remboursement énumérées dans l’annexe B. Ces options sont le remboursement à partir des premières sommes disponibles (par le biais de retenues sur la paye), le remboursement du montant total du trop-payé ou « l’accès aux options de remboursement flexibles par l’entremise d’une entente de recouvrement (retenues sur la paye), ce qui représente un montant de 322,16 $ par période de paye ». L’annexe B indique que l’article A.3.15 de la Directive contient de plus amples renseignements sur les options de recouvrement.

[135] À la lecture de la lettre, il semblerait que si M. Lafontaine conteste la validité ou le montant du trop-payé, il doit l’indiquer en cochant la case « J’accuse réception de la lettre […], mais je conteste la validité ou le montant du trop-payé pour la raison suivante (veuillez fournir ou joindre de plus amples informations) : » dans l’annexe B. L’annexe B comporte un espace dans lequel le fonctionnaire peut y ajouter des informations quant à la raison pour laquelle il conteste le trop-payé.

[136] La lettre indique également que, si le fonctionnaire conteste la validité ou le montant du trop-payé, un représentant communiquera avec lui pour répondre à ses questions sur le trop-payé et pour obtenir de plus amples renseignements.

[137] En dernier lieu, la lettre indique que M. Lafontaine a quatre semaines pour remplir et faire parvenir deux documents au CSP, soit l’annexe B et une demande d’intervention de paye sur laquelle il aura sélectionné l’option « Recouvrement du trop-payé ». La lettre précise que, si les documents ne sont pas reçus par le CSP dans les quatre semaines, le trop-payé sera recouvré par défaut à compter de la paye du 17 août 2022, conformément à l’article A.3.15 de la Directive.

[138] L’annexe A de la lettre contient les détails relatifs au trop-payé de 2016. Dans le cas de M. Lafontaine, l’annexe A indique ce qui suit :

[…]

Détail;

DATES DU TROP-PAYÉ : Début 2016-05-19 a 2016-11-02

 

Période 2016-05-19 a 2016-06-01 dans la dossier numéro 3.

Correction salarial $ -612.50 But

Par chèque numéro 2539810 Émis 2018-05-30

Cela a créé un trop payé de $532.94 Net

 

Période 2016-05-19 a 2016-06-01 dans la dossier numéro 3.

-80 heures x Taux horaire $28.460403 = $-2276.83

Par chèque numéro 2215098 Émis 2018-02-21

Cela a créé un trop payé de $1 981.07 Net

 

Période 2016-06-02 a 2016-11-02 dans la dossier numéro 1.

-880 heures x Taux horaire $28.460403 = $-25045.15

Par chèque numéro 2215097 Émis 2018-02-21

Cela a créé un trop payé de $21 791.77 Net

 

Déjà recouvert ;

Par chèque numéro 2455243 Émis 2018-05-02 $276.43

 

Résumé :

Trop payé total $24 305.78

Recouvert partiel total : $276.43

Solde Balance dû ; $24 029.35

 

Salaire brut du substantif dos #0 à la quinzaine actuel : 3221.60 X 10% = $322.16

 

Calendrier de remboursement par défaut ;

Montant du trop-payé est : $24 029.35

Le montant des retenues : $2 002.45 par paye pendant 12 périodes de paye.

1ière retenue va être prise le 17 Août 2022

Les retenues se poursuivront jusqu’à ce que le montant soit entièrement remboursé.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[139] Dans l’annexe B, M. Lafontaine a choisi l’option selon laquelle il accusait réception de la lettre de recouvrement, mais qu’il contestait la validité ou le montant du trop-payé décrit dans l’annexe A. Il a indiqué qu’il contestait en raison du fait que le montant réclamé était inexact. Il a ajouté « Voir grief ». À l’audience, M. Lafontaine a indiqué qu’en juillet 2022, alors qu’il remplissait l’annexe B, il contestait d’abord et avant tout l’exactitude du trop-payé qui lui était réclamé.

[140] À l’audience, il a indiqué que, dès qu’il a reçu la lettre de recouvrement et ses deux annexes, il a constaté que le trop-payé qu’on lui réclamait était trop élevé. Le montant ne correspondait pas aux totaux dans le tableau qu’il avait préparé. À l’audience, il a indiqué que selon ses calculs, on lui réclamait presque 7 000 $ en trop.

[141] Dans le cadre de son témoignage, M. Lafontaine a décrit sa confusion à la lecture de l’annexe A. Par exemple, il a indiqué qu’il savait qu’il avait reçu un trop-payé sur la paye du 19 mai au 1 juin 2016, mais les montants inscrits dans l’annexe A ne correspondaient pas aux montants inscrits dans son relevé de paye pour cette période. Il ne comprenait également pas les références aux dossiers numéro 1 et 3, ou aux numéros de chèques inscrits dans l’annexe A. À l’audience, il a indiqué avoir passé en revue ses relevés de paye et de compte bancaire à la recherche des numéros de chèques inscrits dans l’annexe A, sans succès. Selon lui, il n’a également pas trouvé de versement ou de paiement pour les montants indiqués aux dates indiquées. M. Lafontaine ignorait ce à quoi une « correction salariale » faisait référence.

[142] La preuve qui m’a été présentée à l’audience indique que la mention dans l’annexe A de numéros de chèques et des dates auxquelles les chèques ont été émis n’a rien à voir avec des chèques comme le mot est communément utilisé et compris. Ces soi-disant « numéros de chèques » feraient plutôt référence à des numéros générés par le système de paye lorsqu’une transaction en lien avec la paye est entrée dans le système. Les dates correspondraient aux dates auxquelles un conseiller en rémunération aurait effectué la transaction dans le système de paye Phénix.

[143] Selon M. Lafontaine, bien qu’il ait indiqué dans l’annexe B qu’il contestait la validité ou le montant du trop-payé, aucun représentant du CSP n’aurait communiqué avec lui pour obtenir de plus amples renseignements.

[144] En date de son témoignage lors de la première phase de l’audience, aucune mesure de recouvrement n’avait été effectuée en lien avec le trop-payé de 2016.

ii. Olivier Roy

[145] Olivier Roy aurait reçu des trop-payés pendant un congé parental en 2016.

[146] Le 26 octobre 2022, il a reçu une lettre de recouvrement. La lettre était datée du 19 août 2022. En raison d’une erreur lors de l’envoi de la lettre en août 2022, M. Roy n’a reçu la lettre qu’en octobre 2022. La lettre indiquait qu’il avait reçu des trop-payés en 2016 qui totalisaient un peu plus de 5 500 $. La lettre indiquait que M. Roy devait donner suite à la lettre dans les quatre semaines, faute de quoi le trop-payé serait recouvré à même sa paye.

[147] Le titre et le contenu de la lettre sont semblables à ceux de la lettre qu’a reçue M. Lafontaine et qui a été décrite précédemment. Pour cette raison, je décrirai uniquement le contenu de l’annexe A, plus précisément les détails relatifs au trop-payé de 2016. Je décrirai également, mais brièvement, les démarches prises par M. Roy et le recouvrement d’un trop-payé qui aurait eu lieu à l’automne 2022.

[148] Cinq séries de dates sont énumérées dans l’annexe A de la lettre qu’il a reçu. Les dates sont suivies de calculs pour refléter le total du trop-payé pour les dates en question. Dans le cas de M. Roy, aucun numéro de chèque n’est indiqué en lien avec les calculs du total de ses trop-payés.

[149] Selon le « calendrier de remboursement par défaut » dans l’annexe A, qui est un calendrier qui semble avoir pour objectif d’indiquer les recouvrements qui auraient lieu si M. Roy ne remplissait et n’envoyait pas l’annexe B dans les quatre semaines, plus de 1 000 $ seraient retenus de ses payes pour cinq périodes de paye consécutives.

[150] M. Roy avait lu un article de presse qui portait sur l’application d’un délai de prescription de six ans aux problèmes du système de paye Phénix. Il a constaté que l’annexe A de la lettre de recouvrement énumérait une série de cinq périodes entre le 22 août 2016 et le 7 octobre 2016, suivie de calculs pour refléter le total du trop-payé pour chacune des périodes. Selon lui, les périodes énumérées dans l’annexe A remontaient à plus de six ans de la date à laquelle il avait reçu la lettre de recouvrement. Il a envoyé un courriel au CSP indiquant qu’il contestait les trop-payés en raison du délai de prescription.

[151] À l’audience, M. Roy a décrit les choix offerts par la lettre de recouvrement comme un ultimatum, une menace de recouvrer les sommes s’il ne retournait pas l’annexe B accompagnée d’une demande d’intervention de paye dans le délai de quatre semaines.

[152] Il a également témoigné quant à son incompréhension de certains éléments d’information dans l’annexe A, notamment des déductions de plusieurs centaines de dollars qui avaient été effectuées par l’employeur du total du trop-payé. Il ne comprenait pas de quelles déductions il s’agissait.

[153] Peu après avoir informé le CSP qu’il contestait les trop-payés en raison du délai de prescription, M. Roy a reçu un courriel du CSP indiquant que le total des trop-payés avait été révisé à la baisse. Un montant d’un peu plus de 400 $ lui était désormais réclamé à titre de trop-payé. Selon M. Roy, ce montant correspond à deux dates qui remontaient à plus de six ans de la date à laquelle il avait reçu la lettre de recouvrement, mais pour lesquelles la rémunération lui aurait été versée à l’intérieur d’un délai de six ans. Comme pour la lettre de recouvrement qu’il avait reçu préalablement, le courriel du CSP indiquait qu’il devait reconnaître le trop-payé pour avoir droit à des options de remboursement flexibles, et que, s’il ne répondait pas au courriel dans les quatre semaines, le recouvrement serait initié.

[154] M. Roy n’a pas répondu. En novembre 2022, il a reçu un état de compte final du CSP qui indiquait qu’un trop-payé de plus de 5 000 $ serait transmis aux services financiers du SCC à des fins de recouvrement. Il n’y comprenait rien. Un recouvrement avait déjà eu lieu et le courriel qu’il avait reçu quelques semaines auparavant laissait entendre que l’employeur ne chercherait pas à recouvrir les trop-payés qui remontaient à plus de six ans.

[155] À l’audience, M. Roy a indiqué qu’un recouvrement d’un peu plus de 400 $ aurait été effectué à partir de sa paye en décembre 2022. En date de son témoignage lors de la première phase de l’audience, aucune démarche de recouvrement supplémentaire n’avait été prise.

iii. Maryse Perreault

[156] Maryse Perreault est une agente correctionnelle qui, en 2016 et en 2017, aurait reçu des trop-payés pendant deux congés successifs, dont un congé parental.

[157] En 2022 et en 2023, elle a reçu des lettres de recouvrement en lien avec des trop-payés versés en 2016 et en 2017.

