Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Sanction pécuniaire (1 journée de salaire) - Geste d'indiscipline - Règles ambiguës - la fonctionnaire s'estimant lésée occupait la fonction d'agent correctionnel au Centre correctionnel communautaire (CCC) Martineau, un poste classifié aux groupe et niveau CX-II - en décembre 1999 le CCC Martineau a accueilli une nouvelle clientèle, des personnes ayant des problèmes de santé mentale, et, bien qu'antérieurement les résidents achetaient eux-mêmes leur nourriture, à compter de la mi-décembre, on devait fournir des repas aux nombreux résidents - au mois de décembre 1999, la fonctionnaire demanda au traiteur de lui fournir un repas additionnel qu'elle a consommé avec les nouveaux résidents - vers la fin de ce mois, le directeur lui expliqua que bien qu'il était important de socialiser avec les nouveaux résidents, il ne pouvait pas justifier le paiement d'un repas additionnel, celui pris par la fonctionnaire s'estimant lésée - par contre, le directeur lui avait aussi indiqué qu'il pourrait en être autrement si le CCC Martineau en venait à s'occuper de la préparation des repas - en effet, à compter de janvier 2000, compte tenu du fait qu'un résident avait des compétences culinaires, le directeur a autorisé la fonctionnaire s'estimant lésée à faire l'achat d'aliments pour que les repas soient préparés au CCC Martineau - il arriva donc à quelques reprises que la fonctionnaire s'estimant lésée prenne ses repas avec les résidents et que d'autres fonctionnaires fassent de même - le 12 février 2000, le directeur constate que la fonctionnaire s'estimant lésée mange avec les résidents - le 25 février 2000, le directeur a remis à celle-ci un rapport disciplinaire dans lequel il a reproché à la fonctionnaire s'estimant lésée d'avoir consommé un repas aux frais de l'employeur en compagnie de détenus sans en avoir obtenu l'autorisation et l'informa qu'il avait décidé de lui imposer une sanction pécuniaire équivalant à une journée de salaire - compte tenu de la preuve qui avait été présentée, l'arbitre de grief a jugé qu'il existait, à cette époque, une certaine confusion relativement au fait qu'un fonctionnaire puisse prendre son repas avec les résidents - l'arbitre de grief a conclu que le fait que la fonctionnaire s'estimant lésée avait consommé un repas préparé par les résidents du CCC Martineau ne pouvait être interprété comme un geste d'indiscipline - il a jugé que c'était en toute bonne foi que celle-ci, comme d'ailleurs d'autres collègues de travail, consommait à l'occasion un repas préparé par les résidents et que ces gestes découlaient de l'ambiguïté qui prévalait suite au fait qu'à compter de janvier 2000 les repas étaient préparés au CCC Martineau - l'arbitre de grief ordonna à l'employeur de rembourser la sanction pécuniaire qu'il avait fait imposer à la fonctionnaire s'estimant lésée et de retirer du dossier de cette dernière toute mention de mesure disciplinaire concernant l'événement du 12 février 2000. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2002-07-19
  • Dossier:  166-2-31110
  • Référence:  2002 CRTFP 64

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

SYLVIE GOYETTE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général Canada - Service correctionnel)

employeur

Devant :  Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour la fonctionnaire
s'estimant lésée : 
Céline Lalande, UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN

Pour l'employeur :  Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 6 au 10 mai 2002.

[1]   Mme Sylvie Goyette est à l'emploi du Service correctionnel Canada depuis 1983. Au moment des évènements relatés dans la présente décision, elle occupe la fonction d'agent correctionnel au Centre correctionnel communautaire (CCC) Martineau. Ce poste est classifié aux groupe et niveau CX-II.

[2]   Le 25 février 2000, l'employeur transmet à Mme Goyette un rapport disciplinaire (pièce E-1). L'employeur reproche à Mme Goyette d'avoir consommé un repas aux frais de l'employeur en compagnie de détenus sans en avoir obtenu l'autorisation et décide de lui imposer une sanction pécuniaire équivalant à une journée de salaire.