[158] Le 30 mai 2022, elle a reçu une lettre de recouvrement qui indiquait des trop-payés totalisant plus de 24 000 $ pour l’année civile 2016. Le titre et le contenu de la lettre sont semblables à ceux de la lettre qu’avait reçue M. Lafontaine et qui a été décrite précédemment.

[159] L’annexe A de la lettre contient les détails relatifs aux trop-payés de 2016. Elle indique que Mme Perreault aurait reçu en trop sa paye régulière du 30 juin 2016 au 14 décembre 2016, et aurait perçu en trop une indemnité d'agent de service correctionnel du 14 juillet 2016 au 8 février 2017. Les détails du trop-payé fournis dans l’annexe A sont les suivants :

[…]

Du 30-06-2016 au 14-12-2016, vous aviez reçu en trop votre paie pour 849 heures

35,928875 x 849 = 30 503,66 $

Montant brut du trop-payé: 30 503,66 $

Montant net du trop-payé: 22 815,95 $ (Chèque #1310198 du 17-05-2017)

Du 14-07-2016 au 14-12-2016, vous aviez reçu en trop votre paie pour 55 heures

35,928875$ x 55 = 1976,04 $.

Montant brut du trop-payé: 1976,04 $

Montant net du trop-payé: 1957,63 $ (Chèque #2398481 du 18-04-2018)

 

Du 14-07-216 au 08-02-2017 vous aviez reçu en trop l'indemnité d'agent de service correctionnel pour 15 périodes de paie à raison de 67,08 $ par période de paye

67,08$ x 15 = 1006,20 $

Montant brut du trop-payé: 1006,20 $

Montant net du trop-payé: 813,04 $ (Chèque #1048659 du 08-03-2017).

Montant net total du trop-payé: 22815,95$ + 1957,63$ + 813,04$ = 25 586,62 $

Recouvrement partiel: 986,80 $

Montant du trop-payé après recouvrement: 25586,62$ - 986,8$ = 24 599,82 $

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[160] Selon le calendrier de remboursement par défaut inclus dans l’annexe A, si Mme Perreault ne donnait pas suite à la lettre de recouvrement dans les quatre semaines, elle verrait sa paye réduite de plus de 1 500 $ pour 16 périodes de paye.

[161] À l’audience, Mme Perreault a indiqué avoir été confuse. Les dates de l’annexe A ne correspondaient pas aux dates de ses congés. Elle ne comprenait également pas comment elle aurait pu recevoir sa paye régulière en trop pour des périodes qui se chevauchaient, soit les périodes du 30 juin au 14 décembre 2016, et du 14 juillet au 14 décembre 2016. Elle a indiqué ne pas être en mesure de comprendre, à la lecture de l’annexe A ou de ses relevés de paye, si l’employeur avait payé le pourcentage de l’indemnité de congé parental auquel elle avait droit en 2016.

[162] Mme Perreault a indiqué qu’après la lecture de la lettre de recouvrement, elle avait eu l’impression qu’elle n’avait que quatre semaines pour choisir entre deux options, soit reconnaître les trop-payés pour éviter un recouvrement immédiat et s’engager à rembourser la somme réclamée, soit ne pas reconnaître le trop-payé, dans quel cas le recouvrement serait entamé dès sa prochaine paye. Selon elle, qu’importe l’option qu’elle choisirait à l’annexe B, on lui demandait de remplir une demande d’intervention de paye. Elle croyait que remplir une demande d’intervention de paye mènerait à un recouvrement. À l’audience, elle a indiqué s’être sentie coincée.

[163] Mme Perreault a pris plusieurs démarches. Elle a écrit au directeur de son établissement pour lui demander de l’aide à arrêter le recouvrement. Elle a embauché un comptable. Elle a appelé le CSP et elle s’est fait dire de consulter ses relevés de paye de 2016 pour plus de détails au sujet du trop-payé.

[164] Selon elle, le 8 juin 2022 et avant même que le délai de quatre semaines pour donner suite à la lettre de recouvrement soit échu, un recouvrement aurait été effectué à partir de sa paye, et ce, sans préavis. Elle aurait reçu une paye qui représentait environ la moitié d’une paye normale.

[165] Le 14 juin 2022, Mme Perreault a rempli l’annexe B, indiquant qu’elle contestait la validité ou le montant du trop-payé décrit dans l’annexe A. Elle y a joint un complément d’information qui indiquait, entre autres, qu’un recouvrement avait déjà eu lieu, que des modifications avaient été apportées à sa paye pour certaines périodes énumérées à l’annexe A et que le CSP ne lui avait pas fourni les documents ou renseignements nécessaires pour lui permettre de vérifier le montant des trop-payés. Elle a demandé que le CSP entre en communication avec elle, ce qui, selon elle, n’aurait pas eu lieu.

[166] À l’audience, elle a indiqué qu’elle avait contesté l’exactitude du trop‑payé parce qu’elle n’avait pas les renseignements nécessaires pour confirmer que le montant qui lui était réclamé était exact.

[167] Mme Perreault a reçu à deux reprises des communications du CSP lui demandant de remplir et de retourner l’annexe B. Malgré le fait qu’elle avait déjà envoyé l’annexe, elle l’a envoyé de nouveau.

[168] En septembre 2022, Mme Perreault a reçu un courriel du CSP. Ce courriel indiquait un trop-payé de plus de 25 500 $ en 2016, un montant qui ne semblait pas, selon elle, tenir compte des recouvrements qui avaient déjà été effectués. Elle ne comprenait pas pourquoi le total du trop-payé que l’employeur cherchait à recouvrer était maintenant plus élevé que le total indiqué dans la lettre de recouvrement du 30 mai 2022. Le courriel comportait un tableau avec une série de 27 transactions datées entre le 27 juillet et le 14 décembre 2016, toutes liées à un numéro de chèque. À l’audience, Mme Perreault a indiqué que les montants indiqués dans le tableau ne concordaient pas avec les montants indiqués dans ses relevés de paye de 2016. Les numéros de chèques ne concordaient pas avec les renseignements dans ses relevés bancaires.

[169] Le 21 octobre 2022, elle a reçu un courriel du CSP indiquant que, parce qu’elle n’avait pas donné suite à la lettre de recouvrement, le recouvrement d’un trop‑payé de 24 652 $ allait débuter le 23 novembre 2022, jusqu’à l’épuisement complet du trop-payé. À noter que le trop-payé indiqué dans ce courriel est différent des trop‑payés indiqués dans la lettre de recouvrement du 30 mai 2022 et du courriel de septembre 2022.

[170] En réponse à ce courriel, Mme Perreault a rempli l’annexe B de nouveau. Elle a coché la case indiquant qu’elle contestait le trop-payé.

[171] Selon elle, trois recouvrements de trop-payés ont eu lieu en novembre 2022, mais les montants recouvrés étaient différents des montants indiqués dans les documents qu’elle avait reçus du CSP.

[172] Bien qu’il s’agisse d’un événement qui a eu lieu bien après la présentation du grief de l’agent négociateur, il est pertinent de souligner qu’en juin 2023, Mme Perreault a reçu une lettre de recouvrement modifiée en lien avec le trop-payé de 2016. La lettre indiquait que le trop-payé de 2016 s’élevait maintenant à plus de 29 000 $.

iv. Benoit Gervais

[173] Benoit Gervais est un agent correctionnel qui travaille au Québec. Il est le seul témoin à avoir reçu une lettre de recouvrement du SCC relativement à une ASU.

[174] Il a reçu une lettre de recouvrement en date du 18 juillet 2022. Elle est intitulée « OPTIONS DE REMBOURSEMENT FLEXIBLES – RECONNAISSANCE DE L’AVANCE SALARIALE D’URGENCE […] – Actif » et elle porte sur une ASU de plus de 1 700 $ qui lui aurait été versée en mai 2016, pour la période de paye du 21 avril au 4 mai 2016.

[175] Comme je l’ai précédemment indiqué, les ASU étaient versées directement par le SCC. Les ASU et leur recouvrement sont gérés par le SCC. Cela étant dit, la lettre de recouvrement que M. Gervais a reçue ressemble grandement à celles envoyées par le CSP relativement aux trop-payés et qui ont été décrites précédemment.

[176] La lettre de recouvrement indiquait ce qui suit :

[…]

[…] il est obligatoire de reconnaître l’existence [de l’ASU] pour continuer d’accéder aux options de remboursement flexibles. Ces options flexibles permettent de veiller à ce que le recouvrement ne vous occasionne pas de stress ou de difficultés financières.

[…]

[Le mot en évidence l’est dans l’original]

 

[177] Il est indiqué qu’en reconnaissant par écrit le montant de l’ASU, M. Gervais bénéficierait de « flexibilité dans la détermination du plan de remboursement et [pourrait] continuer de reporter le remboursement » jusqu’à ce que les trois conditions (le paiement par l’employeur de toutes les sommes impayées dues à l’employé, la confirmation que l’employé a reçu trois payes exactes consécutives et l’établissement d’une entente de recouvrement) soient remplies.

[178] Bien que la lettre que M. Gervais a reçue ressemble aux autres lettres décrites dans cette décision, elle comporte certaines différences importantes.

[179] La lettre indique que M. Gervais peut demander que le SCC lui transmette une copie d’une confirmation qu’il avait encaissé le chèque de l’ASU qui lui avait été versée en 2016.

[180] Cette lettre ne comporte pas d’annexe B. Pour avoir accès aux « options flexibles de remboursement », M. Gervais devait remplir un formulaire intitulé « Demande d’avance de salaire d’urgence (ASU) ou de paiement prioritaire » (aussi connu comme le formulaire GC-214) qui contient des cases qui portent sur les conditions de remboursement à respecter et les méthodes de remboursement de l’ASU. Le formulaire ne prévoit pas une option selon laquelle un fonctionnaire peut contester la validité ou le montant de l’ASU visée par la lettre de recouvrement.

[181] La lettre indique que si le SCC ne reçoit pas le formulaire GC-214 d’ici le 15 août 2022, soit quatre semaines plus tard, le recouvrement de l’ASU sera entamé conformément à l’article A.3.15 de l’annexe A de la Directive, et M. Gervais n’aura pas droit aux options de remboursement flexibles.

[182] Lors de son témoignage, M. Gervais n’a pas remis en question l’exactitude du montant de l’ASU. Il a indiqué avoir reçu l’ASU après avoir reçu une paye de 0 $. Toutefois, il n’avait pas souvenir d’avoir reçu la paye régulière qu’il aurait dû recevoir pour les services qu’il avait rendus entre le 21 avril et le 4 mai 2016, soit la paye que l’ASU devait temporairement remplacer.

[183] Lorsqu’il a reçu la lettre de recouvrement en juillet 2022, il a consulté tous ses relevés de paye depuis 2016. Il voulait confirmer s’il avait reçu sa paye régulière ou non. Selon lui, rien n’indiquait qu’il l’avait reçu.

[184] M. Gervais n’a pas reconnu l’ASU. Il n’a pas rempli le formulaire GC-214. Il a témoigné que, comme il n’avait toujours pas reçu sa paye régulière de mai 2016, il ne devrait pas avoir à rembourser l’ASU. Selon lui, il n’avait pas été payé en trop.

[185] Au mois d’août 2022, M. Gervais a reçu une deuxième lettre, une lettre identique à celle du 18 juillet 2022, sauf pour l’ajout d’une mention qu’il s’agissait d’un dernier avis. Il n’a pas répondu à la lettre.

[186] À la date du témoignage de M. Gervais dans le cadre de la première phase de l’audience, aucun recouvrement de l’ASU n’avait eu lieu.

v. Rodney Swenson

[187] Rodney Swenson, un agent correctionnel qui travaille en Saskatchewan, a reçu une lettre de recouvrement en août 2023 relativement à des trop-payés qui lui auraient été versés en 2016 et en 2017. Il a reçu la lettre de recouvrement presque un an après la présentation du grief qui nous concerne. Pour les motifs énoncés précédemment, je n’ai pas tenu compte de son témoignage relativement au contenu de la lettre, c’est-à-dire quant à comment la lettre et ses annexes sont formulées.

[188] À l’audience, M. Swenson a indiqué avoir reçu une lettre de recouvrement relativement à un trop-payé de plus de 1 000 $ en lien avec des dates en avril et septembre 2017. Il a indiqué qu’au moment de recevoir la lettre de recouvrement, il n’avait aucun souvenir d’avoir reçu un trop-payé. À la lecture de la lettre, il avait l’impression que l’employeur était certain qu’il avait reçu plus de 1 000 $ en trop et qu’il devait reconnaître le trop-payé s’il voulait reporter le remboursement jusqu’à ce qu’il ait reçu trois payes exactes consécutives, que toutes les sommes impayées à titre de salaire lui aient été versées par l’employeur ou le SCC, le cas échéant, et qu’il ait établi une entente de recouvrement. Selon lui, s’il ne reconnaissait pas le trop-payé, le recouvrement serait effectué par défaut à même sa prochaine paye.

[189] Il a effectué des recherches dans le « Système des horaires de travail et du déploiement » (SHD) du SCC. À l’audience, il a indiqué que les données enregistrées dans ce système indiquaient qu’il avait effectué des heures supplémentaires aux dates indiquées à l’annexe A de la lettre. Il a consulté ses relevés de paye qui correspondaient aux dates identifiées à l’annexe A. En comparant les données dans le SHD et ses relevés de paye, il a conclu qu’il avait été rémunéré pour les heures supplémentaires qu’il avait travaillé, mais qu’il n’avait pas été payé en trop.

[190] Il a envoyé les données qu’il avait recueillies et ses relevés de paye au CSP. Il a également envoyé l’annexe B. Il a sélectionné l’option selon laquelle il contestait la validité ou le montant du trop-payé.

[191] La lettre de recouvrement indiquait la date à laquelle le recouvrement aurait lieu s’il ne donnait pas suite à la lettre. Par coïncidence, il s’agit de la date à laquelle M. Swenson a témoigné dans le cadre de la première phase de l’audience.

vi. Frédérick Lebeau

[192] M. Lebeau a témoigné relativement à une lettre de recouvrement qu’il a reçu en juillet 2023 quant à des trop-payés qui lui auraient été versés en 2016 et en 2017. Comme il a reçu sa lettre de recouvrement presqu’un an après la présentation du grief, je n’ai pas tenu compte de son témoignage au sujet de la façon que la lettre et ses annexes étaient formulées.

[193] La lettre qu’il a reçue en 2023 indiquait que le total des trop-payés s’élevait à de plus de 2 800 $.

[194] À l’audience, M. Lebeau a indiqué qu’il a effectué le rapprochement de son dossier de paye à l’aide de ses relevés de paye. L’exercice de rapprochement lui a pris environ quatre heures. Dans le cadre de cet exercice, il a constaté qu’un recouvrement partiel avait déjà été effectué à même sa paye.

[195] Il a contesté la validité du trop-payé en envoyant l’annexe B, ses relevés de paye et les résultats du rapprochement qu’il avait effectué de son dossier de paye au CSP.

[196] À l’audience, M. Lebeau a indiqué que l’employeur lui a remboursé une somme de plusieurs centaines de dollars qui avait été recouvrée sur sa paye. Il n’a pas indiqué quand le remboursement avait eu lieu.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

[197] L’agent négociateur fait valoir qu’en vertu de la convention collective, un fonctionnaire est en droit de s’attendre à une paye exacte. Une erreur de paye peut constituer une violation de la convention collective.

[198] Selon l’agent négociateur, l’employeur n’est pas tenu de recouvrer des trop payés ou des ASU. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire (voir Murchison c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 93). Il fait valoir que, si l’employeur décide d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, la convention collective requiert que l’employeur et le SCC doivent en premier lieu s’assurer qu’il existe véritablement un trop-payé à recouvrer et que le montant du trop-payé ou de l’ASU qu’on cherche à recouvrer est exact. L’employeur doit faire la démonstration de l’existence d’un trop-payé ou d’une ASU et de l’exactitude du trop-payé ou de l’ASU qu’on recherche à recouvrer à même le salaire d’un fonctionnaire.

[199] Dans le contexte particulier du système de paye Phénix, craignant être incapable de recouvrer les sommes dues à la Couronne en raison de la période de prescription de six ans, l’employeur a décidé d’abandonner l’approche prise précédemment, soit de ne pas entreprendre des démarches de recouvrement jusqu’à ce que le dossier de paye du fonctionnaire concerné soit stable et ait fait l’objet d’un rapprochement. Ayant pris cette décision, l’employeur s’est empressé à envoyer des lettres pour recouvrer les trop-payés et les ASU qui avaient été versés à des agents correctionnels en 2016 et en 2017.

[200] L’agent négociateur fait valoir que le changement apporté par l’employeur à sa procédure de recouvrement en octobre 2021 n’est pas conforme à la convention collective. Selon lui, l’employeur et le SCC ont agi de façon abusive en entamant des démarches en vue de recouvrer les trop-payés et les ASU liés au système de paye Phénix sans avoir préalablement fait le rapprochement du dossier de paye des fonctionnaires concernés pour s’assurer qu’il existait véritablement des trop-payés à recouvrer et démontrer l’existence et l’exactitude du trop-payé ou de l’ASU. Il fait valoir que l’historique d’erreurs causées par le système de paye Phénix, et l’incertitude qui régnait quant à l’exactitude des payes versées aux agents correctionnels rendaient une telle démonstration nécessaire et raisonnable.

[201] L’agent négociateur soutient que la décision de l’employeur a eu pour effet de mettre le fardeau de valider l’existence et l’exactitude des trop-payés et des ASU ou démontrer que la lettre de recouvrement comporte une erreur sur les épaules des fonctionnaires concernés. Selon l’agent négociateur, les indices voulant que les démarches de recouvrement prises étaient abusives sont, entre autres, le court délai accordé aux fonctionnaires pour reconnaître les trop-payés et les ASU, la complexité des calculs requis de la part des fonctionnaires pour valider l’existence ou l’exactitude de trop-payés remontant à plus de cinq ans, et le fait que les fonctionnaires concernés n’auraient pas forcément un accès facile aux renseignements nécessaires pour effectuer l’exercice de rapprochement.

[202] Il fait valoir que, si la Commission conclut que le processus de recouvrement de l’employeur est conforme à la convention collective et satisfait aux exigences en matière de bonne foi, elle devrait tout de même conclure que les lettres de recouvrement sont « déraisonnables, trompeuses et dolosives ». Autrement dit, l’agent négociateur fait valoir que, même si je conclus que le processus est conforme à la convention collective, la preuve démontre que sa mise en œuvre ne l’est pas.

[203] Il fait valoir que, dans son empressement, l’employeur a préparé et envoyé des lettres confondantes dont le contenu et l’exactitude sont nettement inadéquats pour permettre aux fonctionnaires concernés de valider l’existence et l’exactitude des montants indiqués dans les lettres. Les lettres comportent des renseignements qui n’ont aucun sens, aucune pertinence pour les fonctionnaires qui les reçoivent, et elles ne contiennent que peu ou pas d’explications quant à ce que signifient les données dans l’annexe A.

[204] L’agent négociateur fait également valoir que les lettres imposent aux fonctionnaires le fardeau de prouver dans les 30 jours qu’ils ne doivent pas, en tout ou en partie, les sommes qui leurs sont réclamées. Les lettres menacent les fonctionnaires concernés et font en sorte qu’ils se sentent obligés de reconnaître les trop-payés pour éviter un recouvrement immédiat. Les lettres suggèrent que toutes les routes mènent à un recouvrement. Si l’employé ne répond pas à la lettre de recouvrement ou indique qu’il est en désaccord avec la validité ou le montant du trop-payé, la lettre laisse sous‑entendre que l’employeur va saisir la créance même si l’existence et l’exactitude de la créance n’ont pas été prouvées par l’employeur.

[205] En ce qui a trait au recouvrement d’une ASU, les lettres n’indiquent pas qu’un fonctionnaire peut contester la validité ou le montant de l’ASU que l’employeur cherche à recouvrer. Les seuls scénarios traités dans ces lettres sont la reconnaissance du montant réclamé, ou le défaut de répondre à la lettre de recouvrement, deux scénarios qui mènent au recouvrement de l’entièreté du montant indiqué dans la lettre.

[206] L’agent négociateur fait également valoir que les lettres de recouvrement envoyées en 2022 visaient des créances de 2016 et 2017 qui étaient soit déjà prescrites ou qui allaient bientôt l’être. Or, les lettres de recouvrement n’informaient aucunement les fonctionnaires concernées de l’existence d’un délai de prescription et du fait qu’il soit possible qu’ils ne soient pas tenus de rembourser les créances si elles étaient prescrites. Au lieu de les informer, les lettres les invitaient à reconnaître la créance. Les conséquences juridiques d’une telle reconnaissance n’étaient pas expliquées, plus précisément le fait que la reconnaissance d’un trop-payé pourrait avoir pour effet de prolonger la période dont dispose l’employeur pour recouvrer la créance.

[207] L’agent négociateur soutient également que les lettres de recouvrement sont trompeuses dans la mesure qu’elles suggèrent qu’un agent correctionnel qui reconnaît un trop-payé ou une ASU bénéficierait de nouvelles flexibilités, de nouvelles options de remboursement, alors que cela n’est pas le cas. Les flexibilités et les options existaient bien avant.

[208] Il soutient que le présent cas ressemble à la situation de fait analysée par la Commission dans Association des juristes de justice c. Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 38 (« Association des juristes 2018 »), un cas dans lequel la Commission a conclu que l’application rétroactive d’un processus de rapprochement de congés contrevenait à la convention collective entre les parties.