[3]   Le 24 mars, la fonctionnaire s'estimant lésée dépose un grief pour contester la décision de l'employeur.

[4]   Le grief est référé à l'arbitrage le 6 février 2002 et l'audition a lieu dans la semaine du 6 au 10 mai 2002. Le renvoi tardif de ce dossier à l'arbitrage s'explique du fait que plusieurs évènements se sont succédés entre 1997 et 2000.

[5]   De fait, dix griefs sont renvoyés à l'arbitrage. Par accord des parties quatre griefs sont plaidés lors des audiences du 6 au 10 mai 2002 :

  • le grief 166-2-31111 conteste une réaffectation temporaire dans un autre lieu de travail en juillet 1998;

  • le grief 166-2-31116 porte sur un refus de congé pour le 29 août 1997 et d'une mesure disciplinaire imposée pour l'absence du travail lors de cette journée;

  • le grief 166-2-31117 traite d'un refus de congé pour la période du 20 décembre 1999 au 7 janvier 2000;

  • finalement, le grief 166-2-31110 est relatif à la sanction pécuniaire équivalant à une journée de salaire, imposée pour consommation de repas aux frais de l'employeur.

[6]   Bien que chacun des quatre griefs fasse l'objet d'une preuve distincte, les parties conviennent la preuve déposée dans un dossier (notamment description de fonctions, lieu de travail, clientèle, etc.) puisse être considérée dans un autre.

La preuve

[7]   Mme Sylvie Goyette travaille au CCC Martineau depuis 1989. Il s'agit d'un petit établissement carcéral accueillant environ 50 détenus en 1989. Cependant, depuis 1990 on y loge en moyenne de 30 à 35 détenus bénéficiant de libération conditionnelle de jour ou de fin de semaine.

[8]   Mme Goyette est responsable de l'animation communautaire auprès des résidents (détenus) et effectue des tâches techniques liées au fonctionnement opérationnel du centre de même qu'au programme.

[9]   Mme Goyette explique qu'en décembre 1999 le CCC Martineau accueille une nouvelle clientèle, soit des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Antérieurement, les résidents achetaient eux-mêmes leur nourriture, mais à compter de la mi-décembre, on doit fournir des repas pour les nombreux résidents.

[10]   Pour les repas du midi et du soir, on fait appel à un service de traiteur. Pour le petit déjeuner, le CCC Martineau fournit du café et des croissants, muffins, etc. À cette époque, il arrive que Mme Goyette demande au traiteur de lui fournir un repas additionnel qu'elle consomme avec les nouveaux résidents. Il s'agit de personnes un peu désorganisées et il est important de socialiser avec elles.

[11]   Vers la fin du mois de décembre 1999, son directeur, M. Lussier, convient qu'il est important de socialiser avec ces nouveaux résidents; il indique cependant à Mme Goyette qu'il ne peut justifier le paiement d'un repas additionnel.

[12]   Selon Mme Goyette, le directeur lui indique qu'il pourrait en être autrement si, à un moment donné, le CCC Martineau en venait à s'occuper de la préparation des repas. Ainsi, occasionnellement un fonctionnaire pourrait partager le repas des résidents.

[13]   De fait à compter de janvier 2000, compte tenu du fait qu'un résident a des compétences culinaires, le directeur autorise Mme Goyette à faire l'achat d'aliments et les repas sont préparés au CCC Martineau.

[14]   Donc en janvier et février 2000, il arrive à quelques reprises que Mme Goyette prenne ses repas avec les résidents. D'ailleurs d'autres fonctionnaires font de même.

[15]   Le 12 février, le directeur constate que Mme Goyette mange avec les résidents. Il la convoque à son bureau et lui fait part qu'elle n'est pas autorisée à agir ainsi.