B. Pour l’employeur

[209] À l’audience, l’employeur a mis beaucoup d’emphase sur sa position selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour instruire ce grief. J’en ai déjà traité et je n’y reviendrai pas. Toutefois, il m’a également présenté des arguments subsidiaires.

[210] Il fait valoir que, si la Commission décidait qu’elle a la compétence nécessaire pour instruire le grief et se pencher sur la question à savoir si l’employeur a exercé son droit de gestion de façon « abusive », elle doit tenir compte du libellé de la convention collective entre les parties, plus précisément l’absence d’une clause qui limite la faculté de la direction d’exercer ses droits de gestion. Selon l’employeur, la décision de la Commission dans Association des juristes 2018 (décision sur laquelle l’agent négociateur a fondé une partie de son argument) peut être distinguée pour cette raison.

[211] Selon l’employeur, la Commission doit effectuer une analyse fondée sur la « mise en balance des intérêts ». Il fait valoir qu’une telle analyse démontre que la décision contestée constitue un exercice raisonnable de son droit de gestion. Il fait valoir qu’il a une obligation de recouvrer des sommes dues à la Couronne (voir l’art. 155(3) de la LGFP). De plus, il a une responsabilité envers les contribuables canadiens de recouvrer des créances de la Couronne, incluant des trop‑payés et des ASU liés au système de paye Phénix.

[212] Dans le contexte particulier des trop-payés du système de paye Phénix versés en 2016 et 2017, des créances qui pourraient devenir prescrites, il devait équilibrer son intérêt d’assurer la saine gestion des finances publiques et le besoin d’offrir aux fonctionnaires concernés une flexibilité dans le recouvrement. Il soutient que la méthode qu’il a choisie pour recouvrer les créances était raisonnable, transparente et équilibrée.

[213] L’employeur fait valoir que, dès 2016 et la mise en œuvre du système de paye Phénix, il a consulté les agents négociateurs. Il a modifié la Directive pour offrir davantage de flexibilités pour le remboursement de trop-payés et d’ASU liés au système de paye Phénix. En 2021, avant de mettre en œuvre sa décision d’envoyer des lettres de recouvrement avant d’effectuer le rapprochement du dossier de paye des fonctionnaires concernés, l’employeur a consulté les agents négociateurs quant à la méthode de recouvrement qu’il envisageait de mettre en application et a mis en œuvre certaines de leurs recommandations. Il a été transparent quant à l’importance, pour lui, d’agir pour recouvrer les trop-payés étant donné le temps qui s’écoulait et le délai de prescription prévu à la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif qui approchait à grands pas.

[214] En octobre 2021, aucun changement n’a été apporté à la Directive. Le recouvrement des trop-payés liés au système de paye Phénix s’est effectué conformément à la Directive, de la même façon qu’il aurait été effectué avant et après le 12 octobre 2021. Le seul changement qui a découlé du Bulletin de 2021 est que l’employeur a décidé d’envoyer des lettres en vue de recouvrer les trop-payés et les ASU avant de faire le rapprochement des dossiers de paye des fonctionnaires. Le Bulletin de 2021 ne change en rien le fait qu’aucun recouvrement n’aurait lieu avant le rapprochement du dossier de paye du fonctionnaire concerné.

[215] L’employeur soutient que l’agent négociateur a présenté des cas individuels et des exemples d’erreurs dans des lettres de recouvrement, pour ensuite demander à la Commission de tirer une conclusion selon laquelle l’ensemble de sa procédure de recouvrement est déraisonnable et vicié. Selon lui, les cas individuels ne peuvent pas, à eux seuls, fonder une décision relative à un grief de principe et ils sont d’une pertinence limitée parce que les cas sélectionnés par l’agent négociateur ne constituent pas un portrait fidèle des mesures contestées.

[216] L’employeur fait valoir que les lettres de recouvrement comportent des renseignements adéquats pour permettre au fonctionnaire concerné de valider le montant du trop-payé ou de l’ASU. L’employé n’est pas tenu de faire le rapprochement de son dossier de paye. S’il souhaite valider l’existence d’un trop-payé ou le montant, il peut contester le trop-payé. La lettre de recouvrement l’informe de cette possibilité.

[217] Selon l’employeur, l’agent négociateur n’a présenté aucune preuve pouvant appuyer sa prétention que des agents correctionnels auraient pu se sentir contraints à reconnaître une créance ou à rembourser les trop-payés ou l’ASU. Tous les agents correctionnels qui ont témoigné à l’audience ont contesté le trop-payé ou l’ASU. Très peu d’entre eux ont indiqué avoir fait l’objet d’un recouvrement.

[218] Sur la question de la prescription, l’employeur fait valoir que la saine gestion des finances publiques fait en sorte qu’il doit prendre des démarches en vue de recouvrer des créances de la Couronne lorsqu’il est possible de le faire. Une créance prescrite constitue tout de même une créance que l’employeur a la responsabilité de recouvrer s’il est possible de le faire.

[219] Pour éviter l’enjeu de prescription applicable aux trop-payés et à l’ASU versés en 2016 et en 2017, l’employeur a, dans les lettres de recouvrement, demandé aux fonctionnaires concernés de reconnaître les trop-payés. Les fonctionnaires n’étaient pas tenus de reconnaître une créance prescrite et la preuve présentée à l’audience démontre que certains agents correctionnels ont invoqué un délai de prescription en appui à leur démarche voulant contester la validité d’un trop‑payé.

[220] En dernier lieu, l’employeur fait valoir que plusieurs lettres de recouvrement présentées en preuve par l’agent négociateur portaient sur des trop-payés qui n’étaient pas prescrits, ou n’étaient pas clairement prescrits, au moment où les lettres de recouvrement ont été envoyées. Il serait insensé pour l’employeur d’inclure dans les lettres de recouvrement une mention selon laquelle le trop-payé ou l’ASU pourrait être prescrit. Non seulement est-ce que l’employeur n’a pas d’obligation d’informer les fonctionnaires visés par une lettre de recouvrement que le montant qui leur est réclamé pourrait être prescrit, le faire serait contraire à son devoir de prendre des démarches en vue de recouvrer les créances de la Couronne lorsqu’il est possible de le faire. L’employeur fait également valoir que la Commission ne peut pas présumer qu’un fonctionnaire visé par une lettre de recouvrement ne connaît pas le droit relativement à la prescription, ou que le fonctionnaire ne saurait aller voir son syndicat pour se renseigner davantage lorsqu’il reçoit une lettre de recouvrement pour un trop-payé ou une ASU qui lui a été versé cinq ou six ans auparavant. C’est ce que certains témoins de l’agent négociateur ont fait. Ils ont consulté l’agent négociateur et ils se sont renseignés.

[221] Il fait valoir que la procédure de recouvrement contestée est conforme à la convention collective et que la décision contestée constitue un exercice raisonnable de ses droits de gestion.

V. Motifs

[222] Dans sa plaidoirie finale, l’agent négociateur a invité la Commission à se prononcer d’abord et avant tout sur la procédure de recouvrement adoptée par l’employeur en 2021 et mise en œuvre en 2022. Plus précisément, il a demandé à la Commission de se prononcer quant à la conformité avec la convention collective de la décision de l’employeur de prendre des démarches en vue de recouvrer des trop-payés liés au système de paye Phénix avant d’avoir effectué le rapprochement du dossier de paye des agents correctionnels concernés.

[223] Dans un deuxième temps, l’agent négociateur a fait valoir que, même si la Commission concluait que la procédure de recouvrement de l’employeur ne violait pas la convention collective, elle devrait conclure que l’employeur a tout de même violé la convention collective en envoyant des lettres de recouvrement qu’il décrit comme « déraisonnables, trompeuses et dolosives ».

[224] J’effectuerai mon analyse dans cet ordre.

A. La procédure de recouvrement n’est pas conforme à la convention collective

[225] À l’audience, les deux parties ont fait référence à Association des juristes 2017.

[226] J’ai brièvement traité de cette décision dans le cadre de mon analyse relativement à l’objection quant à la compétence de la Commission. J’y reviens ici à titre de rappel. Les droits résiduels de la direction ne sont pas illimités. Ils doivent être exercés raisonnablement et conformément à la convention collective (voir Association des juristes 2017, au par. 20).

[227] En premier lieu, je vais traiter de la question à savoir si l’employeur a exercé ses droits de la direction conformément à la convention collective. Dans un deuxième temps, je traiterai de l’argument de l’employeur selon lequel il a exercé ses droits de la direction de façon raisonnable.

[228] L’agent négociateur dans le présent cas a fait valoir que la décision de l’employeur de modifier sa procédure de recouvrement est non conforme ou « violait » la convention collective. Il soutient que la décision d’entreprendre des démarches en vue d’un recouvrement sans effectuer le rapprochement des dossiers est « abusive ». Le critère que je dois appliquer est celui de la conformité avec la convention collective. La question que je dois trancher consiste à savoir si la décision contestée est incompatible avec, ou non conforme à, la convention collective (voir Association des juristes 2017, au par. 20; voir aussi Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2025 CRTESPF 59 (AFPC 2025), au par. 15).

[229] L’employeur fait valoir qu’il a une obligation de recouvrer des sommes dues à la Couronne.

[230] L’article 155(3) de la LGFP prévoit que le receveur général « peut » recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada (voir, entre autres, St-Onge CRTESPF, Dansou, Lapointe, Genest c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 81, et Poupart c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 13 (demande de contrôle judiciaire accueillie pour d’autres motifs dans Canada (Procureur général) c. Poupart, 2022 CAF 77)).

[231] Le fait que l’employeur a le pouvoir d’exercer ce droit n’est pas contesté entre les parties. Ce droit existait bien avant la mise en œuvre du système de paye Phénix et a fait l’objet de plusieurs décisions de la Commission et de ses prédécesseurs.

[232] L’employeur a également fait valoir que la Directive prévoit une obligation de recouvrer les trop-payés. Je reconnais que l’article 3.15.1.2 de la Directive prévoit que les personnes ayant le pouvoir délégué de recouvrer des trop-payés doivent s’assurer que les paiements en trop sont recouvrés. Toutefois, la Directive reconnait également que ces personnes ont un pouvoir discrétionnaire, soit le pouvoir discrétionnaire d’autoriser un taux de recouvrement moindre (voir l’article 3.15.3.2 de la Directive).

[233] L’employeur soutient également qu’il a une responsabilité envers les contribuables canadiens de recouvrer des créances de la Couronne, incluant des trop‑payés et des ASU.

[234] Je reviendrai à la Directive et à cette responsabilité de la part de l’employeur plus loin dans mon analyse.

[235] Je reviens maintenant à l’article 155(3) de la LGFP. L’employeur peut effectuer un recouvrement lorsque certaines conditions sont réunies. Il doit notamment y avoir eu un trop-payé, et le trop-payé doit avoir été versé à titre de salaire, de traitement ou d’allocation. Seulement les trop-payés versés à titre de salaire sont pertinents au présent grief.

[236] Il n’est pas contesté que des trop-payés ont été versés à des agents correctionnels, et qu’ils ont été versés à titre de salaire. Bien que certains témoins de l’agent négociateur ont contesté le montant du trop-payé ou le droit de l’employeur de recouvrer une créance prescrite ou prétendument prescrite, ils ont tous reconnu avoir reçu un trop-payé versé à titre de salaire ou une ASU.

[237] Mettant la question de la prescription de côté pour l’instant, le différend entre les parties porte moins sur la question à savoir si l’employeur pouvait recouvrer des trop-payés et des ASU que sur la façon que l’employeur a procédé pour le faire. Ce qui est contesté est la décision de l’employeur de prendre des démarches en vue du recouvrement des trop-payés et des ASU liés au système de paye Phénix versés en 2016 et en 2017 avant d’effectuer le rapprochement des dossiers de paye des fonctionnaires concernés.

[238] L’agent négociateur a le fardeau de démontrer qu’en prenant cette décision, l’employeur a exercé son droit de gestion d’une façon incompatible avec la convention collective, ou qu’il a exercé son droit de gestion de manière déraisonnable.

[239] Dans la portion de la présente décision qui traite de l’objection de l’employeur quant à la compétence de la Commission, j’ai traité du principe de l’exactitude de la rémunération pour les services rendus. Comme je l’ai indiqué précédemment, un employé a droit, pour la prestation de ses services, à la rémunération qui correspond à la classification du poste auquel il est nommé. Ce droit est prévu à l’article 49.02 de la convention collective.

[240] L’employeur, dans l’exercice de ses droits de la direction, doit agir de manière conforme à la convention collective. Le corolaire exige que l’employeur s’assure de l’exactitude des sommes réclamées dans le cadre de sa procédure de recouvrement. L’employeur peut uniquement chercher à recouvrer à partir de la paye d’un fonctionnaire le montant qu’il a versé en trop à titre de salaire, pas plus.

[241] Ainsi l’employeur qui entreprend des démarches en vue du recouvrement d’un trop-payé ou d’une ASU ou qui procède à un tel recouvrement doit déployer tous les efforts nécessaires pour s’assurer que sa démarche n'entraînera pas une situation où le fonctionnaire concerné pourrait recevoir une rémunération moindre que celle à laquelle il a droit pour les services qu'il a rendus durant la période visée par la mesure de recouvrement. Toute autre conclusion serait incompatible avec les protections offertes dans la convention collective relativement à la rémunération.

[242] L’application du principe de l’exactitude de la rémunération n’est pas aussi simple dans le présent cas qu’il pourrait autrement l’être. La particularité du présent dossier est intimement liée au contexte factuel entourant la mise en œuvre du système de paye. Il est impossible d’analyser le bien-fondé du présent grief sans en tenir compte.

[243] L’agent négociateur a présenté une preuve relative au nombre et à la complexité des problèmes de paye qui ont découlé de la mise en œuvre du système de paye Phénix, soit divers types de problèmes de paye échelonnés sur plusieurs années. Bien que l’employeur ait fait valoir que la preuve de cas individuels de problèmes de paye n’était généralement pas pertinente, il n’a pas nié ou contredit la preuve voulant que les problèmes étaient nombreux et complexes.

[244] En modifiant la Directive pour y prévoir des modalités de recouvrement plus flexibles pour les trop-payés liés au système de paye Phénix et en adoptant les bulletins de 2018 et de 2021, l’employeur a implicitement reconnu que les problèmes de paye liés au système de paye Phénix étaient significatifs et particuliers. Il ne s’agissait pas de problèmes de paye ordinaires, et des mesures de recouvrement ordinaires devaient être adaptées au contexte particulier du système de paye Phénix. Il a modifié la Directive pour permettre plus de flexibilités quant à la période sur laquelle un trop-payé ou une ASU pouvait être recouvré. Il a accordé aux personnes ayant le pouvoir délégué la discrétion d’autoriser un taux de recouvrement moindre.

[245] Il ressort également de la preuve documentaire présentée par les deux parties que l’agent négociateur a fait valoir à plusieurs reprises et par divers moyens ses préoccupations quant à l’exactitude de la paye versée aux agents correctionnels qu’il représente.

[246] Lorsqu’ils ont décrit les mesures de recouvrement prises par l’employeur, les témoins de l’agent négociateur ont tous fait un lien entre leur manque de confiance quant à la fiabilité du système de paye et l’exactitude des transactions générées par le système, et leurs préoccupations quant aux mesures de recouvrement, plus précisément quant à la validité et l’exactitude des trop-payés que l’employeur cherchait à recouvrer à même leur paye. Dans les circonstances particulières de ce cas, il m’est impossible de dire que ce manque de confiance quant à la validité ou l’exactitude des trop-payés n’était pas justifié.

[247] Un élément qui complexifie l’application du principe de l’exactitude de la rémunération dans un cas comme celui-ci est le temps qui s’est écoulé entre les trop‑payés et les démarches de recouvrement.

[248] Le système de paye a été mis en œuvre en 2016. Des trop-payés ont été versés peu après. Selon M. Gatto, ce n’était qu’en 2021, soit cinq ans plus tard, que le système de paye a été jugé suffisamment stable pour permettre à l’employeur d’envisager de prendre des mesures en vue de recouvrer les trop-payés versés à titre de salaire.

[249] La procédure de recouvrement contestée a été adoptée en 2021. Elle a découlé d’une décision de l’employeur d’entamer des démarches en vue de recouvrer des ASU et des trop-payés liés au système de paye Phénix versés en 2016 et en 2017 avant que le droit de la Couronne de recouvrer les trop-payés soit éteint en raison du temps écoulé.

[250] L’employeur a été très transparent à ce sujet. Le Bulletin de 2021 indique clairement que le changement apporté à la procédure de recouvrement a été apporté pour protéger le droit de l’employeur de recouvrer les trop-payés causés par la mise en œuvre du système de paye Phénix.

[251] Je traiterai de l’approche prise par l’employeur relativement à la question de la prescription plus loin dans la présente décision.

[252] Pour l’instant, je préciserai simplement que l’employeur était en droit de prendre des démarches en vue de recouvrer des trop-payés liés au système de paye Phénix. La LGFP l’autorise. De plus, la Directive indique que les personnes ayant le pouvoir délégué, c’est-dire l’employeur et le SCC, entre autres, doivent s’assurer que tous les paiements en trop au titre de salaires sont recouvrés (voir l’article 3.15.1.2 de la Directive). J’accepte également que l’employeur a une responsabilité envers les contribuables canadiens de recouvrer de créances de la Couronne, incluant des trop‑payés et des ASU, lorsqu’il est possible pour lui de le faire. Dans un tel contexte, le fait que l’employeur ait modifié sa procédure de recouvrement afin de protéger son droit de recouvrer les trop-payés n’est pas problématique en soi.

[253] L’employeur était également en droit d’exercer son droit de gestion pour modifier sa procédure de recouvrement. Toutefois, sa marge de manœuvre était limitée par les autres dispositions de la convention collective (voir, par exemple, Association des juristes 2017, au par. 20, AFPC 2008, au par. 54, et Canada (Procureur général) c. Lloyd, 2022 CAF 127, au par. 50).

[254] Ce qui est problématique et incompatible avec la convention collective est la décision de l’employeur de modifier sa procédure afin d’entreprendre des démarches en vue du recouvrement des trop-payés et des ASU sans avoir effectué un rapprochement des dossiers de paye des agents correctionnels concernés. Le rapprochement d’un dossier de paye est un exercice qui offre au fonctionnaire concerné une certaine mesure de certitude quant à l’existence d’un trop-payé à rembourser et quant à l’exactitude des montants que l’employeur cherche à recouvrer. Le rapprochement également une certaine mesure de certitude à l’employeur qu’il exerce son droit de recouvrement conformément au principe de l’exactitude de la rémunération, c’est-à-dire conformément à la convention collective.

[255] Je reviens maintenant aux circonstances particulières du présent cas, soit la prise de démarches en vue de recouvrer des trop-payés versés cinq à six ans plus tôt. Les recouvrements en question seraient effectués sur la base de renseignements tirés d’un système de paye qui, jusqu’à récemment, avait été jugé trop instable pour permettre à l’employeur d’envisager d’entreprendre des mesures de recouvrement et dans un contexte dans lequel les renseignements détaillés nécessaires pour valider le respect du principe de l’exactitude de la rémunération étaient entre les mains de l’employeur, par l’entremise du CSP.

[256] Dans un tel contexte, assurer le rapprochement du dossier de paye avant de prendre des mesures en vue d’un recouvrement prend une importance accrue.

[257] Bien que je puisse comprendre et accepter l’importance pour l’employeur d’assurer la saine gestion des dépenses publiques et de protéger son droit de recouvrer les trop-payés causés par la mise en œuvre du système de paye Phénix, cela ne le dispense pas de ses obligations en vertu de la convention collective, plus précisément son obligation d’exercer son droit de gestion de façon compatible avec cet instrument.

[258] En vertu de la procédure de recouvrement en vigueur entre 2018 et 2021, l’employeur prenait des démarches pour confirmer l’existence et le montant du trop‑payé versé à titre de salaire avant d’entreprendre des démarches en vue d’un recouvrement. Si l’employeur a adopté en 2018 une procédure selon laquelle aucune démarche en vue de recouvrement ne serait entamée avant qu’un rapprochement du dossier de paye ait été effectué, c’est vraisemblablement parce qu’il avait conclu qu’il était prudent et nécessaire de procéder ainsi.

[259] La modification apportée à la procédure de recouvrement constitue un abandon malheureux de l’approche préconisée par l’employeur jusqu’en 2021.

[260] La seule raison que M. Gatto a fournie pour expliquer le changement à la procédure de recouvrement est le besoin de protéger le droit de l’employeur de recouvrer les trop-payés.

[261] Je reconnais que l’employeur était dans une situation difficile. Les trop‑payés et les ASU liés au système de paye Phénix constituaient une créance importante de la Couronne. Dans son témoignage à l’audience, M. Gatto a suggéré que le total pour 2016 et 2017 s’élevait à des millions de dollars. Il a indiqué que les créances allaient bientôt devenir prescrites.

[262] Toutefois, dans le contexte particulier décrit précédemment, j’estime qu’en abandonnant son approche prudente en faveur d’une démarche qu’il jugeait plus rapide, l’employeur a exercé son droit de gestion de façon incompatible avec la convention collective.