[16]   M. Lussier insiste sur le fait qu'en décembre 1999, il avait établi clairement que le CCC Martineau ne paye pas le repas aux fonctionnaires. C'est au moment où l'on fait appel à un traiteur pour les repas.

[17]   M. Lussier admet cependant qu'à cette époque il est favorable à l'idée que le CCC obtienne les services d'un cuisinier. Il a d'ailleur autorisé pendant 4 à 6 semaines l'achat de nourriture pour qu'un résident s'occupe de la préparation du repas. La direction régionale n'a pas accepté la demande de M. Lussier relativement à l'embauche d'un cuisinier et, à compter de mars 2000, le CCC Martineau cesse d'acheter des aliments et doit faire appel aux services d'un traiteur.

[18]   Suite à l'incident du 12 février et compte tenu du fait que Mme Goyette souligne que d'autres fonctionnaires prennent le repas avec les résidents, M. Lussier transmet une note de service le 21 février 2000 (pièce F-2) pour interdire une telle pratique.

[19]   M. Gilles Thibault, directeur de district, confirme le fait qu'en décembre 2000 en présence de M. Lussier il indique aux fonctionnaires du CCC Martineau que les services correctionnels ne peuvent payer les frais de repas des fonctionnaires qui mangent avec les résidents. Il convient qu'il est souhaitable que les fonctionnaires du CCC socialisent avec les détenus mais les fonctionnaires doivent fournir leur propre repas.

Arguments

[20]   La fonctionnaire s'estimant lésée souligne qu'à l'époque des incidents il y a beaucoup de changements au CCC Martineau et qu'il est possible qu'il y ait eu de la confusion. Elle estime que les propos du directeur au moment où il autorise que les repas soient préparés au CCC Martineau laissent sous-entendre que les fonctionnaires pourraient à l'occasion consommer un repas préparé par les résidents (détenus).

[21]   L'employeur soutient de son côté que la fonctionnaire s'estimant lésée est bien avertie en décembre 1999 que le CCC Martineau ne paye pas les repas du personnel.

Motifs de la décision

[22]   Je suis d'accord avec la position de l'employeur relativement à l'achat de repas à un traiteur et aux directives transmises par M. Lussier et M. Thibault en décembre 1999. Le message est clair compte tenu de la situation qui prévaut à cette époque.

[23]   Par la suite, en janvier et février 2000, les repas sont préparés au CCC Martineau. Compte tenu de la preuve présentée, je suis convaincu qu'il existe alors une certaine confusion relativement au fait qu'un fonctionnaire puisse prendre son repas avec les résidents et a même la nourriture préparée pour ces derniers.

[24]   D'ailleurs, le témoignage de Mme Goyette relativement au fait que d'autres fonctionnaires ont à cette époque consommé de la nourriture avec les résidents est tout à fait crédible. De plus, ayant appris ces faits, le 12 février 2000, le directeur prend la peine d'émettre une directive le 21 février 2000 (pièce F-2) pour clarifier la situation.

[25]   La directive du 21 février 2000 spécifie en ces termes « […] Il semble qu'une certaine ambiguïté se soit récemment produite relativement à la consommation de repas en compagnie de la clientèle [...] ».

[26]   Le fait que Mme Goyette ait consommé un repas préparé par les résidents du CCC Martineau ne peut être interprété comme un geste d'indiscipline. C'est en toute bonne foi que Mme Goyette, comme d'ailleurs d'autres collègues de travail, consomme à l'occasion un repas préparé par les résidents. Ces gestes découlent de l'ambiguïté qui prévalait suite au fait qu'à compter de janvier 2000 les repas sont préparés au CCC Martineau.

[27]   Je fais droit au grief de Mme Goyette et ordonne à l'employeur de lui rembourser la sanction pécuniaire qui lui fut imposée et de retirer du dossier de cette dernière toute mention de mesure disciplinaire concernant l'évènement du 17 février 2000.

Jean-Pierre Tessier,
commissaire

OTTAWA, le 19 juillet 2002

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