[263] Dans sa plaidoirie finale, l’employeur a fait valoir qu’en vertu de la procédure de recouvrement modifiée en 2021, si le fonctionnaire visé par une lettre de recouvrement reconnaissait le trop-payé, le rapprochement du dossier de paye du fonctionnaire serait effectué avant qu’un recouvrement n’ait lieu. Il a également fait valoir que, si le fonctionnaire contestait la validité ou l’exactitude d’un trop-payé, un « examen de la transaction » aurait lieu avant qu’un recouvrement n’ait lieu. M. Gatto, dans son témoignage, a fait référence à une vérification du trop-payé.

[264] L’employeur ne m’a pas expliqué la différence entre le rapprochement d’un dossier de paye, un « examen de la transaction » et une vérification du trop-payé, mais j’en déduis qu’une vérification du trop-payé et l’examen de la transaction constituent des exercices comptables plus restreints qu’un rapprochement complet du dossier de paye d’un fonctionnaire.

[265] Cela ne change tout de même pas le fait que l’employeur a entrepris des démarches en vue du recouvrement des trop-payés et des ASU sans vérification préalable confirmant qu’il existait véritablement une somme à recouvrer et que le montant était exact. Ces démarches visaient notamment à demander à un fonctionnaire de reconnaître un trop‑payé et de s’engager à le rembourser sans vérification préalable quant à son exactitude.

[266] Je traiterai des lettres de recouvrement dans la prochaine section de mon analyse. Pour l’instant, j’indiquerais que les lettres qui m’ont été présentées à l’audience n’indiquent pas clairement qu’un rapprochement serait effectué avant le recouvrement dans une situation dans laquelle un fonctionnaire choisirait de contester la validité ou l’exactitude d’un trop-payé. À la lecture des lettres, le seul scénario qui mène clairement à un rapprochement est un scénario dans lequel un fonctionnaire choisirait de reconnaître l’existence d’un trop-payé ou d’une ASU.

[267] J’ajouterais également ce qui suit relativement à une situation dans laquelle un fonctionnaire ne donnerait pas suite à la lettre de recouvrement dans un délai de quatre semaines suivant la date de l’envoi de la lettre. Ni le témoignage de M. Gatto, ni le Bulletin de 2021, ni la preuve documentaire qui m’a été présentée à l’audience n’indiquent qu’un rapprochement du dossier de paye est effectué avant qu’un recouvrement soit effectué. Tout indique qu’un recouvrement serait effectué sans de plus amples vérifications. Procéder ainsi constitue une démarche incompatible avec la clause 49.02 de la convention collective dans la mesure qu’un recouvrement pourrait avoir lieu sans considération du principe de l’exactitude de la rémunération.

[268] Avant de conclure sur cette question, je vais traiter d’une décision de la Commission qui, selon l’agent négociateur, est d’une grande pertinence au présent cas.

[269] Dans Association des juristes 2018, la Commission a accueilli en partie un grief de principe qui alléguait qu’un exercice de rapprochement de données relatives aux congés payés dans deux différents systèmes électroniques indépendants, soit un système de comptabilisation du temps et un système de gestion des ressources humaines, constituait un exercice déraisonnable et inéquitable des droits et du pouvoir discrétionnaire de la direction prévus dans la convention collective entre les parties au dossier.

[270] L’exercice de rapprochement en cause dans Association des juristes 2018, plus précisément l’exigence selon laquelle les employés devaient rembourser les écarts de congé à l’employeur, était fondé sur l’hypothèse que les données de l’employeur étaient exactes. Tout comme les enjeux relatifs au système de paye Phénix qui ont été décrits dans la présente décision, dans Association des juristes 2018, la Commission a constaté qu’il existait une preuve pouvant laisser planer un doute quant à la fiabilité intrinsèque des données dans les deux systèmes électroniques, et l’employeur était au courant d’un problème important relatif à la fiabilité des données. La Commission a également constaté que l’accès par les employés aux données leur permettant d’effectuer le rapprochement de leurs congés était un enjeu réel, et la preuve indiquait que des employés pourraient avoir de la difficulté à reconstruire leur dossier de congés sur une période de presque six ans.

[271] Selon la Commission, l’obligation pour les employés de faire des déductions rétroactives de leur réserve de congés ou de rembourser l’employeur pour des congés qu’ils ne pouvaient être certains d’avoir pris n’était pas conforme aux dispositions de la convention collective relatives aux congés (voir le par. 240). Au paragraphe 243 de sa décision, la Commission indique qu’il était inapproprié d’exiger que les employés remboursent des crédits de congé « en fonction de la simple possibilité qu’ils devaient le congé plutôt que sur la certitude qu’ils le devaient ».

[272] La Commission a conclu que la conception de l’exercice de rapprochement était sérieusement viciée, que son application rétroactive (sur une période de six ans) imposait un fardeau inéquitable sur les employés et que l’exigence voulant que les employés remboursent l’employeur pour les anomalies de congé remontant plusieurs années dans le passé qui ne pouvait pas être expliqué était déraisonnable, inéquitable et incohérente par rapport aux dispositions de la convention collective relatives aux congés.

[273] Je suis d’accord avec l’agent négociateur que la décision Association des juristes 2018 est pertinente relativement à certaines questions soulevées dans le présent grief. Le principe selon lequel les droits de la direction doivent être exercés raisonnablement et conformément à la convention collective demeure applicable même en l’absence d’une disposition spécifique « qui limite [elle] aussi la faculté de la direction d'exercer ces droits » (voir Association des juristes 2017, aux paragraphes 20 et 21, et Association des juristes 2018, aux paragraphes 194 et 195).

[274] J’y vois des parallèles importants, notamment un exercice fondé sur une hypothèse selon laquelle les données de l’employeur sont exactes et fiables malgré une preuve pouvant laisser planer un doute à ce sujet, des enjeux relatifs à l’accès par les fonctionnaires concernés aux données pertinentes à l’exercice, et ce, sur plusieurs années antérieures, ainsi qu’une demande de la part de l’employeur voulant qu’un employé reconnaisse et s’engage à rembourser un trop-payé basé non pas sur une certitude quant à la validité et l’exactitude du trop-payé, mais sur une possibilité que le trop-payé qui lui est réclamé soit valide et exact.

[275] Tout comme dans Association des juristes 2018, la procédure de recouvrement de l’employeur met le fardeau sur l’employé de démontrer qu’il n’a pas de trop-payé ou d’ASU à rembourser ou d’établir le véritable montant du trop‑payé.

[276] Je conclus que la procédure de recouvrement adoptée et mise en œuvre par l’employeur n’est pas conforme aux dispositions de la convention collective relatives à la rémunération, plus particulièrement la clause 49.02.

[277] Même si ce qui précède, à savoir que la procédure de recouvrement n’est pas conforme à la convention collective et au principe de l’exactitude de la rémunération pour les services rendus, est suffisant pour décider du grief de principe, une analyse de la raisonnabilité de la démarche de l’employeur me mène à une conclusion selon laquelle l’employeur n’a pas exercé son droit de gestion de façon raisonnable. À l’audience, l’employeur m’a présenté des arguments à ce sujet. L’agent négociateur n’y a pas clairement répondu.

[278] Le caractère raisonnable d’une politique unilatérale d’un employeur est déterminé en utilisant une approche de « mise en balance des intérêts » qui tient compte de la nature des intérêts de l’employeur, de l’existence de moyens moins intrusifs pour répondre aux préoccupations de l’employeur, ainsi que de l’incidence de la politique ou de la décision sur les employés (voir Association des juristes 2017, au par. 24; voir également AFPC 2025, au par. 13).

[279] Je reconnais que l’employeur devait balancer son devoir de veiller à la saine gestion des finances publiques et de recouvrer des créances de la Couronne lorsque possible avec son devoir à titre d’employeur et ses obligations en vertu de la convention collective. Je reconnais également que l’employeur était dans une situation difficile. Les sommes en question étaient importantes. Le temps qui s’était écoulé depuis le versement des premiers trop-payés et ASU faisait en sorte que certaines créances pourraient devenir prescrites. J’accepte que l’employeur avait des intérêts légitimes et importants.

[280] Toutefois, les intérêts de l’employeur ne constituent qu’un critère sur trois. Je dois également tenir compte de l’existence de moyens moins intrusifs pour répondre aux préoccupations de l’employeur, ainsi que de l’incidence de la décision sur les fonctionnaires concernés. J’ai déjà traité de l’incidence de la décision sur les fonctionnaires. Je ne me répéterai pas. J’ajouterais simplement que l’incidence d’une décision ou politique qui porte atteinte à un principe qui est au cœur de la relation employeur-employé (ici, le principe de l’exactitude de la rémunération pour les services rendus) est, de ce fait même, significative.

[281] L’employeur aurait pu privilégier un moyen moins intrusif pour répondre à ses préoccupations. Il l’avait fait dans le passé. Il avait privilégié une approche prudente jusqu’en 2021, plus précisément jusqu’à ce qu’il prenne la décision contestée.

[282] M. Gatto a témoigné au sujet de la raison pour laquelle l’employeur a modifié sa procédure de recouvrement. Il a indiqué que le délai de prescription à la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif s’approchait en ce qui a trait aux trop-payés et ASU versés en 2016 et que le rapprochement des dossiers de paye prenait du temps et des ressources. Il ressort de son témoignage que la décision de demander la reconnaissance des trop-payés et des ASU avant d’effectuer le rapprochement a été prise parce que c’était plus rapide de procéder ainsi.

[283] M. Gatto n’a pas indiqué qu’il n’aurait pas été possible pour l’employeur de s’acquitter de son devoir de veiller à la saine gestion des finances publiques s’il avait maintenu l’approche prudente qu’il avait privilégiée jusqu’en 2021. Si cela avait été la situation à laquelle l’employeur était confronté, M. Gatto l’aurait vraisemblablement dit.

B. Les lettres de recouvrement étaient nettement inadéquates

[284] Dans sa plaidoirie finale à l’audience, l’agent négociateur a fait valoir que si la Commission concluait que la procédure de recouvrement de l’employeur était conforme à la convention collective, elle devrait toute de même conclure que les lettres de recouvrement qui ont découlé de la mise en œuvre de cette procédure étaient « déraisonnables, trompeuses et dolosives ».

[285] Puisque j’ai conclu que l’employeur a exercé son droit de gestion de façon incompatible avec la convention collective, il n’est pas nécessaire pour moi de me prononcer sur cette question, de même que sur l’argument de l’agent négociateur à savoir si l’employeur aurait violé la convention collective en tentant de recouvrer des trop-payés auxquels il n’avait plus légalement droit en raison du temps écoulé, soit six ans.

[286] Toutefois, j’estime que, dans les circonstances, il y a lieu pour moi d’aborder un thème sous-jacent aux diverses allégations formulées par l’agent négociateur relativement aux lettres, soit celui à savoir si les lettres de recouvrement décrites dans cette décision permettaient aux fonctionnaires concernés de prendre une décision éclairée relativement à la démarche de recouvrement, plus précisément à la demande de reconnaissance d’un trop-payé. Autrement dit, est-ce que le contenu des lettres envoyées permettait aux fonctionnaires concernés de comprendre avec précision et exactitude ce qui leur était réclamé et pourquoi, de même que les choix et options qui leur étaient disponibles?

[287] Pour prendre une décision éclairée, il faut minimalement disposer de renseignements clairs pour comprendre si un trop-payé existe vraiment, si le montant réclamé est exact, et s’il existe une obligation de rembourser le trop‑payé.

[288] Je suis d’avis que les commentaires qui suivent auront pour effet de favoriser l’économie de ressources pour les parties ainsi que les relations de travail harmonieuses. Ces commentaires et observations quant aux lettres de recouvrement qui m’ont été présentées par les parties lors de l’audience pourraient s’étendre sur plusieurs pages si je les exposais tous en détail. Toutefois, je me limiterai à exposer mes commentaires relativement à certains thèmes précis. J’ai tenu compte des gabarits de lettres préparés par l’employeur et des lettres de recouvrement envoyées jusqu’en 2022 qui m’ont été présentées par les parties lors de l’audience.

[289] Avant de faire cela, je tiens à préciser que l’employeur a consulté des agents négociateurs dans le contexte de l’élaboration du Bulletin de 2021. Il a tenu compte de certaines suggestions. Toutefois, il semblerait que la consultation était au niveau des principes. Rien n’indique que l’agent négociateur a été consulté relativement aux gabarits de lettres de recouvrement ou quant à la nature précise des renseignements qui seraient inclus dans la lettre et dans ses annexes. La consultation de l’agent négociateur relativement aux gabarits aurait pu contribuer à identifier ou éviter certains des enjeux relatifs aux lettres que l’agent négociateur a soulevés dans le cadre du présent grief.

[290] De nombreuses lettres de recouvrement relatives à des trop-payés m’ont été présentées à l’audience, dont trois par l’employeur.

[291] Deux exemples de lettres relativement à une ASU m’ont également été présentés à l’audience. Une lettre m’a été présentée par l’employeur. L’identité du récipiendaire de cette lettre m’est inconnue. L’autre lettre m’a été présentée dans le cadre de la preuve de l’agent négociateur. M. Gervais est le seul témoin à avoir reçu une lettre de recouvrement relative à une ASU.

[292] Les deux exemples présentés constituent une preuve inadéquate pour me permettre d’offrir des commentaires et observations relativement aux lettres de recouvrement portant sur des ASU, au niveau des principes. Pour cette raison, les observations qui suivent porteront exclusivement sur les lettres de recouvrement relatives à des trop-payés liés au système de paye Phénix.

[293] Le fardeau de la preuve incombe à l’agent négociateur. Toutefois, pour répondre aux allégations de l’agent négociateur voulant que les lettres induisaient les fonctionnaires en erreur ou ne fournissaient pas de renseignements clairs et compréhensibles permettant aux fonctionnaires concernés de comprendre ce dont on leur demandait et d’avoir confiance que les montants réclamés étaient exacts, l’employeur aurait pu présenter davantage d’exemples de lettres. Il n’en a présenté que très peu.

[294] En faisant abstraction des lettres relatives à des ASU et des lettres de recouvrement reçues par M. Swenson et M. Lebeau en 2023, mes constats, à la lecture des lettres de recouvrement qui m’ont été présentées, sont les suivants.

[295] Les lettres de recouvrement qui m’ont été présentées à l’audience manquent des renseignements importants pour permettre la prise d’une décision éclairée.

[296] Toutes les lettres qui m’ont été présentées à l’audience demandaient au fonctionnaire concerné de reconnaître un trop-payé. Aucune des lettres n’expliquait ce que constitue la reconnaissance d’un trop-payé. À l’exception d’une lettre en date du 14 octobre 2021 qui m’a été présentée à l’audience par l’employeur, aucune n’abordait l’effet juridique que peut avoir d’une telle reconnaissance, c’est-à-dire le fait que la reconnaissance d’un trop-payé peut avoir pour effet de recommencer le délai de prescription, prolongeant la période dont bénéficie l’employeur pour recouvrer le trop-payé.

[297] Les lettres qui m’ont été présentées n’indiquaient pas expressément que le trop‑payé visé par la lettre pourrait être prescrit et que le fonctionnaire pourrait n’avoir aucune obligation juridique de rembourser le trop-payé, et ce, même si les lettres portaient sur des trop-payés versés six ans auparavant, ou presque. Seule la lettre du 14 octobre 2021 mentionnée précédemment faisait allusion à la notion de la prescription.

[298] La lettre d’exception est une lettre qui comporte une brève explication selon laquelle la reconnaissance d’un trop-payé a pour effet de recommencer le délai de prescription. Il s’agit de la seule lettre envoyée à un fonctionnaire qui m’a été présentée qui contient une référence à la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et au principe de la prescription.

[299] Comme je l’ai indiqué précédemment, à l’audience, l’employeur a fait valoir qu’il serait insensé pour lui d’inclure dans les lettres de recouvrement une mention selon laquelle le trop-payé pourrait être prescrit, parce qu’il doit prendre des démarches en vue de recouvrer les créances de la Couronne lorsqu’il est possible de le faire. Selon lui, une créance prescrite est tout de même une créance qu’il doit tenter de recouvrer s’il est possible de le faire.

[300] Or, il m’a présenté une lettre qui contredit cet argument. Il m’a présenté une lettre qui comporte une mention de Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, ainsi qu’une référence à l’effet juridique que peut avoir la reconnaissance d’un trop-payé.

[301] J’accepte que l’employeur puisse prendre des mesures pour recouvrer les créances de la Couronne et que la Directive prévoit qu’il doit fournir des efforts pour recouvrer ces créances lorsqu’il est possible de le faire. J’accepte également, pour les fins de mon analyse, que ce devoir pourrait inclure de prendre des démarches pour obtenir le remboursement sur une base volontaire d’une créance prescrite. Toutefois, il m’est impossible d’accepter son argument selon lequel il serait insensé pour lui d’inclure aux lettres de recouvrement des renseignements importants pour permettre la prise d’une décision éclairée.

[302] À un moment donné, l’employeur s’est vraisemblablement rendu compte que ses communications relativement aux trop-payés prescrits ou bientôt prescrits étaient problématiques. La preuve qui m’a été présentée à l’audience indique qu’en décembre 2022, l’employeur a publié un document intitulé « Orientations sur les trop-payés légalement prescrits » qui indique, entre autres, que la notion de reconnaissance d’un trop-payé devait être supprimée des lettres envoyées après l’expiration du délai de prescription et que, dans de telles circonstances, les lettres devraient chercher à demander le remboursement sur une base volontaire du trop-payé, et non de viser le recouvrement des montants en cause.

[303] En plus d’omettre des renseignements importants relatifs au principe de la prescription et des conséquences qui en découlent, les lettres laissent également à désirer quant à la clarté des renseignements communiqués. Les commentaires qui suivent quant à la clarté des renseignements portent à la fois sur les lettres et leurs annexes. Ensemble, elles forment un tout.

[304] Il existe un écart important entre la description du processus de recouvrement contenue dans le Bulletin de 2021 et du témoignage de M. Gatto à ce sujet, et la mise en œuvre du processus, soit les lettres de recouvrement qui m’ont été présentées à l’audience.

[305] Contrairement à ce qui est indiqué dans le Bulletin de 2021, les lettres ne détaillent pas véritablement le trop-payé. La plupart des lettres qui m’ont été présentées fournissent certains renseignements relatifs aux trop-payés, mais elles ne le font pas de façon claire, facile à comprendre et suffisamment précise pour permettre à un fonctionnaire de comprendre les conséquences des choix disponibles et d’avoir une certitude qu’il existe véritablement un trop-payé à rembourser et que le montant réclamé est exact.

[306] En premier lieu, l’annexe A des lettres qui m’ont été présentées par les deux parties comportait des données qui, bien qu’elles étaient décrites comme étant des numéros de chèques et les dates auxquelles ces chèques avaient été émis, n’avaient rien à voir avec des chèques comme le mot est communément utilisé et compris. Il s’agissait de renseignements relatifs à des transactions effectuées dans le système de paye Phénix, plus précisément des renseignements qui auraient vraisemblablement un sens uniquement que pour des conseillers en rémunération du CSP. Deux témoins, soit M. Lafontaine et Mme Perreault, ont indiqué que les données n’avaient aucune utilité pour eux. Ces renseignements ne servaient pas à mieux outiller les fonctionnaires concernés à prendre une décision éclairée. Ils portaient à confusion.

[307] De plus, les lettres présentaient trois choix, trois avenues possibles, mais elles le faisaient d’une façon qui laissait entendre que toutes les avenues menaient au recouvrement.

[308] Une avenue offerte était de ne pas répondre à la lettre dans les quatre semaines et de voir le trop-payé recouvré lors de la prochaine période de paye, sans rapprochement apparent du dossier de paye ou de flexibilité quant à la façon que le recouvrement serait effectué. Je me suis déjà prononcée sur la question du bien-fondé d’une mesure de recouvrement d’un trop-payé qui n’est pas fondée sur une certitude. Je ne me répéterai pas.

[309] La deuxième avenue offerte est de reconnaître le montant du trop-payé indiqué dans la lettre et de préciser quand et comment on souhaite le rembourser.

[310] La quasi-totalité des lettres qui m’ont été présentées indiquent que, pour avoir accès aux options de remboursement flexibles qui cherchent à assurer que les recouvrements n’imposent pas de difficultés financières et de stress supplémentaires, le fonctionnaire doit reconnaître le trop-payé en cochant la case à cet effet de l’annexe B et compléter une demande d’intervention de paye sur laquelle le fonctionnaire aura sélectionné « Recouvrement du trop-payé ». La lettre suggère qu’un rapprochement du dossier de paye sera effectué avant qu’un recouvrement n’ait lieu.

[311] La dernière avenue offerte est celle de reconnaître la lettre de recouvrement, mais de contester la validité ou le montant du trop-payé en cochant la case à cette fin de l’annexe B. C’est la description de cette avenue que je trouve particulièrement problématique et confondante. Je m’explique.

[312] Advenant que la validité ou le montant du trop-payé soit confirmé à la suite de la contestation, rien dans la lettre n’indique que le fonctionnaire qui a effectué ce choix pourra avoir accès aux options de remboursement flexibles. De plus, rien n’indique qu’un rapprochement du dossier de paye serait effectué avant qu’un recouvrement ait lieu.

[313] Bien que le Bulletin de 2021 indique qu’un choix contestant la validité ou le montant d’un trop-payé mènerait à l’examen de la transaction par le CSP, et que des détails seraient fournis au fonctionnaire, un bon nombre de lettres qui m’ont été présentées à l’audience, sinon la quasi-totalité, laissent entendre que le fardeau revient au fonctionnaire de fournir la preuve appuyant le motif de sa contestation du trop-payé. Les lettres indiquent qu’un conseiller en rémunération communiquera avec le fonctionnaire pour répondre aux questions du fonctionnaire concerné et pour obtenir, et non fournir, de plus amples renseignements de la part du fonctionnaire.

[314] Il est également important de rappeler que l’annexe B contient une espace dans laquelle le fonctionnaire qui conteste le trop-payé est prié de fournir, ou joindre, des détails à l’appui. Bien que la preuve qui m’a été présentée à l’audience indique qu’il n’était peut-être pas forcément nécessaire pour le fonctionnaire de fournir une preuve à l’appui de son motif pour contester le trop-payé pour donner lieu à un examen du trop-payé par le CSP, les lettres laissaient l’impression que le fardeau incombait au fonctionnaire. Plusieurs agents correctionnels qui ont témoigné à l’audience ont indiqué avoir eu l’impression qu’ils étaient tenus d’effectuer leurs propres vérifications, et de prouver que le trop-payé qui leur était réclamé était inexact ou non valide. La majorité d’entre eux ont consulté leurs relevés de paye dans l’espoir de pouvoir confirmer si le trop-payé qui leur était réclamé était exact. M. Lafontaine a effectué des vérifications à l’aide d’un tableau qu’il avait préparé pour comptabiliser les trop-payés qu’il avait reçus. Un témoin, Mme Perreault, a indiqué avoir retenu les services d’un comptable.

[315] Un autre élément qui pourrait vraisemblablement être confondant pour un fonctionnaire voulant contester le trop-payé est la suggestion dans la lettre de recouvrement qu’il soit nécessaire pour lui d’envoyer l’annexe B accompagnée d’une demande d’intervention de paye sur laquelle il aurait coché la case « Recouvrement du trop-payé ».

[316] Certains témoins de l’agent négociateur ont indiqué être confus par la nécessité de remplir une demande d’intervention de paye alors qu’ils contestaient la validité ou le montant du trop-payé. Ils y voyaient une indication selon laquelle le résultat de leur contestation était prédéterminé, que d’une façon ou d’une autre, un recouvrement allait être effectué.

[317] Cela n’était peut-être pas le sens ou l’effet voulu par l’employeur lorsqu’il a préparé son gabarit de lettre. Toutefois, selon la preuve qui m’a été présentée à l’audience, c’est l’impression créée par la portion des lettres qui expliquent les démarches à prendre pour soumettre l’annexe B à l’employeur. L’explication ne fait pas de distinction selon si le fonctionnaire a choisi de reconnaître le trop-payé à l’annexe B, ou de le contester.

[318] J’ai déjà décrit le manque de clarté des renseignements des lettres. J’ai expliqué que les lettres pouvaient laisser croire, que ce soit voulu ou non, que le fardeau de démontrer qu’un trop-payé était non valide ou inexact incombait au fonctionnaire concerné. Dans la section précédente de mon analyse, j’ai également abordé le temps qui s’était écoulé entre les trop-payés et la réception des lettres de recouvrement, et l’ampleur et la complexité des problèmes de paye liés au système de paye Phénix. En tenant compte de ces divers facteurs, je me dois d’ajouter que j’estime qu’il aurait été préférable de fournir un délai plus long aux fonctionnaires pour donner suite aux lettres.

C. Une piste de réflexion quant au futur

[319] En dernier lieu, je me dois d’adresser l’argument de l’employeur voulant qu’un grief de principe ne constitue pas un mécanisme adéquat pour répondre aux enjeux identifiés par l’agent négociateur dans le présent cas. Selon l’employeur, la présentation et le renvoi à l’arbitrage de griefs individuels relativement aux mesures de recouvrement auraient été plus appropriés.

[320] Je ne suis pas d’accord. Il est bien établi qu’un grief de principe peut constituer un mécanisme efficace par lequel les parties peuvent soumettre à l’examen de la Commission un différend qui porte sur l’application ou l’interprétation d’une disposition de la convention collective afin qu’il soit résolu sur une base de principe (voir, par exemple, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 22, au par. 96, et AFPC 2008, aux paragraphes 64 à 68).

[321] Comme cela a déjà été indiqué, il n’y a pas d’obstacle à la présentation d’un grief individuel et d’un grief de principe sur la même question. Qu’il soit possible pour un employé de renvoyer un grief individuel à l’arbitrage ne change en rien le fait qu’un grief de principe peut constituer un mécanisme efficace pour résoudre un différend sur une base de principes.

[322] Comme il a été indiqué précédemment, un nombre élevé de griefs individuels ont été renvoyés à l’arbitrage relativement aux questions traitées dans la présente décision. La majorité d’entre eux sont en suspens en attente de cette décision. Lors d’une conférence de gestion des cas, l’agent négociateur a indiqué avoir l’espoir que si son grief de principe était accueilli par la Commission, les parties pourraient entreprendre des discussions en vue d’un règlement à l’amiable relativement aux griefs individuels. La démarche envisagée par l’agent négociateur peut, cependant, être longue et coûteuse en temps et en ressources.

[323] Dans une situation comme celle-ci, où un nombre élevé d’agents correctionnels seraient touchés par une seule et même mesure de la part de l’employeur, l’agent négociateur devrait réfléchir au principe d’économie des ressources judiciaires (et quasi-judiciaires) et à l’efficacité que peut représenter un grief collectif regroupant de nombreux cas individuels. Lorsqu’il existe des mécanismes plus rapides et efficaces pour en arriver à la résolution de cas individuels, toutes les parties ont intérêt à ce que ces mécanismes soient privilégiés.

[324] Les parties sont fortement encouragées de faire appel aux Services de médiation et de règlement des différends offerts par la Commission pour les aider à résoudre les griefs individuels actuellement en suspens devant la Commission. J’espère que les motifs énoncés dans la présente décision permettront aux parties de rapidement et efficacement résoudre le différend à l'origine de ces griefs individuels.

VI. Réparation et conclusion

[325] Le grief de l’agent négociateur est accueilli en partie.

[326] Je conclus que l’employeur a exercé son droit de gestion de façon non conforme à la convention collective en adoptant, et en mettant en œuvre, une procédure de recouvrement lui permettant d’entreprendre des démarches pour recouvrer des trop-payés et des ASU sans vérification préalable confirmant qu’il existe véritablement une somme à recouvrer et que le montant était exact. La procédure de recouvrement n’était pas conforme à la clause 49.02 de la convention collective. Je reviendrai à la mesure corrective que j’estime être indiquée.

[327] À l’audience, l’agent négociateur m’a demandé d’émettre des déclarations et des ordonnances. Il m’a demandé d’émettre une déclaration voulant que les démarches de recouvrement prises par l’employeur dans la période visée par le grief et décrite dans cette décision étaient « abusives » et violaient la convention collective. Il m’a demandé d’ordonner à l’employeur de cesser d’envoyer des lettres de recouvrement à des employés avant que leur dossier de paye ait fait l’objet d’un rapprochement. Il m’a également demandé d’ordonner à l’employeur de cesser toute démarche visant à recouvrer des créances prescrites et d’inclure dans ses lettres de recouvrement tous les détails relatifs aux sommes dues et aux calculs effectués par le CSP pour permettre à l’employé de prendre une décision éclairée.

[328] Puisque j’ai conclu que l’employeur a exercé son droit de gestion de façon non conforme à la convention collective, j’ai indiqué qu’il n’était pas nécessaire pour moi de me prononcer sur les questions subsidiaires à savoir si les lettres de recouvrement qui ont découlé de la mise en œuvre de la procédure de recouvrement étaient « déraisonnables, trompeuses et dolosives » ni même de me prononcer à savoir si l’employeur a violé la convention collective en tentant de recouvrer des trop-payés et des ASU prescrits. Comme le grief n’est pas accueilli sur ces bases, aucune mesure corrective ne peut être accordée.

[329] Certaines mesures correctives recherchées par l’agent négociateur, telles qu’elles m’ont été présentées à l’audience, ont été rendues sans objet en raison du fait que je n’ai pas suivi un cadre analytique axé sur des « violations » de la convention collective et de démarches « abusives ».

[330] Toutefois, il ressort des demandes de l’agent négociateur qu’il demande à la Commission de déclarer que l’employeur doit modifier sa façon de faire lorsqu’il cherche à recouvrer des trop-payés et des ASU en lien avec le système de paye Phénix. En raison du temps s’étant écoulé depuis la prise de la décision contestée et de la preuve qui m’a été présentée à l’audience qui suggère que le CSP aurait apporté des changements quant à la façon dont il communique avec les fonctionnaires relativement au recouvrement des trop-payés, l’agent négociateur n’a pas établi qu’une déclaration de cette nature était nécessaire dans les circonstances. De plus, comme il a été indiqué précédemment, la preuve qui m’a été présentée relativement à la procédure de recouvrement d’ASU en 2022 n’était pas exhaustive. L’agent négociateur ne s’est pas acquitté de son fardeau de faire la démonstration de la nécessité d’une déclaration de cette nature relativement à la pratique de recouvrement d’ASU du SCC.

[331] En vertu de l’article 228(2) de la Loi, après étude du grief, la Commission tranche celui-ci par l’ordonnance qu’elle juge indiquée. Lorsqu’il est applicable, l’article 232 précise la portée de la décision de la Commission lorsque le grief de principe porte sur une question qui a fait ou aurait pu faire l’objet d’un grief individuel ou d’un grief collectif.

[332] L’article 232 de la Loi précise que, dans une décision sur un grief de principe qui porte sur une question qui a fait ou aurait pu faire l’objet d’un grief individuel, la Commission ne peut que donner l’interprétation ou l’application exacte de la convention collective, conclure qu’il a été contrevenu à la convention collective et enjoindre à l’employeur d’interpréter ou d’appliquer la convention collective selon les modalités que la Commission fixe.

[333] Dans les circonstances du présent cas, j’estime qu’une ordonnance selon laquelle l’employeur a agi de manière non conforme à la convention collective constitue une mesure de réparation adéquate et efficace. Une telle ordonnance, assortie des constats et observations formulés dans la présente décision, constitue une réponse complète et adéquate au différend entre les parties.

[334] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[335] Le grief de principe est accueilli en partie.

[336] Dans la mesure où la procédure de recouvrement prévoit la prise de démarches en vue de recouvrer des trop-payés et des avances de salaire d’urgence en lien avec le système de paye Phénix sans vérification préalable confirmant qu’il existe véritablement une somme à recouvrer et que le montant est exact, la procédure est non conforme à la clause 49.02 de la convention collective ainsi qu’au principe de l’exactitude de la rémunération.

Le 19 novembre 2025.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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